Contes de Grimm

Les musiciens de Brême

 

Un meunier possédait un âne qui, durant de longues années, avait inlassablement porté des sacs au moulin, mais dont les forces commençaient à décliner. Il devenait de plus en plus inapte au travail. Son maître songea à s'en débarrasser. L'âne se rendit compte qu'un vent défavorable commençait à souffler pour lui et il s'enfuit. Il prit la route de Brême. Il pensait qu'il pourrait y devenir musicien au service de la municipalité. Sur son chemin, il rencontra un chien de chasse qui s'était couché là. Il gémissait comme quelqu'un qui a tant couru, que la mort le guette.
- Alors, Taïaut, pourquoi jappes-tu comme ça ? demanda l'âne.
- Ah ! dit le chien, parce que je suis vieux, parce que je m'alourdis chaque jour un peu plus, parce que je ne peux plus chasser, mon maître veut me tuer. Je me suis enfui. Mais comment gagner mon pain maintenant ? ne peut le
- Sais-tu, dit l'âne, je vais à Brême pour y devenir musicien ; viens avec moi et fais-toi engager dans l'orchestre municipal. Je jouerai du luth et toi de la timbale.
Le chien accepta avec joie et ils repartirent de compagnie. Bientôt, ils virent un chat sur la route, qui était triste... comme trois jours de pluie.
- Eh bien ! qu'est-ce qui va de travers, vieux Raminagrobis ? demanda l'âne.
- Comment être joyeux quand il y va de sa vie ? répondit le chat. Parce que je deviens vieux, que mes dents s'usent et que je me tiens plus souvent à rêver derrière le poêle qu'à courir après les souris, ma maîtresse a voulu me noyer. J'ai bien réussi à me sauver, mais je ne sais que faire. Où aller ?
- Viens à Brême avec nous. Tu connais la musique, tu deviendras musicien.
Le chat accepta et les accompagna.
Les trois fugitifs arrivèrent à une ferme. Le coq de la maison était perché en haut du portail et criait de toutes ses forces.
- Tu cries à nous casser les oreilles, dit l'âne. Que t'arrive-t-il donc ?
- J'ai annoncé le beau temps, répondit le coq, parce que c'est le jour où la Sainte Vierge lave la chemise de L'Enfant Jésus et va la faire sécher. Mais, comme pour demain dimanche il doit venir des invités, la fermière a été sans pitié. Elle a dit à la cuisinière qu'elle voulait me manger demain et c'est ce soir qu'on doit me couper le cou. Alors, je crie à plein gosier pendant que je puis le faire encore.
- Eh ! quoi, Chanteclair, dit l'âne, viens donc avec nous. Nous allons à Brême ; tu trouveras n'importe où quelque chose de préférable à ta mort. Tu as une bonne voix et si nous faisons de la musique ensemble, ce sera magnifique.
Le coq accepta ce conseil et tous quatre se remirent en chemin.
Mais il ne leur était pas possible d'atteindre la ville de Brême en une seule journée. Le soir, ils arrivèrent près d'une forêt où ils se décidèrent à passer la nuit. L’âne et le chien se couchèrent au pied d'un gros arbre, le chat et le coq s'installèrent dans les branches. Le coq monta jusqu'à la cime. Il pensait s'y trouver en sécurité. Avant de s'endormir, il jeta un coup d'œil aux quatre coins de l'horizon. Il vit briller une petite lumière dans le lointain. Il appela ses compagnons et leur dit qu'il devait se trouver quelque maison par là, on y voyait de la lumière. L'âne dit :
- Levons-nous et allons-y ; ici, le gite et le couvert ne sont pas bons.
Le chien songea que quelques os avec de la viande autour lui feraient du bien. Ils se mirent donc en route en direction de la lumière et la virent grandir au fur et à mesure qu'ils avançaient. Finalement, ils arrivèrent devant une maison brillamment éclairée, qui était le repaire d'une bande de voleurs.
L'âne, qui était le plus grand, s'approcha de la fenêtre et regarda à l'intérieur.
- Que vois-tu, Grison ? demanda le coq.
- Ce que je vois ? répondit l'âne : une table servie avec mets et boissons de bonne allure. Des voleurs y sont assis et sont en train de se régaler.
- Voilà ce qu'il nous faudrait, repartit le coq.
- Eh ! oui, dit l'âne, si seulement nous y étions !
Les quatre compagnons délibérèrent pour savoir comment ils s'y prendraient pour chasser les voleurs. Finalement, ils découvrirent le moyen : l'âne appuierait ses pattes de devant sur le bord de la fenêtre, le chien sauterait sur son dos et le chat par-dessus. Le coq se percherait sur la tête du chat. Quand ils se furent ainsi installés, à un signal donné, ils commencèrent leur musique. L'âne brayait, le chien aboyait, le chat miaulait et le coq chantait. Sur quoi, ils bondirent par la fenêtre en faisant trembler les vitres. À ce concert inhabituel, les voleurs avaient sursauté. Ils crurent qu'un fantôme entrait dans la pièce et, pris de panique, ils s'enfuirent dans la forêt. Nos quatre compagnons se mirent à table, se servirent de ce qui restait et mangèrent comme s'ils allaient connaître un mois de famine. Quand les quatre musiciens eurent terminé, ils éteignirent la lumière et chacun se choisit un endroit à sa convenance et du meilleur confort pour dormir. L'âne se coucha sur le fumier, le chien derrière la porte, le chat près du poêle et le coq se percha au poulailler. Et comme ils étaient fatigués de leur long trajet, ils s'endormirent aussitôt.
Quand minuit fut passé, les voleurs virent de loin que la lumière avait été éteinte dans la maison et que tout y paraissait tranquille. Leur capitaine dit :
- Nous n'aurions pas dû nous laisser mettre à la porte comme ça.
Il ordonna à l'un de ses hommes d'aller inspecter la maison. L'éclaireur vit que tout était silencieux ; il entra à la cuisine pour allumer une lumière. Voyant les yeux du chat brillants comme des braises, il en approcha une allumette et voulut l'enflammer. Le chat ne comprit pas la plaisanterie et, crachant et griffant, lui sauta au visage. L'homme fut saisi de terreur. Il se sauva et voulut sortir par la porte de derrière. Le chien, qui était allongé là, bondit et lui mordit les jambes. Et quand le voleur se mit à courir à travers la cour, passant par-dessus le tas de fumier, l'âne lui expédia un magistral coup de sabot. Le coq, que ce vacarme avait réveillé et mis en alerte, cria du haut de son perchoir :
- Cocorico !
Le voleur s'enfuit aussi vite qu'il le pouvait vers ses camarades, et dit au capitaine :
- Il y a dans la maison une affreuse sorcière qui a soufflé sur moi et m'a griffé le visage de ses longs doigts. Devant la porte, il y avait un homme avec un couteau : il m'a blessé aux jambes. Dans la cour, il y a un monstre noir : il m'a frappé avec une massue de bois. Et sur le toit, il y avait un juge de paix qui criait : « Qu'on m'amène le coquin ! » J'ai fait ce que j'ai pu pour m'enfuir.
À partir de ce moment-là, les voleurs n'osèrent plus retourner à la maison. Quant aux quatre musiciens de Brême, ils s'y plurent tant qu'ils y restèrent. Le dernier qui me l'a raconté en fait encore des gorges chaudes.

 

 

Raiponce

 

Il était une fois un mari et son épouse, qui souhaitaient depuis longtemps avoir un enfant. Un jour enfin, la femme caressa l’espoir que le Bon Dieu exaucerait ses vœux.
Ces gens avaient à l’arrière de leur maison, une petite fenêtre depuis laquelle ils pouvaient apercevoir un splendide jardin où poussaient les plus belles fleurs et les meilleures simples ; mais il était entouré d’un haut mur et personne ne s’y risquait car il appartenait à une puissance magicienne que chacun craignait.
Un jour, la femme se tenait devant la fenêtre et regardait dans le jardin. Là elle y vit une plate-bande où poussaient de belles raiponces [1] qui paraissaient si fraîches et vertes qu’elle eut une grande envie d’en manger.

L’envie grandissait chaque jour et comme elle savait qu’elle ne pourrait pas en avoir, elle dépérissait, pâlissait et prenait un air de plus en plus misérable.
Alors le mari prit peur et demanda :
-"Que te manques-t-il ma chère épouse ?
-"Hélas, répondit-elle, si je ne peux manger de ces raiponces du jardin derrière notre maison, alors je mourrai."
L’homme qui aimait sa femme pensa :
-"Eh, laisseras-tu ton épouse mourir ? Vas lui chercher des raiponces quoiqu’il put t’en coûter.

Lorsque le crépuscule fut arrivé, il escalada le mur du jardin de la magicienne, cueillit rapidement une pleine poignée de raiponces et les rapporta à son épouse. Elle s’en fit aussitôt une salade et la mangea d’un coup avidement. Elles lui plurent tant que le jour suivant qu’elle en eut encore trois fois plus envie. Pour la calmer, l’homme dut encore une fois escalader le mur du jardin. Il le fit à nouveau au crépuscule. Mais tandis qu’il grimpait au mur il fut brusquement effrayé car il aperçut la magicienne qui se tenait devant lui.
-"Comment peux-tu te risquer, dit-elle avec un regard plein de courroux, à pénétrer dans mon jardin et me voler mes raiponces comme un brigand ? Tu vas être puni !"
-"Hélas, répondit-il, faites moi grâce et justice. Je ne l’ai fait que par nécessité. Mon épouse a vu vos raiponces depuis notre fenêtre et en conçut une telle envie qu’elle en serait morte si elle n’avait pas pu en manger." La magicienne laissa alors tomber son courroux et lui dit :
-"Prends-en autant que tu voudras, j’y mets seulement une condition :
-"Tu dois me donner l’enfant que ta femme mettra au monde. Il sera bien traité et je m’en occuperai comme une mère."
L’homme par peur acquiesça à tout, et lorsque après quelques semaines accoucha apparut immédiatement la magicienne, qui donna le nom de Raiponce à l’enfant et l’emmena avec elle. Elle

Raiponce devint la plus belle enfant qui soit. Lorsqu’elle eut douze ans, la magicienne l’enferma dans une tour qui se dressait dans une forêt et qui ne possédait ni escalier ni porte ; seul tout en haut, s’ouvrait une petite fenêtre.

Quand la magicienne voulait entrer, elle se tenait au bas et appelait :
-"Raiponce, Raiponce, dénoue et lance vers moi tes cheveux !". Raiponce avait de longs et splendides cheveux fins et filés comme de l’or. Lorsque la voix de la magicienne lui parvenait, elle dénouait ses nattes les passaient autour d’un crochet de la fenêtre et les laissait tomber vingt pieds plus bas. Ainsi grâce à ceux-ci la magicienne pouvait grimper dans la tour.

Une paire d’années passèrent lorsque le fils du roi qui chevauchait par ces bois vint à passer près de la tour. Il entendit un chant qui était si doux qu’il s’arrêta et écouta. C’était Raiponce, qui dans sa solitude passait le temps en chantant et faisait résonner sa douce voix. Le fils du roi voulut monter auprès d’elle et chercha une porte : mais il n’en trouva aucune. Il s’en retourna alors chez lui. Mais le chant l’avait tellement ému, que chaque jour il partait pour les bois pour l’écouter. Une fois alors qu’il se tenait sous un arbre, il vit la magicienne venir et il l’entendit appeler :
-"Raiponce, Raiponce, dénoue et lance vers moi tes cheveux !".
Alors Raiponce laissait tomber ses tresses et la magicienne grimpait à elle.
-"Est-ce l’échelle par laquelle on y parvient, alors je veux aussi une fois tenter ma chance."

Et le jour suivant, tandis que le crépuscule pointait, s’en alla-t-il vers la tour et appela :
-"Raiponce, Raiponce, dénoue et lance vers moi tes cheveux !".
Aussitôt, la chevelure chût et le prince escalada la tour.

Au début Raiponce fut horriblement effrayée qu’un homme vint jusqu’à elle alors qu’elle n’en avait jamais vu un de ses yeux. Aussi le prince commença à lui parler amicalement et lui raconta que son cœur avait été si profondément ému par son chant qu’il ne l’avait plus laissé en paix et que lui même se devait de la rencontrer.

Raiponce se sentit rassurée et tandis que le prince lui demanda si elle souhaitait l’avoir pour époux elle vit qu’il était jeune et beau. Elle pensa alors :
-"Il préfère m’avoir plutôt que la vieille Gotel, et lui dit "oui" et mit sa main dans la sienne. Elle prononça ces mots :
-"Je veux bien venir avec toi mais j’ignore comment descendre. Lorsque tu viendras, apporte un écheveau de soie dont je ferai une échelle et lorsqu’elle sera prête, je descendrai pour que tu m’emportes sur ton cheval."

Ils convinrent qu’il viendrait à elle tous les soirs : car le jour venait la vieille. La magicienne n’en remarqua rien, jusqu’à ce qu’un jour Raiponce lui parla :
-"Dites moi Madame Gotel, comment se peut-il que vous soyez plus lourde à soulever que le jeune prince qui en un instant est auprès de moi ?"
-"Hélas enfant impie !" s’exclama la magicienne, "Que dois-je écouter ; je pensais t’avoir mise à l’écart du monde et tu m’as trahie !" Dans sa colère elle attrapa la chevelure de Raiponce, lui envoya une paire de claques de sa main gauche, attrapa de sa main droite une paire de ciseaux et en un clin d’œil les tresses gisèrent sur le sol. Elle fut tellement sans pitié que Raiponce fut exilée dans une contrée désertique où elle dut vivre dans la privation et la peine.

Le jour même où Raiponce fut bannie, la magicienne accrocha les tresse à la fenêtre et lorsque le prince arriva et appela :
-"Raiponce, Raiponce, dénoue et lance vers moi tes cheveux !".
Elle laissa choir les cheveux. Le prince monta mais ne trouva pas sa chère Raiponce mais la magicienne qui lui jeta un regard méchant et empoisonné.
-"Ah ah !" ricana-t-elle "tu viens chercher ta bien-aimée, mais le bel oiseau n’est plus au nid et ne chante plus, le chat l’a emporté et il va de plus t’arracher les yeux. Raiponce est perdue pour toi, tu ne la reverra plus jamais !"
Le prince sentit la douleur l’envahir et de désespoir bondit par la fenêtre. Il survécut mais les épines du bosquet dans lequel il tomba lui crevèrent les yeux. Il erra aveugle dans la forêt ne mangea que racines et baies et ne il fut plus que pleurs et peines de la perte de sa chère promise.

Il se traîna ainsi quelques années misérablement et atteignit finalement la contrée déserte où Raiponce survivait péniblement avec les jumeaux qu’elle avait mis au monde, un garçon et une fille. Il entendit une voix, qui lui semblait familière. Il s’approcha et Raiponce le reconnut, elle se pendit à son cou et se mit à pleurer.

Deux de ses larmes tombèrent dans les siens et il recouvra ainsi la vue qu’il avait perdue.

Il l’emmena dans son royaume où il fut accueilli avec joie. Ils y vécurent longtemps heureux et sereins.

 

 

Cendrillon

 

Sentant sa fin venir, la femme d'un homme très riche appela sa fille unique auprès de son lit et lui tint ce langage :
- Chère enfant, reste pieuse et bonne. Dieu te sera toujours secourable, et moi, du haut du ciel, je veillerai sur toi.
Sur quoi, elle ferma les yeux et mourut. La petite fille, chaque jour, se rendit sur sa tombe et resta pieuse et bonne. Lorsque vint l'hiver, la neige recouvrit la tombe d'un blanc manteau que le soleil fit fondre au printemps. Alors, le père se choisit une nouvelle femme.
Cette femme avait amené avec elle deux filles, belles et à la peau bien blanche, mais dont le coeur était laid et noir. Une triste période commença pour la pauvre petite.
- Cette oie stupide doit-elle habiter dans la même chambre que nous ? demandaient les deux filles.
- Qui veut manger doit travailler. À la cuisine avec la servante !
Elles lui arrachèrent ses beaux habits, lui jetèrent un vieux sarrau gris et lui donnèrent des sabots de bois.
- Regardez, comme elle est propre, la fière princesse ! s'écrièrent-elles en riant.
Et elles la conduisirent dans la cuisine. Du matin au soir, elle dut s'y livrer aux pires besognes, se lever avant le jour, porter des seaux d'eau, allumer le feu, faire la cuisine, balayer. Par-dessus le marché, les deux soeurs lui faisaient les pires misères, crachaient sur elle, répandaient les petits pois et les lentilles dans les cendres pour qu'elle soit obligée de les trier à nouveau. Le soir, quand elle était morte de fatigue, elle n'avait même pas un lit pour se reposer : elle devait se coucher dans la cendre, près du foyer. Et comme elle paraissait désormais toujours poussiéreuse et sale, on l'appela Cendrillon.
Un jour que le père avait décidé de se rendre à la foire, il demanda à ses deux belles-filles ce qu'il devrait leur en rapporter.
- De beaux vêtements, dit l'une.
- Des perles et des diamants, dit l'autre.
- Et toi, Cendrillon, dit le père, que veux-tu ?
- Cueillez pour moi, répondit-elle, la première petite branche qui heurtera votre chapeau.
Le père acheta donc pour ses belles-filles de beaux habits, des perles et des diamants. Sur le chemin du retour, comme il chevauchait à travers un fourré, un brin de noisetier l'effleura et fit tomber son chapeau. il coupa le rameau et l'emporta avec lui. Lorsqu'il arriva à la maison, il donna aux deux soeurs ce qu'elles avaient demandé. À Cendrillon, il remit le rameau de noisetier. Cendrillon le remercia, se rendit sur la tombe de sa mère et y planta la petite branche. Elle pleurait si fort que le rameau fut tout arrosé de larmes. Il poussa et devint un bel arbre. Cendrillon se rendait auprès de lui trois fois par jour pour pleurer et prier. Et, chaque fois, un petit oiseau blanc se posait sur l'arbre. Lorsqu'elle demandait quelque chose, du haut des branches, il lui lançait ce qu'elle désirait.
Il arriva que le roi organisa une fête qui devait durer trois jours et à laquelle les plus jolies filles du pays étaient invitées pour que son fils pût, parmi elles, trouver une épouse. Lorsque les deux soeurs apprirent qu'elles pourraient s'y rendre, toutes joyeuses, elles appelèrent Cendrillon et lui dirent :
- Coiffe-nous, brosse nos souliers, attache nos ceintures. Nous allons à la fête au château du roi.
Cendrillon obéit, pleura parce qu'elle aurait bien voulu aller danser aussi et en demanda l'autorisation à sa marâtre.
- Toi, Cendrillon, toi pleine de poussière et de saleté tu voudrais aller à la fête ! Tu n'as ni vêtements ni souliers et tu voudrais danser !
Finalement, pour répondre à ses prières, elle lui dit :
- Tiens, j'ai versé une casserolée de lentilles dans les cendres ; si tu réussis à les trier en l'espace de deux heures, tu pourras y aller.
La jeune fille sortit par la porte de derrière et cria :
- Douces colombes, gentilles tourterelles, oh ! vous, tous les oiseaux du ciel, venez et aidez-moi à trier :

les bonnes dans mon petit pot
les mauvaises dans votre jabot !

Voilà qu'arrivent à la fenêtre de la cuisine deux pigeons blancs, et puis des tourterelles ; finalement, tous les oiseaux du ciel, sifflant et volant, s'abattent dans les cendres. Et les pigeons commencèrent à picorer, pic, pic, et les autres aussi, pic, pic, pic, mettant toutes les bonnes graines dans le petit pot. Une heure à peine était écoulée, tout était fini et les oiseaux s'étaient de nouveau envolés. La jeune fille apporta la casserole à la marâtre, tout heureuse, s'imaginant qu'elle pourrait aller à la fête. Mais la méchante femme dit :
- Non, Cendrillon, tu n'as pas d'habits et tu ne sais pas danser. On se moquerait de toi.
Comme Cendrillon pleurait, elle lui dit :
- Si tu parviens à trier deux casserolées de lentilles en une heure, tu pourras venir.
Elle pensait : « Elle n'y arrivera jamais. » Après qu'elle eut jeté deux casserolées de lentilles dans les cendres, Cendrillon sortit de la cuisine par la porte de derrière et appela :
- Douces colombes, gentilles tourterelles, Oh ! vous, tous les oiseaux du ciel, venez et aidez-moi à trier :

les bonnes dans mon petit pot
les mauvaises dans votre jabot !

Deux pigeons blancs arrivent à la fenêtre, suivis des tourterelles ; finalement tous les oiseaux du ciel, sifflant et volant, s'abattent dans les cendres. Et les pigeons commencèrent à picorer, pic pic, pic, et les autres aussi ; pic, pic, pic, mettant toutes les bonnes graines dans le petit pot. Avant qu'une demi-heure ne fût écoulée, ils avaient déjà fini et reprenaient leur vol. La jeune fille porta la casserole à sa belle-mère, se réjouissant et croyant qu'elle pourrait aller à la fête. Mais la marâtre dit :
- Ce que tu as fait ne te servira de rien ; tu ne viendras pas parce que tu n'as pas de robe et que tu ne sais pas danser, tu nous ferais honte.
Elle lui tourna le dos et se hâta de se préparer avec ses deux filles orgueilleuses.
Quand tout le monde eut quitté la maison, Cendrillon s'en alla sur la tombe de sa mère, sous le noisetier, et dit :
- Cher petit arbre, secoue-toi, secoue-toi, jette de l'or et de l'argent sur moi. L'oiseau lui lança une robe d'or et d'argent et des pantoufles tressées de soie et d'argent. Elle revêtit la robe en toute hâte et se rendit au château. Ses soeurs et sa belle-mère ne la reconnurent pas et s'imaginèrent qu'il s'agissait d'une princesse étrangère, tant elle était belle dans sa robe d'or. Elles ne pensaient pas du tout à Cendrillon et la croyaient assise dans la saleté, cherchant des lentilles dans la cendre. Le fils du roi vint à sa rencontre, la prit par la main et dansa avec elle. Il ne voulut danser avec personne d'autre, de sorte qu'il ne lâchait pas sa main. Quand quelqu'un voulait l'inviter, il disait :
- C'est ma cavalière.
Elle dansa jusqu'au soir. Quand elle voulut se retirer, le prince dit :
- Je vais avec toi, je t'accompagne.
Il voulait savoir qui était la jolie jeune fille. Elle se sauva et alla se cacher dans le pigeonnier. Le prince attendit qu'arrivât le père et lui dit que la jeune étrangère s'était réfugiée dans le pigeonnier. Le vieux se dit : « Serait-ce Cendrillon ? » Il se fit apporter une hache et une pioche pour démolir le pigeonnier, mais il n'y trouva personne.
Lorsqu'ils arrivèrent à la maison, Cendrillon, vêtue de ses habits sales, était couchée dans la cuisine. Une misérable lampe à huile brûlait sur la cheminée ; car Cendrillon avait vivement quitté le pigeonnier par-derrière et avait couru vers le noisetier. Elle avait retiré ses beaux habits, les avait déposés sur la tombe et l'oiseau les avait repris ; puis, dans ses vieux vêtements, elle était allée se coucher dans la cendre.
Le lendemain, comme la fête recommençait, et que les parents et les deux filles étaient de nouveau partis, Cendrillon s'en fut sous le noisetier et dit :
- Cher petit arbre, secoue-toi, secoue-toi, jette de l'or et de l'argent sur moi. Alors l'oiseau lui lança une robe encore bien plus belle que celle de la veille. Lorsqu'elle arriva à la fête, chacun fut saisi d'admiration devant sa beauté. Le prince, qui l'avait attendue, la prit par la main et ne dansa qu'avec elle. Quand d'autres venaient pour l'inviter, il disait :
- C'est ma cavalière.
Quand le soir fut venu, elle voulut s'en aller. Le prince la suivit pour voir dans quelle maison elle irait. Mais elle s'enfuit dans le jardin, derrière la maison. Il s'y trouvait un grand arbre, magnifique, auquel pendaient des poires splendides. Elle grimpa dans ses branches, agile comme un écureuil, et le fils du roi se demanda où elle était passée. Il attendit que vint le père et lui dit :
- La jeune étrangère m'a échappé et je crois qu'elle a grimpé dans le poirier.
Le père pensa : « Serait-ce Cendrillon ? », il se fit apporter une hache et abattit l'arbre mais il n'y avait personne dessus. Et lorsqu'ils arrivèrent tous à la maison, Cendrillon était couchée dans la cendre, comme d'habitude car elle avait sauté de l'autre côté de l'arbre, rendu ses beaux vêtements à l'oiseau du noisetier et revêtu son sarrau gris.
Le troisième jour, quand les parents et les deux filles furent partis, Cendrillon se dirigea de nouveau vers la tombe de sa mère et dit au noisetier :
- Cher petit arbre, secoue-toi, secoue-toi, jette de l'or et de l'argent sur moi. Alors l'oiseau lui lança une robe plus merveilleuse et plus brillante que les autres, et les souliers étaient d'or massif. Lorsque ainsi vêtue elle arriva à la fête, tout le monde resta muet d'admiration. Le fils du roi ne dansa qu'avec elle et quand quelqu'un voulait l'inviter, il disait :
- C'est ma cavalière.
Quand le soir tomba, Cendrillon voulut s'en aller et le prince l'accompagner ; elle lui échappa avec tant de rapidité qu'il ne put la suivre. Mais il avait préparé un piège : il avait fait enduire l'escalier de poix. Lorsque la jeune fille s'y précipita, sa pantoufle gauche y resta collée. Le prince la ramassa : elle était petite, mignonne et tout en or.
Le lendemain matin, il se rendit avec elle auprès de l'homme et lui dit :
- Personne d'autre ne sera ma femme qui ne puisse mettre cette pantoufle.
Les deux soeurs se réjouirent, car elles avaient de jolis pieds. L'aînée emporta la pantoufle dans sa chambre et voulut l'essayer ; et sa mère se tenait auprès d'elle. Mais, malgré tous ses efforts, elle ne put l'enfiler : la pantoufle était trop petite. La mère lui tendit un couteau et dit : « Coupe-toi les orteils ; lorsque tu seras reine, tu n'auras plus besoin de marcher. » La jeune fille coupa, enfonça son pied dans la pantoufle, avala sa douleur et se rendit auprès du prince. Il en fit sa fiancée, la plaça sur son cheval et partit au galop. Mais il leur fallait passer devant la tombe ; deux petits pigeons étaient perchés sur le noisetier. Il crièrent :

Crou, crou, crou, crou,
dans la pantoufle il y a du sang partout ;
la pantoufle est bien trop petite,
la vraie fiancée est encore au gîte.

Le prince regarda les pieds de la jeune fille, vit que du sang coulait. Il fit faire demi-tour à son cheval, ramena la fausse fiancée chez elle, dit que ce n'était pas la bonne, que l'autre soeur devait essayer la pantoufle. Celle-ci alla dans sa chambre. Ses orteils entraient dans la pantoufle, mais le talon était trop gros. Sa mère lui tendit un couteau et dit :
- Coupe un morceau du talon. lorsque tu seras reine, tu ne seras plus obligée de marcher.
La jeune fille coupa un morceau du talon, avala sa douleur et revint auprès du prince. Il en fit sa fiancée, la plaça sur son cheval et partit au galop. Comme ils passaient devant le noisetier, deux pigeons qui y étaient posés crièrent :

Crou, crou, crou, crou,
dans la pantoufle il y a du sang partout ;
la pantoufle est bien trop petite,
la vraie fiancée est encore au gîte.

Le prince regarda les pieds de la jeune fille, vit que du sang coulait de la pantoufle et que le bas blanc était devenu tout rouge. Il fit faire demi-tour à son cheval et ramena la fausse fiancée chez elle.
- Ce n'est pas la bonne non plus, dit-il ; n'avez-vous pas d'autre fille ?
- Non, dit l'homme, il n'y a qu'une vilaine petite Cendrillon, fille de ma première femme.
Le prince demanda qu'on la lit venir. Mais la mère répondit :
- Ah non, elle est bien trop sale ! On ne peut pas la montrer.
Malgré tout, le prince voulut la voir et il fallut faire venir Cendrillon. Elle se lava les mains et le visage, s'approcha et fit révérence devant le fils du roi qui lui tendit la pantoufle d'or. Elle s'assit sur un tabouret, retira son pied du noir sabot et enfila la pantoufle : c'était comme si elle avait été faite sur mesure ! Lorsqu'elle se releva et que le prince la regarda dans les yeux, il reconnut la jolie fille qui avait dansé avec lui et il s'écria :
- Voilà ma vraie fiancée !
La marâtre et ses deux filles avaient peur ; elles devinrent blêmes de colère ; mais le prince prit Cendrillon sur son cheval et partit au galop. Les noces furent bientôt célébrées.

 

 

Hansel et Grethel

 

A l'orée d'une grande forêt vivaient un pauvre bûcheron, sa femme et ses deux enfants. Le garçon s'appelait Hansel et la fille Grethel. La famille ne mangeait guère. Une année que la famine régnait dans le pays et que le pain lui-même vint à manquer, le bûcheron ruminait des idées noires, une nuit, dans son lit et remâchait ses soucis. Il dit à sa femme
- Qu'allons-nous devenir ? Comment nourrir nos pauvres enfants, quand nous n'avons plus rien pour nous-mêmes ?
- Eh bien, mon homme, dit la femme, sais-tu ce que nous allons faire ? Dès l'aube, nous conduirons les enfants au plus profond de la forêt nous leur allumerons un feu et leur donnerons à chacun un petit morceau de pain. Puis nous irons à notre travail et les laisserons seuls. Ils ne retrouveront plus leur chemin et nous en serons débarrassés.
- Non, femme, dit le bûcheron. Je ne ferai pas cela ! Comment pourrais-je me résoudre à laisser nos enfants tout seuls dans la forêt ! Les bêtes sauvages ne tarderaient pas à les dévorer.
- Oh ! fou, rétorqua-t-elle, tu préfères donc que nous mourions de faim tous les quatre ? Alors, il ne te reste qu'à raboter les planches de nos cercueils.
Elle n'eut de cesse qu'il n'acceptât ce qu'elle proposait.
- Mais j'ai quand même pitié de ces pauvres enfants, dit le bûcheron.
Les deux petits n'avaient pas pu s'endormir tant ils avaient faim. Ils avaient entendu ce que la marâtre disait à leur père. Grethel pleura des larmes amères et dit à son frère :
- C'en est fait de nous
- Du calme, Grethel, dit Hansel. Ne t'en fais pas ; Je trouverai un moyen de nous en tirer.
Quand les parents furent endormis, il se leva, enfila ses habits, ouvrit la chatière et se glissa dehors. La lune brillait dans le ciel et les graviers blancs, devant la maison, étincelaient comme des diamants. Hansel se pencha et en mit dans ses poches autant qu'il put. Puis il rentra dans la maison et dit à Grethel :
- Aie confiance, chère petite soeur, et dors tranquille. Dieu ne nous abandonnera pas.
Et lui-même se recoucha.
Quand vint le jour, avant même que le soleil ne se levât, la femme réveilla les deux enfants :
- Debout, paresseux ! Nous allons aller dans la forêt pour y chercher du bois. Elle leur donna un morceau de pain à chacun et dit :
- Voici pour le repas de midi ; ne mangez pas tout avant, car vous n'aurez rien d'autre.
Comme les poches de Hansel étaient pleines de cailloux, Grethel mit le pain dans son tablier. Puis, ils se mirent tous en route pour la forêt. Au bout de quelque temps, Hansel s'arrêta et regarda en direction de la maison. Et sans cesse, il répétait ce geste. Le père dit :
- Que regardes-tu, Hansel, et pourquoi restes-tu toujours en arrière ? Fais attention à toi et n'oublie pas de marcher !
- Ah ! père dit Hansel, Je regarde mon petit chat blanc qui est perché là-haut sur le toit et je lui dis au revoir.
La femme dit :
- Fou que tu es ! ce n'est pas le chaton, c'est un reflet de soleil sur la cheminée. Hansel, en réalité, n'avait pas vu le chat. Mais, à chaque arrêt, il prenait un caillou blanc dans sa poche et le jetait sur le chemin.
Quand ils furent arrivés au milieu de la forêt, le père dit :
- Maintenant, les enfants, ramassez du bois ! je vais allumer un feu pour que vous n'ayez pas froid.
Hansel et Grethel amassèrent des brindilles au sommet d'une petite colline. Quand on y eut mit le feu et qu'il eut bien pris, la femme dit :
- Couchez-vous auprès de lui, les enfants, et reposez-vous. Nous allons abattre du bois. Quand nous aurons fini, nous reviendrons vous chercher.
Hansel et Grethel s'assirent auprès du feu et quand vint l'heure du déjeuner, ils mangèrent leur morceau de pain. Ils entendaient retentir des coups de hache et pensaient que leur père était tout proche. Mais ce n'était pas la hache. C'était une branche que le bûcheron avait attachée à un arbre mort et que le vent faisait battre de-ci, de-là. Comme ils étaient assis là depuis des heures, les yeux finirent par leur tomber de fatigue et ils s'endormirent. Quand ils se réveillèrent, il faisait nuit noire. Grethel se mit à pleurer et dit :
- Comment ferons-nous pour sortir de la forêt ?
Hansel la consola
- Attends encore un peu, dit-il, jusqu'à ce que la lune soit levée. Alors, nous retrouverons notre chemin.
Quand la pleine lune brilla dans le ciel, il prit sa soeur par la main et suivit les petits cailloux blancs. Ils étincelaient comme des écus frais battus et indiquaient le chemin. Les enfants marchèrent toute la nuit et, quand le jour se leva, ils atteignirent la maison paternelle. Ils frappèrent à la porte. Lorsque la femme eut ouvert et quand elle vit que c'étaient Hansel et Grethel, elle dit :
- Méchants enfants ! pourquoi avez-vous dormi si longtemps dans la forêt ? Nous pensions que vous ne reviendriez jamais.
Leur père, lui, se réjouit, car il avait le coeur lourd de les avoir laissés seuls dans la forêt.
Peu de temps après, la misère régna de plus belle et les enfants entendirent ce que la marâtre disait, pendant la nuit, à son mari :
- Il ne nous reste plus rien à manger, une demi-miche seulement, et après, finie la chanson ! Il faut nous débarrasser des enfants ; nous les conduirons encore plus profond dans la forêt pour qu'ils ne puissent plus retrouver leur chemin ; il n'y a rien d'autre à faire.
Le père avait bien du chagrin. Il songeait - « Il vaudrait mieux partager la dernière bouchée avec les enfants. » Mais la femme ne voulut n'en entendre. Elle le gourmanda et lui fit mille reproches. Qui a dit « A » doit dire « B. »Comme il avait accepté une première fois, il dut consentir derechef.
Les enfants n'étaient pas encore endormis. Ils avaient tout entendu. Quand les parents furent plongés dans le sommeil, Hansel se leva avec l'intention d'aller ramasser des cailloux comme la fois précédente. Mais la marâtre avait verrouillé la porte et le garçon ne put sortir. Il consola cependant sa petite soeur :
- Ne pleure pas, Grethel, dors tranquille ; le bon Dieu nous aidera.
Tôt le matin, la marâtre fit lever les enfants. Elle leur donna un morceau de pain, plus petit encore que l'autre fois. Sur la route de la forêt, Hansel l'émietta dans sa poche ; il s'arrêtait souvent pour en jeter un peu sur le sol.
- Hansel, qu'as-tu à t'arrêter et à regarder autour de toi ? dit le père. Va ton chemin !
- Je regarde ma petite colombe, sur le toit, pour lui dire au revoir ! répondit Hansel.
- Fou ! dit la femme. Ce n'est pas la colombe, c'est le soleil qui se joue sur la cheminée.
Hansel, cependant, continuait à semer des miettes de pain le long du chemin.
La marâtre conduisit les enfants au fin fond de la forêt, plus loin qu'ils n'étaient jamais allés. On y refit un grand feu et la femme dit :
- Restez là, les enfants. Quand vous serez fatigués, vous pourrez dormir un peu nous allons couper du bois et, ce soir, quand nous aurons fini, nous viendrons vous chercher.
À midi, Grethel partagea son pain avec Hansel qui avait éparpillé le sien le long du chemin. Puis ils dormirent et la soirée passa sans que personne ne revînt auprès d'eux. Ils s'éveillèrent au milieu de la nuit, et Hansel consola sa petite soeur, disant :
- Attends que la lune se lève, Grethel, nous verrons les miettes de pain que j'ai jetées ; elles nous montreront le chemin de la maison.
Quand la lune se leva, ils se mirent en route. Mais de miettes, point. Les mille oiseaux des champs et des bois les avaient mangées. Les deux enfants marchèrent toute la nuit et le jour suivant, sans trouver à sortir de la forêt. Ils mouraient de faim, n'ayant à se mettre sous la dent que quelques baies sauvages. Ils étaient si fatigués que leurs jambes ne voulaient plus les porter. Ils se couchèrent au pied d'un arbre et s'endormirent.
Trois jours s'étaient déjà passés depuis qu'ils avaient quitté la maison paternelle. Ils continuaient à marcher, s'enfonçant toujours plus avant dans la forêt. Si personne n'allait venir à leur aide, ils ne tarderaient pas à mourir. À midi, ils virent un joli oiseau sur une branche, blanc comme neige. Il chantait si bien que les enfants s'arrêtèrent pour l'écouter. Quand il eut fini, il déploya ses ailes et vola devant eux. Ils le suivirent jusqu'à une petite maison sur le toit de laquelle le bel oiseau blanc se percha. Quand ils s'en furent approchés tout près, ils virent qu'elle était faite de pain et recouverte de gâteaux. Les fenêtres étaient en sucre. - Nous allons nous mettre au travail, dit Hansel, et faire un repas béni de Dieu. Je mangerai un morceau du toit ; ça a l'air d'être bon !
Hansel grimpa sur le toit et en arracha un petit morceau pour goûter. Grethel se mit à lécher les carreaux. On entendit alors une voix suave qui venait de la chambre

- Langue, langue lèche !
Qui donc ma maison lèche ?

Les enfants répondirent

- C'est le vent, c'est le vent.
Ce céleste enfant.

Et ils continuèrent à manger sans se laisser détourner de leur tâche. Hansel, qui trouvait le toit fort bon, en fit tomber un gros morceau par terre et Grethel découpa une vitre entière, s'assit sur le sol et se mit à manger. La porte, tout à coup, s'ouvrit et une femme, vieille comme les pierres, s'appuyant sur une canne, sortit de la maison. Hansel et Grethel eurent si peur qu'ils laissèrent tomber tout ce qu'ils tenaient dans leurs mains. La vieille secoua la tête et dit :
- Eh ! chers enfants, qui vous a conduits ici ? Entrez, venez chez moi ! Il ne vous sera fait aucun mal.
Elle les prit tous deux par la main et les fit entrer dans la maisonnette. Elle leur servit un bon repas, du lait et des beignets avec du sucre, des pommes et des noix. Elle prépara ensuite deux petits lits. Hansel et Grethel s'y couchèrent. Ils se croyaient au Paradis.
Mais l'amitié de la vieille n'était qu'apparente. En réalité, c'était une méchante sorcière à l'affût des enfants. Elle n'avait construit la maison de pain que pour les attirer. Quand elle en prenait un, elle le tuait, le faisait cuire et le mangeait. Pour elle, c'était alors jour de fête. La sorcière avait les yeux rouges et elle ne voyait pas très clair. Mais elle avait un instinct très sûr, comme les bêtes, et sentait venir de loin les êtres humains. Quand Hansel et Grethel s'étaient approchés de sa demeure, elle avait ri méchamment et dit d'une voix mielleuse :
- Ceux-là, je les tiens ! Il ne faudra pas qu'ils m'échappent !
À l'aube, avant que les enfants ne se soient éveillés, elle se leva. Quand elle les vit qui reposaient si gentiment, avec leurs bonnes joues toutes roses, elle murmura :
- Quel bon repas je vais faire !
Elle attrapa Hansel de sa main rêche, le conduisit dans une petite étable et l'y enferma au verrou. Il eut beau crier, cela ne lui servit à rien. La sorcière s'approcha ensuite de Grethel, la secoua pour la réveiller et s'écria :
- Debout, paresseuse ! Va chercher de l'eau et prépare quelque chose de bon à manger pour ton frère. Il est enfermé à l'étable et il faut qu'il engraisse. Quand il sera à point, je le mangerai.
Grethel se mit à pleurer, mais cela ne lui servit à rien. Elle fut obligée de faire ce que lui demandait l'ogresse. On prépara pour le pauvre Hansel les plats les plus délicats. Grethel, elle, n'eut droit qu'à des carapaces de crabes. Tous les matins, la vieille se glissait jusqu'à l'écurie et disait :
- Hansel, tends tes doigts, que je voie si tu es déjà assez gras.
Mais Hansel tendait un petit os et la sorcière, qui avait de mauvais yeux, ne s'en rendait pas compte. Elle croyait que c'était vraiment le doigt de Hansel et s'étonnait qu'il n'engraissât point. Quand quatre semaines furent passées, et que l'enfant était toujours aussi maigre, elle perdit patience et décida de ne pas attendre plus longtemps.
- Holà ! Grethel, cria-t-elle, dépêche-toi d'apporter de l'eau. Que Hansel soit gras ou maigre, c'est demain que je le tuerai et le mangerai.
Ah, comme elle pleurait, la pauvre petite, en charriant ses seaux d'eau, comme les larmes coulaient le long de ses joues !
- Dieu bon, aide-nous donc ! s'écria-t-elle. Si seulement les bêtes de la forêt nous avaient dévorés ! Au moins serions-nous morts ensemble !
- Cesse de te lamenter ! dit la vieille ; ça ne te servira à rien !
De bon matin, Grethel fut chargée de remplir la grande marmite d'eau et d'allumer le feu.
- Nous allons d'abord faire la pâte, dit la sorcière. J'ai déjà fait chauffer le four et préparé ce qu'il faut. Elle poussa la pauvre Grethel vers le four, d'où sortaient de grandes flammes.
- Faufile-toi dedans ! ordonna-t-elle, et vois s'il est assez chaud pour la cuisson. Elle avait l'intention de fermer le four quand la petite y serait pour la faire rôtir. Elle voulait la manger, elle aussi. Mais Grethel devina son projet et dit :
- Je ne sais comment faire , comment entre-t-on dans ce four ?
- Petite oie, dit la sorcière, l'ouverture est assez grande, vois, je pourrais y entrer moi-même.
Et elle y passa la tête. Alors Grethel la poussa vivement dans le four, claqua la porte et mit le verrou. La sorcière se mit à hurler épouvantablement. Mais Grethel s'en alla et cette épouvantable sorcière n'eut plus qu'à rôtir.
Grethel, elle, courut aussi vite qu'elle le pouvait chez Hansel. Elle ouvrit la petite étable et dit :
- Hansel, nous sommes libres ! La vieille sorcière est morte !
Hansel bondit hors de sa prison, aussi rapide qu'un oiseau dont on vient d'ouvrir la cage. Comme ils étaient heureux ! Comme ils se prirent par le cou, dansèrent et s'embrassèrent ! N'ayant plus rien à craindre, ils pénétrèrent dans la maison de la sorcière. Dans tous les coins, il y avait des caisses pleines de perles et de diamants.
- C'est encore mieux que mes petits cailloux ! dit Hansel en remplissant ses poches.
Et Grethel ajouta
- Moi aussi, je veux en rapporter à la maison !
Et elle en mit tant qu'elle put dans son tablier.
- Maintenant, il nous faut partir, dit Hansel, si nous voulons fuir cette forêt ensorcelée.
Au bout de quelques heures, ils arrivèrent sur les bords d'une grande rivière.
- Nous ne pourrons pas la traverser, dit Hansel, je ne vois ni passerelle ni pont.
- On n'y voit aucune barque non plus, dit Grethel. Mais voici un canard blanc. Si Je lui demande, il nous aidera à traverser.
Elle cria :

- Petit canard, petit canard,
Nous sommes Hansel et Grethel.
Il n'y a ni barque, ni gué, ni pont,
Fais-nous passer avant qu'il ne soit tard.

Le petit canard s'approcha et Hansel se mit à califourchon sur son dos. Il demanda à sa soeur de prendre place à côté de lui.
- Non, répondit-elle, ce serait trop lourd pour le canard. Nous traverserons l'un après l'autre.
La bonne petite bête les mena ainsi à bon port. Quand ils eurent donc passé l'eau sans dommage, ils s'aperçurent au bout de quelque temps que la forêt leur devenait de plus en plus familière. Finalement, ils virent au loin la maison de leur père. Ils se mirent à courir, se ruèrent dans la chambre de leurs parents et sautèrent au cou de leur père. L'homme n'avait plus eu une seule minute de bonheur depuis qu'il avait abandonné ses enfants dans la forêt. Sa femme était morte. Grethel secoua son tablier et les perles et les diamants roulèrent à travers la chambre. Hansel en sortit d'autres de ses poches, par poignées. C'en était fini des soucis. Ils vécurent heureux tous ensemble.

 

 

Le fidèle Jean

 

Il était une fois un vieux roi qui tomba malade. Sentant qu'il allait mourir, il fit appeler le fidèle Jean : c'était son plus cher serviteur, et on le nommait ainsi parce que toute sa vie il avait été fidèle à son maître. Quand il fut venu, le roi lui dit : « Mon fidèle Jean, je sens que ma fin s'approche, je n'ai de souci qu'en songeant à mon fils; il est encore bien jeune; il ne saura pas toujours se diriger; je ne mourrai tranquille que si tu me promets de veiller sur lui, de l'instruire de tout ce qu'il doit savoir, et d'être pour lui un second père.
— Je vous promets, répondit Jean, de ne pas l'abandonner ; je le servirai fidèlement, dût-il m'en coûter la vie.
— Je peux donc mourir en paix, dit le vieux roi. Après ma mort, tu lui feras voir tout le palais, toutes les chambres, les salles, les souterrains avec les richesses qui y sont renfermées ; seulement tu ne le laisseras pas entrer dans la dernière chambre de la grande galerie, où se trouve le portrait de la princesse du Dôme d'or. Car, s'il voit ce tableau, il ressentira pour elle un amour irrésistible qui lui fera courir les plus grands dangers. Tâche de l'en préserver.
Le fidèle Jean réitéra ses promesses, et le vieux roi, tranquillisé, posa sa tête sur l'oreiller et expira.
Quand on eut mis le vieux roi au tombeau, Jean raconta au jeune successeur ce qu'il avait promis à son père au lit de mort. « Je le tiendrai, ajouta-t-il, et je vous serai fidèle comme je l'ai été à votre père, dût-il m'en coûter la vie. »
Après que le grand deuil fut passé, Jean dit au roi : « Il est temps que vous connaissiez votre héritage. Je vais vous faire voir le palais de votre père.
Il le conduisit partout, du haut en bas, et lui fit voir toutes les richesses qui remplissaient les splendides appartements, en omettant seulement la chambre où était le dangereux portrait. Il avait été placé de telle sorte que, lorsqu'on ouvrait la porte, on l'apercevait aussitôt, et il était si bien fait qu'il semblait vivre et respirer et que rien au monde n'était si beau ni si aimable. Le jeune roi vit bien que le fidèle Jean passait toujours devant cette porte sans l'ouvrir, et il lui demanda pourquoi. « C'est, répondit l'autre, parce qu'il y a dans la chambre quelque chose qui vous ferait peur.
— J'ai vu tout le château, dit le roi, je veux savoir ce qu'il y a ici; » et il voulait ouvrir de force.
Le fidèle Jean le retint encore et lui dit : « J'ai promis à votre père, à son lit de mort, de ne pas vous laisser entrer dans cette chambre : il en pourrait résulter les plus grands malheurs pour vous et pour moi.
— Le malheur le plus grand, répliqua le roi, c'est que ma curiosité ne soit pas satisfaite. Je n'aurai de repos que lorsque mes yeux auront vu. Je ne sors pas d'ici que tu ne m'aies ouvert. »
Le fidèle Jean, voyant qu'il n'y avait plus moyen de s'y refuser, alla, le cœur bien gros et en soupirant beaucoup, chercher la clef au grand trousseau. Quand la porte fut ouverte, il entra le premier, tâchant de cacher le portrait avec son corps; tout fut inutile : le roi, en se dressant sur la pointe des pieds, l'aperçut par-dessus son épaule. Mais en voyant cette image de jeune fille si belle et si brillante d'or et de pierreries, il tomba sans connaissance sur le parquet. Le fidèle Jean le releva et le porta sur son lit, tout en murmurant : « Le malheur est fait; grand Dieu! qu'allons-nous devenir? » et il lui fit prendre un peu de vin pour le réconforter.
Le premier mot du roi, quand il revint à lui, fut pour demander quel était ce beau portrait. « C'est celui de la princesse du Dôme d'or, répondit le fidèle Jean.
— Mon amour pour elle est si grand, continua le roi, que, si toutes les feuilles des arbres étaient des langues, elles ne suffiraient pas à l'exprimer. Ma vie tient désormais à sa possession. Tu m'aideras, toi qui es mon fidèle serviteur. »
Le fidèle Jean réfléchit longtemps à la manière dont il convenait de s'y prendre, car il était difficile même de se présenter devant les yeux de la princesse. Enfin, il imagina un moyen, et dit au roi : « Tout ce qui entoure la princesse est d'or, chaises, plats, tables, gobelets, meubles de toute espèce. Vous avez cinq tonnes d'or dans votre trésor; il faut en confier une aux orfèvres pour qu'ils vous en fassent des vases et des bijoux d'or de toutes les façons, des oiseaux, des bêtes sauvages, des monstres de mille formes ; tout cela doit plaire à la princesse. Nous nous mettrons en route avec ce bagage, et nous tâcherons de réussir. »
Le roi fit venir tous les orfèvres du pays, et ils travaillèrent nuit et jour jusqu'à ce que tout fût prêt. Quand on en eut chargé un navire, le fidèle Jean prit des habits de marchand, et le roi en fit autant, pour que personne ne put le reconnaître. Puis ils mirent à la voile et naviguèrent jusqu'à la ville où demeurait la princesse du Dôme d'or.
Le fidèle Jean débarqua seul et laissa le roi dans le navire. « Peut-être, lui dit-il, ramènerai-je la princesse; ayez soin que tout soit en ordre, que les vases d'or soient exposés et que le navire soit paré et en fête. » Là-dessus il remplit sa ceinture de plusieurs petits bijoux d'or, et se rendit directement au palais du roi.
Il vit en entrant dans la cour une jeune fille qui puisait de l'eau à une fontaine avec deux seaux d'or. Comme elle se retournait pour s'en aller, elle aperçut l'étranger et lui demanda qui il était. « Je suis marchand, » répondit-il; et ouvrant sa ceinture, il lui fit voir ses marchandises.
« Que de belles choses! » s'écria-t-elle; et, posant ses seaux à terre, elle se mit à considérer tous les bijoux les uns après les autres. « Il faut, dit-elle, que la princesse voie tout cela; elle vous l'achètera, elle qui aime tant les objets d'or. » Et, le prenant par la main, elle le fit monter dans le palais, car c'était une femme de chambre.
La princesse fut ravie de voir les bijoux, et elle dit : « Tout cela est si bien travaillé que je l'achète. »
Mais le fidèle Jean répondit : « Je ne suis que le serviteur d'un riche marchand; tout ce que vous voyez ici n'est rien auprès de ce que mon maître a dans son navire; vous y verrez les ouvrages les plus beaux et les plus précieux. »
Elle voulait se les faire apporter, mais il dit : « Il y en a trop, il faudrait trop de temps et trop de place; votre palais n'y suffirait pas. »
Sa curiosité n'en était que plus excitée, et enfin elle s'écria : « Eh bien ! conduis-moi à ce navire, je veux aller moi-même voir les trésors de ton maître. »
Le fidèle Jean la mena tout joyeux au navire, et le roi, en la voyant, la trouva encore plus belle que son portrait; le cœur lui en bondissait de joie. Quand elle fut montée à bord, le roi lui offrit la main; pendant ce temps-là, le fidèle Jean, qui était resté derrière, ordonna au capitaine de lever l'ancre à l'instant et de fuir à toutes voiles. Le roi était descendu avec elle dans la chambre et lui montrait une à une toutes les pièces de la vaisselle d'or, les plats, les coupes, les oiseaux, les bêtes sauvages et les monstres. Plusieurs heures se passèrent ainsi, et, pendant qu'elle était occupée à tout examiner, elle ne s'apercevait pas que le navire marchait. Quand elle eut fini, elle remercia le prétendu marchand et se disposa à retourner dans son palais; mais, arrivée sur le pont, elle s'aperçut qu'elle était en pleine mer, bien loin de la terre, et que le navire cinglait à pleines voiles. « Je suis trahie! s'écria-t-elle dans son effroi; on m'emmène ! Être tombée au pouvoir d'un marchand? j'aimerais mieux mourir. »
Mais le roi lui dit en lui prenant la main : « Je ne suis pas marchand; je suis roi, et d'une aussi bonne famille que la vôtre. Si je vous ai enlevée par ruse, ne l'attribuez qu'à la violence de mon amour. Il est si fort que, quand j'ai vu votre portrait pour la première fois, j'en suis tombé sans connaissance à la renverse. »
Ces paroles consolèrent la princesse ; son cœur en fut touché, et elle consentit à épouser le roi.
Pendant qu'ils naviguaient en pleine mer, le fidèle Jean, étant assis un jour à l'avant du navire, aperçut dans l'air trois corneilles qui vinrent se poser devant lui. Il prêta l'oreille à ce qu'elles se disaient entre elles, car il comprenait leur langage. « Eh bien ! disait la première, il emmène la princesse du Dôme d'or!
— Oui, répondit la seconde, mais il ne la tient pas encore.
— Comment? dit la troisième; elle est assise près de lui.
— Qu'importe? reprit la première; quand ils débarqueront, on présentera au roi un cheval roux; il voudra le monter; mais, s'il le fuit, le cheval s'élancera dans les airs avec lui, et on n'aura plus jamais de leurs nouvelles.
— Mais, dit la seconde, n'y a-t-il donc aucune ressource?
Il y en a une, dit la première : il faut qu'une autre personne s'élance sur le cheval et que, saisissant dans les fontes un pistolet, elle le tue roide. On préserverait ainsi le roi. Mais qui peut savoir cela? Et encore celui qui le saurait et le dirait serait changé en pierre depuis les pieds jusqu'aux genoux. »
La seconde corneille dit à son tour : « Je sais quelque chose de plus encore. En supposant que le cheval soit tué, le jeune roi ne possédera pas encore sa fiancée. Quand ils entreront ensemble dans le palais, on lui présentera sur un plat une magnifique chemise de noces qui semblera tissue d'or et d'argent; mais elle n'est réellement que poix et soufre; si le roi la met, elle le brûlera jusqu'à la moelle des os.
— N'y a-t-il donc aucune ressource? dit la troisième.
— Il y en a une, répondit la seconde : il faut qu'une personne munie de gants saisisse la chemise et la jette au feu. La chemise brûlée, le roi sera sauvé. Mais à quoi sert cela? Celui qui le saurait et le dirait se verrait changé en pierre depuis les genoux jusqu'au cœur. »
La troisième corneille ajouta: « Je sais quelque chose de plus encore. En supposant la chemise brûlée, le jeune roi ne possédera pas encore sa femme. S'il y a un bal de noces et que la jeune reine y danse, elle s'évanouira tout d'un coup et tombera comme morte ; et elle le sera réellement si quelqu'un ne la relève pas aussitôt et ne lui suce pas sur l'épaule droite trois gouttes de sang qu'il crachera immédiatement. Mais celui qui saurait cela et qui le dirait serait changé en pierre de la tête aux pieds. »
Après cette conversation, les corneilles reprirent leur vol. Le fidèle Jean, qui avait tout entendu, resta depuis ce temps triste et silencieux. Se taire, c'était le malheur du roi ; mais parler, c'était sa propre perte. Enfin il se dit à lui-même : « Je sauverai mon maître, dut-il m'en coûter la vie. »
Au débarquement, tout se passa comme la corneille l'avait prédit. Un magnifique cheval roux fut présenté au roi. « Bien, dit-il, je vais le monter jusqu'au palais. » Et il allait l'enfourcher, quand le fidèle Jean, passant devant lui, s'élança dessus, tira le pistolet des fontes et étendit le cheval roide mort.
Les autres serviteurs du roi, qui n'aimaient guère le fidèle Jean, s'écrièrent qu'il fallait être fou pour tuer un si bel animal que le roi allait monter. Mais le roi leur dit : « Taisez-vous, laissez-le faire ; c'est mon fidèle, il a sans doute ses raisons pour agir ainsi. »
Ils arrivèrent au palais, et, dans la première salle, la chemise de noces était posée sur un plat ; il semblait qu'elle fût d'or et d'argent. Le prince allait y toucher, mais le fidèle Jean le repoussa, et, la saisissant avec des gants, il la jeta au feu qui la consuma à l'instant même. Les autres serviteurs se mirent à murmurer : « Voyez, disaient-ils, le voilà qui brûle la chemise de noces du roi. »
Mais le jeune roi répéta encore : « Il a sans doute ses raisons. Laissez-le faire ; c'est mon fidèle. »
On célébra les noces. Il y eut un grand bal et la mariée commença à danser Dans ce moment le fidèle Jean ne la perdit pas des yeux. Tout à coup il lui prit une faiblesse et elle tomba comme une morte à la renverse. Se jetant sur elle aussitôt, il la releva et la porta dans sa chambre, et là, l'ayant couchée sur son lit, il se pencha sur elle et lui suça à l'épaule droite trois gouttes de sang qu'il cracha. A l'instant même elle respira et reprit connaissance; mais le jeune roi, qui avait tout vu et qui ne comprenait rien à la conduite de Jean, finit par s'en courroucer et le fit jeter en prison.
Le lendemain, le fidèle Jean fut condamné à mort et conduit à la potence. Étant déjà monté à l'échelle, il dit : « Tout homme qui va mourir peut parler avant sa fin; en aurai-je le droit?
— Je te l'accorde, dit le roi.
— Eh bien! on m'a condamné injustement, et je n'ai pas cessé de l'être fidèle. »
Alors il raconta comment il avait entendu sur mer la conversation des corneilles, et comment tout ce qu'il avait fait était nécessaire pour sauver son maître. « 0 mon fidèle Jean, s'écria le roi, je te fais grâce. Faites-le descendre. » Mais, au dernier mot qu'il avait prononcé, le fidèle Jean était tombé sans vie : il était changé en pierre.
Le roi et la reine en eurent un grand chagrin: « Hélas! disait le roi, tant de dévouement a été bien mal récompensé. » Il fit porter la statue de pierre dans sa chambre à coucher, près de son lit.
Chaque fois qu'il la voyait, il répétait en pleurant : « Hélas! mon fidèle Jean, que ne puis-je te rendre la vie ! »
Au bout de quelque temps, la reine mit au monde deux fils jumeaux qu'elle éleva heureusement et qui furent la joie de leurs parents. Un jour que la reine était à l'église, et que les deux enfants jouaient dans la chambre avec leur père, les yeux du roi tombèrent sur la statue, et il ne put s'empêcher de répéter encore en soupirant : « Hélas ! mon fidèle Jean, que ne puis-je te rendre la vie! »
Mais la statue, prenant la parole lui dit : « Tu le peux, si tu veux y consacrer ce que tu as de plus cher.
— Tout ce que je possède au monde, s'écria le roi, je le sacrifierais pour toi.
— Eh bien! dit la statue, pour que je recouvre l'existence, il faut que tu coupes la tête à tes deux fils, et que tu me frottes tout entier avec leur sang. »
Le roi pâlit en entendant cette horrible condition; mais songeant au dévouement de ce fidèle serviteur qui avait donné sa vie pour lui, il tira son épée, et, de sa propre main, il battit la tète de ses enfants et frotta la pierre avec leur sang. A l'instant même la statue se ranima, et le fidèle Jean apparut frais et dispos devant lui. Mais il dit au roi : « Ton dévouement pour moi aura sa récompense. » Et, prenant les têtes des enfants, il les replaça sur leurs épaules et frotta les blessures avec leur sang ; au même moment ils revinrent à la vie, et se remirent à sauter et à jouer, comme si rien n'était arrivé.
Le roi était plein de joie. Quand il entendit revenir la reine, il fit cacher Jean et les enfants dans une grande armoire. Lorsqu'elle entra, il lui demanda : « As-tu prié à l'église?
— Oui, répondit-elle, et j'ai constamment pensé au fidèle Jean, si malheureux à cause de nous.
— Chère femme, dit-il nous pouvons lui rendre la vie, mais il nous en coûtera celle de nos deux fils. »
La reine pâlit et son cœur se serra; cependant elle répondit : « Nous lui devons ce sacrifice à cause de son dévouement. »
Le roi, charmé de voir qu'elle avait pensé comme lui, alla ouvrir l'armoire et fit sortir le fidèle Jean et les deux enfants : « Dieu soit loué! ajouta-t-il, il est délivré, et nous avons nos fils. » Et il raconta à la reine tout ce qui s'était passé. Et ils vécurent tous heureux ensemble jusqu'à la fin.

Les trois cheveux d'or du diable

 

Il était une fois une pauvre femme qui mit au inonde un fils, et comme il était coiffé quand il naquit, on lui prédit que, dans sa quatorzième année, il épouserait la fille du roi.
Sur ces entrefaites, le roi passa par le village, sans que personne le reconnût; et comme il demandait ce qu'il y avait de nouveau, on lui répondit qu'il venait de naître un enfant coiffé, que tout ce qu'il entreprendrait lui réussirait, et qu'on lui avait prédit que, lorsqu'il aurait quatorze ans, il épouserait la fille du roi.
Le roi avait un mauvais cœur, et cette prédiction le fâcha. Il alla trouver les parents du nouveau-né, et leur dit d'un air tout amical : « Vous êtes de pauvres gens, donnez-moi votre enfant, j'en aurai bien soin. » Ils refusèrent d'abord ; mais l'étranger leur offrit de l'or, et ils se dirent : « Puisque l'enfant est né coiffé, ce qui arrive est pour son bien. » Ils finirent par consentir et par livrer leur fils.
Le roi le mit dans une boite, et chevaucha avec ce fardeau jusqu'au bord d'une rivière profonde où il le jeta, en pensant qu'il délivrait sa fille d'un galant sur lequel elle ne comptait guère. Mais la botte, loin de couler à fond, se mit à flotter comme un petit batelet, sans qu'il entrât dedans une seule goutte d'eau ; elle alla ainsi à la dérive jusqu'à deux lieues de la capitale, et s'arrêta contre l'écluse d'un moulin. Un garçon meunier qui se trouvait là par bonheur l'aperçut et l'attira avec un croc ; il s'attendait, en l'ouvrant, à y trouver de grands trésors : mais c'était un joli petit garçon, frais et éveillé. Il le porta au moulin ; le meunier et sa femme, qui n'avaient pas d'enfants, reçurent celui-là comme si Dieu le leur eût envoyé. Ils traitèrent de leur mieux le petit orphelin, qui grandit chez eux en forces et en bonnes qualités.
Un jour, le roi, surpris par la pluie, entra dans le moulin et demanda au meunier si ce grand jeune homme était son fils. « Non, sire, répondit-il : c'est un enfant trouvé qui est venu dans une boîte échouer contre notre écluse, il y a quatorze ans; notre garçon meunier l'a tiré de l'eau. »
Le roi reconnut alors que c'était l'enfant né coiffé qu'il avait jeté à la rivière. « Bonnes gens, dit-il, ce jeune homme ne pourrait-il pas porter une lettre de ma part à la reine? Je lui donnerais deux pièces d'or pour sa peine.
— Comme Votre Majesté l'ordonnera, » répondirent-ils; et ils dirent au jeune homme de se tenir prêt. Le roi écrivit à la reine une lettre où il lui mandait de se saisir du messager, de le mettre à mort et de l'enterrer, de façon à ce qu'il trouvât la chose faite à son retour.
Le garçon se mit en route avec la lettre, mais il s'égara et arriva le soir dans une grande forêt. Au milieu des ténèbres, il aperçut de loin une faible lumière, et, se dirigeant de ce côté, il atteignit une petite maisonnette où il trouva une vieille femme assise près du feu. Elle parut toute surprise de voir le jeune homme et lui dit: « D'où viens-tu et que veux-tu ?
— Je viens du moulin, répondit-il ; je porte une lettre à la reine; j'ai perdu mon chemin, et je voudrais bien passer la nuit ici.
— Malheureux enfant, répliqua la femme, tu es tombé dans une maison de voleurs, et, s'ils te trouvent ici, c'est fait de toi.
— A la grâce de Dieu! dit le jeune homme, je n'ai pas peur; et, d'ailleurs, je suis si fatigué qu'il m'est impossible d'aller plus loin. »
Il se coucha sur un banc et s'endormit. Les voleurs rentrèrent bientôt après, et ils demandèrent avec colère pourquoi cet étranger était là. « Ah ! dit la vieille, c'est un pauvre enfant qui s'est égaré dans le bois; je l'ai reçu par compassion. Il porte une lettre à la reine. »
Les voleurs prirent la lettre pour la lire, et virent qu'elle enjoignait de mettre à mort le messager. Malgré la dureté de leur cœur, ils eurent pitié du pauvre diable; leur capitaine déchira la lettre, et en mit une autre à la place qui enjoignait qu'aussitôt que le jeune homme arriverait, on lui fit immédiatement épouser la fille du roi. Puis les voleurs le laissèrent dormir sur son banc jusqu'au matin, et, quand il fut éveillé, ils lui remirent la lettre et lui montrèrent son chemin.
La reine, ayant reçu la lettre, exécuta ce qu'elle contenait : on fit des noces splendides; la fille du roi épousa l'enfant né coiffé, et, comme il était beau et aimable, elle fut enchantée de vivre avec lui.
Quelque temps après, le roi revint dans son palais; et trouva que la prédiction était accomplie et que l'enfant né coiffé avait épousé sa fille. « Comment cela s'est-il fait? dit-il; j'avais donné dans ma lettre un ordre tout différent. » La reine lui montra la lettre , et lui dit qu'il pouvait voir ce qu'elle contenait. Il la lut et vit bien qu'on avait changé la sienne.
Il demanda au jeune homme ce qu'était devenue la lettre qu'il lui avait confiée, et pourquoi il en avait remis une autre. « Je n'en sais rien, répliqua celui-ci; il faut qu'on l'ait changée la nuit, quand j'ai couché dans la forêt. »
Le roi en colère lui dit : « Cela ne se passera pas ainsi. Celui qui prétend à ma fille doit me rapporter de l'enfer trois cheveux d'or de la tête du diable. Rapporte-les-moi, et ma fille t'appartiendra. » Le roi espérait bien qu'il ne reviendrait jamais d'une pareille commission.
Le jeune homme répondit : « Le diable ne me fait pas peur ; j'irai chercher les trois cheveux d'or. » Et il prit congé du roi et se mit en route.
Il arriva devant une grande ville. A la porte, la sentinelle lui demanda quel était son état et ce qu'il savait :
« Tout, répondit-il.
— Alors, dit la sentinelle, rends-nous le service de nous apprendre pourquoi la fontaine de notre marché, qui nous donnait toujours du vin, s'est desséchée et ne fournit même plus d'eau.
— Attendez, répondit-il, je vous le dirai à mon retour. »
Plus loin, il arriva devant une autre ville. La sentinelle de la porte lui demanda son état et ce qu'il savait.
« Tout, répondit-il.
— Rends-nous alors le service de nous apprendre pourquoi le grand arbre de notre ville, qui nous rapportait des pommes d'or, n'a plus même de feuilles.
— Attendez, répondit-il, je vous le dirai à mon retour. »
Plus loin encore il arriva devant une grande rivière qu'il s'agissait de passer. Le passager lui demanda son état et ce qu'il savait. , Tout, répondit-il.
— Alors, dit le passager, rends-moi le service de m'apprendre si je dois toujours rester à ce poste, sans jamais être relevé.
— Attends, répondit-il, je te le dirai à mon retour. »
De l'autre côté de l'eau, il trouva la bouche de l'enfer. Elle était noire et enfumée. Le diable n'était pas chez lui ; il n'y avait que son hôtesse, assise dans un large fauteuil. « Que demandes-tu ? lui dit-elle d'un ton assez doux.
« Il me faut trois cheveux d'or de la tête du diable, sans quoi je n'obtiendrai pas ma femme.
— C'est beaucoup demander, dit-elle, et si le diable t'aperçoit quand il rentrera, tu passeras un mauvais quart d'heure. Cependant tu m'intéresses, et je vais tâcher de te venir en aide. »
Elle le changea en fourmi et lui dit : « Monte dans les plis de ma robe; là tu seras en sûreté
— Merci, répondit-il, voilà qui va bien; mais j'aurais besoin en outre de savoir trois choses : pourquoi une fontaine qui versait toujours du vin ne fournit même plus d'eau; pourquoi un arbre qui portait des pommes d'or n'a plus même de feuilles; et si un certain passager doit toujours rester à son poste sans jamais être relevé.
— Ce sont trois questions difficiles, dit-elle; mais tiens-toi bien tranquille, et sois attentif à ce que le diable dira quand je lui arracherai les trois cheveux d'or. »
Quand le soir arriva, le diable revint chez lui. A peine était-il entré qu'il remarqua une odeur extraordinaire. « Il y a du nouveau ici, dit-il; je sens la chair humaine. » Et il alla fureter dans tous les coins, mais sans rien trouver. L'hôtesse lui chercha querelle. « Je viens de balayer et de ranger, dit-elle, et tu vas tout bouleverser ici, tu crois toujours sentir la chair humaine. Assieds-toi et mange ton souper. »
Quand il eut soupé, il était fatigué; il posa su tête sur les genoux de son hôtesse, et lui dit de lui chercher un peu les poux ; mais il ne tarda pas à s'endormir et à ronfler. La vieille saisit un cheveu d'or, l'arracha et le mit de côté. « Hé, s'écria le diable, qu'as-tu donc fait?
— J'ai eu un mauvais rêve, dit l'hôtesse, et je t'ai pris par les cheveux.
— Qu'as-tu donc rêvé? demanda le diable.
— J'ai rêvé que la fontaine d'un marché, qui versait toujours du vin, s'était arrêtée et qu'elle ne donnait plus même d'eau; quelle en peut être la cause?
— Ah! si on le savait! répliqua le diable : il y a un crapaud sous une pierre dans la fontaine; on n'aurait qu'à le tuer, le vin recommencerait à couler. »
L'hôtesse se remit à lui chercher les poux ; il se rendormit et ronfla de façon à ébranler les vitres. Alors elle lui arracha le second cheveu. « Heu ! que fais-tu? s'écria le diable en colère.
— Ne t'inquiète pas, répondit-elle, c'est un rêve que j'ai fait.
— Qu'as-tu rêvé encore? demanda-t-il.
— J'ai rêvé que dans un pays il y a un arbre qui portait toujours des pommes d'or, et qui n'a plus même de feuilles; quelle en pourrait être la cause?
— Ah! si on le savait! répliqua le diable : il y a une souris qui ronge la racine; on n'aurait qu'à la tuer, il reviendrait des pommes d'or à l'arbre; mais si elle continue à la ronger, l'arbre mourra tout à fait. Maintenant laisse-moi en repos avec tes rêves. Si tu me réveilles encore, je te donnerai un soufflet. »
L'hôtesse l'apaisa et se remit à lui chercher ses poux jusqu'à ce qu'il fût rendormi et ronflant. Alors elle saisit le troisième cheveu d'or et l'arracha. Le diable se leva en criant et voulait la battre ; elle le radoucit encore en disant : « Qui peut se garder d'un mauvais rêve?
— Qu'as-tu donc rêvé encore? demanda-t-il avec curiosité.
— J'ai rêvé d'un passager qui se plaignait de toujours passer l'eau avec sa barque, sans que personne le remplaçât jamais.
— Hé! le sot! répondit le diable : le premier qui viendra pour passer la rivière, il n'a qu'à lui mettre sa rame à la main, il sera libre et l'autre sera obligé de faire le passage à son tour. »
Comme l'hôtesse lui avait arraché les trois cheveux d'or, et qu'elle avait tiré de lui les trois réponses, elle le laissa en repos, et il dormit jusqu'au matin.
Quand le diable eut quitté la maison, la vieille prit la fourmi dans les plis de sa robe et rendit au jeune homme sa figure humaine. « Voilà les trois cheveux, lui dit-elle; mais as-tu bien entendu les réponses du diable à tes questions?
—Très bien, répondit-il, et je m'en souviendrai.
— Te voilà donc hors d'embarras, dit-elle, et tu peux reprendre ta route. »
Il remercia la vieille qui l'avait si bien aidé, et sortit de l'enfer, fort joyeux d'avoir si heureusement réussi.
Quand il arriva au passager, avant de lui donner la réponse promise, il se fit d'abord passer de l'autre côté, et alors il lui lit part du conseil donné par le diable: « Le premier qui viendra pour passer la rivière, tu n'as qu'à lui mettre ta rame à la main. »
Plus loin, il retrouva la ville à l'arbre stérile; la sentinelle attendait aussi sa réponse : « Tuez la souris qui ronge les racines » dit-il, et les pommes d'or reviendront. » La sentinelle, pour le remercier, lui donna deux ânes chargés d'or.
Enfin il parvint à la ville dont la fontaine était à sec. Il dit à la sentinelle : « Il y a un crapaud sous une pierre dans la fontaine ; cherchez-le et tuez-le, et le vin recommencera à couler en abondance. » La sentinelle le remercia et lui donna encore deux ânes chargés d'or.
Enfin, l'enfant né coiffé revint près de sa femme, qui se réjouit dans son cœur en le voyant de retour et en apprenant que tout s'était bien passé. Il remit au roi les trois cheveux d'or du diable. Celui-ci, en apercevant les quatre ânes chargés d'or, fut grandement satisfait et lui dit : « Maintenant toutes les conditions sont remplies, et ma fille est à toi. Mais, mon cher gendre, dis-moi d'où te vient tant d'or, car c'est un trésor énorme que tu rapportes.
— Je l'ai pris, dit-il, de l'autre côté d'une rivière que j'ai traversée ; c'est le sable du rivage.
— Pourrais-je m'en procurer autant? lui demanda le roi, qui était un avare.
— Tant que vous voudrez, répondit-il. Vous trouverez un passager; adressez-vous à lui pour passer l'eau, et vous pourrez remplir vos sacs. »
L'avide monarque se mit aussitôt en route, et arrivéau bord de l'eau, il fit signe au passager de lui amener sa barque. Le passager le fit entrer, et, quand ils furent à l'autre bord, il lui mit la rame à la main et sauta dehors. Le roi devint ainsi passager en punition de ses péchés.
« L'est-il encore ?
— Eh ! sans doute, puisque personne ne lui a repris la rame. »