ETUDE GRAMMATICALE DE TEXTES DE LANGUE FRANÇAISE

 

Rapport présenté par Sophie BAZIN, Christine FERLAMPIN ACHER, 

Odile LECLERCQ, Pierre NOBEL, Jean-François SABLAYROLLES, 

Mathilde THOREL

 

 

HISTOIRE DE LA LANGUE (7 points)

 

Les épreuves d’écrit ayant eu lieu plus tôt dans l’année, il n’est pas étonnant que le jury ait constaté de nombreuses lacunes dans les copies. Cependant bien des erreurs sont imputables non à une méconnaissance de l’histoire de la langue mais d’une part à une mauvaise lecture de l’énoncé (ce qui est inquiétant pour un futur professeur de français) et d’autre part à des ignorances, des inexactitudes, voire des aberrations concernant la langue actuelle. On insiste donc à la fois sur la nécessité de préparer l’épreuve en tant que telle, mais aussi sur l’importance pour les candidats d’avoir des bases grammaticales solides. Nous donnons quelques exemples de fautes constatées qui auraient pu être évitées facilement :  - Des notes sont données dans l’énoncé : elles ont pour vocation d’aider les candidats. Pourtant certains les ignorent. Ainsi le sens de estre mestier était donné en note. On ne comprend pas très bien comment un candidat peut arriver à la traduction « bien qu’il fût maître », alors que estre mestier était signalé comme signifiant ‘être nécessaire’. De même deffendit était signalé comme imparfait du subjonctif. On ne comprend pas très bien pourquoi la forme figure dans le relevé des passés simples.

-  Il fallait traduire le texte jusqu’à la ligne 4, et non à partir de la ligne 4. 

-  On demandait une étude lexicologique de baron, et non pas un paradigme morphologique. Le correcteur n’est pas obligé de valider une réponse qu’il n’a pas demandée, mais que le candidat s’applique à lui donner parce qu’il ne sait rien d’autre. Il est essentiel pour les candidats de pratiquer les exercices pendant leur préparation : ainsi ils auront de bons réflexes quant à la lecture des énoncés et ils sauront faire la différence entre les types de questions. De même la question portant sur les graphies n’était pas une question de phonétique historique. Il n’a jamais été demandé comment du latin femina on arrivait au français femme. L’étymon du mot n’était d’ailleurs pas donné. Si cette évolution a été étudiée pendant le cours, on ne peut que s’en féliciter. Mais il n’existe aucune raison pour la servir le jour du concours, pour la bonne raison qu’elle n’est pas demandée. 

-  Certaines réponses témoignent d’une absence totale de bon sens. On aimerait comprendre comment un [n], consonne nasale, peut se nasaliser, pourquoi le pronom personnel sujet peut être considéré comme absent dans une proposition relative dont le pronom relatif est justement sujet. On préfère imputer au manque d’entraînement des candidats de telles erreurs : seule la familiarité avec la matière et les exercices peut apporter au moment des épreuves la sérénité (relative) permettant d’aborder intelligemment les questions.

 

Traduction (1,5 points)

Traduction

Première phrase : Il eut bien besoin dans sa jeunesse de l’aide de Dieu, car sa mère, qui était venue d’Espagne, n’avait ni parents ni amis dans tout le royaume de France. 

Deuxième phrase : mot à mot : Et parce que les grands seigneurs de France virent que le roi était un enfant et que sa mère était étrangère, ils choisirent le comte de Boulogne, qui était l’oncle du roi, pour chef et ils le considéraient aussi comme leur seigneur.

Traduction plus élaborée : Voyant que le roi n’était qu’un enfant et que sa mère était étrangère, les grands seigneurs français choisirent pour chef le comte de Boulogne, qui était l’oncle du roi : ils le considéraient aussi comme leur seigneur. 

Aussi peut être traduit par « aussi ». Cependant aussi comme est aussi une forme de ainsi comme, qui peut avoir le sens « comme ». 

On attendait du candidat qu’il connaisse le sens premier d’estrange, qui est à la base du sens actuel du terme.  Par ailleurs il est difficile à un correcteur de comprendre comment, dans un texte du XIVe siècle, il peut être question de l’enfant roi, qui sent bien son lieu commun actuel. C’est là un concept tout à fait anachronique à l’époque de Joinville. Quelques connaissances élémentaires sur la perception de l’enfance à travers les siècles éviteraient assurément le recours à ce genre d’expression. Une analyse rigoureuse du texte proposé devrait aussi permettre de comprendre le sens des termes. La préparation de cette question de traduction nécessite une certaine familiarité avec la langue ancienne, mais aussi une part de culture générale qui ne saurait faire défaut à un enseignant de lettres. On conseillera d’éviter de «tenter sa chance » en proposant une traduction qui de toute évidence est un non-sens complet.

 

Justifiez votre traduction du mot baron en vous appuyant sur une analyse lexicologique 

 

La question porte sur un terme fondamental dans le monde médiéval. S’il n’est pas question d’interroger les candidats sur des mots peu fréquents, on attend d’eux des connaissances sur les termes importants soit par leur caractère représentatif des mentalités et des représentations médiévales, soit du fait de leur évolution sémantique. La lexicologie peut faire l’objet soit d’une question à part soit être intégrée à une autre question. C’est d’ailleurs le cas pour toutes les questions, dont le découpage canonique (traduction, phonétique, morphologie, syntaxe) donnera lieu systématiquement à des combinaisons variables, de telle sorte qu’un candidat ne se sente jamais autorisé à faire l’impasse pendant sa préparation sur l’une d’elles. Le corrigé qui suit donne plus d’informations qu’il n’en était attendu des candidats : ont été valorisées d’une part les réponses témoignant d’une connaissance de l’histoire du mot et, ce qui manquait trop souvent, d’une utilisation raisonnée du contexte.

 

Origine et sens usuels en AF 

Le terme baron (ber/baron) résulte de deux vagues d’emprunt :

- un emprunt à l’adstrat germanique, dû aux mercenaires germains qui servaient dans l’armée romaine, aux premiers siècles de notre ère. On explique ainsi la présence du mot en espagnol et en portugais où il est bien attesté au sens de ‘homme fort, mâle’, ou ‘homme’ tout court.  - un emprunt au superstrat francique, sous la forme *sacebaro, avec des sens qui sont propres au français, notamment celui de ‘grand seigneur du royaume’.

Le terme vient donc de *baro au sens d’homme libre, guerrier (par opposition à la femme et au servus), et de *baro (de *sacebaro) employé pour désigner un fonctionnaire subordonné au comte (attesté dans la Loi Salique).   

Ber/baron (deux radicaux) peut être en ancien français soit adjectif, soit substantif. Comme adjectif, il a le sens de ‘qui a de la valeur’, ‘puissant’, ‘brave’, ‘important’. L’emploi de l’article et du complément du nom montre que dans le texte il s’agit non de cet adjectif mais du substantif.

Comme substantif, baron en ancien français, à partir de *baro (homme libre, synonyme de vir par exemple chez Isidore de Séville) a le sens d’homme brave, d’homme valeureux, et il désigne tout personnage important, avec quelques spécialisations, pour désigner les saints ; d’autre part, il a le sens d’époux (prendre aucun a baron ‘épouser, en parlant d’une jeune fille’, la baronne peut être la femme mariée)ou de maître de maison. Ces sens existent encore en Moyen Français (à l’époque de Joinville). 

 

Justification du sens contextuel 

Le sens le plus fréquent cependant inscrit le terme dans la hiérarchie nobiliaire. Tout au long du Moyen Âge baron a le sens de « grand seigneur du royaume », « noble de rang élevé », avec une connotation de vaillance qui rappelle la valeur guerrière étymologique. Le terme s’applique à des membres de la noblesse et recouvre des réalités assez diverses selon l’époque et la région. Assez souvent et en particulier dans les textes à caractère épique, il désigne un membre de l’aristocratie militaire et vassalique, il peut désigner aussi un membre de la haute noblesse d’un pays, d’une région, un vassal direct qui accompagne son suzerain à la guerre et vit à la cour. C’est le sens dans le texte (qui n’est pas un texte épique). Dans l’occurrence à commenter, le contexte est en effet féodal, avec les mentions du conte de Bouloigne, l’emploi de seigneur au sens féodal (l. 4) et la référence au roi. Le complément de France permet d’identifier les grands seigneurs du royaume de France. A l’époque de Joinville, dans une énumération de titres classés selon leur importance, baron vient après duc, comte, vicomte, et avant chevalier. Même si dans le texte les barons se choisissent pour chef un comte, le sens est ici moins restrictif.On notera qu’à l’époque le terme baron n’est pas associé en général au nom d’un fief et que si le prince tient une principauté, le duc un duché, le baron a rarement un titre précis[1]

On traduit donc par « grands seigneurs » et la traduction par « barons » n’est pas possible, le terme en français moderne renvoyant à un titre anachronique à l’époque médiévale ou ayant, hors contexte féodal (ce qui est inadéquat ici) le sens d’homme puissant (un baron de la drogue), ou encore ayant des valeurs spécialisées inappropriées  (compère).

 

  1. Phonétique et graphie (2 points)

On notera que les candidats peuvent utiliser au choix l’alphabet des romanistes ou l’API.

 

Etudiez m et n dans venue (l. 1), enfant (l. 3), femme (l. 3), couronné (l.  5), bone (l. 10). Rendez compte de l’évolution de la phonie et de la graphie dans ces mots jusqu’en français moderne.

 

                        2.1       La nasalisation 

Les graphèmes m et n servent, comme en latin, à noter les consonnes nasales /m/ et /n/.Cependant, du fait de la nasalisation de certaines voyelles et diphtongues à partir du Xe siècle, n et m peuvent aussi servir à marquer la qualité nasale de la voyelle.

-       En l’absence de nasalisation de la voyelle : le [e] central qui précède [n] a échappé à la nasalisation, le n de venue note simplement la consonne [n] ;

-       pour tous les autres mots, il y a eu nasalisation vocalique et les graphies n et m peuvent alors avoir une valeur consonantique et/ou marquer la nasalité de la voyelle. [a], [e] et [o] se nasalisent au contact d’une consonne nasale – ici [n] et [m] – ; il y a donc double articulation nasale (vocalique et consonantique). La nasalisation de la voyelle est une anticipation par celle-ci de l’articulation de la consonne qui suit.

 

2.2  Les graphies du texte (nasalisations)

2.2.1 un seul n ou m : enfant et bone 

*      nasalisation de [a] en [ã] au XIe siècle : la séquence an de enfant note la double articulation nasale [ãn] ; de même dans bone, on note la consonne [n] et la nasalisation de [o] en [õ] au XIIe siècle ;

*      nasalisation de [e] fermé au XIe siècle et ouverture (fin XIe s.) en [ã] : le premier n de enfant note d’une part dans en la prononciation [ã], et d’autre part la consonne [n], qui se prononce.

2.2.2 nn ou mm : femme et couronné 

Cette graphie ne note pas une prononciation avec consonne géminée : coronata latin ne présente pas de géminée ; femina a certes donné [femme] mais depuis le Xe siècle la géminée [mm] s’est simplifiée en [m]. Les graphies feme et coroné sont d’ailleurs plus usuelles en AF. Dans ces graphies, le premier n ou m  marque le caractère nasal de la voyelle précédente et le second la consonne toujours articulée. Ainsi, dans couronné le digramme on note [õ] et le second n le phonème consonantique. Dans femme le [e] de femina a suivi la même évolution que le premier de enfant (nasalisation puis ouverture en [ã]) et em est un digramme qui note [ã], le deuxième m notant le phonème consonantique [m]. Les graphies femme /feme et couronné/ couroné alternent. Ces graphies sont le plus souvent liées à la résolution de l’abréviation manuscrite du tilde (voyelle surmontée d’un tilde = voyelle nasalisée rendue par on/om, en/em/an/am + la consonne nasale).

 

 

                               2.3           Evolution 

 

2.3.1 Vers la fin XVIe siècle : dénasalisation partielle ou allègement de nasalité. Le mode articulatoire dominant s’accommode mal de deux articulations nasales subséquentes et tend à dissimiler : 

-       en position implosive ou finale, la consonne nasale se désarticule et le son vocalique se maintient : c’est le cas pour les deux sons vocaliques de enfant

-       en position intervocalique, la consonne se maintient mais perd sa force anticipatrice et la voyelle redevient orale : c’est le cas dans femme, bonne et couronné.  

2.3.2 Au niveau des graphies

enfant : en, an sont des digrammes qui notent le [ã] femme et couronné : conservation de la double consonne

bone : la graphie du texte, qui pouvait alterner avec bonne, a disparu et c’est la graphie avec géminée qui s’est maintenue. Cependant dans la même famille bonifier, bonification ne prennent qu’un n. 

 

Conclusion :L’histoire des nasalisations explique les particularités graphiques de ces mots : ainsi, l’ouverture de [e] nasal en [a] nasal explique que les digrammes en et an rendent tous deux [ã] dans enfant et qu’avec la dénasalisation partielle, em de femme se prononce [am]. 

 

 

3. Morphologie (2 points)

Donnez les paradigmes des formes oserent (l. 7) et vindrent (l. 8). Dégagez le système du passé simple dans l’ancienne langue en vous appuyant sur les occurrences présentes dans le texte et rendez compte des différences de systèmes entre l’ancienne langue et le français moderne.

À lire les copies, il se dégage la très nette impression que le passé simple est un temps en voie de disparition. Les candidats l’ont fréquemment confondu avec l’imparfait du subjonctif. C’est ainsi que donnast et gardast ont été considérés comme des passés simples. Il est vrai qu’apparaît très souvent, dans les copies écrites en français du XXIe siècle, une forme il fût, passé simple de troisième personne… Les candidats se sont parfois appliqués à justifier la présence de gardast et donnast dans le tiroir verbal : « ils reçoivent –st à la troisième personne ». Pourquoi n’est-ce pas le cas de conta (l. 6) ? Il est bien connu que s survit en français moderne sous la forme d’un accent circonflexe : gardât et donnât sont des imparfaits du subjonctif, garda et donna des passés simples. Les deux formes du texte, gardast et donnast, sont parfois mises sur le même plan que fist (l. 10). La structure des trois formes est cependant loin d’être identique, même en français moderne où une analyse en base verbale et morphème de temps amène aussi à distinguer deux tiroirs verbaux. 

La question de morphologie porte sur le système de l’ancien français et son évolution vers le français moderne. Inutile, dans ce cas, d’inventer des formes latines qui n’ont jamais existé, comme *audacere ‘oser’…

Le sujet peut se prêter à des rapprochements avec les autres questions. C’est notamment le cas lorsque la forme verbale présente une nasale dont on a traité en parlant des graphies. On ne peut que recommander au candidat de renvoyer à des points déjà traités ou qui vont l’être. 

Il est demandé au candidat d’identifier des formes attestées dans un texte, dont la syntaxe fournit les éléments qui permettent de le faire. Il lui appartient ensuite de les analyser, pour indiquer dans quelle mesure elle reflète un système.

Le passé simple, appelé aussi passé défini, est hérité du parfait latin qui comportait deux types : 

-        un premier où l’accent se situait toujours en dehors de la base (cantávi, dormívi, cantavísti, cantávit, cantávĭmus, cantavístis, cantávĕrunt

-        un second où l’accent était sur la base en P1, 3, 4 et 6, sur la voyelle thématique en P2 et 5 (véni, venísti, vénit, vénĭmus, venístis, vénĕrunt).

Les premiers sont traditionnellement appelés parfaits faibles, les seconds parfaits forts. En latin vulgaire, l’accent s’est déplacé en P4 sur le i de -imus. Le système de l'ancien français s'avère fidèle dans ses grandes lignes au système latin, mais il est plus complexe que lui dans le détail.

3.1 Les paradigmes

L’analyse de deux paradigmes aboutit à la constatation que les deux types latins ont survécu dans l’ancienne langue : 

 

Type I Passé simple faible

Type 2 Passé simple fort

P1

P2

P3

P4

P5

P6

osai osas osa osa(s)mes osastes oserent

vin venis vint veni(s)mes venistes vindrent

3.1.1 passé simple faible

A/ la base

Dans le premier type, celui des passés simples faibles, l’accent est toujours placé en dehors de la base os-, qui est donc atone dans tout le paradigme.

B/ la voyelle qui suit la base

Si l’on adopte l’analyse de Nelly Andrieux et d’Emmanuèle Baumgartner (Systèmes morphologiques de l’ancien français, Le Verbe, Éditions BIERE, Sobodi, 1983 et Exercices de morphologie, PUF, 1993), la base os- est suivie d’une voyelle constamment accentuée[2], qui a le statut de morphème de passé. Cette voyelle, qui se présente ici sous la forme -a, prend aussi la forme -ai /ε/ en P1 et e /e/ en P6. Ai et e peuvent être considérés comme des formes alternantes de a. Le morphème est démarcateur des verbes du premier groupe en –er. C/ les morphèmes de personne

Derrière la voyelle tonique apparaissent des morphèmes de personne : -ø en P1, -s en P2,  -ø en P3 (mais la confusion n’est pas possible avec la P1 puisque les formes verbales sont différentes), -mes et -tes en P4 et P5, -ent en P6. 

L’une des caractéristiques de ce type de passé simple est justement l’absence de morphème de personne en P3.

Conformément au système du français, les morphèmes de personnes ont la forme –mes et -tes, puisqu’ils sont atones, par opposition à la forme tonique qui est -ons et -ez dans les autres tiroirs. 

Qu’en est-il de s et de r qui apparaissent en P5, en P4 par analogie sur P5, et en P6 ? D’après N. Andrieux et d’E. Baumgartner (Systèmes morphologiques, p. 166-167), il s’agit là de morphèmes qui apportent une information de passé simple et de personne. Ils fonctionnent en redondance avec les morphèmes environnants.

Il est plus difficile de rattacher s et r au morphème de personne qui prendrait alors la formes – smes, stes et rent, vu que -mes et –tes apparaissent dans la conjugaison d’autres verbes comme faire, dire et estre (faimes, faites, dimes, dites, somes, estes, esmes, cf. aussi la forme régionale alomes et non *alosmes). 

Résumons : dans le passé simple faible, l’accent est toujours en dehors de la base, qui est atone dans tout le paradigme et reste la même. Elle se retrouve ailleurs dans la conjugaison du verbe. Une voyelle, toujours tonique, suit la base, à laquelle on peut attribuer le statut de morphème de passé. On constate l’absence de morphème de personne en P3.

3.1.2 passé simple fort

A/ les bases

Contrairement au passé simple précédent, on peut considérer que l’accent se situe sur la base en P1, P3 et P6, et sur le morphème de temps en P2, P4 et P5. Les premières personnes sont appelées formes fortes, les secondes formes faibles. Le verbe présente une alternance de base, puisque nous avons une forme vin- en P1, 3, 6 et ven- en P2, 4 et 5, que l’on retrouve dans le reste de la conjugaison : venons, venez, venoie, venist, venir, venu. Le verbe venir présente donc une alternance i/e.

La base de P1, 3 et 6, vin-, est propre au passé simple. En P6, elle se présente sous une forme particulière : vind-. Il s’agit là d’une variante combinatoire. En effet la succession des phonèmes /n/ et /r/ dans vinrent entraîne l’apparition d’une consonne de transition, appelée consonne épenthétique /d/. Rappelons que i s’est nasalisé très tard (XIVe siècle) et que, même après la nasalisation, la consonne nasale a continué d’être articulée (voir ci-dessus la question de graphie). 

En P2, 4, 5, veni- peut cependant être interprété de deux façons :

-        il s’agit soit d’une base ven-, suivie d’un morphème de temps –i, que l’on retrouve dans la formation des passés simples faibles en –i

-        soit on considère veni- comme une base longue de passé. Dans ce cas, le paradigme serait entièrement fort. 

B/ les morphèmes de personne

Conformément au système de l’ancienne langue, valable pour tous les tiroirs, la première personne ne présente pas de morphème de personne, ni dans les passés simples faibles, ni dans les forts. Ce morphème apparaît en revanche en P2 (-s), P3 (-t), P4 (-mes), P5 (-tes), P6 (-ent). 

Pour l’analyse de s et de r en P4, 5, 6, voir ci-dessus. 

Caractéristiques de ce verbe par rapport au précédent : il offre une alternance de base en i/e ; la troisième personne présente toujours un morphème de personne -t

3.2 Le système de l’ancienne langue

Les autres formes de passé simple présentes dans le texte : fu (l. 1), virent (l. 3), firent (l. 3), ot (l. 5), requistrent (l. 5), voult (l. 6), assemblerent (l. 6), conta (l. 6, 8), fist (l. 10).

Les explications données ci-dessus valent pour la plupart des verbes du corpus.

A/ passés simples faibles

On retrouve ainsi les passés simples faibles conta et assemblerent dont le paradigme a les mêmes caractéristiques que celui de oser. Les deux présentent le même morphème de temps -a qui distingue les verbes du premier groupe des verbes d’autres groupes où il serait -i (P3 dormi), ou u (P3 paru). Ces verbes n’ont généralement pas de morphème de personne en P3. B/ passés simples forts a/ Trois verbes présentent l’alternance i/e, déjà attestée dans le verbe venir dont nous avons traité : veoir, faire et requerre. On aura : P1 vi, P2 veïs, P3 vit

Faire et requerre se distinguent cependant quelque peu de veoir en ce qu’ils présentent une base terminée en -s et qu’on appelle, de ce fait, sigmatique. On aura ainsi : P1 fis, P2 fesis, P3 fist ; P1 requis, P2 requesis, P3 requist. La voyelle de base est toujours i en P1, 3, 6 et e en P2, 4, 5. On voit que la variante combinatoire de P6 apparaît dans le paradigme de requerre, requist-, mais non point dans celui de faire, qui s’est aligné sur les passé simples faibles en –i.

b/ Le verbe avoir présente une alternance différente qui est o/e : oi, eüs, ot. Le morphème de temps sera, cette fois, u en P2, 4 et 5. 

On constate que la voyelle qui apparaît derrière la base dans les formes faibles est aussi celle qui s’ajoute à la base des verbes à passé simple faible, lorsqu’ils ne sont pas du premier groupe : i et u

C/ Verbes particuliers 

Vouloir ne présente pas d’alternance de base : P1 voil, P2 voulis, P3 voult, P4 voulismes, P5 voulistes, P6 vouldrent. Il n’y a donc que des formes brèves et des formes longues.

Quant à estre, il est accentué sur la base dans toute sa conjugaison : fui, fus, fu, fusmes, fustes, furent. Le verbe, généralement, n’a pas de morphème de personne en P3 et partage donc la caractéristique des passés simples faibles sur ce point.

3.3 L’évolution du système et les différences de système entre l’ancienne langue et le français moderne

A/ Le système est resté le même dans le cas des passés simples faibles des verbes du premier groupe. La conjugaison ne présente toujours pas de morphèmes de personne en P1 et en P3. 

On remarquera simplement que -s, présent en P4 et en P5, amuï dès l’ancien français, s’est conservé graphiquement, jusqu’à ce qu’il fût remplacé par l’accent circonflexe au XVIIIe siècle, destiné à noter l’allongement consécutif à l’amuïssement de la consonne.

À la différence des verbes du premier groupe en –er, les passés simples faibles des verbes des autres groupes (dormir, courir, etc.) ont reçu un morphème de personne –t en P3 et –s, en P1, sur le modèle des passés simples forts. Le système oppose donc les deux personnes de l’allocution, P1 et 2, à la troisième.

B/ Pour ce qui est des passés simples forts, le système a été complètement bouleversé. La base forte a l’air de s’être généralisée dans tout le paradigme : vins, vins, vint ; fis, fis, fit ; requis, requis, requit

En fait, l’évolution phonétique explique la régularisation du paradigme dans bien des cas. L’hiatus s’est résorbé tout à fait normalement pour le verbe veoir aux formes faibles: veïs > vis. Les verbes sigmatiques ont été doublés, aux formes faibles, de formes asigmatiques : fesis/feïs, requesis/requeïs. Au moment de la résorption de l’hiatus, on a eu, tout naturellement, feïs > fis, requeïs > requis et le paradigme a présenté une base unique. L’alternance i/e a ainsi disparu. Un verbe comme venir s’est aligné sur le nouveau système à base unique.

Les variantes combinatoires de P6 ont disparu. À partir du moment où i de vindrent était nasalisé et où la consonne nasale s’était amuïe (cf. l’étude des graphies ci-dessus), la consonne épenthétique n’avait plus lieu d’être. L’analogie sur les verbes sans épenthèse (lurent, burent, firent, virent, etc.) a certainement joué aussi, tout comme sur les passés simples faibles en –i du type dormirent. Les formes épenthétiques disparaissent aussi dans les sigmatiques : distrent > dirent.

Dans le cas du verbe avoir, ce sont les formes faibles qui se sont répandues au détriment des fortes. L’hiatus a été résorbé aussi, mais l’orthographe conserve les formes médiévales des formes faibles : eus, eus, eut, prononcé autrefois avec hiatus et actuellement /ü/.

Le morphème de personne -s a été ajouté en P1, si bien que le système n’oppose plus, comme dans l’ancienne langue, P1/P2 et P3, mais les deux personnes de l’allocution à la troisième. 

Si l’on résume l’évolution, on constate une disparition des alternances avec l’apparition de paradigmes à base unique. On aura ainsi la structure : base spécifique au tiroir du passé simple[3] + morphème de personne.

C/ Verbes particuliers

La conjugaison de être n’a pas changé. On remarque simplement l’alignement de P1 sur les autres formes et l’apparition du morphème de personne –s (fui > fus), -t en P3, sur le modèle des passés simples forts et des passés simples faibles autres que ceux des verbes du premier groupe.

Dans le cas de vouloir, qui présentait plusieurs paradigmes dans l’ancienne langue, s’est généralisé un passé simple faible en u (P1 voulus, P2 voulus, P3 voulut), apparu sur le modèle de paroir, valoir ou mourir qui présentaient déjà ces paradigmes dans l’ancienne langue. 

Conclusion

Le système du français médiéval a été conservé dans le cas des passés simples faibles. C’est toujours un morphème de temps a/i/u qui s’ajoute à une base uniquement atone. On constatera simplement que le verbe vouloir a changé de catégorie et présente actuellement un paradigme faible.

Le système a été bouleversé dans le cas des passés simples forts qui ne présentent plus d’alternance entre formes fortes et formes faibles, mais affichent une seule base dans tout le paradigme. Elle est le plus souvent particulière au tiroir verbal. 

Le passé simple peut alors se définir comme un tiroir verbal caractérisé par la présence d’une voyelle spécifique a/i/u, qui peut s’ajouter à une base ou figurer dans cette dernière elle-même : il dormit, il fit, il mourut, il but. a seul est contraint à la position derrière la base d’un verbe du premier groupe. Le système s’est donc considérablement régularisé si on le compare au système assez complexe de l’ancienne langue. Subsiste cependant du système l’opposition entre les verbes qui construisent un passé simple sur une base présente dans le reste de la conjugaison, avec adjonction d’un morphème de temps passé, et les verbes qui construisent leur passé simple sur une base spécifique.

 

  1. Syntaxe (1,5 pt) 

 Etudiez l’emploi et la place du pronom personnel sujet dans les lignes 1 à 8 (du début à querre a armes).

Alorsque le pronom personnel sujet, quand il existait (pour les personnes de l’interlocution), était peu utilisé en latin sauf cas d’expressivité particulière, il se répand au cours de l’histoire de la langue. Dans le passage à étudier, sur les 8 cas d’utilisation d’un verbe conjugué dépourvu de sujet nominal, on ne dénombre que deux cas d’omission du pronom personnel sujet. Au début du 14e siècle, le pronom personnel sujet est déjà plus présent que dans la période précédente. 

Le statut du pronom personnel en ancien français est encore celui d’un mot plein, dont l’emploi n’est pas systématique. Dans les exemples, on trouve une trace de ce caractère autonome avec la possibilité de coordination à un sujet nominal : il ne sa mere ; en français moderne (FM), le pronom personnel sujet devenu un simple indice de personne a perdu cette autonomie et est remplacé dans ce cas par le pronom disjoint correspondant : (ni) lui ni sa mèrelui et sa mère. C’est le cas également du renforcement par l’adverbe meïsmes (FM même), il meïsmes devenu lui-même, du pronom antécédent d’une relative, il qui… FM lui qui ou encore de la séparation de verbe par un mot plein, à la seule exception du tour juridique je, soussigné(e) X….

En ancien français, des facteurs rythmiques, morphologiques et sémantiques peuvent ou non favoriser l’emploi du pronom personnel sujet, et contraindre sa place devant ou après le verbe conjugué. En effet, la question de l’emploi du pronom personnel sujet est étroitement liée à celle de l’ordre des mots dans l’ancienne langue, ce qui explique qu’on classera les exemples du texte selon la présence ou l’absence du pronom, ainsi que selon sa place par rapport au verbe. Tous les exemples analysés se trouvent dans des phrases déclaratives, il n’y a pas d’exemple des types interrogatif et injonctif qui obéissent à d’autres caractéristiques. 

L’ancien français n’est plus une langue à verbe final, mais à verbe médian, ce qui décrit non pas une règle de construction, mais un type dominant. Le corollaire de la place médiane du verbe est la présence d’un élément plein en début d’énoncé devant le verbe, appartenant à des catégories variées (GN, pronom, infinitif, adverbe, proposition), pouvant occuper des fonctions variées (sujet, complément essentiel ou circonstanciel). Ainsi, ce qui caractérise l’AF, à la différence du FM, c’est l’existence de deux structures possibles dans le type dominant à verbe médian : SVO (où O désigne toute fonction autre que S), comme en FM, mais aussi OVS. Lorsque le S est un pronom personnel, en cas de saturation de la zone préverbale, la postposition (attendue) est souvent masquée par un mécanisme d’effacement[4]

 

Relevé :

(1)  Bien li fu Ø mestier

(2)  que il eust en sa joenesse…

(3)  Et pour ce que […] firent il du conte de Bouloingne, qui estoit oncle le roy, leur chievetain

(4)  et Ø le tenoient aussi comme pour leur seigneur 

(5)  il en y ot des barons…

(6)  granz terres que elle leur donnast

(7)  pour ce que ele n’en voult rien faire

(8)  que il ne sa mere […] ne oserent revenir a Paris…

 

4.1. Expression du Pronom Personnel Sujet (PPS)

4.1.1 Antéposition 

(2) que il eust en sa joenesse…

(5)  il en y ot des barons…

(6)  granz terres que elle leur donnast

(7)  pour ce que ele n’en voult rien faire

(8)  que il ne sa mere […] ne oserent revenir a Paris…  

Tous les exemples, sauf (5), se trouvent en proposition dépendante. Le pronom personnel occupe la première position dans la proposition devant le verbe, qui est situé en seconde position. Entre le pronom personnel sujet et le verbe, peuvent apparaître des pronoms compléments conjoints (leur, en, y) et la négation atone (ne/n’). Le cas (8) est un cas particulier lié au statut de mot plein du pronom dans l’ancienne langue (voir introduction). Cependant à côté des pronoms personnels sujets qui renvoient à des animés, se développe à l’époque médiévale l’emploi d’un pronom « neutre », l’indice impersonnel il, encore souvent absent en AF, attesté dans l’exemple (5).

 

4.1.2 Postposition 

(3)  Et pour ce que […] firent il du conte de Bouloingne, qui estoit oncle le roy, leur chievetain Dans ce cas, on remarquera que le verbe en position médiane est précédé d’un constituant autre que le sujet (ici une proposition dépendante) qui occupe (« sature ») la première position, ce qui entraîne la postposition du sujet. Le texte en présentait du reste un exemple avec sujet nominal dans la séquence si s’assemblerent tous les barons a Corbeil (l. 6), où la première position devant le verbe est occupée par l’adverbe si et le sujet nominal tous les barons postposé. En AF, dans ce cas, quand le sujet est un PPS, la tendance serait plutôt à l’effacement : si s’assemblerent Ø a Corbeil.

 

4.2. Non-expression du PPS 

4.2.1 Devant le verbe par économie

(4)  et Ø le tenoient aussi comme pour leur seigneur

Par souci d’économie, l’AF n’exprime pas le PPS, lorsqu’il renvoie au même sujet que celui de la proposition précédente, que les propositions soient juxtaposées, coordonnées ou liées par un lien de dépendance. Dans l’exemple du passage, il s’agit de propositions coordonnées par et. En FM, l’effacement du PPS est toujours possible en cas d’identité de sujet dans le cadre de la coordination, mais plutôt avec des verbes employés au même tiroir verbal : il frappa et entra, alors que dans le texte de Joinville, le et relie le passé simple firent et l’imparfait tenoient, ce qui situe les actions sur deux plans différents.

 

4.2.2 En cas de postposition

(1) Bien li fu Ø mestier

La zone préverbale est occupée par l’adverbe bien et l’impersonnel il qui devrait être postposé est ici omis. Il faut cependant préciser que l’usage de l’impersonnel ne se généralise qu’assez tardivement, il est encore souvent absent en AF et ne devient usuel qu’à partir du 13e siècle[5]

 

En conclusion, on notera qu’en dehors du cas (1), c’est déjà la syntaxe moderne avec une expression du PPS qui l’emporte de loin sur la non-expression.  L’emploi de plus en plus systématique s’accompagne d’un changement de statut, le PPS perd peu à peu son autonomie, encore sensible dans des tours tels que (8), pour devenir un simple indice de personne, étroitement lié au verbe, ne pouvant en être séparé que par la négation et des pronoms compléments atones. En FM, lorsque le PPS est postposé dans le cas de l’interrogation, de l’incise ou encore lorsque l’énoncé débute par certains adverbes (ainsi, sans doute…), l’appartenance au groupe verbal est marquée dans la graphie par le tiret : sans doute est-il déjà parti, dit-il

                  

 

 

ETUDE SYNCHRONIQUE DU TEXTE DE FRANÇAIS MODERNE OU

CONTEMPORAIN (7 points)

 

1. Orthographe et morphologie (2 points)

 

En synchronie, étudiez l’affixation d’un point de vue phonique, graphique et morphologique dans les noms suivants : boutiquière (l.4), radoteuse (l.10) et accouplées (l.25)

Cette nouvelle question d’« orthographe et morphologie » repose sur le principe d’une étude conjointe de la forme orale et de la forme écrite des éléments linguistiques proposés. On insistera donc en premier lieu sur le fait que la transcription phonétique, au moyen de l’Alphabet Phonétique International (API) ou de la transcription des romanistes, constitue un   un support indispensable à l’analyse. Beaucoup de candidats y ont eu recours, mais très rarement de manière systématique.

 

Un second point important à noter concernant les attendus de la question est que l’étude doit être menée dans une perspective comparative et ce à deux niveaux :

-       comparaison entre forme écrite et orale, c’est-à-dire mise en évidence des concordances ou discordances éventuelles entre les deux systèmes. Si l’on soulignait, pour radoteuse, l’opposition [œ]/[ø] dans le cadre de l’étude de la flexion en genre, il fallait ajouter que les deux phonèmes sont transcrits par le même digramme eu.

-       comparaison entre les différentes formes proposées, c’est-à-dire mise en évidence des points communs et des différences, qui permet l’adoption d’une démarche synthétique. Par exemple, pour l’étude de l’affixe flexionnel marquant le genre féminin dans les trois mots boutiquière, radoteuse et accouplées, on s’attendait à ce que soient opposées la valeur auxiliaire[6] du graphème e (et donc réunis les deux substantifs) et sa valeur phonétique zéro (qui isolait accouplées).

Cette perspective comparative dans l’analyse doit conduire à présenter la réponse de façon organisée, démarche qui a été exceptionnellement adoptée par les candidats, et à éviter la juxtaposition d’observations dans un ordre arbitraire.

 

L’énoncé proposait ici l’étude d’une notion, qu’il fallait bien entendu commencer par définir brièvement. L’affixation désigne une opération de dérivation ou de flexion réalisée au moyen d’un affixe.

Les affixes sont des morphèmes grammaticaux et liés qui s’adjoignent à une base.

On distingue :

-       les affixes flexionnels, souvent oubliés : ils sont porteurs d’une information de type grammatical (indication de genre, nombre, personne, temps, mode) et produisent une autre forme d’une même unité lexicale.

-       les affixes dérivationnels, porteurs d’une information de type sémantique et qui seuls permettent la formation d’une nouvelle unité lexicale.

Dans un mot à la fois dérivé et fléchi, les affixes dérivationnels se placent toujours avant les affixes flexionnels.

On distingue également, selon la place de l’affixe dérivationnel par rapport à la base, les préfixes et les suffixes.

Le corpus soumis à l’analyse est constitué de deux substantifs – boutiquière/[butikjεR] et radoteuse/[Radɔtøz] – et d’un participe passé en emploi adjectival, accouplées/[akuple].

 

  1. Les affixes flexionnels

 

1.1. Flexion en genre

 

À l’écrit, les trois mots ont en commun le graphème e, marque grammaticale du genre féminin, qui s’adjoint à la forme du mot au masculin. Il s’agit, dans la terminologie de N. Catach[7], d’un « morphogramme grammatical ». 

 

La valeur phonétique de ce graphème peut varier :

 

a)    dans les deux substantifs, il possède une valeur auxiliaire puisque, s’il n’est pas prononcé en tant que tel, il influe sur la prononciation d’un graphème voisin : plus précisément, il déclenche ici, en position finale, la prononciation de la consonne qui le précède, r ou s ([butikjεR]/ [Radɔtøz]). C’est, à l’oral, la prononciation de ces consonnes finales [R] et [z] qui marque le genre féminin.

On observe également un changement du degré d’ouverture de la voyelle qui précède la consonne finale ([e]/[ε], [œ]/[ø]). Ce changement d’ouverture a parfois été noté, mais sans que soit souligné le fait qu’il n’est pas nécessairement marqué à l’écrit : si le son [ε] correspond dans boutiquière au graphème e accentué, les sons [œ]/[ø], dans [RadɔtœR]/ [Radɔtøz] correspondent tous les deux au même digramme eu

 

b)   dans accouplées, le graphème e est un morphogramme grammatical « pur », il a une valeur phonétique zéro. À l’oral, le genre féminin ne se distingue pas ici du genre masculin, comme c’est le cas pour tous les adjectifs terminés par une voyelle.

 

 

1.2. Flexion en nombre

 

Accouplées possède également un deuxième affixe flexionnel, marque du nombre pluriel, placée après la marque du genre : le graphème s peut se prononcer en cas de liaison, mais il possède ici une valeur phonétique zéro.

 

  1. Les affixes dérivationnels

 

2.1.     Les préfixes

 

Dans le verbe accoupler, la consonne géminée graphique –cc-, prononcée comme un phonème unique (comme la plupart des consonnes doubles du français), ne se trouve qu’à la rencontre de deux morphèmes, ce qui conduit à voir dans ac- l’avatar d’un préfixe latin ad-, exprimant originellement le passage d’un état à un autre, mais sur le sémantisme duquel on peut s’interroger en synchronie contemporaine, accouplées étant ici l’exact synonyme de couplées.

 

2.2.     Les suffixes

 

a) Les suffixes -ier,-ière/[je],[jεR] et -eur,-euse/[œR],[øz] permettent tous les deux de former des substantifs « noms de personne » (avec les sens construits, respectivement de « personne qui tient boutique » et « personne qui radote ») :

- sur une base nominale pour boutiquière (dérivation suffixale dite parfois endocentrique) - sur une base verbale pour radoteuse (dérivation suffixale dite parfois exocentrique).

 

Le suffixe -ier,-ière possède une variante combinatoire due au contexte phonologique : -er,ère apparaît lorsque la consonne finale de la base est une consonne post-alvéolaire, [ ] ou [ʃ] (boulanger/[bulã e] et boucher/[buʃe]) ; -ier/-ière apparaît après les autres consonnes (étant en distribution complémentaire, les deux formes sont donc bien des variantes contextuelles du même morphème). On pouvait donc attendre des candidats qu’ils fassent mention de la prononciation, dans  [butikjεR], de la semi-consonne [j] graphiée i.

 

b) Le verbe coupler, d’où vient la forme de participe passé couplé, est la conversion du nom couple en verbe plutôt qu’un suffixé, les affixes flexionnels étant différents des affixes dérivationnels. 

 

 

 2. Lexicologie (2 points)  

 

Étudiez dégoûtante (l.2) et ciels (l.3)

 

 Au sein des nouvelles épreuves écrites du CAPES externe de Lettres modernes, la question de lexicologie demeure inchangée et la consultation des rapports des années précédentes est fortement conseillée. Rappelons néanmoins que l’on attend des candidats qu’ils donnent à propos des mots qui leur sont proposés plusieurs types d’informations et qu’ils fassent preuve d’une compétence lexicologique. Cette question de lexicologie n’est pas en effet une question d’érudition, mais elle vise à mettre en valeur la capacité de réflexion des candidats sur des mots particuliers à partir de connaissances générales de morphologie et de sémantique lexicales acquises durant leurs études, ainsi que leur aptitude à discerner le sens que ces mots prennent dans le contexte où ils sont employés. 

 Très concrètement on attend que soient fournies des informations sur l’identité du mot (partie du discours et catégories grammaticales) et son emploi grammatical dans la phrase (fonction). Pour la partie morphologique, il est souvent opportun de distinguer l’analyse en éléments constitutifs (morphèmes si un signifié peut être associé au signifiant isolé par des procédures distributionnelles, ou formants / pseudo-morphèmes si ce n’est pas le cas) et le procédé de construction du mot à partir d’une base. Ainsi dégoûtante, graphiquement segmentable en quatre éléments (voir infra), pourrait être issu d’une préfixation en - ou d’une suffixation en -ant. Une réflexion sur le sens du mot et la connaissance du système lexical français permettent le plus souvent de trancher entre les diverses solutions. Quand le sens est compositionnel, que le mot ne s’est pas démotivé, l’analyse morphologique et l’analyse sémantique du mot en langue ont partie liée. Ce sens en langue peut être éclairé par celui des autres mots de la même famille, formés sur une même base. Néanmoins, avec l’usage, le sens de beaucoup de mots s’est diversifié, aboutissant à une polysémie, avec plusieurs acceptions qui doivent être indiquées. Il faut prendre garde à l’époque du texte pour éviter des anachronismes et indiquer quelles étaient les acceptions alors en vigueur, celles qui ont disparu et/ou celles qui sont apparues depuis. Les familles dérivationnelles peuvent être utilisées pour mettre en évidence l’existence de plusieurs acceptions. Il convient alors de spécifier quelle est l’acception utilisée dans le texte et aussi de s’interroger sur le sens précis que le mot prend dans le contexte. Des tensions entre le sens en langue et le sens en contexte peuvent en effet se manifester du fait de la combinatoire du co-texte où le mot est pris et des échos qu’il peut avoir avec d’autres mots du fragment où il se trouve.

 

 Dégoûtante est un adjectif qualificatif employé au féminin singulier, épithète liée du GN uniformité de ses paysages et de ses ciels. C’est un mot complexe construit dans lequel une analyse distributionnelle conduit à identifier quatre éléments : - préfixe ou segment morphologique selon qu’on y reconnaît ou non un signifié clairement identifiable, goût radical (nominal ou verbal), -ant suffixe adjectival (ou marque flexionnelle de participe présent converti en adjectif) et -e morphogramme de féminin singulier qui empêche l’amuïssement du -t final. Du point de vue de la formation, cet adjectif (et non participe présent qui serait invariable et qui garderait une rection verbale impossible ici) est dérivé, par suffixation, du verbe dégoûter, duquel a été également été tiré le substantif dégoût (mais en synchronie du français contemporain, les locuteurs font plutôt venir le verbe du nom). Ce verbe dégoûter est préfixé et s’employait originellement pour des aliments ou boissons qui ôtent l’appétit, mais il est régulièrement employé plus généralement, et depuis longtemps, pour tout ce qui inspire de la répugnance par son aspect physique ou par sa laideur morale. Le verbe est aussi employé pour « ôter l’envie », et sous la forme pronominale, avec le sens de « se lasser ». Le lien avec goût (nom d’un des cinq sens) et sa variante combinatoire gust- (gustatif, déguster) est sans doute en grande partie oublié (auquel cas le - n’est pas analysable comme un morphème), mais il est peut-être ici remotivé (auquel cas - retrouve son statut de morphème). En français contemporain comme à la fin du XIXe siècle, l’adjectif dégoûtant s’emploie le plus souvent dans ce sens général de « qui inspire du dégoût, de la répugnance » avec pour synonymes déplaisant, écœurant, repoussant… pour des choses et ignoble, odieux… pour des humains. Il est très souvent employé aussi dans le sens de « sale ». Cette acception vient de ce que la saleté provoque le dégoût. Dans le contexte, avec l’emploi du verbe lasser, l’adjectif dégoûtant peut être en partie remotivé en indiquant un manque d’appétence (la Nature ôte le goût) pour une Nature jugée insipide du fait de son « uniformité », de sa « platitude », « monotone » et « banale ». Il traduit la permanence du sentiment de désintérêt, voire de répulsion envers la nature, et la lassitude qu’elle provoque, ce qui est paradoxal et provocateur dans la mesure où la Nature est traditionnellement présentée comme variée, pure, attirante et réconfortante. Ce dégoût, qui s’est installé dans la durée, est par ailleurs irréversible (la nature « a définitivement lassé »). L’antéposition de l’adjectif accroît l’aspect affectif inclus dans le sémantisme de l’adjectif.

 

 Ciels est un nom masculin pluriel dont le singulier est ciel. Comme de ses paysages, auquel il est coordonné, il est complément du nom uniformité. C’est un mot simple dont l’étymon latin est caelum qui désigne l’espace au-dessus de la Terre. Un allomorphe se trouve comme base de dérivé : cél- dans céleste (la voûte céleste). Ce mot présente des particularités dans l’emploi du nombre en fonction de ses acceptions. Dans son sens premier et courant, il désigne la portion de l’espace qui se situe au-dessus de la Terre sur laquelle vivent les hommes. Dans cette première acception courante, le mot ciel s’emploie surtout au singulier (voir le ciel de sa fenêtre, le ciel est bleu, sous le ciel de Paris, mais on dit néanmoins sous d’autres cieux). En astronomie, le pluriel est ciels ou cieux. En revanche, comme lieu de résidence divine (par opposition à la Terre) ou lieu de félicité éternelle des hommes après leur mort (par opposition à l’Enfer), le mot ciel a un pluriel, cieux, et on emploie indifféremment le singulier (monter au ciel) ou le pluriel (Notre Père qui êtes aux cieux), sans que le pluriel indique une véritable pluralité. Dans une troisième série d’acceptions, le mot ciel a un sens concret : on parle de ciel de lit (« baldaquin ») ou de ciel (« plafond ») d’une excavation, et surtout, comme terme du domaine de la peinture, de ciel pour la représentation du ciel (acception 1) dans des toiles ou des décors. Le pluriel est alors ciels qui exprime véritablement la pluralité puisque ces objets et ces représentations concrètes sont dénombrables (des ciels de lit, il apprécie les ciels de Turner). Dans le contexte, le mot ciels renvoie à l’élément de l’espace naturel au-dessus de la terre, dont on a indiqué qu’il est ordinairement employé au singulier (ou quand il a exceptionnellement un pluriel, c’est plutôt cieux). L’emploi du pluriel ciels, inattendu dans cette acception, conduit à considérer cette partie de l’univers d’un point de vue esthétique, comme on regarde et admire des ciels de peintre. Mais, d’une manière un peu paradoxale, cette pluralité des ciels renvoie ici à une uniformité. Un mot, ordinairement au singulier dans l’acception utilisée, est employé au pluriel pour orienter vers une lecture esthétique, mais il renvoie à une réalité monotone dont l’uniformité lasse.

 

 

3. Morphosyntaxe (3 points)

 

Etudiez les groupes en position détachée dans l’avant-dernier paragraphe, de

« L’une, la Crampton (…) » (l.18) à « (…) et des marées ! » (l.22)

 

Il convient de rappeler quelques-uns des principes sur lesquels repose la question de morphosyntaxe, et qui n’ont pas changé avec la nouvelle épreuve. 

Les candidats doivent apporter un soin tout particulier à la définition de la notion qu’ils sont invités à mettre en œuvre dans l’étude du corpus proposé, et le cas échéant à la présentation du ou des problèmes que présente sa délimitation. Cette dimension problématique du sujet était particulièrement riche cette année. Traiter la notion de détachement conduisait en effet à réfléchir à l’un des problèmes syntaxiques les plus fondamentaux : le marquage, ou non, de la dépendance entre constituants. Le jury attend des candidats qu’ils disposent d’une culture grammaticale et linguistique suffisante pour leur permette de poser de tels problèmes. Force est de constater que cela n’a pas toujours été le cas dans les copies. 

L’étude est néanmoins une étude sur corpus. Ce qui suppose le relevé exhaustif des occurrences présentées par le texte. Le passage soumis à l’étude était assez court, le nombre d’occurrences relativement limité, mais leur identification supposait que la réflexion sur la notion ait été assez précise pour conduire avec sûreté à un relevé complet des occurrences. Un des défauts les plus fréquents rencontrés dans les copies a tenu au caractère incomplet du relevé, conséquence d’une définition elle-même incomplète de la notion.

Enfin, il faut rappeler qu’un simple relevé, fût-il opéré avec rigueur sur la base de critères pertinents, ne saurait suffire, et que les occurrences doivent faire l’objet d’une analyse précise ; comme on va tenter de le montrer dans ce qui suit.

 

Le détachement est une structure syntaxique généralement définie par une rupture prosodique à l’oral, marquée par la ponctuation à l’écrit, qui soustrait certains constituants, toujours facultatifs, au déroulement normal de l’énoncé. En tant que telle, la « construction détachée » s’oppose à la « construction liée »[8]. Une telle définition repose à la fois sur un certain marquage du détachement formellement repérable à l’écrit par la présence d’une virgule – souvent le seul élément retenu par les candidats - et sur un certain statut syntaxique du groupe détaché qui est dans une position d’extériorité par rapport à l’énoncé. Mais ces deux points ne concordent pas nécessairement : en particulier, la position d’extériorité par rapport au reste de l’énoncé peut être impliquée par la place et le type d’un constituant, sans que l’on ait nécessairement de marque de détachement (Naturellement il a refusé).

 

Le détachement est une notion problématique, ayant fait l’objet de nombreux débats et donné lieu à plusieurs mises au point théoriques et terminologiques. Certains auteurs, notamment B. Combettes, ont pu la restreindre sous une étiquette terminologique précise[9]. La formulation du présent sujet – « les groupes en position détachée » – conduisait à lui donner une acception relativement large. 

 

D’un point de vue syntaxique, le groupe en position détachée est un constituant périphérique, par rapport à la phrase ou par rapport à l’un de ses constituants. Il est, selon son type, plus ou moins mobile : il se trouve généralement en début ou en fin de phrase, mais il peut également être inséré à l’intérieur d’une phrase (entre deux constituants primaires). Il est accessoire.

 

La notion est également hétérogène, tant d’un point de vue catégoriel que fonctionnel. D’un point de vue catégoriel, les unités susceptibles d’apparaître en position détachée peuvent appartenir à différentes natures de mot (toutes à l’exception des verbes conjugués et des clitiques). D’un point de vue fonctionnel, la position détachée rassemble essentiellement des constituants ayant comme support un constituant de la phrase – « appositions » ou « modificateurs du nom en position détachée »[10] et des constituants incidents à la phrase toute entière – circonstants extra-prédicatifs en position détachée. Elle concerne également les constructions disloquées et certaines sous-phrases sans connecteurs.

 

Dans la mesure où le corpus ne contenait qu’une seule catégorie fonctionnelle, il convenait de classer les occurrences selon leur nature. Les groupes en position détachée présents dans la phrase soumise à l’étude sont tous, en effet, incidents à un élément nominal : ils occupent tous, à ce titre, la fonction apposition. On rappellera sur ce point que la justification du plan adopté et l’explicitation des critères de classement des occurrences, très rarement constatés dans les copies, sont pourtant l’occasion pour le candidat de montrer son aptitude à distinguer et utiliser les divers plans de l’analyse grammaticale.

 

Les modificateurs du nom en position détachée sont des constituants secondaires de la phrase qui ne modifient pas le nom mais le GN tout entier. Ils ne sont pas nécessaires à l’identification du référent du GN auquel ils se rattachent et apparaissent toujours facultatifs, porteurs d’informations accessoires.

Les informations supplémentaires apportées par ces groupes en position détachée forment une prédication seconde. La relation qu’ils entretiennent avec le GN support est le plus souvent de type attributif, correspondant à une structure sous-jacente à verbe être mais elle peut également, dans le cas des constructions absolues détachées, correspondre à une structure à verbe avoir

 

Remarques sur la constitution du corpus :

 

-       toute vivante : en l’absence de ponctuation entre le verbe « s’élance » et ce groupe adjectival, on ne peut l’interpréter que comme un attribut accessoire (position liée derrière le verbe, groupe adjectival sémantiquement intégré au prédicat verbal).

-       la subordonnée circonstancielle introduite par lorsque, en position post-verbale, est en construction liée.

 

 

1. Les GN en position détachée

 

Ce sont eux auxquels la tradition grammaticale a longtemps réservé l’étiquette d’« apposition », essentiellement sur la base du critère de la coréférence entre le GN apposé et le GN de rattachement. 

Le GN apposé, hormis quand il n’est pas déterminé, suit obligatoirement le GN (ou équivalent) de rattachement. 

 

a)   GN défini - la Crampton

La relation entre le GN apposé et le GN support est de type attributif (l’une est la Crampton).  Le groupe apposé au pronom indéfini « l’une » est un NP modifié (antonomase métonymique), précédé d’un article défini (structure de type un N, le N). D’un point de vue informationnel, « l’une » est un thème nouveau, que le GN introduit par l’article défini permet d’identifier. 

L’usage de l’article n’introduit pas ici de connotation péjorative dans la dénomination ainsi que cela peut être le cas avec les noms propres articulés, comme quelques copies ont cru devoir le noter.

 

b)   GN indéfinis

une adorable blonde

une blonde pimpante et dorée

La relation entre le GN apposé et le GN support est la même que précédemment, mais les groupes apposés sont ici des GN indéfinis (structure de type un N, un N). Ils permettent d’apporter une précision d’ordre descriptif, comme le ferait un adjectif ou un GN sans déterminant (l’article indéfini est d’ailleurs supprimable) et possèdent une fonction de classification.  

Le centre du groupe apposé est un adjectif substantivé (il s’agit ici d’une désignation elliptique).

 

 

2. Les participes en position détachée

 

Les participes en position détachée se rattachent préférentiellement au sujet syntaxique de la phrase. Ils sont plus mobiles que les GN, mais se trouvent souvent en position frontale. 

 

a) Participe passé

- emprisonnée dans un étincelant corset de cuivre

 « Emprisonnée » est constitué d’un participe en emploi adjectival (valeur passive) et de son complément. Sa valeur est purement descriptive. On ne peut déterminer précisément à quel constituant nominal du co-texte gauche se rattache ce groupe participial (« L’une », « une adorable blonde » ?), qui fait ici partie de la longue juxtaposition énumérative. On peut donc noter qu’ici la dépendance syntaxique de ces groupes n’est pas marquée morphologiquement en français, et que la position du groupe, et/ou le degré de saillance du nom de rattachement, ne suffisent pas à déterminer de façon univoque la relation de dépendance. Certaines relations syntaxiques en français sont sous-déterminées.

 

b) Participes présents

raidissant ses muscles d’acier

activant la sueur de ses flancs tièdes 

 « Raidissant » et « activant » sont deux participes présents apposés (rection et aspect verbaux), antéposés à leur support pronominal « elle » qui est sujet de la subordonnée circonstancielle introduite par « lorsque ». Ces deux groupes participiaux sont ici détachés en position initiale, mais ils pourraient également se trouver en position finale. Sur le plan sémantique, le participe présent est d’aspect sécant et marque un procès simultané avec le procès principal.

 

 

3. Les GP en position détachée

 

Il s’agit de groupes prépositionnels en emploi adjectival, à valeur qualifiante.  Trois d’entre eux sont proches des constructions absolues détachées :

.- à la voix aiguë

à la grande taille frêle

au souple et nerveux allongement de chatte

On constate à chaque fois deux relations prédicatives. L’une associe le GN introduit par la préposition au GN de rattachement selon une structure à verbe avoir (l’adorable blonde a la voix aiguë, sur le modèle de : il marche les mains dans les poches à il a les mains dans les poches, avec un rapport de méronymie entre le support nominal et le GN construction absolue). L’autre associe, à l’intérieur du GP, un élément prédicatif (adjectif dans les deux premiers cas, groupe prépositionnel qualifiant dans le troisième) à un GN, selon une structure à verbe être (le second élément entretient une relation de type attributif avec le premier : la voix est aiguë).

On note néanmoins qu’à la différence des constructions absolues détachées, le groupe dans son ensemble est ici lié par la préposition au GN précédent qui joue le rôle du support de la prédication.

 

en tête des rapides et des marées

L’incidence de ce GP détaché en position finale, à valeur circonstancielle, est ambiguë. « en tête des rapides et des marées » peut être une apposition au sujet du verbe s’élancer (emploi de type adjectival) ou un circonstant (emploi de type adverbial).

4. Proposition relative en position détachée

 

- dont l’extraordinaire grâce épouvante

La proposition subordonnée relative en position détachée est nécessairement explicative. Modifiant le GN tout en entier, elle ne peut restreindre l’extension du nom tête et ne joue donc aucun rôle dans la construction de la référence du GN. 

Comme précédemment, la sous-détermination des groupes en position détachée ne permet pas une identification précise du GN support, antécédent ici du pronom relatif.

 

 

 

                        ETUDE      STYLISTIQUE     DU     TEXTE     DE     FRANÇAIS                 MODERNE             OU

CONTEMPORAIN (6 points)

 

Vous ferez une étude stylistique de ce texte en insistant sur les procédés de l’éloge et du blâme.

 

I. Une des nouveautés de l’épreuve écrite de Langue française en 2011 consiste dans l’orientation de l’étude stylistique. L’introduction de l’étude stylistique orientée au Capes succède à la réforme presque analogue qu’a connue l’Agrégation en 2004.

La forme de l’énoncé choisie pour le Capes est cependant distincte : là où les sujets de l’Agrégation proposent directement une notion à l’étude, le libellé soumis au candidat au Capes maintient une consigne globale, complétée par l’indication d’un objet spécifique de travail. L’étude peut ainsi « porter, par exemple, sur un fait de style précisément signalé aux candidats pour leur permettre d’en conduire l’analyse méthodique (formes et enjeux), ou sur un marquage global (relevant des registres ou de contraintes génériques) » (Annales zéro pour la session 2011). Il n’est donc pas restrictif : « le libellé qui précise un objet spécifique de travail (polyphonie, métaphore, contraintes génériques…) ne se substitue pas à l’analyse d’ensemble mais l’oriente » (ibid.).

Comment en tenir compte dans l’élaboration de l’étude stylistique ?

La question orientée est là pour guider le candidat :

— c’est une aide à la problématisation : la « problématique » ou le « projet de lecture » explicité dans l’introduction doit s’appuyer sur la notion indiquée, choisie comme une entrée suffisamment pertinente pour rendre compte d’un ou de plusieurs des principaux enjeux du texte proposé ;

— c’est une aide à la sélection des faits à observer : l’étude stylistique au concours, dans le temps limité qui lui est imparti, ne sera jamais exhaustive – et ne vise pas à l’exhaustivité. La notion proposée apporte un éclairage, un angle d’approche du texte, à partir duquel peuvent s’articuler ses dominantes stylistiques.

Si l’énoncé conserve une relative souplesse, une étude négligeant la consigne donnée est non seulement considérée comme hors sujet du point de vue de l’exercice, mais il y a de fortes probabilités pour qu’elle soit passée « à côté » du sens du texte et de ses enjeux. Ont donc été pénalisées les – rares – études qui n’en ont pas du tout tenu compte. 

Comme tout « sujet », il doit faire l’objet d’une problématisation : il est maladroit de se contenter de le « citer » simplement en introduction. Cette année, les nombreux plans « binaires », juxtaposant une partie consacrée à «  l’éloge [de l’artifice] » et une autre au « blâme [de la nature] », ont aussi trop largement témoigné de cette absence de problématisation du libellé, qui a été de ce fait sanctionnée : ne pas s’interroger sur les déterminations communes à ces deux types de discours qui relèvent fondamentalement d’un même « genre » rhétorique, l’épidictique, revenait à méconnaître leur articulation et leur solidarité dans l’élaboration du sens du texte, et ne pouvait aboutir qu’à des considérations au mieux superficielles.

En préalable à l’élaboration du projet de lecture, on se posera donc des questions comme celles-ci : comment situer et cerner la notion sur le plan théorique, et quelles sont ses notions connexes (travail de définition) ? Quelles sont les formes qui la caractérisent ou en relèvent dans le texte étudié (repérage des formes) ? Va-t-elle ou non de soi par rapport au genre, au sens global, au statut du texte, au type de discours ? Etc.

 

Cela posé, le principe et les exigences de l’étude orientée restent les mêmes que pour toute étude stylistique. Celle-ci consiste à mettre en évidence comment les formes et les structures linguistiques d’un texte littéraire en construisent le sens. Elle part donc des aspects formels, micro- autant que macro-textuels, pour s’intéresser à la manière dont leurs propriétés et leur agencement rendent compte des effets de sens produits à la lecture.

L’évaluation de la « Question C » porte avant tout sur le degré de maîtrise de la démarche stylistique ; celle-ci se manifeste dans l’aptitude du candidat à saisir les enjeux stylistiques propres à un texte donné, et sur sa capacité à proposer des analyses stylistiques précises et pertinentes. On attirera l’attention des futurs candidats sur les points suivants :

a)        La problématisation et le projet de lecture doivent être d’ordre stylistique : ils tiennent compte du libellé orienté (voir supra) et s’appuient sur la caractérisation formelle et/ou générique du texte (à ne pas confondre avec un résumé du texte ou une notice historique sur son auteur !). Ils sont explicités en introduction et déterminent la progression globale de l’étude.

b)       Les axes dégagés correspondent soit à un procédé, soit à un fait d’ordre structurel ou générique, soit à un effet de sens vers lequel convergent plusieurs procédés. Ils sont annoncés en introduction, et apparaissent explicitement dans les titres de parties et de sous-parties : ceux-ci sont un indice majeur de la maîtrise de la démarche stylistique. Il faut privilégier les titres formels, ou associant un aspect formel et un effet de sens, et éviter les titres uniquement thématiques.

c)        La qualité et la variété des développements proposés, qui vont de pair avec la maîtrise de la terminologie : chaque moment de l’analyse stylistique doit veiller à articuler : 1° l’identification précise d’un fait / 2° le renvoi au texte ou la citation (brève !) / 3° l’analyse de son fonctionnement et de son effet de sens dans le texte.

 

On mentionnera ci-dessous les défauts récurrents qui ont été constatés par le jury – cette année comme les précédentes : ce rapport sera l’occasion de quelques rappels pratiques et méthodologiques à l’attention des futurs candidates et candidats au Capes.

 

a)        Une grande partie des copies présente une étude stylistique inachevée – à peine ébauchée parfois, souvent déséquilibrée du fait d’une 2nde ou 3e partie hâtivement expédiée. On ne saurait trop recommander aux candidats de veiller à maîtriser leur temps pendant l’épreuve, et d’en conserver suffisamment pour mener à bien cette dernière question. Soulignons ici que la stylistique, à travers la « Question C », gagne en importance relative dans le barème total de la nouvelle épreuve de Langue française : 6 points, soit presque un tiers de la note globale. Sur la durée totale de l’épreuve de 5h, le candidat peut donc désormais y consacrer jusqu’à 1h30 – et certainement pas moins d’1h.

 

b)       La présentation et la qualité rédactionnelle souffrent du manque de temps, mais vraisemblablement aussi d’une interprétation abusive de la latitude offerte aux candidats de proposer une étude « semi-rédigée ». Il est en effet très vivement recommandé aux candidats de recourir aux titres et sous-titres apparents. Mais si le style nominal peut être ponctuellement toléré, les analyses doivent être rédigées dans une langue correcte et précise : chaque paragraphe est muni d’un titre propre, qui l’intègre dans la logique globale du développement. Le recours au style télégraphique et ses variantes – notations elliptiques ou listes arbitraires qui ne font sens que pour celui qui les transcrit – est donc exclu et pénalisé par le jury.

 

c)        L’étude stylistique n’est pas une explication de texte : la démarche explicative, qui s’attache au quoi ? sans éclairer le comment ?, est sanctionnée par une note n’atteignant pas la moyenne des points attribués à la question. L’approche uniquement thématique voire psychologisante (sur le caractère du personnage de Des Esseintes…) ne relève pas de la stylistique.

Le défaut de la paraphrase est le plus répandu : il est la conséquence directe de cette mauvaise démarche explicative. Redire ce que dit déjà le texte avec d’autres mots – voire avec les mots du texte, sans marquer la citation ! – manifeste l’absence de maîtrise de la démarche stylistique (paraphrase dominante) ou son insuffisance (dérives ponctuelles vers la paraphrase). Eviter par conséquent L’auteur dit que…, Le personnage pense que…, et toujours commenter les citations du texte.

Plus encore : l’étude stylistique n’est pas une explication linéaire. De trop nombreuses copies suivent ainsi, de manière plus ou moins maladroite, le fil du texte : s’il faut bien rendre compte de la structure globale et de la progression du texte, l’étude stylistique demeure une étude organisée, comme le réaffirment les Annales zéro 2011 : l’objectif de la partie Stylistique de l’épreuve est « d’amener les candidats à proposer, en un développement structuré, une analyse stylistique du texte de référence qui dégage des effets de lecture globaux à travers et à partir des formes de la langue ». Pour autant, un bon « commentaire composé » ne suffit pas pour faire une étude stylistique : celui-là se sert de remarques formelles à titre d’illustrations d’un propos qui reste globalement « littéraire », quand celle-ci part de l’analyse des formes linguistiques pour montrer comment elles construisent les effets de sens.

 

d)       L’étude stylistique ne saurait pas plus être une simple liste de citations et/ou de procédés : elle suppose certes un repérage précis des formes du texte, mais en propose un commentaire interprétatif. Elle vise à montrer comment des faits de niveaux variés (lexique, syntaxe, figures, énonciation…) convergent vers des effets de sens communs. Il faut donc aller au delà du simple « étiquetage » de faits, qui ne saurait tenir lieu d’analyse.

La précision terminologique reste de plus trop souvent déficiente : le candidat doit maîtriser correctement le vocabulaire de l’analyse linguistique, stylistique et rhétorique. L’absence de ces termes ou leur utilisation impropre nuisent à la qualité des développements : le manque de précision – dans les termes et, partant, dans l’identification des formes repérées

– se traduit par des développements allusifs, peu convaincants.

On mettra enfin en garde les candidats contre les études qui s’attachent à un seul aspect du texte, et échouent de ce fait à en montrer la cohérence (ou non) aux différents niveaux qui le constituent : tel est le défaut des commentaires s’attachant au seul lexique, ou aux seules figures ; autant d’études « myopes », qui atomisent le texte et s’avèrent incapables de rendre compte du sens global ou de la logique interne à un texte. L’étude stylistique doit opérer un va-et-vient entre faits micro-textuels et macro-textuels, repérer les récurrences ou les hapax, articuler les observations au niveau du mot, de la phrase, et de l’unité discursive.

 

II. Le traitement proposé ici ne représente pas dans sa globalité ce qui peut être attendu d’un candidat composant en temps limité ; il ne saurait être non plus restrictif ni exhaustif. Il vise à mettre en évidence les principaux enjeux du texte soulevés par le sujet, et à balayer le champ de ce qui aura pu attirer l’attention des candidats ; on y trouvera donc les types d’axes et d’entrées que l’on pouvait attendre, et des exemples d’analyse stylistique sur les points abordés : les meilleures copies ont du reste montré que les exigences du jury étaient tout à fait en mesure d’être remplies.

 

Introduction

a)   Problématisation du sujet articulée à une caractérisation du passage :

Au chapitre II d’À Rebours, le héros, des Esseintes, se retire chez lui par dégoût du réel et se livre aux méandres de ses réflexions. Ce passage offre un éloge paradoxal, subtilement ironique, de l’artifice(auquel des Esseintes s’adonnera jusqu’à épuisement), dont la contrepartie consiste dans un procès intenté, non sans provocation, à la nature. Le texte, qui entraîne le lecteur dans les pensées du personnage, est ainsi tout entier structuré par l’articulation antithétique entre la dévalorisation de la nature et la valorisation de l’artifice.

 

 

b)   Projet de lecture :

Le discours intérieur attribué par le narrateur à des Esseintes mobilise des formes extrêmement marquées de procédés au service du genre épidictique : en les mettant en évidence, on s’interrogera sur la manière dont cette exhibition de l’artifice rhétorique confère à ce passage une dimension tout à la fois réflexive et ironique. 

(On pouvait inversement partir de l’effet de sens : le lecteur doit-il ou non prendre au sérieux cet éloge de l’artifice ? On se demandera alors comment les formes et la mise en œuvre de l’éloge et du blâme dans ce texte en déstabilisent la visée persuasive.)

 

c)   Axes dégagés :

1 : Le discours épidictique ou l’expression du jugement subjectif.

L’étude des cadres énonciatifs était un passage obligé de l’étude : le candidat pouvait aisément l’aborder en s’intéressant aux procédés d’expression de la subjectivité (modalités, modalisation, caractérisation axiologique…) et rendre compte du type de discours mis en œuvre (DIL).

2 : L’artifice « à rebours » de la nature : de l’antithèse à la métaphore.

L’étude des figures de construction et de sens, au service du blâme comme de l’éloge, devait aller au delà du simple repérage pour en montrer, à partir d’un ou deux exemples précis, le fonctionnement textuel.

3 : Une rhétorique de l’outrance : la célébration distanciée de

« l’artifice » littéraire.

La mise en évidence de l’ironie du texte et/ou de sa réflexivité permettait de mettre en perspective ses enjeux : on pouvait attendre du candidat, même s’il n’y consacrait pas une partie autonome, qu’il relève et interprète certains effets de mise à distance. Les meilleures études stylistiques sont celles qui ont su percevoir ces effets de sens en les appuyant sur l’analyse formelle.

Un plan plus simple pouvait aussi se focaliser davantage sur les procédés en jeu, tout en y intégrant ces éléments de mise en perspective : par ex., 1 : Les procédés d’expression de la subjectivité ; 2 : L’antithèse ; 3 : L’analogie.

 

Ont été valorisées la mobilisation pertinente de certaines catégories, en particulier rhétoriques ; l’aptitude à articuler les observations formelles à des questions d’ordre esthétique ou idéologique (par ex., la question de la provocation) ou encore à l’histoire littéraire (par ex. par des rapprochements intertextuels pertinents : Zola, Villiers de l’IsleAdam, connaissance de l’œuvre de Huysmans…) – pourvu que ces dernières références ne soient pas arbitrairement plaquées a priori sur le texte.

 

Axe 1 : Le discours épidictique ou l’expression du jugement subjectif.

 

En rhétorique, éloge et blâme relèvent du genre épidictique ou « démonstratif », qui consiste à valoriser ou à dévaloriser une personne ou un objet par ses qualités. Tous deux impliquent donc l’expression d’un jugement de valeur subjectif, positif ou négatif. 

 

1.1 : Le discours indirect libre 

Le début du texte (§1-2) situe le lecteur dans la conscience du personnage : on reconnaît le procédé narratif du discours indirect libre (DIL), forme mixte de paroles ou pensées rapportées, où à la voix du personnage se superpose celle du narrateur. On pourra observer :

 

a)   les indices du dédoublement énonciatif :

— Les 2 premières phrases contiennent les embrayeurs du DIL : attribution explicite d’un discours au personnage, désigné par son nom propre (l.1, paraissait à des Esseintes) et à la 3e personne, et présence d’un verbe de discours (l.2, Comme il le disait). Marques du discours indirect, mais sans la subordination.

— Le DIL présente les modalités phrastiques et les intonations du discours direct : phrases exclamatives (§1, 2, 6, 7) ou interrogatives (§5).

— L’effet d’oralité, caractéristique du discours direct, est entretenu par certains choix lexicaux ou syntaxiques connotant l’oral : forme renforcée de l’interrogation par est-ce que (§5), faux connecteurs argumentatifs (au fond l.3, d’ailleurs l.6) et relances énonciatives (Et puis, l.12) ; la prédilection pour l’asyndète, l’insertion (ex. §5), l’accumulation, la phrase nominale, connote la prosodie et la syntaxe plus lâche de l’oral, parfois à la limite de l’anacoluthe (§7, l.25).

 

b)   les effets de brouillage propres au DIL, glissant ici vers l’immédiateté du discours direct libre (DDL) :

— dans l’emploi et la valeur des temps : l’imparfait paraissait (l.1) manifeste le passage à l’arrière-plan et au point de vue de des Esseintes. La rupture introduite par le passé composé (l.2) et le système au présent adopté dans la suite tendent vers l’actualisation du DDL : les présents cumulent les valeurs de présent d’énonciation du personnage, de présent du discours du narrateur, voire de présent gnomique (ex. l.16, l.6) ou de caractérisation (ex. l.14) ; effet renforcé par l’effacement des formes verbales dans les phrases nominales.

— dans l’ambivalence des connecteurs logiques : certains modalisateurs (Au reste l.1, au fond l.3, A n’en pas douter l.10) sont à la fois imputables au personnage et au narrateur, qui tout à la fois épouse et met à distance le point de vue de son personnage.

 

 La structure énonciative pose donc les cadres des jugements de valeur exprimés – dont la portée est d’emblée rendue problématique par la position incertaine du narrateur par rapport à son personnage : conditions d’une énonciation ironique sur laquelle on reviendra [voir 3].

 

1.2 : L’expression de la subjectivité

L’énonciation impersonnelle dominante (formes impersonnelles l.6 Il n’est…, l.11 il s’agit et se pourra, l.16 il existe…) ne contredit pas l’extrême subjectivité du discours. On pouvait s’intéresser à :

 

a)   la valeur expressive des modalités d’énonciation et des structures phrastiques :

— Prédilection pour l’exclamation, modalité expressive par excellence (affects : dégoût §1, dédain et admiration §2) ; elle est associée à l’accumulation et aux phrases « nominales » qui renforcent son expressivité (valeur emphatique, §6-7). 

— Valeur expressive des interro-négatives (§5), qui ne sont pas de véritables questions mais des questions rhétoriques (voir l’absence de point d’interrogation l.17), et même des rares assertions : caractère péremptoire de la définition initiale (l.1), des déclarations au ton de manifeste (l.2-3, l.10-11), qui dessinent un ethos provocateur.

 

b)   l’emploi des modalisateurs : adv. et locutions (Au reste l.1, Au fond l.3 etc.) assurent l’articulation logique du 1er mouvement (§1-4) tout en signalant l’implication subjective de l’énonciateur dans son discours, tout comme certains groupes détachés (ex. A n’en pas douter l.10). 

 

 

c)   la caractérisation subjective :

Le discours porte sur les qualités, dénigrées ou louées : d’où la prédominance de la qualification subjective, assurée par l’omniprésence des adjectifs, axiologiques et affectifs. On relèvera :

— la prédilection pour l’antéposition adjectivale, qui accentue la charge affective ou appréciative : d’autant plus sensible avec 2 adj. coordonnés ou un adj. long (ex. une monumentale et sombre brune).

— la saturation des connotations axiologiques, relayées par les adj., mais aussi les N et les verbes (ex. §2), renforcée par des tours intensifs (comparaison, superlatifs) ou par l’hyperbole (ex. §6, gradation dans les adj. antéposés laudatifs : adorable / étincelant /extraordinaire /immense).

— la nominalisation des qualités dans les N abstraits (§1 : uniformité, platitude, petitesse).

 

1.3 : Progression argumentative et modalités phrastiques :

Ce discours est déterminé par une argumentation affective qui se manifeste directement dans les modalités phrastiques (on oppose les arguments affectifs, qui jouent sur l’ethos et le pathos, aux arguments logiques ou rationnels). La répartition et l’alternance des modalités d’énonciation permettent de décrire la progression du texte, qui s’articule nettement en 2 mouvements :

 

a)   §1-4. Dans le 1er mouvement construit en miroir, la double assertion de la thèse (§1/§4) encadre deux arguments accompagnés d’exemples énumérés en exclamative (§2/§3) : — l’effet d’écho est assuré par les répétitions (voir l’artifice l.1 / l.11 et le chiasme lexical : voir 2.1) et la reformulation des l.1-2 dans les l.10-11 : les parallélismes soulignent l’expolition qui réaffirme la thèse (voir : elle / a définitivement lassé /l’attentive patience des raffinés, l.2-3 et cette sempiternelle radoteuse / a maintenant usé / la débonnaire admiration des vrais artistes, l.10).

— le développement symétrique des 2 arguments (§2 et §3) est mis en valeur par la double accumulation d’exemples, scandée par l’anaphore du déterminant exclamatif quel + N (l.35) et celle du déterminant indéfini aucun dans un tour intensif (l.6-9) ; l’exclamation appuie la valeur illocutoire des exemples.

 

b)   §5-7. Dans le 2nd mouvement, où domine l’asyndète, le raisonnement par analogie introduit un nouvel argument (§5) à son tour illustré par un double développement (§6-7) : le §5, caractérisé par le recours à la modalité interrogative, compare les mérites des œuvres de la nature et de l’homme ; tandis que les §6 et 7, constitués de deux phrases nominales exclamatives juxtaposant en parallèle les notations descriptives, vantent la supériorité des locomotives sur la femme : toutes les ressources de l’amplification sont mises au service de la persuasion.

 

 Les formes linguistiques de la subjectivité rendent compte de la dynamique globale de l’éloge et du blâme, qui se trouvent étroitement associés par 2 figures déterminantes, l’antithèse et la métaphore.

 

Axe 2 : L’artifice « à rebours » de la nature : de l’antithèse à la métaphore.

 

La dévalorisation de la nature – qui ne suscite qu’ennui et dégoût – nourrit l’exaltation de l’artifice qui la transcende. On attendait des candidats qu’ils aient, au delà du simple repérage, proposé  quelques éléments d’analyse précis sur les deux figures qui en sont la manifestation stylistique.

 

2.1 : L’antithèse ou l’inversion des valeurs. 

On peut être attentif par ex. à l’un ou l’autre des aspects suivants :

 

a)   L’antithèse structurante entre nature et artifice : la désignation.

— §1-4, la disposition en chiasme des désignations délimite le 1er mouvement : la répétition du GN l’artifice en début puis en fin de phrase (l.1 / l.11) encadre la reprise du GN la nature (l.2) par l’anaphore lexicale infidèle cette sempiternelle radoteuse (l.10) : personnification éminemment moqueuse (démonstratif à valeur axiologique, adj. subjectif antéposé et nom dérivé).

— §5-7, l’antithèse se déplace dans la comparaison entre leurs œuvres respectives : le report parallèle des désignations en clausule de proposition (la femme, l.13 / ces deux locomotives (…), l.17) accentue leur opposition, au profit de la dernière (GN étendu en fin de §).

 

 Gradation : l’antithèse traditionnelle nature vs artifice entraîne, par l’analogie des œuvres, un rapprochement surprenant, l’antithèse construite entre la femme et les locomotives.

 

b)   Le renversement de l’axiologie

À l’échelle du texte, cette antithèse se prolonge dans l’opposition des axiologies : à la nature les jugements péjoratifs (par ex. §2) ; à l’artifice les jugements laudatifs (par ex. §6 et 7).

Les seules caractérisations laudatives concernant la nature apparaissent  l.6 et l.13-14 : • affectées d’une modalisation qui les présente comme non prises en charge par l’énonciateur, mais attribuées à la doxa : aucune de ses inventions réputée si subtile ou si grandiose… (l.6), celle de ses œuvres considérée comme la plus exquise (l.12), celle de ses créations dont la beauté est, de l’avis de tous, la plus originale et la plus parfaite

(l.13) ;

• et dans des tours concessifs qui les récusent au profit du domaine de l’artifice (valeur du tour intensif complexe l.6 ; comparaison l.13-14, voir qui la vaut amplement).

 L’éloge de l’artifice est fondé sur une inversion des valeurs attendues entre les 2 termes de l’antithèse : la modalisation et la concession lui confèrent ce caractère provocateur et polémique. 

Les déclarations au ton de manifeste des l.1-2 et l.10-11 inscrivent du reste cette inversion dans le temps (valeur du passé composé), et la présentent comme une véritable « révolution » (le moment est venu où il s’agit de la remplacer, l.11).

 

c)    Antithèses secondaires

La logique binaire du texte conduit à de nombreuses associations antithétiques (ex. l.5 ou l.1516) et au développement d’antithèses secondaires. On pourra relever :

— au §3, la série d’antithèses entre objets naturels (les antécédents nominaux : forêt, clair de lune, cascade…) et artefacts (les sujets des relatives ressortissent souvent à un vocabulaire technique : décors, hydraulique, carton-pâte…) : le rigoureux parallélisme de construction et l’anaphore de aucun soulignent l’opposition systématique des deux isotopies. Le tour impersonnel intensif fait de la valorisation de l’artifice la contrepartie nécessaire du rabaissement de la nature, surpassée dans ses inventions.

— le cas exemplaire de l’antithèse complémentaire qui articule les 2 longues phrases des §6 et 7. La personnification des 2 locomotives se développe selon un système d’oppositions en contrepoint sur le plan tant lexical que syntaxique et même sonore : 

  • l’opposition programmatique des 3 premiers groupes est renforcée par la disposition des paragraphes : les pronoms indéfinis L’une / L’autre, les NP identifiants la Crampton / l’Engerth, enfin les antonymes une blonde / une brune ;
  • les oppositions sémantiques (couleurs, sons…) sont déclinées dans des positions syntaxiques parallèles, tant dans la désignation des parties que dans les qualités associées ; elles sont ressaisies dans les 2 noms abstraits grâce / puissance, dans les comparants secondaires chatte / monstrueuse bête, et enfin dans les prédicats propositionnels (isotopie de la vitesse et de la légèreté / de la lenteur et de la lourdeur).
  • la caractérisation est mimétique jusque dans les sonorités et les rythmes qui s’opposent : voir par ex. l’allitération parallèle entre adorable blonde et sombre brune ; ou la segmentation marquée des l.25-26 par opposition à l’élan des l.21-22.

 

 Ce dernier exemple montre que l’antithèse est investie par la comparaison et la métaphore, qui réunissent dans la relation d’analogie ce qui est distingué dans l’antithèse.  

 

2.2 : La métaphore ou le transfert des qualités

L’antithèse substitue l’artifice à la nature sur le plan des valeurs ; la métaphore va plus loin en permettant de louer l’artifice par des qualités propres à la nature. Les isotopies antithétiques sont en effet celles-là mêmes que met en relation l’analogie, qui inverse au cours du texte les rôles entre comparé et comparant. On relèvera :

 

a)  Les métaphores nominales dépréciatives du §1 (l.3-5), qui identifient la nature à un spécialiste (…) et à une boutiquière (…) (personnifications), puis à un magasin et à une agence : termes péjoratifs qui connotent la répétition, l’abondance et la médiocrité, sèmes développés à partir du verbe lasser. L’isotopie métaphorique dégradante relève de l’activité humaine (sous un aspect qui s’oppose au génie de l’homme). Mêmes sèmes dans la personnification sempiternelle radoteuse. La nature est ici en position de comparant et le comparé relève du domaine de l’artifice.

 

b)  La métaphore filée décrivant les locomotives est développée en 2 temps :— Le §5 reprend l’analogie précédente, par le biais de celle des œuvres, sous la forme d’une comparaison intensive (l.15-17 : plus…que) ; les 2 termes de l’analogie – la femme et les locomotives – sont introduits par une « devinette » résolue en clausule, au terme d’une 1ère métaphore filée (de la procréation) qui se présente d’abord in absentia (un être animé et factice… l.14).  Cette métaphore entraîne le renversement entre comparé et comparant sur lequel reposent les 2 derniers §.

— Aux §6-7, l’éloge des 2 locomotives s’appuie sur la féminisation et l’érotisation du comparé par transfert des qualités du comparant (la femme) ; symétriquement, le choix et la désignation réaliste du comparé (ces deux locomotives adoptées sur la ligne de chemin de fer du Nord l.17) contribuent à rabaisser la femme, produit de la nature.

 

On peut approfondir l’analyse de ces §6-7 en s’intéressant :

— à la superposition des 2 isotopies : la série des caractérisations parallèles emprunte d’abord au domaine de la nature le vocabulaire du corps et du portrait physique (blonde / brune, voix / cris, taille / reins, etc. jusqu’à tête / queue par syllepse). L’isotopie métaphorique laisse progressivement la place à l’isotopie référentielle (cuivre / fonte, acier / fumée, etc.). Les emplois métonymiques en syllepse favorisent l’identification métaphorique (par ex. les NP). Efficacité visuellement suggestive de la métaphore filée, qui n’explicite pas tous ses éléments.

— au parallélisme en trompe-l’œil, porté par le développement sinueux des 2 phrases : 

  • rupture du parallélisme syntaxique avec le point-virgule (l.26) en face de la relative (l.20) ;
  • au comparant unique annoncé au §5 (la femme), effectif pour la Crampton (§6), la métaphore filée ajoute un 2nd comparant (chatte / monstrueuse bête) : celle-ci induit un glissement de l’isotopie métaphorique de l’humain (§6) vers l’animal (§7).

 

 Au parallélisme se superpose donc une gradation : là où le §6 propose une représentation anthropomorphe de la locomotive Crampton, le §7 évolue vers une vision hallucinée, beaucoup plus inquiétante (voir déjà l’oxymore dont la grâce épouvante) : celle d’un être hybride, fantastique, une véritable « bête humaine » (Zola).

 

c) Les syllepses qui superposent une acception de l’ordre de l’artificiel et une de l’ordre du naturel semblent inscrire dans la langue la même assimilation : par ex. rapides (l.22), œuvres et créations (l.12). L’emploi du terme de peinture ciels appliqué à la nature (l.3, voir Lexicologie) ou la paronomase suggérée entre matrice (l.16) et « motrice » ( ?) en sont d’autres exemples.

 

 L’apothéose de la métaphore filée des §6-7 condense poétiquement la logique argumentative contenue dans la définition initiale (voir l.1) : à savoir défendre l’idée que l’artifice s’est substitué à la nature comme marque distinctive du génie de l’homme. L’antithèse et la métaphore sont donc étroitement intégrées à la visée argumentative de l’éloge ; mais leur élaboration sophistiquée attire aussi l’attention sur l’artifice rhétorique dont elles procèdent. Quelle portée, et quel crédit, accorder dès lors à ce discours ? 

 

Axe 3 : Une rhétorique de l’outrance : la célébration distanciée de

« l’artifice » littéraire.

Le candidat devait être en mesure de dégager l’un ou l’autre des enjeux suivants. 

 

3.0 : L’indécidable posture du narrateur

Comme on l’a vu en 1.1, le DIL ménage un dédoublement énonciatif propre autant à la mise à distance qu’à la coïncidence entre le point de vue du personnage et celui du narrateur. Ce choix d’écriture ménage un relatif brouillage des visées du discours : si l’éloge attribué au personnage de des Esseintes semble entraîner le lecteur dans sa véhémence, qu’en est-il du narrateur ?

Plusieurs indices suggèrent la présence d’un narrateur qui s’amuse aussi de son personnage aux propos caricaturaux, en proie à son imagination et à ses fantasmes : par ex. l’antéposition adjectivale a une potentielle résonance ironique (par ex. dans l’attentive patience des raffinés, l.3, et la débonnaire admiration des vrais artistes, l.10). La densité et l’outrance des procédés ici relevés est un autre indice possible de l’ironie du narrateur.

 

3.1 : Une réflexivité polémique : la métaphore de la création

 

a)   Une polémique implicite

L’antithèse entre nature et artifice n’est pas neutre : elle évoque des débats esthétiques anciens. Ainsi, les verbes renvoyant tantôt à la création (créer, produisent, a fabriqué, conçu) tantôt à l’imitation (imite à s’y méprendre, s’assimile, égalent, remplacer, vaut amplement) connotent d’emblée la dialectique de l’émulation entre l’art et la nature, de même que les syllepses sur les noms œuvres, créations, inventions.

Plus proche de Huysmans, ce débat évoque celui de l’école naturaliste de Zola avec laquelle il est en train de rompre : la nature ici dédaignée ne serait-elle pas celle que défendent les tenants du « naturalisme » ? On pourrait comprendre à cette lumière la virulence du blâme et de l’invective à l’encontre de cette sempiternelle radoteuse dans les §1-4 ; ou y entrevoir une figure dégradée de la Muse, celle de l’écrivain naturaliste. Plus largement, le caractère burlesque et parodique de ces personnifications (spécialiste, boutiquière…) renverse certaines allégories conventionnelles.

Autre indice de cette dimension réflexive et polémique : la série des objets naturels niés au §3 apparaissent comme autant de clichésde la nature romantique, c’est-à-dire de la représentation littéraire d’une nature déjà artificielle.

 

b)   Une métaphore en acte de la création artistique ?

L’analogie finale entre la femme et la locomotive élargit le champ de la réflexion du personnage aux mérites comparés de la création par l’homme et par la nature. Ce faisant, on observera :

— d’une part, que l’isotopie insistante de la création et de l’artifice inclut la création artistique et littéraire, bien que la locomotive en représente le versant technique, industriel ; — d’autre part, que la métaphore de la procréation naturelle (l.15-16) coïncide, dans la dynamique textuelle, avec la naissance d’une créature fantastique qui s’épanouit dans la métaphore filée (§6-7), et qui rivalise explicitement avec la femme. Le clin d’œil n’est pas à exclure à un autre lieu commun des débats esthétiques, celui de la rivalité entre création divine et création artistique (voir le choix du mot fornication, emploi plaisant d’un terme d’abord théologique).

 

3.2 : L’exhibition des procédés : un exercice de style ?

Les procédés étudiés, par leur concentration et leur sophistication, font de ce texte une véritable démonstration de virtuosité, où la forme se désigne elle-même comme artifice (maniérisme) – les candidats ont parfois évoqué une écriture « artiste », intuition justifiée bien que les marques les plus caractéristiques n’en soient pas vraiment repérables ici (peu d’abstraits avec déterminant indéfini : une fornication ?, pas d’inversion déterminant/déterminé avec un jeu sur les adjectifs…).

 

a)   L’amplification ou le parti pris de l’expressivité maximale :

Un développement à part pouvait être consacré aux procédés d’intensification qui viennent renforcer l’éloge et le blâme ; on insistera ici sur la manière dont ils contribuent à une logique de l’excès qui émancipe l’artifice rhétorique de ses visées extérieures (l’éloge en venant à se prendre lui-même pour objet). Voir par ex. :

— les nombreux procédés de répétition, fondés sur la synonymie, l’antonymie ou la cohyponymie : l’expolition, analysée l.10-11, régit aussi les énumérations, potentiellement ouvertes, des §2 et 3 ;

— le travail de la phrase et la densité des figures de constructions associées (parallélismes, accumulations, anaphores, rythmes binaires… : voir analyses précédentes) jouent un rôle intensif tout en surimposant un mode de lecture non linéaire.

 

b)   Les jeux sur les sonorités contribuent aussi à attirer l’attention sur le signe :  — par ex. au §2, les allitérations peu harmonieuses convergent bien sûr avec l’axiologie négative de ces GN (l.4, [p] et [t], quelle platitude de spécialiste confinée dans sa partie, quelle petitesse de boutiquière tenant tel article…), mais non sans une certaine gratuité ;

— le soin apporté aux sonorités suscite ainsi une écriture mimétique (§6-7) et une remotivation poétique du signe : voir la série artifice, factice, raffinés, artistes ; ou hydraulique, électrique, plastique, dont la finale à elle seule semble ici un signe de modernité et d’artifice.

Plus généralement, les jeux sur les mots (étymologie : voir spécieux, syllepse, paronomase) témoignent d’une approche poétique du langage tout en participant de l’humour du texte, qui va de la plaisanterie à la pointe ironique.

 

 L’excès d’artifice rhétorique, s’il vient à retourner l’éloge sur les pouvoirs de l’artifice littéraire lui-même, soulève en effet directement la question de la part d’humour et de sérieux (voire de l’autoparodie).

 

3.3 : Humour et mystification

On se contentera ici de revenir sur la métaphore filée des derniers § : outre le décalage burlesque qui fonde l’analogie, la féminisation et l’érotisation outrancière des locomotives portent la figure vers la plaisanterie :

— érotisation préparée par la métaphore plaisamment emphatisée de la fornication (l.15-16), par la connotation familière de la dénomination (la Crampton, l’Engerth), qui évoque le mode de désignation de certaines femmes célèbres, actrices, cantatrices, voire courtisanes ;

— dans le développement de la figure, les jeux sur le double sens transmuent les locomotives en fantasme érotique : les syllepses et les connotations inscrivent en filigrane un tout autre registre, celui du réalisme trivial.

 L’outrance de l’image vire, pour Des Esseintes, au délire de l’imagination, et pour le lecteur, à la (dé)mystification humoristique – non sans déplacer le sens du triomphe de l’artifice sur la nature.

 

 

Conclusion

La structure énonciative affecte ainsi la portée des procédés mis en œuvre au service de l’éloge et du blâme dans ce passage : celui-ci paraît offrir au lecteur une « démonstration » en acte des pouvoirs de l’artifice rhétorique, dans une célébration tout à la fois engagée et distanciée par l’ironie du narrateur.

 

 


[1] Source : Dictionnaire du Moyen Français en ligne sur le site de l’ATILF (http://www.atilf.fr/dmf).

[2] Rappelons que l’ancien français est une langue à accent de mot.

[3] Avec quelques exceptions comme pour le verbe dire.

[4] Voir sur cette question de l’ordre des mots en ancien et moyen français les pages synthétiques de Christiane MARCHELLO-NIZIA, Le français en diachronie : douze siècles d’évolution, Paris, Ophrys, 1999, p. 35-41 ou le chapitre plus développé dans L’évolution du français : ordre des mots, démonstratifs, accent tonique, Paris, A. Colin, 1995.

 

[5] BURIDANT (Claude), Grammaire nouvelle de l’ancien français, Paris, SEDES, 2000, § 342.

[6] Nous empruntons la terminologie des différentes valeurs des graphèmes à Blanche-Benveniste Claire et Chervel André (1974), L’orthographe, Paris, Maspéro.

[7] Catach Nina (2008), L’orthographe française, Paris, Armand Colin.

[8] Le Goffic Pierre (1993) Grammaire de la phrase française, Paris, Hachette, p. 82.

[9] En particulier, dans Combettes (1998), Les constructions détachées en français, le terme de « construction détachée » ne recouvre pas les GN déterminés qui possèdent leur propre autonomie référentielle.

[10] Riegel Martin, Pellat, Jean-Christophe, Rioul, René (1994) Grammaire méthodique du Français, Paris, P.U.F, p. 190.