Grammaire de l'ancien français

ABRÉVIATIONS
ET SIGNES CONVENTIONNELS

  • a. fr. = ancien français.
  • fr. mod. = français moderne.
  • germ. = germanique.
  • lat. cl. = latin classique.
  • lat. vulg. = latin vulgaire.
  • prov. = provençal.
  • E ouvert et O ouvert sont représentés ainsi : ę, ǫ.
  • E et O fermés = ,  ; accentués : ẹ́, ọ́.
  • Œ̨ représente eu ouvert de cœur, peur, fleur ; œ̣ représente eu fermé de jeu, peu.
  • ã, õ, , œ̃ sont des voyelles nasales (pan, rond, plein, vin, vain, jeun).
  • đ = th anglais doux ; þ = th anglais dur.
  • W = w anglais.

Le signe suivant : > placé après un mot latin (ou quelquefois germanique) signifie donne, aboutit à... Ex : fratrem > frère, c’est-à-dire le latin fratrem donne en français, frère, aboutit à frère.

Le signe < signifie : dérive de... Ex : frère < fratrem signifie : frère dérive du latin fratrem.

Les voyelles toniques portent, quand il y a lieu de les accentuer, un accent aigu : frátrem, pátrem, pópulus.

Un astérisque placé devant une forme indique que cette forme est hypothétique.

L’accent placé sur la première voyelle d’une diphtongue indique que la diphtongue est descendante : ex : ói, óu (prononcez : óï, óou, en une seule émission de voix) ; l’accent placé sur la deuxième voyelle indique une diphtongue ascendante : , , (prononcez : , , ouá en une seule émission de voix).

 

N. B. Les formes des substantifs et adjectifs français provenant en général des accusatifs latins, nous citons les mots latins sous la forme qu’ils ont à l’accusatif. Il faut observer d’ailleurs que m finale ne sonnait pas en latin vulgaire ; turrem, canem, sororem étaient, en réalité, torre, cane, sorore ; caballum, murum, templum étaient caballo, muro, templo.


 

Chapitre premier

Observations générales

Le latin classique importé dans les colonies romaines subit, dans chacune de ces colonies, des modifications. Il se forma peu à peu une langue moins correcte que le latin classique et que l’on désigne sous la dénomination, assez impropre d’ailleurs, de latin vulgaire.

Ce latin nous est connu, en petite partie, par les inscriptions et par des textes du VIe, VIIe et VIIIe siècles (lois des Barbares ou Germains, formules de notaires, etc.).

Le latin vulgaire différait du latin classique dans les formes de la déclinaison et de la conjugaison, dans la syntaxe et dans le vocabulaire.

On déclinait par exemple corpus, corpi, corpo (au lieu de corpus, corporis, corpori), capus, capi, capo (au lieu de caput, capitis, capiti) ; on disait au nominatif pluriel de la 1ere déclinaison rosas au lieu de rosae et on faisait de folia (pluriel neutre de folium) un féminin singulier folia, foliæ, etc.

Dans la conjugaison on disait : morit pour moritur, partit pour partitur, sequit pour sequitur, sum amatus pour amor, habeo scriptum pour scripsi, etc.

Dans le vocabulaire les différences étaient nombreuses entre le latin littéraire et le latin vulgaire : on disait, en Gaule, caballus au lieu de equus, tabula au lieu de mensa, mansio ou hospitale au lieu de domus, villa au lieu de urbs, etc.

Parmi les verbes on peut citer cambiare au lieu de mutare, desiderare au lieu de optare, adjutare au lieu de adjuvare, carricare au lieu de onerare, cooperire, deoperire pour aperire, minare[1] pour ducere, etc.

En syntaxe la conjonction quod est employée dans les phrases où le latin classique mettait l’infinitif avec un accusatif sujet : credo Deum esse sanctum devient en latin vulgaire : credo quod Deus est sanctus.

Le français dérive, pour la plus grande partie de son fonds, du latin. Toutes les théories qui ont essayé de le faire dériver d’une autre source, par exemple du celtique, sont radicalement fausses. Les noms d’origine celtique sont au contraire assez rares[2]. Parmi les principaux on peut citer : aloue (dim. alouette), arpent, bec, benne, brait, breuil, chemise, char, charrue, cervoise, grève, jarret, petit ; peut-être chemin, jambe, soc.

Les éléments germaniques sont plus importants : beaucoup se rapportent à la guerre, comme : guerre, guaite et guet, herberge (plus tard auberge; camp), maréchal; armures : brant, épieu, estoc ; équipement : haubert, heaume, éperon, gonfanon, bannière, étrier ; autres mots : alleu, fief, gage, bliaut ; gant, robe ; échanson, échevin ; verbes : fourbir, fournir, garantir, guerpir, garnir, saisir, etc.[3]

Le grec a fourni quelques éléments, surtout à l’époque des croisades.

Nous avons emprunté aussi quelques mots à l’italien et à l’espagnol, aux XVIe et XVIIe siècles (termes militaires surtout : bastion, escarpe, capitaine, caporal, escadre, colonel, etc.).

Dialectes.

L’ancien français n’est pas une langue uniforme: il comprend plusieurs dialectes très importants, illustrés par des œuvres littéraires, et dont quelques-uns présentent entre eux de grandes différences : les dialectes wallons et lorrains, qui ont plusieurs traits communs ; le normand, l’anglo-normand écrit en Angleterre jusqu’au XIVe siècle, et le picard ; le bourguignon; le champenois; le francien, ou dialecte de l’Île de France ; c’est de ce dernier qu’est sortie, après de nombreuses transformations, la langue française moderne ; c’est le francien, tel qu’il existait aux XIe—XIIIe siècles, qui sera principalement l’objet de cette étude.

L’ensemble de ces dialectes formait la Langue d’Oïl. La Langue d’Oc comprend les dialectes gascons, limousins, languedociens, provençaux, etc.

On appelle moyen français le français écrit aux XIVe et XVe siècles. L’ancien français est le français écrit du IXe siècle à la fin du XIIIe.

Les plus anciens textes français.

Les plus anciens textes français sont : les Serments de Strasbourg (en 842) ; la Cantilène de Sainte Eulalie (aux environs de 881 ; 29 vers) ; l’Homélie sur Jonas (première moitié du Xe siècle, « curieuse épave de la prédication en langue vulgaire »[4]) ; le poème de la Passion (129 strophes de quatre vers) et la Vie de Saint-Léger (240 vers) (deuxième moitié du Xe siècle, avec des formes méridionales dues au scribe) ; la Vie de Saint Alexis, texte intéressant au point de vue linguistique et littéraire (vers 1040 ; 625 vers en strophes de cinq vers de dix syllabes) ; le Pèlerinage de Charlemagne (vers 1060); la Chanson de Roland (vers 1080[5]).

Les voyelles en latin vulgaire.

Le latin classique avait les cinq voyelles suivantes (longues et brèves) :

ā

et

ă

ē

et

ĕ

ī

et

ĭ

ō

et

ŏ

ū

et

ŭ

Dans le latin vulgaire[6] la notion de timbre a remplacé celle de longueur ou de brièveté. Les voyelles ne sont plus longues ou brèves, mais ouvertes ou fermées. Voici un tableau de correspondance des voyelles du latin classique et de celles du latin vulgaire.

Lat. vulg.

Lat. clas.

a

(ā et ă)

(ē et ĭ, ainsi que œ)

ę

(ĕ et æ)

(ō et ŭ)

ǫ

(ŏ)

i

(ī)

u

(ū)

 

Ainsi on ne divise pas les voyelles du latin vulgaire en voyelles brèves et longues, mais en voyelles ouvertes et fermées.

Les voyelles fermées les plus usuelles sont et ; les principales voyelles ouvertes sont ę et ǫ. D’importants changements phonétiques se produisent selon que les voyelles sont ouvertes ou fermées.

Voyelles libres et entravées.

La voyelle est libre quand elle est suivie d’une seule consonne : mare, soror, pater, ou de deux consonnes dont la 2e est r ou l ; patre, cathedra, capra, etc. ; ou enfin d’une voyelle : me-a, tu-a[7].

La voyelle est entravée quand elle est suivie de deux ou plusieurs consonnes. Ex. : rupta > route, calcem, rumpo, dormio, etc.

En général l’entrave a une action conservatrice et la voyelle ne change pas.

L’entrave peut être latine ou romane ; ou plus exactement primaire ou secondaire.

Spissum, partem, noctem, mentem, etc., sont des exemples de la 1re catégorie.

Anima devenu an’ma, anma dans le latin vulgaire, feminafemna, dominadomna, *soliculumsoliclum, viridemvirdem, dubitaredubtare, etc., sont des exemples de la 2e catégorie.

En général les effets de l’entrave, qui consistent à empêcher la transformation de la voyelle entravée, sont les mêmes, que l’entrave soit latine ou romane.

Accent.

L’accent, a dit le grammairien latin Diomède, est l’âme du mot. Il est resté en général, dans les langues romanes, à la place qu’il occupait dans le latin vulgaire. L’accentuation du latin vulgaire elle-même ne différait que sur quelques points de celle du latin classique : ainsi on accentuait en latin vulgaire bátt(u)ere > battre, au lieu de battúere, cóns(u)ere > cousre, cousdre, coudre, au lieu de consúere; filiólus > filleul (lat. cl. filíolus), muliérem > a. fr. moillier (esp. mujér) (lat. cl. mulíerem), etc.

Les mots latins de deux syllabes sont accentués sur la première : rósa, témplum, sóror, cánem > fr. temple, rose, sœur, chien.

Les mots de trois syllabes et au-dessus sont accentués :

  1. sur l’avant-dernière (ou pénultième, du mot latin pænultimus, qui signifie : presque dernier, avant-dernier) quand cette avant-dernière voyelle est longue en latin classique :

Ex. :

  • sorṓrem > a. fr. serour ;
  • favṓrem > faveur ;
  • vicī́num > voisin ;
  • divī́num > devin, etc.
  1. sur l’antépénultième (c’est-à-dire sur la troisième syllabe en partant de la fin du mot) quand l’avant-dernière voyelle est brève en latin clasique.

Ex.:

  • cárcĕrem > a. fr. chartre ;
  • fémĭnam > femme ;
  • ásĭnum > âne ;
  • júvĕnem > jeune, etc.

Traitement de la partie posttonique du mot.

La voyelle de la syllabe atone finale des mots latins accentués sur l’avant-dernière syllabe (pénultième) tombe, sauf quand elle est un a.

Ex. :

  • bonum[8] > bon;
  • fidem > foi ;
  • homo > hom, on ;
  • manum > main ;
  • manére > manoir;
  • amáre > amer, aimer ;
  • amárum > amer (adj.), etc.

Mais, avec a final :

  • causam > chose ;
  • cantat > chante ;
  • amat > aime, etc.

Dans les proparoxytons (mots accentués sur la 3e syllabe en partant de la fin du mot) la voyelle placée entre la syllabe accentuée et la syllabe finale tombe[9] :

Ex. :

  • másculum > masle, mâle ;
  • ténerum > tendre ;
  • préndere > prendre ;
  • presbíterum > preveire (prêtre) ;
  • véndere > vendre ;
  • pérdere > perdre ;
  • pónere > pondre ;
  • tráhere > traire, etc.

Quand, par suite de la chute de la voyelle finale, le mot français n’aurait pu se terminer que par un groupe de consonnes difficile à prononcer, un e sourd à l’origine, plus tard muet ou féminin, se maintient à la finale.

Ex. :

  • templum > temple ;
  • intro > entre ;
  • fratrem > frère (a. fr. fredre) ;
  • patrem > père (a. fr. pedre) ;
  • insimul > ensemble, etc.

Partie protonique du mot.

Quand la partie protonique du mot ne contient qu’une syllabe (amáre, portáre) cette syllabe reste.

Quand la partie protonique se compose de deux ou plusieurs syllabes, cette première partie du mot est considérée, au point de vue de l’accentuation, comme formant un mot isolé : elle a une tonique qu’on appelle contretonique ou accent second[10] et une finale qu’on appelle contrefinale.

Ex. :

  • dórmi-tórium > dortoir ;
  • civi-tátem > cité;
  • bóni-tátem > bonté ;
  • véri-tátem > verte, fr. mod. vérité, forme refaite.

Les contrefinales sont traitées comme les finales : elles ne se maintiennent que si la syllabe contient un a ou si le groupe de consonnes était imprononçable.

Ex. :

  • cére-vísiam > cervoise ;
  • *móne-stérium (lat. cl. móna-stérium) > moustier ;
  • *vérvi-cárium > berger.

Mais avec a :

  • cánta-tórem > chante-or (plus tard chanteur) ;
  • impéra-tárem > empere-dor, empereur ;
  • sácra-méntum > a. fr. saire-ment, serment ;
  • árma-túram > arme-üre, armure.

Avec un groupe de consonnes difficiles à prononcer :

  • *quádri-fúrcum > carrefour ;
  • látro-cínium > ladre-cin, larre-cin, larcin;
  • *cápri-fólium > chèvrefeuil;
  • *pétro-sílium > pedresil, persil.

 

Vocalisme

Voyelles toniques ou accentuées

Le changement des voyelles dépend principalement de l’accent. Certaines voyelles toniques se sont diphtonguées en passant du latin au français ; les voyelles atones non, sauf dans des cas d’analogie.

Deux consonnes exercent une grande influence sur les voyelles avec lesquelles elles sont en contact : n et surtout la semi-voyelle y (appelée yod).

Les règles phonétiques ou plutôt les lois sont rigoureuses ; les nombreuses exceptions apparentes s’expliquent par des faits d’analogie, d’emprunts à d’autres langues, etc. On appelle mots savants ou mots d’emprunt les mots empruntés plus ou moins directement au latin ou au grec (et aussi aux langues modernes); ils ont été francisés sans se soumettre aux lois régulières de la phonétique : ainsi monasterium donne la forme populaire moustier et la forme savante monastère; on appelle ces doubles formes doublets.

A

A tonique libre devient e (pour le son de cet e, cf. infra, prononciation).

Ex. :

  • clarum > cler ;
  • cantare > chanter;
  • mare > mer ;
  • parem > per ;
  • alam > ele ;
  • fabam > fève ;
  • amatam > amée, etc.

Clair, pair, aile sont des formes refaites à la Renaissance; a a été rétabli d’après le latin (clarum, parem, alam).

Quand a tonique est suivi de m, n, il se dégage un i provenant de ces consonnes ; le résultat est la diphtongue nasalisée ain, prononcée depuis le xiie siècle ein avec e ouvert.

Ex. :

  • amo > j’aim ;
  • clamo > je claim ;
  • famem > faim ;
  • manum > main ;
  • panem > pain ;
  • granum > grain ;
  • planum > plain ;
  • plangere > plaindre ;
  • frangere > a. fr. fraindre, etc.

Le suffixe -álem a donné -el, comme le montrent les formes mortalem > mortel ; *missalem > missel ; cf. encore talem > tel ; qualem > quel ; mais on trouve de nombreuses formes en al (égal, royal, loyal, etc.), qui n’appartiennent pas sans doute à l’ancien fonds de la langue. On trouve mel (malum) à côté de mal; animal est emprunté au latin. Beaucoup de mots savants ou de mots d’emprunt ont gardé l’a : étable, fable, table[11], adjectifs en -able : aimable, coupable, etc.; état, pape, candélabre, etc.


Le suffixe -árium donne -ier :

  • primarium > premier ;
  • *caballarium > chevalier ;
  • *prunarium > prunier ;
  • *pomarium > pommier, etc.


Le suffixe -ánum devient -ien quand il est précédé de i ou d’une consonne palatale (c, g).

Ex. :

  • christi-anum > chresti-ien, chrétien ;
  • medi-anum > moyen ;
  • decanum > dei-ien, doyen ;
  • paganum > pai-ien, païen.

De même c devant a tonique libre le diphtongue en .

Ex. :

  • canem > chien ;
  • *capum > chief, chef;
  • carum > chier, cher;
  • capram > chièvre[12].

D’une manière générale quand a, tonique libre à l’intérieur d’un mot, est précédé soit immédiatement, soit dans la syllabe placée devant lui, d’un i ou d’un j, c, g, il se diphtongue en ie; cela se produit surtout aux infinitifs de la 1ere conjugaison. Cette diphtongue ie, s’est réduite à e (é) pendant la période du moyen français (xive–xve siècles) ; elle a persisté dans quelques mots comme amitié, moitié, pitié, chien.

Ex. :

  • *vervicarium > bergier, berger;
  • *leviarium > légier, léger ;
  • *abbreviare > abrégier ;
  • judicare > jugier ;
  • baptizare > batisier;
  • vindicare > vengier;
  • clericatum > clergiet;
  • delicatum > delgiet (fr. mod. délicat) ;
  • peccatum > pechiet ;
  • peccare > pechier ;
  • dignilatem > deintiet (dignité) ;
  • pietatem > pitiet ;
  • *circare > cerchier (chercher) ;
  • predicare > prechier ;
  • vocare > vochier (appeler), etc.

Enfin lorsque a tonique et libre précédé d’une palatale se trouve suivi de c, il devient i (ou y) par la réduction d’une triphtongue hypothétique iei (ie représentant a diphtongué et i provenant de c).

Ex. :

  • jacet > *gieist > gist, gît;
  • Clipiacum > *Clichiei > Clichy ;

ainsi s’expliquent les nombreuses formes en y ou i des noms de lieux : Ghauny, Choisy (Cauciacum), Joigny (Gauniacum), Juvigny (Juviniacum), etc.

A peut être en contact avec u, par suite de la chute d’une consonne intermédiaire ; le groupe au ainsi produit devient ou (à l’origine óu, diphtongue).

Ex. :

  • fagum, fa(g)um > fou (hêtre; cf. fouine) ;
  • clavum > clou;
  • Andega(v)um > Anjou ;
  • Picta(v)um > Poitou ;
  • habuit, a(b)uit > óut (il eut) ;
  • sapuit, sa(p)uit > sóut (il sut).

De même a peut être en contact avec le groupe ui, par suite de la chute d’une consonne intermédiaire ; cela arrive à la 1re personne du prétérit de certains verbes (cf. la conjugaison). On a dans ce cas la diphtongue ói.

Ex. :

  • ha(b)ui > ói (j’eus) ;
  • sa(p)ui > sói (je sus);
  • pla(c)ui > plói (je plus), etc.

A tonique entravé se maintient.

Ex. :

  • árborem > arbre ;
  • marmor > marbre ;
  • partem > part ;
  • cárcerem > chartre;
  • cantat > chante.

E fermé

E fermé provient de ē et de ĭ du latin classique (quelquefois, mais rarement de la diphtongue œ).

E fermé tonique libre se diphtongue à l’origine en ei (en passant probablement par éé); ei devient au xiiie siècle oi (prononcé óï, en une seule émission de voix) ; oi devient ensuite (xive–xve siècles) et oué (xvie–xviie–xviiie siècles) et passe enfin dans les temps modernes à oua.

Ex. : fẹ́dem > fei (xe–xiie siècle), foi (l’orthographe n’a pas varié depuis le xiie siècle, mais la prononciation a changé : foé, foué (encore au xviiie siècle), foua, prononciation actuelle).

Cf. encore tẹ́lam > teile, fr. mod. toile ; fẹnum > fein, foin ; avẹna > aveine, avoine ; habẹre > aveir, avoir ; sapẹre (pour sápĕre) > saveir, savoir, et autres infinitifs en -oir.

Mẹ, tẹ, sẹ > mei, tei, sei ; moi, toi, soi.


E fermé tonique suivi de n s’est arrêté ordinairement au stade ei : pœnam > peine ; sẹnum (lat. cl. sĭnum) > sein ; plẹnum > plein ; vẹnam > veine ; cf. cependant plus haut foin, avoine, qui ont un traitement différent de sein, veine et qui sont peut-être des formes dialectales. Cf. encore mẹnus (lat. cl. mĭnus) > moins.


E fermé tonique précédé de c donne i et non ei, oi.


Ex. :

  • cẹram > cire;
  • mercẹdem > merci ;
  • placẹre > plaisir ;
  • licẹre > loisir.


L’a. fr. connaissait aussi tacẹre > taisir ; cf. placẹre > plaisir. On admet que ce changement de e en i s’est produit, sous l’influence de c, par l’intermédiaire d’une triphtongue iei, dans laquelle l’élément du milieu a disparu (le français n’ayant pas conservé de triphtongues) et les deux i se sont fondus en un seul.


Dans certains cas tonique était déjà passé à i en latin vulgaire : ceci se produisait lorsque, dans un mot accentué sur l’avant-dernière syllabe, la syllabe finale se terminait par un ī long : sous l’influence de cet i long final tonique se transformait en ī.

Ex. : *quaesi pour quaesivi du latin classique est devenu en latin vulgaire *quīsī, d’où le fr. quis (de quérir : cf. je requis, j’acquis, je conquis).

De même *prẹsī (au lieu de prendidi du lat. cl.) est devenu prīsī, d’où le fr. pris. Cf. infra les conjugaisons.

Cf. encore en syllabe fermée ĭllī — ou ẹllī en latin vulgaire — devenu īllī sous l’influence de ī long final et aboutissant au fr. il et non el : de là les formes nennil < non illī et oïl < hoc illī.


E fermé entravé ne change pas, conformément à la loi générale : mais il a pris le son ouvert (è).


Ex. :

  • mĭtteremẹ́ttere > mettre ;
  • vĭridem, vẹ́r’dem > vert ;
  • *solĭculum, lat. vulg. solẹ́c’lum > soleil ;
  • *parĭculum, parẹ́c’lum > pareil ;
  • vermĭculum, vermẹ́c’lum > vermeil.

E ouvert

E ouvert tonique (provenant de ĕ, ae du latin classique) se diphtongue en .

Ex. : hęri > hier ; pędem > pied; bręvem > a. fr. brief ; fębrem > fièvre ; lęporem > fièvre ; fęrit > il fiert (il frappe, du verbe férir[13]) ; fęrum > fier; quęrit (lat. cl. quaerit) > il quiert (de quérir ; cf. requiert, conquiert, acquiert) ; tęnet > tient; vęnit > vient; ręm > rien; bęne > bien ; caelum > ciel; fęl > fiel; męl > miel; męlius > mielz, fr. mod. mieux.

Lorsque ę était suivi d’un yod (j, i) ou d’une consonne palatale (c, g), il formait avec ce yod ou l’i qui provenait de la palatale une triphtongue iei, dont l’élément du milieu (e) a disparu avant que la langue française soit écrite ; par suite le représentant de ę est, dans ce cas, i.

Ex. : mędium > *miei (forme non attestée en français) mi ; cf. demi, parmi ; prętium > prix ; pęctus > piz (poitrine); sęx > six; ęxit > ist (il sort); lęctum > lit; lęgit > lit; nęgat > nie; *pręcat (pour precatur) > prie, etc.


Le groupe eu provenant du latin classique (Deum) ou du latin vulgaire (Grecum devenu Greum) donne en français la triphtongue ieu devenue de bonne heure une diphtongue.

Ex. : Dęum > Dieu ; Andręum > Andrieu ; Graecum > Grieu ; celt. lęgua, le(g)ua > lieue; germ. *tregua > trieue, trieve, trêve.

Mę́um devait être devenu en latin vulgaire méon, d’où mieen, mien. Ego devenu ę́o, ieo, jo est devenu finalement je, qui provient de jo employé comme atone.


E ouvert tonique entravé reste ę, aujourd’hui e ouvert.

Ex. : sęptem > sept; pęrdere > perdre; infęrnum > enfer; fęrrum > fer; tęstam > teste, tête ; fęstam > fête, etc.


Lorsque cet e est suivi de l + consonne il se développe entre e et l un son a : on a ainsi : bęllus > beals ; novęllus > noveals ; agnęllus > agneals ; par suite de la vocalisation de l on a ensuite le groupe eau : beau, nouveau, agneau, marteau (à côté de martel, mot d’emprunt), chapeau, manteau, etc. Cf. germ. helm, heaume > heaume.


E ouvert entravé suivi de n donne la voyelle nasalisée ã, écrite ordinairement en[14].

Ex. : vęntum > vent; *tręmulat, trem’lat > tremble ; pęndere > pendre; gęntem > gent; frumęntum > froment.

La prononciation an (ã) remonte haut ; on la trouve déjà dans la Chanson de Roland (fin du xie siècle).

Remarque 

Dans les proparoxytons comme tę́pidum la diphtongaison de ę tonique en ie s’est produite si la chute de la pénultième est relativement récente.

Ex. : Stę́phanum > Estienne ; tę́pidum > tiède ; ę́bulum > hièble ; antę́phonam > antienne.

Si au contraire la chute de la pénultième est ancienne, l’entrave se produisant de bonne heure a empêché la diphtongaison.

Ex. : gę́nerum, gen’rum > gendre; tę́nerum, ten’rum > tendre; *trę́mulat, trem’lat > tremble; mę́rulam, mer’lam > merle.

I

I long[15] tonique se maintient sans changement.


Ex. :

  • amīcum > ami ;
  • nīdum > nid ;
  • pīcum > pic ;
  • rīpam > rive;
  • vīvum > vif ;
  • verbes en -ir venant de -ire (venir, finir, punir) ;
  • participes en -i venant de -ītum, etc.[16] Quand ī est suivi d’une nasale devenue finale, il a donné en français la voyelle nasalisée in : pinum > pin ; vinum > vin ; finem > fin. Dans la Chanson de Roland, in assone avec mis, marquis, ovrir, ce qui prouve que la prononciation gardait à i sa valeur et que la voyelle n’était pas encore nasalisée.

O ouvert (lat. cl. ŏ)

O ouvert tonique devient d’abord uo, puis, dès le début du xie siècle, ue[17]. Ue est devenu dans l’orthographe moderne eu (neuf), quelquefois œu (bœuf, œuf), plus rarement ue (cercueil, orgueil, accueil).


Ex. :

  • *vǫlet (lat. cl. vult) > vuelt (veut) ;
  • *pǫtet (lat. cl. potest) > puet (peut) ;
  • mǫvet > muet (meut) ;
  • nǫvem > nuef, neuf ;
  • nǫvum > nuef, neuf;
  • bǫvem > buef, bœuf ;
  • cǫr > cuer, cœur, etc.


O ouvert tonique suivi d’un yod ou d’une palatale (c) aboutit à ui, probablement en passant par la triphtongue uei.

Ex. :

  • hǫdie > hui ;
  • trǫiam (pour trọiam) > truie ;
  • cǫrium > cuir ;
  • plǫviam (pour plọviam, lat. cl. plŭviam) > pluie ;
  • nǫctem > nuit ;
  • cǫxam > cuisse ;
  • cǫctum > cuit ;
  • ǫcto > huit.


Devant l mouillée on a ue, uei[18]. Ex. :

  • ǫculum > ueil (d’où œil) ;
  • germ. urgǫlī > orgueil;
  • *fǫliam > fueille (feuille);
  • sǫlium > seuil;
  • trǫculum (pour torculum) > trueil, treuil.


Fǫcum, jǫcum, lǫcum donnent feu, jeu, lieu, par suite de transformations nombreuses et délicates dont le tableau suivant présentera une idée sommaire[19].

fǫcum

> *fuou

> fueu

> feu ;

jǫcum

> *juou

> jueu

> jeu ;

lǫcum

> *luou

> lueu — lüeu

> lieu.

O ouvert tonique libre devant nasale donne uo, ue.

Ex. : hǫmo > uem, plus tard an, l’an (= on, l’on); cǫmes > cuens; bǫna > buona[20] ; sǫnant > suenent; tǫnant > tuenent (on trouve aussi ces deux dernières formes sans diphtongaison, à cause de l’influence des formes verbales accentuées sur la terminaison, dans lesquelles la diphtongaison n’a pas lieu : sonóns, tonóns).

Plusieurs mots, pour des raisons diverses, dont la principale est, en général, qu’ils sont des mots d’emprunt ou des mots savants, ne présentent pas de diphtongaison. Les plus importants sont : école (< schǫ́lam), rose (< rǫ́sam), rossignol (< *lusciniǫ́lum).


O ouvert entravé devant les consonnes non nasales reste ǫ.

Ex. : pǫrtam > porte ; fǫssam > fosse ; cǫrpus > corps ; pǫrcum > porc; dǫrmit > dort, etc.

Dans les cas où l’entrave était d’origine romane, la diphtongaison paraît s’être produite dans certains mots avant la chute de la syllabe pénultième qui a amené l’entrave.

Ex. : pǫ́pulum > pueple, peuple ; jǫ́venem (lat. cl. juvenem) > juefne, jeune; mǫ́bilem (lat. cl. mōbilem) > mueble, meuble.

Cf. au contraire rǫ́tulum > rot’lum > rôle et cǫ́phinum > cof’num > coffre.


Devant les consonnes nasales ǫ donne la voyelle nasalisée on (õ). Ex. : pǫntem > pont; lǫngum > long, etc.

O fermé (lat. cl. ō, ŭ)

O fermé tonique libre donne en ancien français la diphtongue óu[21]) (prononcez óou), devenue depuis le xiiie siècle environ eu.


Ex. :

  • flọrem > flour, plus tard fleur ;
  • dolọrem > dolour, douleur ;
  • colọrem > colour, couleur ;
  • favọrem > favour, faveur ;
  • gọlam > goule, gueule ;
  • ọram > houre, heure ;
  • nepọtem > nevout, neveu ;
  • illọrum > lour, leur.


Amọrem est devenu amour (et non ameur), probablement sous l’influence de l’adjectif amour-eux.

De même époux, épouse n’ont pas subi de changement, sous l’influence de épouser. Nous, vous, employés surtout comme atones, ne sont pas devenus neus, veus. Lọpus, lọpa (lat. cl. lupus, lupa) ont donné loup, louve, mais la forme leu a existé[22].

Dans les mots d’emprunt n’a pas subi de changement : dévot, noble, etc.

Tout provient d’une forme tọttum pour tọtum et l’o y est entravé ; cf. ci-dessous.


O fermé tonique + nasale donne la voyelle nasalisée on.

Ex. : leọnem > lion; pavọnem > pa-on, paon; pipiọ-nem > pigeon ; latrọnem > larron ; mansiọnem > maison ; dọnat > donne (prononcé à l’origine don-ne) ; corọna > couronne (couron-ne); *pọmam > pomme (pon-me).


O fermé entravé (ordinairement ŭ en latin classique) donne ou, écrit au début de la langue o et ou.

Ex. : *tọttum (pour tọtum) > tout; cọppam (lat. cl. cuppam) > coupe ; rọbium (lat. cl. rubeum) > rouge ; gọttam > goutte ; rọptam (ruptam, sous-entendu viam) > route ; pọllam (pullam) > poule ; diọrnum (diurnum, de diu) > jour; fọrnum (furnum) > four, etc.

Gọrgam (gŭrgam) aurait dû donner gourge et non gorge, avec o ouvert ; de même *mọttum (*mŭttum) mout et non mot. Nọptiae (nŭptiae) était devenu sans doute nǫptiae en latin vulgaire (influence de nọvus ?) et a donné noces. Medŭlla est devenu modella par changement de suffixe dû à une métathèse des voyelles e, ŭ () et a donné mo-elle, moelle (prononcé mwal).


O fermé entravé suivi d’une nasale donne on. Ondam (ŭndam) > onde ; ọmbram > ombre ; plọmbum > plomb ; ọndecim > onze ; rọmpere > rompre, etc.


O fermé libre ou entravé + y (i, c, g).


O fermé tonique suivi d’une consonne + yod, ou de c, g qui ont donné i, se joint au yod pour constituer la diphtongue oi, devenue ensuite , oué, oua.


Ex. :

  • vọcem > voix ; crọcem > croix ; nọcem > noix[23] ;
  • angustiam (lat. vulg. angọ́stiam) > angoisse ;
  • jungere > joindre ;
  • pungere > poindre ;
  • junior > joindre, geindre, gindre[24] ;
  • cuneum > cunium > coin ;
  • pugnum > poing ;
  • punctum > point ; dans tous ces mots ŭ tonique égale fermé.


Dans les mots verecundia (lat. vulg. verecọndia), Burgundia (lat. vulg. Borgọndia) le groupe ndi donne n mouillée (suivie de e muet final), et o fermé se transforme en o ouvert, sans aboutir à oi : vergogne, Bourgogne (a. fr. vergongne, Bourgongne).


Suffixe -ọrium > -oir (dortoir, miroir, parloir, mouchoir, etc.).

Le suffixe -ŭculum, -ŭcula (lat. vulg. -ọculum, -ọcula), a donné oil, oille, puis ouil, ouille.

Ex. : fenuculum > lat. vulg. fenọclum > fenouil ; genuculum > genouil[25] ; *peduculum > peouil[26] ; veruculum > verrouil ; *conuculam > conọclam > quenouille ; *ranunculam > ranọclam > grenouille.

U

U long tonique, qui sonnait ou en latin, est devenu u ; suivi d’une nasale devenue finale, il donne la voyelle nasale un (œ̃).


Ex. :

  • dūrat > dure ;
  • pūrum > pur ;
  • secūrum > seür, sûr ;
  • flūmen > flun (fleuve) ;
  • plūmam > plume ;
  • ūnum > un ;
  • lūnam > lune ;
  • *agūrium (lat. cl. augŭrium) > e-ür, plus tard eur, heur, dans bonheur, malheur.


Le son u (ü) est propre au français et au provençal; les autres langues romanes ont gardé le son ou du latin[27]. On a voulu attribuer ce changement de ou en u à une influence celtique; mais cela n’est pas démontré.


U long tonique suivi de c, g donne par la palatalisation du c la diphtongue ui.

Ex. : tructam > truite ; destructum > destruit; conductum > conduit; fructum > fruit; *brūgitum (lat. cl. rugitum) > bruit.

L’ancien français disait aussi luite, de luctam, lutte.


U suivi d’un yod donne le même résultat, même s’il n’est pas en contact immédiat avec le yod : *ūstium (lat. cl. ostium) > huis; *pertūsium > pertuis.

Diphtongues

Parmi les diphtongues latines au est la seule qui soit assez fréquente[28]. Elle se prononçait aou en latin. Elle a donné, quand elle était tonique, ǫ ouvert.


Ex. :

  • aurum > or ;
  • audit > il ot (entend) ;
  • thesaurum > trésor ;
  • laurum > lor (laurier) ;
  • pauperem > pǫvre, fr. mod. pauvre ;
  • *gaudiam > joie ;
  • claudere > clore ;
  • aucam > oie (et oue) ;
  • fábricam, faurga > forge ;
  • *paraulam (de parábolam) > parole.


Au en contact avec u latin, par chute d’une consonne, donne ou. Ex. : paucum > pou (peu) ; raucum > rou (cf. en-rou-er).

Voyelles protoniques et posttoniques

Les voyelles protoniques ou prétoniques se maintiennent ordinairement, quand elles sont initiales d’un mot.

Quand elles sont libres, il se produit quelques modifications peu importantes.

Quand elles sont entravées, elles subissent encore moins de changements.

Pour les voyelles protoniques qui ne sont ni initiales, ni en syllabe initiale, ni contretoniques on sait qu’elles sont considérées comme contrefinales et traitées comme si elles étaient après l’accent principal.

Nous ne nous occuperons ici que des voyelles protoniques initiales ou en syllabe initiale.

A

A reste a. Ex. : avril ; avoir; amer (aimer) ; amer < (lat. amarum); aval (< ad vallem); baron; clamer; naïf; savoir; laver, etc. A initial ou en syllabe initiale, suivi ou précédé de r, passe ordinairement à e : granarium > grenier; armeniam > hermine; *ranunculam > grenouille; sarcófagum > cercueil; *materiamen, mat’riamen > merrain.


A libre en syllabe initiale après c devient e (ca > che).

Ex. : caballum > cheval ; *capriolum > chevreuil; capillum > cheveu; camisiam > chemise.

Cabane, canal (cf. chenal) et autres mots commençant par ca sont sans doute des mots d’origine méridionale ; plusieurs sont d’origine normanno-picarde ; cf. infra, traitement du c.

Chapelle, chapitre, chanoine, chameau, etc., ne paraissent pas être d’origine populaire.


Quand a précédé de c en syllabe initiale est suivi de l, il se maintient ordinairement.


Ex. :

  • calorem > chaleur;
  • calere > chaloir, cf. nonchaloir ;
  • calamellum > chalumeau.


A formant un hiatus d’origine romane avec ü se dissimile en e.


Ex. :

  • *habutum > , eu ;
  • *saputum > seü, su ;
  • *sabucum > seü, su (su-reau).
  • maturum > meür, mûr;
  • *agurium (pour augurium) > eür, eur.


A protonique entravé se maintient.


Ex. :

  • cantare > chanter ;
  • lassare > lasser ;
  • carbonem > charbon ;
  • castaniam, lat. cl. castaneam > chastaigne, etc.


Cf. encore manteau, chanter, vanter, etc. A protonique, initial ou en syllabe initiale, suivi d’une consonne + yod, ou en contact avec un i provenant de c, donne la diphtongue ai[29].

Ex. : adjutare > ajutare > aidier; axellam > aisselle; laxare > laissier; tractare > traitier; lactucam > laitue; rationem > raison ; sationem > saison ; ma(n)sionem > maison.

Comme on le voit par ces derniers exemples, il n’est pas nécessaire que l’a soit en contact immédiat avec i (yod) pour que la diphtongue ai se produise.

E

Il n’est pas nécessaire de distinguer, à l’initiale protonique, e ouvert de e fermé.


E libre, initial ou en syllabe initiale, se maintient, sous forme d’e muet, et disparaît dans quelques mots, quand il est en hiatus, par suite de la chute d’une consonne.

Ex. : *etaticum > eage, âge; debere > devoir; vedere (lat. cl. videre) > veoir, voir; sedere > seoir; *minare, menare > mener ; *seperare (pour separare) > sevrer ; vetellum (lat. cl. vitellum) > veel, veau; sigillum > seel, seau, sceau; *veracum (pour veracem) > verai, vrai.

Dans quelques mots e s’est transformé en u sous l’influence de la consonne précédente.

Ex. : gemellum > jumeau (cf. les Gémeaux) ; *fimarium > fumier (et non femier) ; bibitis, lat. vulg. bebetis > buvez (a. fr. bevez).


E entravé reste, avec le son d’e ouvert devant r[30], d’e fermé dans les autres cas. Ex. : fermare (lat. cl. firmare) > fermer; sermonem > sermon; vertutem (lat. cl. virtutem) > vertu; mercedem > merci ; *fellonem > félon ; cessare > cesser ; districtum, lat. vulg. destrictum > destreit, détroit, etc.


E suivi d’une nasale (n, m) + consonne forme avec cette nasale la voyelle nasalisée en (prononcée an, ã).

Ex. : ingenium, lat. vulg. engenium > engin ; inflare > enfler ; *intrare > entrer; imperium > empire ; *impejorare > empirier.


E + c, g, e + consonne + yod > ei puis oi[31].


Ex. :

  • medietatem > meitiet, moitié ;
  • *lecere (lat. cl. lĭcere) > leisir, loisir ;
  • necare > neiier, neier, noyer ;
  • *pectorinam > peitrine, poitrine ;
  • vecturam > veiture, voiture ;
  • exire > eissir, issir.


E en syllabe initiale suivi de r, l (ou même précédé de r, l), passe quelquefois à a, les groupes erar, elal étant phonétiquement très voisins.

Ex. : mercatum > marché; per > par (par n’ayant pas d’accent est protonique par rapport au mot qui le suit) ; pervenire > parvenir; *pergamīno > parchemin; *remare > ramer ; *zelosum, *ielosum > jaloux ; *glenare > glaner ; *bilanciam, lat. vulg. belanciam > balance ; silvaticum, selvaticum > salvage, sauvage; delphinum > dalfin, dauphin.

Leonem a donné lion, par suite du passage de e à i en hiatus et laetitiam, devenu leesse, a donné liesse. Dans ciment (de cementum pour caementum) l’i paraît être dû à l’influence de la palatale initiale.

O (ǫ, ọ)

O ouvert et o fermé libres en syllabe initiale ont abouti dans la langue moderne à ou (à l’origine de la langue o fermé).

Ex. : ǫ ouvert : mǫvere > mouvoir; prǫbare > prouver; *jǫcare > jouer; lǫcare > louer; *vǫlere (lat. cl. velle) > vouloir; *pǫtere (lat. cl. posse) > pouvoir; dǫlere > douloir; sǫlere > souloir, etc.

Ex. : fermé : sọbinde (lat. cl. sŭbinde) > souvent; nọdare > nouer ; plọrare > plourer[32] ; sọlatium > soulas, etc.


O ouvert entravé en syllabe initiale reste o.

Ex. : dǫrmire > dormir ; *sǫrtire > sortir ; mǫrtalem > mortel ; pǫrtare > porter, etc.

Au contraire o fermé entravé donne ou.

Ex. : sọbvenire (lat. cl. subvenire) > souvenir; cọrrentem > courant; nọtrire > nourrir; *sọfferire (lat. cl. sufferre) > souffrir; dọbtare > douter, etc.


O ouvert ou fermé suivi d’une nasale + consonne forme avec cette nasale la voyelle nasalisée on.

Ex. : computare > conter, fr. mod. compter ; cọmmeatum > congiet, congé; nọmerare, nọm’rare > nombrer ; nọminare, nọm’nare > nommer (prononcé, au début, non-mer), etc.

Dans quelques mots usuels employés comme proclitiques on est passé à an : dominam, domnam > dame ; dominus > danz ; cf. dameisel — damoiseau, dameiselle — damoiselle; *dominiarium donne dongier (puissance) et danger. Enfin non s’est affaibli en nen; cf. nen-il, nennil (< non illī) (prononcé nan-ni, nã-ni). O ouvert ou fermé suivi d’une consonne + yod ou d’une palatale (c, g) donne oi (oin devant nasale).

Ex. : *fǫcarium > foyer; *lǫcarium > loyer; otiosum > oiseux; pọtionem > poison; ọxorem (lat. cl. uxorem) > oissour (épouse); *longitanum > lointain ; joncturam (lat. cl. juncturam) > jointure.

Octobre est un mot savant. L’ancienne langue avait oitouvre.

Remarque 

Sororem donne serour (sœur) par dissimilation de o-o en e-o[33]; *conuclam > quenouille ; rotundum > reond, rond, présentent une dissimilation de même nature.

C’est ainsi que s’expliquent également semondre de submṓnere (lat. vulg. sọbmónĕre), secourir de succurrere, selonc (selon) de sublongum, mots ou l’o initial (ŭ) est fermé.

I

I long se maintient en syllabe initiale.

Ex. : fīlare > filer; līmare > limer; prīvare > priver; *mīrare (lat. cl. mirari) > mirer.


Quand la voyelle tonique est un ī, l’ī de la syllabe précédente se dissimile en e.

Ex. : dīvīnum > devin (divin est un mot savant); dīvīsum > devis (diviser, indivis sont des mots savants); fīnīre > fenir (finir est moderne) ; *pīttītum > petit; mīsistī > mesis, meïs, mis.

Vīcīnum, devenu dans le latin vulgaire vecinum, donne veisin, voisin. Les mots premier, merveille présentent également le passage de ī initial à e (lat. prīmarium, mīrabilia pluriel neutre de mirabilis).

Dīrectum est devenu d’rectum, drectum en latin vulgaire, d’où : dreit, droit.

U

U long en syllabe initiale, prononcé ou en latin, devient u (ü) : dūrare > durer; *ūsare > user.

Cf. cependant *jūníciam (lat. cl. junix) > génisse et jūníperum, devenu en latin vulgaire junéperum (peut-être ieneperum), qui donne genièvre, où le yod initial paraît avoir dissimilé l’ū en e.

Suivi d’un 'c', 'ū' long donne la diphtongue ('üi').

Ex. : lūcéntem > luisant; dūcéntem > duisant (dans conduisant, séduisant, etc.)

Au

Au protonique initial devient o (ouvert) comme au tonique.

Ex.: pausare > poser; auriculam > oreille; *ausare > oser; *raubare > dérober.

Devant une voyelle cet o est passé à ou ; audire > ouïr; *gaudīre (lat. cl. gaudere) > jouir; laudare > louer.


Au + c, au + consonne + yod aboutissent à la diphtongue oi.

Ex. : aucellum (lat. cl. avicellum) > oisel; *gaudiosum > joïous, joyeux.

Augustum et augurium étaient devenus en latin vulgaire agustum, agurium ; d’où aoust, août ; eür, eur (boneur, maleur ; fr. mod. bonheur, malheur, par influence de heure).

Semi-voyelles (y, u = w)

La semi-voyelle i (yod) se trouve tantôt dans une syllabe tonique ou protonique (ratiónem > raison, potionem > poison), tantôt, et même plus souvent, dans une syllabe posttonique : *gaudiam > joie, *ustium > huis. Elle sera étudiée à la fin du consonantisme.

En ce qui concerne le traitement des voyelles en contact immédiat ou indirect avec la semi-voyelle i (yod), cf. supra, aux différentes voyelles.


La semi-voyelle u (= w) (dans qui, quando, quare), beaucoup moins importante d’ailleurs que i (yod), sera étudiée également à la fin du consonantisme.

Voyelles posttoniques

Elles ont été traitées plus haut, à propos de l’accent.

  1. Minari, menacer, a pris en passant dans les langues romanes le sens de mener : mener à l’origine c’est menacer, en parlant des animaux que l’on mène en les menaçant.
  2. Deux centaines environ.
  3. Il y a environ un millier de mots, dont quelques-uns très usuels, d’origine germanique.
  4. G. Paris, La litt. fr. au moyen âge, 3e éd., §152
  5. La Chanson de Roland remonte plus haut ; mais le texte le plus ancien qui nous ait été conservé date de cette époque-là.
  6. Du moins en ce qui concerne le latin qui est à la base du français.
  7. Le groupe ns, dans des mots comme mensem, ne forme pas entrave, car ce groupe s’était déjà réduit à s en latin classique.
  8. En réalité on avait en latin vulgaire bono, fide, etc. ; cf. les observations préliminaires.
  9. On trouve, dans les plus anciens textes, des proparoxytons apparents, comme áneme, jóvene, imágene, ángele, glórie, etc. ; mais la pénultième ne compte pas et il faut prononcer : án’me, jóv’ne, imáj’ne, ánj’le, glór-ye.
  10. Cette contre-tonique se trouve sur la deuxième syllabe en remontant à partir de l’accent ; ex : bóni-tátem, véri-tátem; infírmi-tátes, amári-túdinem. La syllabe initiale portait toujours un accent.
  11. Tabula a donné en a. fr. taule (dialectal ?), auj. tôle
  12. Beaucoup de mots français commencent par ca : ce sont des mots d’emprunt : cf. infra, au consonantisme, traitement de c initial.
  13. Fier de ta lance signifie : frappe de ta lance.
  14. En se prononça d’abord in, comme aujourd’hui in dans fin, pin, ein dans plein.
  15. Rappelons que ĭ (bref) n’existe plus en latin vulgaire et qu’il est devenu e fermé.
  16. Frigidum aurait dû donner frid ; on admet que ce mot est devenu frę́gedum en latin vulgaire, d’où freid, froid.
  17. Prononcé oué ou üé ? La question est indécise. On trouve aussi la graphie oe.
  18. L’i ne sert qu’à marquer le mouillement de l.
  19. Ce sont des triphtongues provenant de la diphtongaison de ó en uo, ue et du maintien de u devenu final, m finale ne sonnant plus en latin vulgaire. La différence de traitement entre feu, jeu et lieu (à la place de leu) s’explique sans doute par l’action des consonnes initiales.
  20. Cf. le début de la Cantilène de Sainte Eulalie : Buona pulcela fut Eulalia.
  21. La graphie est ordinairement o et, chez les scribes normands ou anglo-normands, u (flor et flur, precios et precius). La prononciation paraît avoir été, au début, celle d’un e fermé, légèrement diphtongué.
  22. Elle existe encore dans l’expression : à la queue leu leu, c’est-à-dire à la queue le leu, à la queue du loup ; cf., en Normandie, les noms de lieu Pisseleu, Saint-Leu, Chanteleu.
  23. a. fr. vois, crois, nois.
  24. Garçon boulanger. La forme du lat. cl. est jūnior, celle du lat. vulg. jŭnior, jọnior.
  25. Genoil, peoil, verroil faisaient au cas sujet singulier ou au cas régime pluriel genolz, peolzpolz, verrolz (s ajouté à il se transforme en z et fait disparaître i, qui marque le mouillement de l). Par suite de la vocalisation de l on a eu : genouzgenous, pous, verrous, d’où le singulier genou, pou, verrou.
  26. Cf. pouilleux, a. fr. peouilleux.
  27. Sauf quelques dialectes du Nord de l’Italie.
  28. Les diphtongues ae, oe ont été traitées plus haut ; cf. e ouvert et e fermé.
  29. Prononcée áï à l’origine, mais devenue ęy vers 1100, puis ę (e ouvert) au milieu du xiie siècle.
  30. Et aussi, à l’origine, devant s + consonne : vestir, peschier.
  31. Pour les transformations de cette diphtongue, cf. le traitement de e tonique supra.
  32. Plourer comme demourer est devenu pleurer sous l’influence des formes accentuées sur le radical : je pleure, tu pleures, etc.
  33. On trouve déjà serorem, retundum, dans des inscriptions du iiie siècle.


 

Chapitre II

Consonantisme

Dans la transformation des voyelles l’accent a joué le rôle principal. Pour la transformation des consonnes, il n’en est pas de même : ce sont les voyelles environnant la consonne qui ont déterminé en général les changements.

Voici le tableau des consonnes de l’ancien français, qui a été très peu modifié dans la langue moderne.

Occlusives

Sourdes

Sonores

Palatales

k (c, q)

g

Dentales

t

d

Labiales

p

b

 

Palatales spirantes (chuintantes)

Sourde

Sonore

ch

j

 

Sifflantes

Sourdes

Sonores

f

v

s

z

 

Liquides

l

r

 

Nasales

n

m (labio-nasale)

ng (lat. anguis, nasale-palatale)

 

Semi-voyelles

y (yod)

u (w)

Enfin il faut ajouter les consonnes mouillées : ñ, ł (gn, ign; ill). L’ancien français a aussi connu le son correspondant au th doux anglais (on le note ainsi : đ ou ) ainsi qu’au th dur.


On peut distinguer deux positions dans les consonnes : la position forte, quand la consonne commence un mot ou qu’elle est initiale d’une syllabe après une consonne : canis, panis, manus; car|bonem, por|tare, mem|brum, rup|tum ; position faible, quand la consonne est entre deux voyelles : laudat, ripa, faba, vita, locat, jocat.

La règle générale est que les consonnes en position forte se maintiennent, tandis que, parmi les consonnes en position faible, les occlusives (labiales, dentales, palatales) s’affaiblissent ou disparaissent. On verra, dans le détail, l’application de cette règle.


H avait disparu en latin vulgaire et n’a pas été rétablie dans des mots comme : avoir < habere, on < homo, orge < hordeum. Mais elle a été rétablie artificiellement dans des mots où elle n’est pas aspirée, comme herbe, héroïne, dans des mots où elle est aspirée comme héros, haricot, et dans des mots d’origine germanique (honte < germ. haunita; heaume < germ. helm; haubert < germ. halsberg) ou influencés par des mots germaniques : altum > aut et, sous l’influence de l’allemand hoch, haut. Dans d’autres mots comme huit, huile, huis, h indiquait que u voyelle ne devait pas être confondu avec u consonne (v).


Exemples de consonnes qui s’affaiblissent; intervocaliques[1], les sourdes deviennent des sonores ou disparaissent.

P > b > v :

ripam > rive ;

crepat > crève ;

sapam > sève ;

sapẹ́re > savoir ;

fabam > fève.

K[2] > g > i :

pacat > *pagat > paie ;

dicat > *digat > die ;

negat > nie.

T > d > đ > (zéro) :

vitam > vida > viđa > vie ;

crudam > cruda > crue.


Les consonnes doubles placées entre deux voyelles se maintiennent en se simplifiant : cappam > chape, mappam, mattam > nappe, natte (pron. nape, nate).

Les liquides (l, r) sont souvent soumises à la dissimilation (r devient l et réciproquement). Ex. : peregrinum > pèlerin, germ. heriberga > auberge, Arverniam > Auvergne, etc. Dans les groupes de trois consonnes la consonne du milieu disparaît ordinairement : rumpit > a. fr. ront ; servit, serv’t > sert; dormit, dorm’t > dort; computare, comp’tare > conter, etc[3].

La métathèse consiste en ce que la consonne change de place dans la même syllabe ou passe dans la syllabe qui précède immédiatement.

Ex. : formaticum > formage, fromage ; vervecem > berbis, brebis; *turbulare > torbler, fr. mod. troubler; *torculum, lat. vulg. *troculum > treuil.

Labiales : P, B

P, B initiaux restent.


Ex. :

  • patrem > père ;
  • parem > per, pair ;
  • pontem > pont ;
  • bonum > bon ;
  • bene > bien.


P intervocalique devient v, après être passé à b en latin vulgaire.


Ex. :

  • ripam > rive ;
  • lupam > louve ;
  • sapẹ́re > savoir ;
  • capillum > cheveu. Devenu final, il passe à f.


Ex. :

  • apem > ef (abeille) ;
  • *capum (pour caput) > chief.


Lǫpum est devenu lovumloum, lou (normand leu) d’où l’expression à la queue-leu-leu ; Chanteleu (nom de lieu); cf. supra).

Mots savants : apostre, chapitre, épistre, etc.

Groupes pl, pr à l’intérieur des mots

Pl, p’l devient bl ; duplum > double ; capulum, cap’lum > câble. Populum a donné peuple, mais poblo dans les Serments de Strasbourg (842).

Remarque 

Les mots comme : triple, couple, etc. sont des mots savants.


Pr, p’r, devient vr.


Ex. : capram > chèvre ; febrem > fièvre ; aprilem > avril; piperem, pip’rem > poivre ; leporem > lep’rem > lièvre ; seperare > sep’rare > sevrer ; operare, op’rare > ouvrer ; operarium, op’rarium > ouvrier ; pauperem > paup’rem > pauvre.


Dans les groupes pt, pd, ps le p tombe. Ex. : *adcaptare > acheter (capter est d’origine savante[4]) ; tepidum, tep’dum > tiède ; sapidum, sap’dum > sade[5] ; capsam > châsse ; *metepsimum > medesme, meesme, même. Le p a été rétabli dans sept, septembre (a. fr. set, setembre), etc., sous des influences savantes ; cf. sceptre, précepte, etc.


B initial reste, comme il a été dit plus haut. Intervocalique il s’est affaibli en v devant a, e, i, et il a disparu devant o, u.


Ex. :

  1.  
  2.  
    • debere > devoir;
    • hibernum > hiver ;
    • caballum > cheval ;
    • tabernam > taverne ;
    • subinde > souvent ;
    • cubare > couver.
    • sabucum > seü, su (dans su–reau) ;
    • *habutum > e-ü, eu ;
    • *debutum > de-ü, dû ;
    • *tabonem > taon.


Emprunts aux langues méridionales, probablement au provençal : abeille, cabane, ciboule, cabus (chou), etc.

Groupes bl, br à l’intérieur des mots

Le groupe bl, b’l reste sans changement.


Ex. :

  • sabulum > sable ;
  • stabulum > étable ;
  • tabulam > table.

Remarque 

Tôle et parole paraissent empruntés aux dialectes de l’Est où le groupe b’l vocalise le b en u.


Br, b’r devient vr.


Ex. :

  • libram > livre ;
  • *labram > lèvre ;
  • liberare, lib’rare > livrer ;
  • fabrum > fevre ;
  • februarium > février. De même que p disparaît dans les groupes pt, pd, b disparaît dans les groupes bt, bs, bv, bm. Ex. : dubitare > dub’tare > douter ; *subitanum, sub’tanum > soudain ; obscurum > oscur ; subvenire > souvenir ; submónere (lat. cl. submonḗre) > semondre, etc.

Dans les mots comme obscur, absent, obstiné, subvenir, observer, etc., le rétablissement du b est dû à une influence savante.


B devenu final passe à f comme p final. Ex. : trabem > tref; sébum > suif; mais le traitement de ce dernier mot est obscur.

Dentales : T, D

T initial persiste ; le groupe tr également. Terram > terre; trente, trembler, etc.

Tremere, devenu sans doute en latin vulgaire *cremere, a donné criembre en a. fr. et non *triembre; d’où, par suite de l’analogie des verbes en -aindre provenant de -angere, la forme moderne : craindre.


T intervocalique disparaît, après être passé par le stade đ.

Ex. : vitam > viđe, vie ; rotundum > redon, reond, rond ; *metallea> méđaille, meaille, maille[6] (médaille est une forme méridionale); *terratorium > terređoir, terreoir, terroir (prov. terradou). Cf. les nombreux mots en -oir. Les participes passés en -āta, -īta, -ūta donnent ée, ie, üe (parée, finie, venue).

Le maintien du t intervocalique s’explique par l’influence savante dans des mots comme : natif (à côté de naïf, forme populaire), créateur, nature, métal, etc. Dans matin t provient d’un double tt (mat’tinus pour matutinus) ; mâtin vient de mastin ; dans des mots comme pâture, pâte, etc., le maintien du t s’explique par une ancienne forme pasture, paste.

Groupes tr, tl

Tr : le t disparaît après être passé par đ : ordinairement r se redouble.


Ex. :

  • patrem > peđre, père ;
  • matrem > međre, mère ;
  • petram > pièđre > pierre ;
  • latronem > lađron > larron ;
  • nutrire > nođrir > nourrir ;
  • *petronem > peđron > perron ;
  • *materiamen, matriamen > merrain[7].


Des mots comme patrie, patrimoine, patron, sont des mots savants ; patrouiller est mis pour patouiller.


Tl[8] : t peut s’affaiblir en d puis s’assimiler à l suivant qui s’est quelquefois vocalisé.


Ex. : Rotlandum (pour Rotolandum) > Rodlant, Rollant ; spatulam > espadle, espalle, épaule.


Ordinairement ce groupe passe à tr.


Ex. :

  • epistolam, epis’tlam > epistle, épistre ;
  • apostolum > apostle, apostre ;
  • capitulum > chapitre ;
  • titulum > titre.


*Vetulum, devenu *veclum, a donné vieil. T final latin après voyelle (ou devenu final en français) s’est maintenu pendant quelque temps, jusqu’à la fin du xie siècle ; il se prononçait sans doute comme le th dur anglais; puis il a disparu.

Ex.: amat > aimet, aime; amatum > amét, aimé; finitum > finit, fini ; *perdutum > perdut, perdu ; virtutem > vertut, vertu ; bonitatem > bontét, bonté.

Dans sitim, lat. vulg. setem, par suite d’une influence non expliquée[9], t s’est transformé en f : soif.


T final (ou devenu final) après consonne se maintient et sonne en liaison. Ex. : dormit > dort ; venit > vient ; factum > fait ; dictum > dit.


T + s final devient z, qui en ancien français se prononçait ts.


Ex. :

  • amatus > amez (pron. améts) ;
  • natus > nez (pron. néts) ;
  • hostis > oz (pron. ots) ;
  • nostros > noz, nos.

D

D initial se maintient. Dos, devoir, dur, dormir, douleur.


D intervocalique disparaît en passant par đ.


Ex. :

  • audire> ouir;
  • *gaudīre (lat. cl. gaudere)> jouir;
  • sudare > suer ;
  • denudare > dénuer ;
  • videre > veoir, voir ;
  • sedere > seoir ;
  • laudare > louer ;
  • *codam > queue ;
  • fidelem > féal (fidèle est un mot savant), etc.


Des mots comme crudité, nudité, et beaucoup d’autres, dénoncent une influence savante.

Groupes dr, dl

Dr, d’r donne rr par disparition de d (devenu d’abord đ) et redoublement de r ; mais quelquefois aussi il reste un r simple.

Ces différences paraissent s’expliquer par la chronologie.

Ex. : ridere, rid’re > rire ; credere > croire ; claudere > clore ; cathedram > chaiére, chaire ; quadratum > carré ; hederam > ierre (lierre, mis pour l’ierre)


Dl, d’l, groupe très rare, donne dr dans les mots suivants : scándalum > esclandre ; Vándalum > Vandre (Vandale). Modulum a donné modle, molle, moule.


D devenu final disparaît, après voyelle, après s’être maintenu jusqu’à la fin du xie siècle, avec le son de th anglais doux.


Ex. :

  • nudum > nu ;
  • crudum > cru ;
  • fidem > foi ;
  • mercedem > merci.


Le d a été rétabli dans quelques mots pendant la période de la Renaissance.

Ex. : pedem > pied (a. fr. pié), nid, nœud, etc.


D final d’origine germanique se trouve représenté par f.


Germ. bed (all. mod. Bett) > bief. Cf. Elbeuf, Paimbœuf (de noms germaniques terminés en -bodo), et des noms propres de personnes comme Marbeuf < (Marbodo).


D devenu final après consonne s’est changé en t au début de la langue : grandem > grant, tarde > tart, subinde > souvent ; dans la plupart des cas la langue moderne a rétabli le d (mais en gardant pour certains mots le son t devant voyelle) : grand, tard, sourd, tourd.

Palatales : C[10], G

Groupes cl, cr initiaux

Les groupes cl, cr initiaux se sont maintenus.


Ex. :

  • clausum > clos ;
  • crudum > cru ;
  • crucem > croix.


Il y a cependant quelques exemples d’affaiblissement, qui s’expliquent par la phonétique syntactique[11]. Classicum > glas ; crassum > gras (influence de gros ?) ; craticulam > greïlle, grille.


C initial + voyelle. Ici il faut distinguer trois cas : 1er co, cu[12]; 2e ca; 3e ce, ci (lat. ke, ki).

Tableau des points de formation contre le palais des groupes ca, ce, ci, co, cu, en réalité : ka, , ki, ko, kou, et des groupes ga, ge, gi, go, gou[13].

K dans ki, ke (et ) est dit prépalatal, c’est-à-dire formé dans la partie antérieure du palais dur ; k + a est dit médiopalatal ; ko, ku, postpalatal (palais mou).

1)

Dans les groupes co, cu, c reste.


Ex. :

  • cor > cœur ;
  • cotem > queux (pierre à aiguiser) ;
  • coquum > queux (cuisinier) ;
  • codam (pour cauda) > queue ;
  • curam > cure ;
  • corium > cuir.
2)

Ca. Pour ce groupe il suffit de rappeler ici sommairement ce que nous avons dit à propos de a.

Le groupe ca initial accentué donne ch + ie, si a est libre : carum > chier; *capum > chief; canem > chien; capram > chièvre.

Caulem donne chou et causam, chose. Ici l’a n’est pas pur : il y avait une diphtongue ; le traitement n’a pas été le même que si l’a avait été pur.

Si a est entravé, le groupe se maintient sans changement : cameram, cam’ram > chambre; cantat > il chante ; campum > champ.

Quand le groupe ca est avant l’accent, le c se change en ch (a passe à e, s’il est libre, et reste a s’il est entravé[14]) : cabállum> cheval; camísiam > chemise; camínum> chemin; carbónem > charbon.


Le traitement de ca initial est un des traits qui distinguent le plus nettement la langue d’Oc de la langue d’Oïl ; cependant, d’une part dans les dialectes méridionaux qui forment la frontière linguistique avec la langue d’Oïl, c + a initial passe à ch; par exemple en périgourdin, limousin, auvergnat, dauphinois, etc.

D’autre part deux dialectes importants de la langue d’Oïl, le normand et le picard, gardent le groupe ca intact : rescaper, cantel, castel, le Cateau, Cambrai (et non Chambrai), etc.

Beaucoup de mots commencent par ca dans le français moderne : ce maintien de ca s’explique par des emprunts (langues du Midi, normand, mots savants, mots anglais, allemands, etc.).

3)

C initial suivi de e, i donne s dure, écrite ordinairement c[15].


Ex. :

  • ceram > cire ;
  • cinerem > cendre ;
  • centum > cent ;
  • cilium > cil.


*Circare > a. fr. cerchier, fr. mod. chercher, par assimilation du premier phonème (c) au second (ch).

C appuyé initial d’une syllabe à l’intérieur d’un mot

Lorsque c est, à l’intérieur d’un mot, précédé d’une consonne, et qu’il commence une syllabe (per-currere), le traitement dépend, comme quand il est initial d’un mot, de la voyelle qui le suit.

1)

Cons. + co, cu ; c se maintient : percurrit > parcourt; sarcófagum > sarcou, sarcueu, cercueil; mais verecundiam > vergogne, parce que le c s’est affaibli avant la chute de e qui précède. De même les suffixes -dicum, -ticum ont donné je, ge, par suite de l’affaiblissement de c en g en latin vulgaire ; le g s’est ensuite fondu dans l’i qui le précédait.


Ex. :

  • *aetaticum > eage, âge ;
  • *coraticum > courage ;
  • formaticum > fromage ;
  • medicum > miège (médecin) ;
  • *pedicum > piège ;
  • *sedicum > siège ;
  • *silvaticum > sauvage.
2)

C suivi de a commençant une syllabe après une consonne à l’intérieur d’un mot devient ch ou g.


Ex. :

  1.  
  2.  
    • buc|cam > bouche ;
    • man|cam > manche ;
    • pec|catum > pechiét, péché ;
    • vac|cam > vache.
    • fabricare, fabr’care > forgier ;
    • fabricam > forge ;
    • *carricare > chargier ;
    • delicatum, del’catum > delgiet (délicat).
3)

C + e, c + i commençant une syllabe après consonne donnent s dure écrite ordinairement c.


Ex. :

  • rumicem > rum’cem > ronce ;
  • medicinam > med’cinam > mecine (médecine, mot savant).

C intervocalique

Il faut distinguer ici aussi le point d’articulation.

  1. Postpalatal, c’est-à-dire devant o, u (ou), c intervocalique disparaît.
    1. Avant l’accent : secúrum > seür, sûr; *placútum > pleü, plu; *tacútum > teü, tu.
    2. Après l’accent : paucum > pou (peu); raucum > rou; focum > fueu, feu.
  2. Voyelle + ca.
    1. Après o, u, c disparaît.

Jocat > il joue; locat > il loue; advocatum > avoué (avocat, forme savante ou méridionale).

    1. A, e, i + c : c passe à yod, qui se confond quelquefois avec la voyelle précédente (i).

Pacat > paie; necare > neier, noyer; plecare > pleier, ployer; picam > pie ; *ficam> fie (figue est d’origine méridionale). Dicam > q. je die est très régulier.

  1. Voyelle + ce, ci. C se transforme en s (pron. z), en dégageant un i (is).
  1. Placere > plaisir; tacere > taisir; *racīmum (pour racemum) > raisin ; coquinam > cocinam (pron. cokina) > cuisine.

C final

C latin final devient i dans fac > fai(s) ; il se maintient dans apud hoc > avec, per hoc > a. fr. poruec, sine hoc > senuec, et tombe dans ecce hoc > ço, ce ; illac > la ; ecce hac > ça.

Devenu final dans des mots comme vocem, nucem crucem, vicem, il s’est transformé en z après avoir dégagé un i : voiz, noiz, croiz, foiz ; cf. encore perdīcem > perdiz (perdrix) ; ce z est devenu ensuite s et cette s elle-même a été remplacée dans la langue moderne par x, en souvenir du nominatif latin en x (voix, croix, noix, mais fois).


Le groupe final latin ce, précédé d’une consonne, donne s dure, marquée ordinairement par c. Ex. : pulicem, pul’cem > puce ; pollicem, poll’cem > pouce. Cf. cependant onze, douze, treize, au lieu de once, etc. Quand le groupe latin co, cum est final, le c se maintient s’il était double (beccum > bec ; siccum > sec) ou s’il était précédé d’une consonne : porcum > porc; clericum > clerc; arcum > arc; *blancum > blanc.

Si ce groupe co, cum était précédé en latin d’une voyelle, le c se transforme en i après a, comme dans l’exemple donné plus haut fac > fai; Cameracum[16] > Cam’racum > Cambrai ; précédé de i, il se transforme en i et se confond avec la voyelle précédente : amicum > ami ; spicum > épi ; précédé de ę́ (ouvert et accentué) il se joint à la diphtongue ie qui provient de cet e (cf. supra le traitement de ę́ ; la triphtongue ainsi obtenue (iei) s’est réduite, dans la période prélittéraire, à i : nec > ni, *preco (lat. cl. precor) > pri ; nego > nie. Après u il disparaît : *festucum (lat. cl. festucam) > fêtu, sambucum > seü, su (sureau).

C + consonne

C + s (représenté par x) donne is.


Ex. :

  • axem > ais ;
  • coxam > cuisse ;
  • buxum > buis ;
  • uxorem > oissor (épouse) ;
  • maxillam > maisséle (mâchoire).


C + t > it.


Ex. :

  • factum > fait ;
  • dictum > dit ;
  • pectus > piz (poitrine) ;
  • lectum > lit;
  • noctem > nuit ;
  • octo > huit[17] ;
  • tructam > truite ;
  • fructum > fruit ;
  • lactucam > laitue. C + r > ir.


Ex. :

  • facere, fac’re > faire ;
  • dicere, dic’re > dire ;
  • lacrimam > lairme, lerme, larme.


C + l > l mouillée (marquée par il à la finale, ou ill à l’intérieur des mots).


Ex. :

  • soliculum, solic’lum > soleil ;
  • vermiculum, vermic’lum > vermeil ;
  • *conuculam, conuc’lam > quenouille ;
  • auriculam, auric’lam > oreille;
  • vetulum, vec’lum > viel.


Cf. cependant un traitement différent dans aquilam > aigle, ecclesiam > église, et dans des mots comme aveugle, spectacle, miracle, siècle, règle, qui sont sans doute des mots savants ; seigle (lat. vulg. sécale) paraît être un mot dialectal.

Quand le groupe cl est précédé d’une consonne, le c se maintient : avunculum > avunc’lum > oncle ; cooperculum, cooperc’lum > couvercle ; circulum, circ’lum > cercle.

Dans le groupe scl le c tombe. Ex. : masculum > masle, mâle; *misculare > mesler, mêler; musculum > mousle, moule[18].


Le groupe qu (pron. kou, kw) n’est intéressant que dans quelques mots : coquina, equa, aqua, *sequere (lat. cl. sequi). Le traitement est obscur et chaque mot est traité pour ainsi dire différemment.

Coquina : ce mot est devenu cocina (cokina) dans le latin vulgaire, d’où cuisine (où la diphtongue ui s’explique d’ailleurs par un emprunt aux formes du verbe cuire). Aqua[19] donne aive, ève (cf. évier) ; ensuite eawe, eaue, eau.

Equa (jument) devient ive, comme sequere, sivre.

Aequalem donne égal, par affaiblissement du q intervocalique en g.

G[20]

Initial suivi d’une consonne (gl, gr) g reste. Grand, grain, gland, grenade.

Initial suivi d’une voyelle : le traitement est différent suivant la voyelle.

1)

Devant o, u (go, gu, c.-à-d. gou) g se maintient.


Ex. :

  • gustare > gouster ;
  • *gurgam, gǫ́rgam > gorge
2)

G suivi de a, e, i est devenu j (écrit souvent g).


Ex. :

  • galbinum > jaune;
  • *gaudiam > joie ;
  • gallinam > jeline (poule) ;
  • gemere > geindre ;
  • genuculum > genou.


Comme pour le groupe ca initial, la plupart des dialectes du midi de la France ont conservé le g latin du groupe ga initial : de même le normand et le picard. C’est à ces derniers dialectes ou à des dialectes méridionaux que sont empruntés les mots français commençant par ga, comme galet, galette (normand ?); gabelle, gabarre (provençal); gabion (italien), etc. G initial d’une syllabe après une consonne, à l’intérieur d’un mot, a suivi la même règle qu’à l’initiale.


Ex. :

  • largam > large ;
  • purgare > purger ;
  • vergam > verge ;
  • Andegavum > Anjou ;
  • virginem > vierge ;
  • angelum > ange.


Mais Burgundiam > Bourgogne ; angustiam > angoisse.

G intervocalique

Le sort de g intervocalique dépend, comme pour le c, des voyelles avec lesquelles il est en contact.

1)

Voyelle + gu, go : g disparaît.


Ex. :

  • *agurium > eür, eur(boneur, maleur);
  • *agustum > aoust, août ;
  • legumen > leün ;
  • Hugonem > Huon.
2)

Voyelle + ge, gi : g disparaît.


Ex. :

  • reginam > re-ïne, reine ;
  • vagīnam > ga-ïne, gaine ;
  • sigillum > se-el, seau (sceau) ;
  • *faginam > fa-ïne, faîne.
3)

Voyelle + ga.

a)

Après une voyelle vélaire (o, u) la palatale (g) disparaît sans laisser de trace.


Ex. :

  • rūgam > rue ;
  • sanguisugam > sangsue.


Dans rogare > rover (interroger), le v doit s’être développé comme dans pou-ons devenu pouvons.

b)

Après une autre voyelle (a, e, i) g se change en yod (i, y).


Ex. :

  • legalem > leial, loyal ;
  • regalem > reial, royal ;
  • legamen > leien, lien ;
  • plagam > plaie.

G final

G n’existait pas à la finale en latin. Quand il est devenu final en passant en français il s’est durci en c après une consonne: longum > lonc; largum > larc; *sanguem (lat. cl. sanguinem) > sanc; germ. ring > ranc. L’orthographe moderne a rétabli le g, qui sonne c devant une voyelle.

Après voyelle il est traité comme intervocalique (ce qu’il était en réalité) et est devenu i : regem > roi ; legem > loi.

G + consonne à l’intérieur d’un mot

G suivi d’une consonne à l’intérieur d’un mot (g’t, g’d, gr) se change en i.

Ex. : digitum, dig’tum > doit (doigt, orthographe moderne) ; frigidum, frig’dum > froid ; fragrare > flairer ; nigrum > noir ; Ligerim, Lig’rim > Loire.


Groupe gn. Ce groupe donne n mouillée, représentée par gn; à la finale cette n s’est asséchée dans la prononciation moderne, en nasalisant la voyelle précédente.

Ex. : pugnum > poin(g) ; signum > sein(g) ; plantaginem, plantag’nem > plantain ; propaginem > provain (fr. mod. provin).

Exemples de gn non final : *insigniam > enseigne ; pugnam > poigne ; agnellum > agneau ; *dignare (lat. cl. dignari) > deignier, daigner.

Quand le groupe gn était suivi d’une consonne, gn donnait à l’intérieur d’un mot in. Ex. : dignitatem, dign’ tatem > deintiet (fr. mod. dignité, mot savant); cognitam, cogn’tam > cointe.


Groupe ng + voyelle. Le g se maintient devant o, u accentués : angustiam, angọ́stiam > angoisse ; anguillam > anguille. Devant e accentué g forme avec n une n mouillée : plangentem > plaignant. Après l’accent, g disparaît à l’infinitif des verbes en -ángere, -ingere, plangere > plaindre; cingere > ceindre.


Gl a donné l mouillée. Ex. : vigilare, vig’lare > veiller; coagulare, cag’lare > cailler. Règle est un mot savant.


Groupe gu. Le traitement le ce groupe n’est intéressant que dans quelques mots d’origine germanique. Cf. infra, le traitement du w.

À l’intérieur des mots le groupe gu, précédé de n, se maintient sous forme de g dur (gu devant e, i) dans les mots d’origine latine : *linguaticum > langage; unguentum > onguent ; *sanguinum > sanguin.

Dans legua, d’origine celtique, le g tombe et l’u forme avec la diphtongue provenant de ę́ la pseudo-triphtongue ieu : d’où lieue.

Le mot d’origine germanique tregua a donné également trieue; mais u s’y est aussi consonifié dans la forme trieve, trêve.

I (J)

La prépalatale i[21] sera étudiée en partie à la fin du consonantisme. Ici nous ne nous occuperons que de son traitement à l’initiale, où elle devient j (g).


Ex. :

  • iocum > jeu ;
  • *iocare > jouer ;
  • iacere (pron. yakẹ́re) > gésir ;
  • *iuniciam > génisse ;
  • iuniperum > genièvre.

V, F

V et F persistent à l’initiale.


Ex. :

  • vinum > vin ;
  • vendere > vendre ;
  • fragilem > fraile, frêle,
  • *ficam > fie (figue) ;
  • ferrum > fer.


Cependant vicem a donné fois (et non vois) et vervecem berbis-brebis (on admet pour ce dernier mot que dans le latin vulgaire il était devenu déjà *berbecem, ou plutôt *berbīcem).

Dans d’autres mots v initial, par analogie avec les mots d’origine germanique, a donné gu, g (= g dur).


Ex. :

  • vadum > gué ;
  • vastare > gaster ;
  • Vasconiam > Gascogne ;
  • *vulpículum > goupil (renard) ;
  • vervactum > guéret ;
  • viperam > guivre.


Intervocalique v subsiste devant a, e, i.


Ex. :

  • avarum > aver (avare) ;
  • vivat > vive ;
  • bovarium > bouvier ;
  • *lixivam > lessive.


Il disparaît devant o, u.


Ex. :

  • pavorem > paour, peour, peur ;
  • pavonem > paon ;
  • avunculum > oncle ;
  • oviculas > oueilles, ouailles. Le traitement de f intervocalique est obscur. En général elle disparaît.


Ex. :

  • *bifacem > biais ;
  • deforis > dehors ;
  • *refusare > reüser, ruser ;
  • *scrofellas[22] > écrouelles.


F finale s’amuït quand elle est suivie de s.

On disait autrefois : uns sers, uns cers et au cas régime un serf, un cerf.

Des traces de cet amuïssement sont restées dans œuf et bœuf, que l’on écrit au pluriel œufs et bœufs, mais que l’on prononce eu et beu.


Le v devenu final en français s’est durci en f.

Ex. : vivum > vif; captivum > chaitif, chétif; navem > nef; clavem > clef.


Les groupes de consonnes formés avec v sont peu importants. Citons cependant le groupe lvr dans des mots comme absolvere, absolv’re > absoudre ; pulverem > pulv’rem > poudre, où le v a disparu et où un d s’est intercalé. Dans les autres groupes comme v’g, v’t, v’n, v disparaît : navigare, nav’gare > nager; civitatem, civ’tatem > cité ; juvenem, juv’nem > jeune (au début juefne).

Cf. de même pour f (ph) + n : *Estephanum > Etienne; antephonam > antienne. Cependant f s’est maintenue en dissimilant n en r dans : *cofinum > coffre.

S

S était dure (sourde) en latin. Elle l’est restée, en français, à l’initiale: soir, sel, sœur, salut et, à l’intérieur d’un mot, quand elle commence une syllabe : ver|ser, our|se, etc. Seuls les mots d’emprunt comme Alsace, balsamique, ont, dans ce dernier cas, une s sonore (z).

Intervocalique elle est devenue sonore : chose, rose, pause, trésor, etc.


S + consonne (ou x, c’est-à-dire cs, + consonne), à l’intérieur d’un mot : s s’est amuïe, dans la langue moderne, en allongeant la voyelle qui précède (allongement marqué ordinairement par un accent circonflexe).


Ex. :

  • insulam > isle, île ;
  • elemosinam, el’mos’nam > aumosne, aumône ;
  • fraxinum > fresne, frêne ;
  • asinum > âne.


Dans les groupes s’r, sc’r (devenu cs’r) un d ou un t se sont introduits avant la chute de s.


Ex. :

  • consuere > cousdre, coudre ;
  • *essere > estre, être ;
  • pascere, pacs’re > paistre, paître ;
  • cognoscere, cognocsere > conoistre, connaître.


Les groupes suivants sp, st, sc sont plus fréquents : s disparaît et la voyelle s’allonge.


Ex. :

  • *crispare > cresper, crêper ;
  • costam > coste, côte ;
  • gustum > goust, goût ;
  • a(u)gustum > aoust, août ;
  • *piscare > peschier, pêcher.


De nombreux mots d’emprunt ont gardé s devant p, t, c. Ce sont des mots savants ou des mots empruntés aux langues méridionales de l’Europe.

Ex. : Bastion, bastide, suspect, suspicion, sustenter, substantif, aspérité (cf. âpreté), épiscopal (mais evesque, évêque, etc.).


Groupes sc, sp, st à l’initiale. En latin vulgaire un e (i) était venu se placer devant s : on disait estatua, escribere ou istatua, iscribere, etc.

E est resté et s a fini par s’amuïr.


Ex. :

  • stabulum > estable, étable;
  • scalam > eschelle, échelle ;
  • scribere > escrire, écrire ;
  • stoppam > estoupe, étoupe ;
  • sponsam > espouse, épouse.


Les dialectes du Midi ont conservé s dans ce cas-là : escriure, estable, etc.

Les mots commençant pas esc, est, esp sont nombreux en français : mais la plupart sont des mots savants ou des mots empruntés aux langues méridionales (provençal, italien, espagnol). Escalade, estampe, espion, esprit, estomac, escargot, escalier, escarpe, esquille, estacade, estrade (a. fr. estrée), etc.

L’histoire de l’amuïssement de s dans ces groupes est intéressante, mais compliquée. Il semble s’être produit du xie au xiiie siècle. L’orthographe a gardé longtemps s et l’Académie ne l’a supprimée que dans la 3e édition (1740) de son Dictionnaire.

Z

Z n’existait en latin que dans les mots empruntés au grec. *Zelosus est traité comme si on avait écrit ou prononcé ielosus et a donné jalous (jaloux). Dans Lázarum z est traitée comme s; d’où Lazarum > Laz’rum > lasdre, ladre.

Les mots commençant par z en français sont empruntés au grec ou au grec latinisé (zèle, zone, zodiaque, zoologie) ou aux langues orientales (arabe zénith, zéro, etc.).

Nasales : M, N

M initiale se maintient, sauf dans quelques mots où elle s’est changée en n.


Ex. :

  • mappam > nappe ;
  • mattam > natte ;
  • *mespulam > nèfle.


M double à l’intérieur des mots s’était réduite à m; elle a été rétablie dans l’orthographe.


Ex. :

  • flammam > flame, flamme ;
  • summam > some, somme ;
  • gemmam > geme, gemme.


On a prononcé autrefois : flan-me, son-me, avec la première voyelle nasalisée. Cette nasalisation paraît s’être maintenue jusqu’au xvie siècle.

Le groupe mn, m’n avait été traité comme mm et la voyelle qui précédait était aussi nasalisée.

Ex. : feminam > femme (a. fr. feme, prononcé fan-me) ; hominem > ome, pron. on-me; somnum > some, somme ; dominam > dame : nominare, nom’nare > nomer, nommer.

Nm, groupe plus rare, se réduit à m, en allongeant la voyelle précédente. Ex. : animam, an’mam > âme (au début aneme, an-me); Hieronimum > Jérôme.

Dans des mots comme damner, condamner, m a été rétablie par une réaction orthographique. Des mots comme automne, calomnier, hymne, omnipotent, etc., sont d’origine savante. Columnam a donné colonne et colombe (terme de métier).


Dans les groupes secondaires m’l, m’r un b s’intercale. Ex. : insimul, insim’l > ensemble; humilem, hum’lem> humble; cumulare > combler; *tremulare > trembler; numerum, num’rum > nombre; *cameram > chambre; Cameracum > Cambrai ; rememorare, remem’rare > remembrer.


M entre deux consonnes disparaît.

Ex. : dormis > dors (le radical verbal dorm- reparaît dans dorm-ons, dorm-e, etc.); dorm(i)torium > dortoir ; Firmitatem, Firm’tatem > (La) Ferté; vermis > vers (cas sujet ; cas régime verm, ver).


M devenue finale en français s’écrit tantôt n, tantôt m. Ex. : aeramen > airain; famem > faim; examen > essaim; *racīmum (lat. cl. racĕmum) > raisin.


N initiale se maintient. Nez, net, nom, nain.

Cependant (u)nicornam a donné par dissimilation licorne et non nicorne.


N à l’intérieur d’un mot, après l’accent et après les consonnes p, f, d, t, c, g passe à r.


Ex. :

  • tympanum > timbre ;
  • *cofinum > coffre ;
  • Londinos > Londres ;
  • diaconum > diacre ;
  • Lingones > Langres ;
  • pampinum > pampre.


N intervocalique reste.


Ex. :

  • lanam > laine;
  • lunam > lune ;
  • donare > doner[23] ;
  • bonam > bone (bonne). Mais il se produit une dissimilation de n en l dans les mots suivants, où deux syllabes consécutives commencent par n.


Ex. :

  • Bononiam > Boulogne;
  • *orphaninum > orphelin ;
  • *gonfanonem > gonfalon.


Groupe n’r : un d s’intercale.

Ex. : venerisdiem, ven’risdiem > vendredi ; cinerem, cin’rem > cendre ; ponere, pon’re > pondre ; tenerum, ten’rum > tendre ; generum > gendre.

Les parfaits vindrent, tindrent (3e pers. plur.) existaient encore au temps de Vaugelas.

Dans les verbes en -ángere, -éngere (-ingére), -úngere le groupengr est traité comme n’r : plaindre, enfreindre, ceindre, peindre, poindre, joindre, etc.


Les groupes gn, ng à l’intérieur d’un mot donnent n mouillée (écrite gn, et quelquefois ign)

Ex. : agnellum > agneau; fingentem > feignant (écrit fainéant par une fausse étymologie) ; plangentem > plaignant; jungentem > joignant; cf. plus haut, traitement de g.

Pour le groupe ni cf. la fin du consonantisme.


N finale d’un mot disparaît devant s.

Ex. : jorn (cas régime singulier), mais jors (cas sujet singulier et cas régime pluriel; diurnus, diurnos); de même furnurn > forn, furnus ou furnos > fors; ivern et ivers, etc.

Liquides : L, R

L initiale se maintient, sauf dans niveau pour liveau (de libellum). Le groupe l’r intercale un d; il en est de même pour le groupe lv’r où le v est tombé, et d’autres groupes où l est en contact avec r.

Ex. : tollere, toll’re > toldre; molere > moldre, moudre; absolvere > absoudre ; resolvere > résoudre. Cf. *fulgurem > foudre.

Pour le groupe t’l, cf. supra, au traitement de t.

Pour *vetulum, cf. supra, au traitement de cl.


L mouillée : cl, g’l, lj, à l’intérieur d’un mot, deviennent l mouillée (écrite ll et ill, comme dans fille, mouiller).


Ex. :

  • *solic’lum > soleil ;
  • *somnic’lum > sommeil ;
  • vermic’lum > vermeil ;
  • vigilare > veiller ;
  • paleam, paliam > paille ;
  • maculam > maille ;
  • filiam > fille.


L vocalisée : l s’est vocalisée devant consonne après a, e, i, o; après u elle disparaît (pulicem > puce).


Ex. :

  • malvam > mauve;
  • albam > aube;
  • altam > haute;
  • talpam > taupe;
  • Aldam > Aude;
  • falsum > faux;
  • capilles > chevels, cheveux ;
  • illos > els, eux.


Les pluriels des noms en el, al ont été formés ainsi : cheval + s > chevaus, chevel + s > cheveus ; uels > ieus, yeux : le signe abréviatif de us des manuscrits a été pris pour x et cette lettre est ainsi devenue dans les mots en al, el, etc., le signe du pluriel.

Cette vocalisation de l s’est produite aux xie--xiie siècles sans qu’on puisse fixer d’une manière précise la date de ce changement ; mais il semble que la vocalisation était commencée, pour certains mots et dans certains dialectes, depuis le ixe siècle et qu’elle était terminée au début du xiie. Seulement, dans l’écriture, l s’est maintenue alors qu’elle était déjà vocalisée.

R

R se maintient à l’initiale. Intervocalique également. Mais les cas de dissimilation de r en l ne sont pas rares.


Ex. :

  • peregrinum > pèlerin ;
  • *paraveredum > palefroi ;
  • *frigorosum > frireux, frileux.


Cf. encore : germ. heribergam > alberge, auberge.


R intervocalique a une tendance à passer à z : au xvie siècle les dames parisiennes prononçaient pèze, mèze pour père, mère. Cf. Clément Marot, Épitre au biau fils de Pazy. C’est ainsi que s’expliquent les formes actuelles besicles (pour bericles) et surtout chaise pour chaire < cathedram.


Groupes br, pr : r devient quelquefois l par dissimilation.


Ex. :

  • cribrum > crible ;
  • Cristophorum > Cristofle ;
  • tempora > temple (auj. la tempe).


Fr se dissimile en fl dans fragrare > flairer.


R finale s’est amuïe dans les infinitifs en -er et dans les mots en -er, -ier (boucher, premier), excepté dans les monosyllabes : pair, cher, hier, fier. Elle a dû sonner régulièrement jusqu’au xvie siècle et on sait que les rimes mer : aimer, appelées rimes normandes, ne sont pas rares chez Corneille.

R est aussi sujette à la métathèse. Ex. : *berbicem > brebis[24]; *formaticum > fromage; torculum, troculum > treuil; temperare > tremper; *turbulare > troubler; *adbiberare > abevrer, abreuver.

Enfin, dans certains mots, une r adventice s’est introduite, sans doute sous l’influence d’une autre r existant déjà ou pour des raisons obscures (analogie). Les principaux exemples de ce phénomène sont : perdicem > perdrix; tesaurum > trésor; cannabim > chanve et chanvre; incaustum, encaustum > enque[25], encre ; fundam > fonde, fronde.

Consonnes germaniques

L’étude du traitement des consonnes dans les mots d’origine germanique est intéressante, mais assez compliquée. Nous ne parlerons ici que de deux ou trois consonnes. D’une manière générale, elles ont été traitées comme les consonnes latines correspondantes.


Le germanique avait un phonème[26] correspondant au double w; en initiale il est devenu g, gu (déjà sans doute en latin vulgaire).

Ex. : werra (cf. anglais war) > guerre ; warda > garde ; wahta > lat. vulg. guacta > gaite (masc. guet; dérivés guetter, guetteur, guet-apens) ; warnjan > lat. vulg. warnire, guarnire > garnir ; Wido > Gui ; Widónem > Guyon ; Waltári > Gautier ; Winilónem > Guenelon, Ganelon; cf. encore Garnier, Guérard, Guérin, Guillaume, etc.

À l’intérieur d’un mot w d’origine germanique est traité comme v dans : sparwari > épervier, et dans le nom propre Hluthawig, devenu Clothavig, Cloevis, Clovis. Chlodowig, lat. vulg. Lodovicus donne en a. fr. Looïs, fr. mod. Louis.

Enfin w final se vocalise en u : blaw (all. moderne blau) > bleu.

H était un signe d’aspiration dans les dialectes germaniques : elle s’est maintenue, comme signe orthographique, à l’initiale et devant voyelle, dans les mots français qui dérivent de mots germaniques commençant par h : halsberg > haubert, helm > heaume, haga > haie.

Semi-voyelle

I

Les principaux groupes où entre i semi-voyelle (yod) sont les suivants: pi, bi, vi ; ti, di, sti, si ; ci, gi ; li, ni.


Pi donne ch.


Ex. :

  • sapiam[27] > q. je sache;
  • *appropiare > approchier ;
  • Clipiacum > Clichy.


Pigeon (au lieu de *pichon) s’explique sans doute par un affaiblissement de pipionem en pibionem dans le latin vulgaire.


Bi, vi > j écrit souvent g.


Ex. :

  • gobionem > goujon ;
  • *rabiam (rabiem) > rage ;
  • rubeum, rubium > rouge ;
  • cambiare > changier ;
  • diluvium > déluge ;
  • abbreviare > abrégier ;
  • *sabium (au lieu de *sapius, sapiens) > sage.


Le groupe ti, entre deux voyelles (po-ti-onem) donne is (= iz).


Ex. :

  • potionem > poison ;
  • sationem > saison ;
  • rationem > raison ;
  • titionem > tison (pour tiison) ;
  • *minutiat > il menuise (du verbe menuiser) ;
  • otiosum > oiseux ;
  • palatium > palais.

Remarque 

Les mots comme absolution, dévotion, révolution, etc., sont des mots savants.

Des mots comme grâce, espace et négoce, paraissent aussi des mots d’emprunt.

Justice, service (lat. justitia, avaritia) paraissent avoir subi aussi une influence savante : de même pour richesse (lat. vulg. *riketia) et franchise (lat. vulg. *franketia).


Lorsque le groupe ti est précédé d’une consonne, il donne ss (écrit aussi c, ou z).


Ex. :

  • *captiare > chasser ;
  • *directiare > dresser;
  • *tractiare > tracer ;
  • nuptias > noces ;
  • cantionem > chanson ;
  • altiorem > alzor ; cf. forzor, gensor, aux comparatifs ;
  • infantiam > enfance ;
  • suffixes en -ance (de -antia), en -ence, ense (de -entia). Sti > iss.


Ex. :

  • angustiam > angoisse ;
  • *frustiare > froisser.


Di > i (y) et j à l’initiale.


Ex. :

  • *gaudiam > joie ;
  • medietatem > meitiet, moitié ;
  • *modiolum > moyeu ;
  • medianum > moyen.
  • Initial:
  • diurnum > jorn, jour ;
  • *deusque, diusque > jusque.


Si > is.


Ex. :

  • *clausionem > cloison;
  • mansionem, masionem > maison ;
  • tonsionem, tosionem > toison ;
  • basiare > baisier (baiser) ;
  • *pertusiat > il pertuise (perce).


Ki > c (prononcé ts au début).


Ex. :

  • *aciarium > acier ;
  • *glaciam (pour glaciem) > glace ;
  • faciam (pour faciem) > face ;
  • faciam > (que je) face, fasse.


Après consonne :

 

  • lanciam > lance ;
  • Franciam > France.


Solacium, bracchium et lacium (pour laqueum) ont donné : soulas, bras, las (écrit lacs), à l’origine solaz, braz, laz c’est-à-dire solats, brats, lats.


Li donne l mouillée, ni donne n mouillée. Ndi aboutit aussi à n mouillée.


Ex. :

  • aliorsum > ailleurs ;
  • mulierem > moillier (femme) ;
  • *molliare > mouiller ;
  • *metalliam (pour metalleam) > meaille, maille;
  • consilium > conseil ;
  • paleam > paille[28].
  • *companionem > compagnon ;
  • seniorem > seignor ;
  • *balneare, *baniare > baignier ;
  • Campaniam > Champagne ;
  • Ispaniam > Espagne ;
  • Burgun(d)iam > Bourgogne ;
  • verecun(d)iam > vergogne.


Dans quelques mots où ni n’était pas primitif, l’i s’est consonifié, au lieu de mouiller la nasale.


Ex. :

  • extraneum, extranium > estrange ;
  • lineum, linium > linge ;
  • laneum, lanium > lange.


Mi, mni > nj, ng.


Ex. :

  • vindemiam > vendange ;
  • somniare > songier ;
  • *dominionem > donjon ;
  • *dominiarium > dangier (puissance).

U (W)

Pour son traitement dans les groupes qu, gu, cf. supra, traitement du c. U latin égale ou français.

En dehors de ces cas, u devient v après d dans des mots comme viduam > vedve, veuve. De même après l et n : annualem > anvel (annuel est moderne), januarium > janvier ; februarium est devenu febrarium, en latin vulgaire : d’où février. Au parfait des verbes (parfaits en -ui), u s’est maintenu ou a disparu ; cela dépend de la voyelle du radical ; cf. la conjugaison des verbes en -re et en -oir.

Prononciation[29]

Aux environs de l’an 1100 la prononciation des principales voyelles, diphtongues et consonnes était la suivante.

Voyelles

A était bref et probablement ouvert.

Il y avait trois sortes d’e : e ouvert (fr. mod. é), e fermé (fr. mod. é) et e dit muet, féminin ou labial. Ces e sont différents l’un de l’autre et n’assonent pas ensemble.

Le premier provenait, quand il était tonique, de ę́ (ouvert) entravé[30] du latin vulgaire : pert, set (sept), bel, nouvel, fer, merle, etc.

E fermé provenait, quand il était tonique, de (fermé) latin entravé[31] : mes < lat. cl. missum, lat. vulg. mẹ́ssum; sec < siccum, lat. vulg. sẹ́ccum, etc. E fermé provenait aussi de a latin libre : faba > fève ; pratum > pré(t) ; nasum > nés (nez) ; rasum > rés (rez), etc.[32] Vers le milieu du xiie siècle cet e est devenu ouvert devant une consonne : d’où messe (prononcé messe), fève au lieu de féve; mais à la fin des mots il est resté é fermé: aimé, porté, pré, etc.

E dit muet ou féminin était toujours atone. Ex. protonique[33] : gesir, ferir, veoir, seoir, perir, conquerant, fesis (parfait de faire, 2 p. sg.), desis (de dire), etc. Posttonique : marbre, temple, fève, faire, etc.


E ouvert accentué suivi de l devient éa puis ; on a ainsi la combinaison eal, puis eau ; cf. supra.


Il existait deux o, un o ouvert et un o fermé.


O ouvert tonique provenait de ǫ latin entravé (dórsum > dos), du latin au (aurum > or; thesaurum > trésor; fabricam > faurgam > forge).


O fermé était prononcé comme notre o fermé et peut-être comme notre ou : mais vers 1100 la graphie est o. Il provient, à la tonique, de ō et ŭ latins. Cf. supra.


U et i étaient prononcés comme dans la langue moderne.

Diphtongues

Les diphtongues les plus importantes étaient les suivantes.


Ai, prononcée avec a (comme dans bataille) à l’origine de la langue, puis prononcée comme aujourd’hui dans fait, chaîne, faîne. Aux environs de 1100 on la prononçait déjà ainsi. La diphtongue au se prononçait aou (et non comme aujourd’hui o).


Ei, prononcé avec e fermé, devient oi vers le milieu du xie siècle.


Oi[34] se prononce óï au début du xiie siècle : au xiiie siècle il devient , plus tard oué, et enfin oua dans la langue moderne.


Ou[35] se prononçait óou dans des mots comme pout < potuit, sout < sapuit, out < habuit, pou < paucum, rou < raucum ; dous < duos, sour < super, etc.


Ue, provenant de o ouvert, comme dans nuef < nǫ́vem et nǫ́vum, buef < bǫ́vem, prueve < prǫbat, se prononçait üé : cette diphtongue est devenue eu (œ) à partir du xiiie siècle.

Voyelles nasales

Les principales voyelles nasales sont an prononcé comme aujourd’hui, en, in et on.


En se prononçait à l’origine comme en dans moyen; mais à l’époque de la Chanson de Roland (fin du xie siècle) en assonait avec an.


In se prononçait avec un i et non comme aujourd’hui, où nous prononçons fin comme moyen et plein avec un e. Ainsi dans la Chanson de Roland on trouve, dans la même laisse, pin, enclin, ling (lignage, origine) assonant avec merci, oubli.


On se prononçait comme aujourd’hui. Mais de plus on avait une voyelle nasale dans des mots comme pomme (l’a. fr. prononçait pon-me), bonne (a. fr. bon-ne), colonne (pron. colon-ne), etc.

Parmi les diphtongues nasales citons : aim, ain, dans des mots comme claimet, aiment[36], main, compaing, fraindre, chastaigne, mots dont l’a assone ordinairement avec a, et ein dans plein, sein, seing, geindre.

Consonnes

Leur prononciation présente quelques différences avec la prononciation moderne. Il existait, au début de la langue, un d intervocalique qui avait le son du th anglais doux ; il provenait de d ou t latins entre deux voyelles ou entre une voyelle et r, l : espede < spatam; vidrent < viderunt; vide < vitam, muder < mutare. Ce d est tombé peu après l’époque de la Chanson de Roland. Il devait être peu sensible au début du xiie siècle.

L’ancienne langue avait également un t qui se prononçait comme th anglais dur, mais il n’existait qu’à la fin des mots : il aimet, chantet, vertut, pitiét. Ce t est tombé approximativement à la même époque que le d étudié dans le paragraphe précédent[37].


Le son ts à la finale est représenté ordinairement par z : amez < amatis ou amatus, de même chante (pron. chantéts), oz < hostis (armée), toz < totus (pron. tots) ; noz < nostros (pron. nots); cf. mielz, vielz, dolz (où l + s a donné z, c’est-à-dire ts).


C se prononce ts devant e, i : centum > cent (pron. tsent), placeat > place (pron. platse), caelum > ciel (tsiel), civitatem > citét (tsitét). L’élément dental initial ne disparaîtra qu’au cours du xiiie siècle.

 

Ch se prononce tch ; caput > chief (pron. tchief), carum > chier (pron. tchier), sapiat > sache (pron. satche), ricum > riche (pron. ritche).

 

G devant e, i et j devant a, o, u se prononcent dj comme dans djinn : diurnum > jorn (pron. djorn), judicare > jugier (pron. djudjier), jacere > gésir (pron. djesir), *gaudiam > joie (pron. djóye).

Tch et dj (écrits ch, j, g) ont fini par perdre l’élément dental et se sont prononcés ch et j; c’est la prononciation moderne, qui a commencé au xiiie siècle.

 

N mouillée est représentée par ign et à la finale par ing : lineam > ligne, mais ling (pron. lign) ; *montaneam > montaigne (pron. montagne), *capitaneum > châtaigne (pron. tchatagne), castaneam > chastaigne (pron. tchastagne) ; ces mots assonent, dans la Chanson de Roland, avec reflambe, chambre, France.

 

L mouillée est notée par ill à l’intérieur des mots et il à la fin.

Ex. : *mirabiliam > merveille ; *soliculum > soleil ; periculum > péril (pron. perilh; cf. périlleux et non périleux).

 

S se prononçait toujours à la fin des mots : les ornes ; elle était probablement douce devant un mot commençant par une voyelle (comme auj. les hommes = lezóme(s)) et dure devant un mot commençant par une consonne : les paiens (auj. lé paien, vers 1100 lespaiens).

S plus l, m, n, v, b, d, f, j, est tombée vers l’époque de la Chanson de Roland (deuxième moitié du xie siècle) Devant p, t, l’amuïssement de s est postérieur. Dans l’orthographe s se maintient, dans ce cas, jusqu’au milieu du xviiie siècle.

 

La semi-voyelle u, dans les groupes qu, gu sonne ou devant a : germ. warnjan > guarnir (pron. gouarnir) ; germ. wardan > guarder (pron. gouarder) ; quantum > quant (pron. qouant), quatuor > quatre (pron. qouatre). Devant les autres voyelles u se prononçait sans doute u ou ne se prononçait pas du tout : guide, guerre (pron. güide, güerre ? ou comme aujourd’hui ?).

 

Remarque. — En ce qui concerne la vocalisation de l en u (ou), il faut admettre un l vélaire, c’est-à-dire prononcé avec le point d’articulation sur le palais mou; ce l existe encore dans plusieurs langues slaves. L s’est donc vocalisé en ou (u espagnol, italien) et non en u (u français).

  1. On appelle intervocaliques les consonnes placées entre deux voyelles, comme d dans laudat, c dans placet.
  2. Ou c devant.
  3. L’orthographe a fait reparaître souvent la consonne du milieu : rompt, compter, etc. Quand la première consonne d’un groupe de trois consonnes est une nasale et que la troisième est une liquide, le groupe reste intact : temple, ventre, rendre, esclandre, répondre ; en réalité, il n’y a que deux consonnes, dont une liquide, précédées d’une voyelle nasalisée ã, õ, ĩ.
  4. Captif est un mot savant; captivum devenu *cactivum a donné chaitif, chétif.
  5. Rapidum a donné rade.
  6. Avoir maille à partir = avoir argent à partager.
  7. Le groupe tri donne ir dans repairier (auj. repérer) de repatriare ; peut-être merrain vient-il de *materamen et non de materiamen.
  8. Ce groupe ne se trouve pas dans le latin classique ; mais il existe en latin vulgaire, surtout dans les proparoxytons, par suite de la chute des voyelles pénultièmes : apostolum, apost’lum.
  9. Peut-être y a-t-il eu l’influence de la forme : je boif, de bibo.
  10. Prononcé k en latin : kantare, kentum, konsul, etc.
  11. On appelle phonétique syntactique la phonétique des mots considérés non individuellement, mais comme faisant partie d’une phrase.
  12. C’est-à-dire kou, cf. infra; devrait être placé dans le troisième groupe.
  13. Ge comme dans guerre, gi comme dans guidé.
  14. Cf. supra, pour les mots traités différemment.
  15. Cette transformation de ke, ki en se, si s’est produite lentement et par des changements successifs dont les principaux paraissent être, en particulier pour ke, les suivants: kie, kye, tye, tche, tse, se; toutes ces transformations se sont produites (sauf tse) avant l’époque du français écrit.
    Pour la transformation de k devant a en ch (che ou chié) le point de départ est également la formation d’un i entre les deux éléments: kia, kya, tya ou tye, tcha ou tche: cette dernière prononciation existait à l’époque de nos premiers textes; cf. infra.
  16. Le suffixe acum est fréquent dans les noms de lieux; on sait que précédé d’une palatale il donne i, y ; cf. traitement de a.
  17. Français prélittéraire : *pieits, *lieit ; *nueit, *ueit.
  18. Des mots comme masculin, musculature sont des mots savants.
  19. Devenu probablement acqua. La forme aigue est d’origine méridionale.
  20. G se prononçait en latin comme g dans gâteau, gui, guéret.
  21. Prononcée en latin comme y dans yeux et non comme j dans jeu.
  22. Peut-être plutôt *scrobellas.
  23. On prononçait don-ner, bon-ne jusqu’au xvie siècle. La graphie avec deux n est due à cette prononciation.
  24. Berbis dans de nombreux dialectes.
  25. Dans la Vie de Saint Alexis, l’a. fr. connaissait aussi pour dire encre le mot airement de atramentum.
  26. Le mot de phonème désigne les sons du langage, voyelles ou consonnes.
  27. L’i dans cet exemple et dans les suivants, est prononce comme l’i français de pieu ou l’y de yeux.
  28. Oleum, olium > huile (mot d’emprunt ?).
  29. On trouvera sur ce point des renseignements abondants et sûrs dans la Grammaire historique de Nyrop, t. I. Nous ne consignons ici que les faits les plus importants et qui paraissent acquis : il y a encore dans ce domaine bien des points obscurs. En général nous adoptons les conclusions si précises de Gaston Paris, dans son introduction aux Extraits de la Chanson de Roland.
  30. On sait que quand il était libre il s’était diphtongué en ie.
  31. Libre il se diphtonguait en ei, oi.
  32. Nyrop dit que cet e était très ouvert (Gram. hist. de la langue française, I (1ere éd.), § 171,2). Il s’agit sans doute, dans sa pensée, de la période postérieure à la Chanson de Roland.
  33. Pour les protoniques G. Paris donne la règle générale suivante: « Tout e protonique libre provenant d’une voyelle latine libre, dans le français du xie siècle, est un e, sauf dans les mots savants. » G. Paris, Extraits de la Ch. de Roland, 6e éd. (1899), p. 5.
  34. On distinguait au début oi avec o ouvert de oi avec o fermé : a partir du xiiie siècle les deux diphtongues ont donné .
  35. Ici aussi on distinguait un o ouvert ot un o fermé.
  36. On prononçait sans doute : clain-met, ain-ment.
  37. On les note ordinairement (đ) et .


 

Chapitre III

Article, substantifs, adjectifs, pronoms.

L’ancienne langue avait une déclinaison à deux cas (au singulier comme au pluriel) pour l’article, les substantifs masculins, les adjectifs et participes, et les pronoms[1]. On appelle ces cas : cas sujet (en abrégé c. s.) et cas régime (c. r.).

Article

Masculin

singulier

c. s.

li

c. r.

lo, le

pluriel

c. s.

li

c. r.

les

Féminin

singulier

la (wallon et picard le)

pluriel

(*las) les

Remarques. — Au cas sujet masculin singulier li provient, par aphérèse de il, de *illī pour ille.

Au cas régime singulier lo se rencontre jusqu’au début du xiie siècle : il devient le par suite de son emploi comme atone.

Au féminin pluriel la forme las n’apparaît pas.

Les principales formes combinées sont : del, devenu plus tard deu et du (on trouve aussi dou); al, pluriel als, puis, par vocalisation de l, aus, écrit aux; al du singulier est passé à au par analogie. En le devenait enl, el, plus tard eu, ou; il ne s’est pas maintenu. En les devient ès, maintenu dans quelques expressions : bachelier ès lettres, ès sciences, etc.

Substantifs

Le latin avait trois genres pour le substantif : fém. rosa, masc. murus, neutre templum ; le neutre a disparu dans le latin vulgaire où l’on trouve numbrus, vestigius, folius, palatius, au lieu de membrum, vestigium, etc.

Le neutre s’est maintenu, en ancien français, dans la déclinaison des adjectifs, des pronoms et des participes passés.

Les pluriels neutres latins en -a ont donné en général des noms féminins en français : folia > la feuille ; arma > l’arme ; corna (pour cornua) > la corne ; gaudia > la joie ; labra > la lèvre, etc.

 

Mots invariables. — Les substantifs dont le radical latin était terminé par s (mens-is, urs-us, curs-us) ou les neutres de deux syllabes terminés en -us, comme tempus, corpus, ont donné en français des substantifs monosyllabiques invariables : temps, corps, cours, ours, mois, etc.

 

Restes de cas. — On rattache aux nominatifs latins les formes suivantes: queux < coquus ; geindre (garçon boulanger) < junior; chantre, peintre, maire, sire, et quelques autres.

Il existe aussi dans l’ancienne langue quelques restes du génitif pluriel : Christianor, Paienor (la gent paienor), Francor (la geste francor), ancienor (la gent ancienor), mil soldor (un cheval milsoldor[2]). Cf. encore la Chandeleur < *Candelorum (pour Candelarum ; sous-entendu festa), leur < illorum.

Déclinaison des féminins

On distingue, dans les substantifs féminins, deux déclinaisons : les cas sujets et les cas régimes sont semblables.

A

Singulier

rose

Pluriel

roses

On admet que le nominatif pluriel de la 1ere déclinaison latine était terminé en -as dans le latin vulgaire : rosas au lieu de rosae, d’où la forme française roses.

Ainsi se déclinent : chose, dame, flamme, pomme, chambre, feuille, arme, etc., et autres substantifs renvoyant à des noms latins en -a, ou à des substantifs neutres devenus féminins ; cf. supra, p. 3, 78.

B

Singulier

flor (flour)

Pluriel

flors (flours)

Ici non plus, comme pour rose, il n’y a pas lieu de distinguer les cas sujets des cas régimes.

Ainsi se déclinent fin, doulour, coulour, gent, nef, part, mort, raison, maison, saison. La seule question intéressante est la suivante.

Ces substantifs féminins ne paraissent pas avoir eu s au cas sujet du singulier, à l’origine ; mais ils la prirent à partir du xiie siècle[3].

Masculins

Première classe

Cette classe comprend les substantifs correspondant à des substantifs masculins latins dont le nominatif singulier était terminé en -s (us). Ici il faut distinguer les cas sujets des cas régimes.

Singulier

Pluriel

c. s.

Li murs

c. s.

Li mur

c. r.

Lo, le mur

c. r.

Los, les murs

Ainsi se déclinaient : chevals, anz, sers, cers, prez (de *pratus pour pratum), mals, etc.

Se déclinaient de même les substantifs provenant de noms latins masculins terminés en -is : canis > chiens, panis > pains, ou de noms latins masculins terminés en -x, comme rex, qui, devenu regis dans le latin vulgaire, a donné en a. fr. reis.

Enfin on déclinait sur ce modèle les mots comme piez, lions, bues, qui proviennent de substantifs comme *pedis, *leonis, *bovis (lat. cl. pes, leo, bos).

Les infinitifs pris en fonction de substantifs suivent aussi cette déclinaison : li morirs, li repentirs.

Les mots comme ermites, prophètes, quoique correspon dant à des substantifs latins en -a, prennent s : ermites, prophètes.

Voici des exemples de ces divers cas.

Singulier, cas sujet : li bons chevals, li bons chiens ; cist chevals est chiers ; cist chiens est mals (méchant).

Singulier, cas régime : j’aim ce bon chien ; je voi un grant cheval ; je manjue ce bon pain.

Pluriel, cas sujet : halt sont li mur et les roches dures ; cist cheval sont chier ; cist chien sont sage.

Pluriel, cas régime : j’ai veü ces mals chevals ; j’ai beü cez bons vins ; veez (voyez) cez granz murs.

Deuxième classe

Singulier

Pluriel

c. s.

Li pedre (père)

c. s.

Li pedre

c. r.

Lo, le pedre

c. r.

Los, les pedres

Les substantifs de cette classe proviennent de masculins latins en -er de la 2e déclinaison (culter, cultri ; liber, libri ; magister, magistri) et de masculins latins en -er, gén. -is, de la 3e : pater > peḍre, frater > freḍre, venter > ventre.

De bonne heure d’ailleurs ces substantifs prennent s au cas sujet singulier : li pedres, li coltres (couteau), li maïstres, etc.

Le cas sujet du pluriel correspond à un pluriel en i du latin vulgaire : patri (analogie de muri) au lieu de patres.

Imparisyllabiques

Ces substantifs correspondent à des substantifs latins de la 3e déclinaison, dans lesquels l’accent n’était pas sur la même syllabe aux cas sujets et aux cas régimes : ex. imperátor, imperatórem ; présbiter, presbíterum ; ínfans, infántem ; ábbas, abbátis ; cantátor, cantatóris, etc.

Singulier

Pluriel

c. s.

L’emperéḍre

c. s.

Li empereḍór

c. r.

L’empereḍór

c. r.

Los, les empereḍórs

Singulier

Pluriel

c. s.

L’ancéstre

c. s.

Li ancessór

c. r.

L’ancessór

c. r.

Los, les ancessórs

 

Singulier

emperédre

correspond à

imperátor

emperedór

imperatórem

Pluriel

emperedór

*imperatóri

emperedórs

imperatóres

Singulier

ancéstre

correspond à

*antecéssor

ancessór

*antecessórem

Pluriel

ancessór

*antecessóri

ancessórs

*antecessóres

Ainsi se déclinent, avec changement d’accent :

c. s.

compáing

c. r.

compagnón

énfes

enfánt

ábes

abét (abbé)

nes, nies

nevót (neveu)

préstre

prevéire, prevóire

pástre

pastóur (pasteur)

sire

segnóur (seigneur)

gars

garsón

Le mot sóror a donné au cas sujet suer, auj. sœur, et au cas régime singulier seróur < sorórem. Pluriel : seróurs.

Un très petit nombre de noms communs féminins, comme none, ont un cas oblique nonain, dont l’origine est obscure. Pluriel : nonains. Cf. encore ante, antain (tante).

Beaucoup de noms propres de femmes ont aussi cette terminaison en ain : Eve, Evain ; Pinte, Pintain (nom de poule dans le Roman de Renart) ; Berte, Bertain, etc. Il y a aussi dans cette classe quelques noms de rivières.

Un certain nombre de noms propres masculins présentent un cas oblique en -on dont l’origine est aussi obscure que celle des noms féminins en -ain.

Ex. :

  • Aymes, Aimon.
  • Charles, Charlon.
  • Gui, Guion.
  • Hugues, Hugon, Huon.
  • Pierre, Pierron.

On a expliqué cette terminaison par un emprunt à la déclinaison germanique, où se rencontrent des accusatifs semblables à ceux-là : Húgo, Húgun ; mais l’accentuation est différente (a. fr. Húgues, Hugón).

Peut-être vaut-il mieux y voir un emprunt à une déclinaison mixte latine, mélange de la déclinaison en -ius, comme Mucius, et en -io, comme Pollionem ; d’où la déclinaison : MuciusMucionem (Mousson)[4].

Quant aux noms propres féminins, il a existé en latin vulgaire une déclinaison en a, ánis : Valeria, Valeriánis, Valeriánem ; on trouve dans des textes du viie–viiie siècles des formes comme Maria, Mariánis ; Elia, Eliánis ; de là viendraient les formes en -ain[5].

On a fait entrer dans cette déclinaison les noms propres germaniques féminins en a, comme BertaBertain.

Changements phonétiques

La présence de s, au cas sujet du singulier, ou au cas régime du pluriel, a amené dans certains mots un changement de la consonne finale du radical. Les exemples les plus connus de ce changement sont les suivants : nous rappelons ici quelques faits qui ont été traités en partie dans la Phonétique.

F disparaît : cervus > cer(f)s, cers ; mais cerf au cas régime singulier. De même servus > sers, nervus > ners, mais serf, nerf au cas régime singulier ou au cas sujet pluriel. Ovum + s donne ues (pour uefs), cas régime uef, plus tard œuf ; bovis (pour bos) donne au cas sujet bues, cas régime buef, plus tard bœuf. Le tas sujet pluriel est de même uef, buef.

T se combinait avec s pour donner z : portus > porz. N + s donne nz : annus > anz ; l + s donne lz : gentilis > gentilz, filius > filz.

La présence de s dans les substantifs dont le radical était terminé par l a amené, au xiie siècle, la vocalisation de l : chevals est devenu chevaus, chevels < (capillus) est devenu cheveus, mals > maus, etc. Dans les manuscrits cette finale us était représentée par un sigle qui ressemblait à x : on écrivait chevax, qui correspondait à chevaus ; dans la transcription on a ajouté x (qui déjà représentait us) à l’u représentant l vocalisée et on a eu au pluriel la forme moderne hybride chevaux, cheveux, travaux, etc.

Au xiiie siècle, chevals, chevaus, représentait aussi bien le cas sujet singulier que le cas pluriel régime.

Dans cheveu et dans quelques autres mots, comme chou, genou, où l a été vocalisée a la suite de l’addition de s, u est resté après la disparition de s. Ainsi sur chevels, cheveus (c. s. singulier ou c. r. pluriel) on a formé cheveu ; sur genols-genous on a formé genou.

Maintien du cas régime

D’une manière générale c’est le cas régime qui a persisté dans la langue française : la déclinaison à deux cas s’est perdue de bonne heure.

À la fin du xiiie siècle les cas régimes se substituent aux cas sujets et à la fin du xive siècle ce processus est terminé.

Parmi les imparisyllabiques, quelques-uns se sont maintenus au cas sujet et au cas régime : sire et seigneur ; pâtre et pasteur (mot savant plutôt) ; maire, majeur ; copain, compagnon.

Pour les restes du cas sujet, cf. supra, p. 78.

Adjectifs

On distingue deux classes dans les adjectifs : la première correspondant aux adjectifs latins terminés en -us, -a, -um, l’autre correspondant aux adjectifs en -is.

Dans la première catégorie les formes du féminin et du masculin suivent respectivement la déclinaison des noms masculins et féminins : fém. bone, masc. bons.

Le neutre se maintient quelque temps au singulier et se reconnaît à l’absence de s : bon, cler.

Première classe

Singulier

c. s.

bons

bone

bon

c. r.

bon

bone

bone

Pluriel

c. s.

bon

bones

c. r.

bons

bones

 

Ainsi se déclinent les adjectifs provenant d’adjectifs latins en -us, a, um, les participes passés et les adjectifs non dérivés du latin : bons, mals ; blancs, francs ; amez, chantez (< amatus, cantatus), etc.

Les adjectifs provenant d’adjectifs latins en -er, ri (comme asper, asperi), ne prennent pas au début s flexionnelle au cas sujet masculin singulier.

Singulier

c. s.

aspre

aspre

aspre

c. r.

aspre

aspre

aspre

Pluriel

c. s.

aspre

aspres

c. r.

aspres

aspres

Ainsi se déclinait altre (et même pauvre, qui n’appartenait pas en latin à la même déclinaison).

Mais de bonne heure ces adjectifs prennent par analogie s flexionnelle au cas sujet singulier : aspres, pauvres, altres.

Deuxième classe

Singulier

c. s.

granz

grant

grant

c. r.

grant

grant

grant

Pluriel

c. s.

grant

granz

c. r.

granz

granz

 

Ainsi se déclinent : forz (< fortis), verz (< viridis), mortels, tels, quels ; leials, reials ; et surtout les participes présents : amanz, chantanz, portanz, vaillanz, etc.

On disait donc : uns granz chevalz, mais une grant femme, grant route ; uns chevalz bien portanz, mais une femme plorant, et, au pluriel, des femmes ploranz, vaillanz (cas sujet et cas régime), etc.

Ce qui frappe le plus dans cette deuxième classe d’adjectifs c’est la forme féminine sans e : grant : on disait grant femme, femme fort, tel femme, tel terre, terre royal, terre fort, etc.

Mais de très bonne heure les formes féminines prirent e : on trouve déjà grande dans la Vie de Saint Alexis (ann. 1040) ; forte existe au xiie siècle ; verte se trouve dans la Chanson de Roland. En général cependant les formes féminines sans e se sont maintenues pendant la période du moyen français (xive–xve s.). Au xvie siècle il ne restait de cet ancien usage[6] que quelques traces qui se sont maintenues jusqu’à nos jours.

Ainsi : grand mère, grand route, grand messe, grand garde ; noms propres : Rochefort, Grandmaison ; au xviiie s., lettres royaux ; fonts baptismaux. Enfin les adverbes en ment se rattachent à des formes anciennes : constamment renvoie à constant ment, prudemment à prudent ment ; des formes comme fortement étaient au moyen âge forment (< fort ment). Cf. plus loin la formation des adverbes.

Degrés de comparaison

Comparatifs

La langue française étant analytique le comparatif est formé avec un adverbe, plus (L’ancien français a aussi connu le comparatif avec mais ; mais il est beaucoup plus rare[7]).

Les comparatifs organiques d’origine latine sont rares. Voici les principaux, au cas sujet et au cas régime.

Grandior > graindre ; c. r. graignor.

Melior > mieldre, mieudre ; c. r. meillór (puis meillour, meilleur). Neutre : mielz, meus, mieux.

Minor > mendre ; c. r. menor. Neutre : meins, moins ; d’où moindre, au lieu de mendre, par analogie.

Pejor > pire ; c. r. pejor. Neutre : pis.

Pour les formes suivantes on ne rencontre que le cas régime : halzor < altiorem ; sordeior < sordidiorem ; forçor < fortiorem ; bellazor, gensor.

Les comparatifs se déclinent comme les noms de la déclinaison imparisyllabique.

Singulier

m. et f.

c. s. miéldre

c. r. meillór

Pluriel

c. s.

meillór

meillórs

c. r.

meillórs

meillórs

 

Superlatifs

Ils sont formés avec la particule très, dérivée du latin trans (tras en latin vulgaire)[8].

Il y a quelques exemples de superlatifs organiques : pesmes < pessimus ; proismes < proximus ; mermes < minimus ; maisme < maximus (dans maismement < maxinta mente).

Les formes en -isme sont des formes savantes : altisme, fortisme. Les formes en -issime ont été empruntées au xvie siècle à l’Italie : fourbissime.

Adjectifs numéraux

Cardinaux

Masculin singulier : uns, un ; pluriel : un, uns[9]. Féminin : une ; pluriel : unes.

Deux

c. s.

doi, dui

c. r.

dous, deus

Ces formes représentent les formes latines *dui (pour duo) et duos ; pour le féminin on emploie dous au cas régime et aussi au cas sujet.

Avec ambo (les deux) on a les formes suivantes :

c. s.

andoi, andui

c. r.

ansdous, ansdeus

 

Les représentants de tres se déclinent comme grant.

c. s.

trei

treis

c. r.

treis

treis

Parmi les autres noms de nombre cardinaux nous citerons les formes des dizaines : septante, uitante ou octante, nonante, qui ont disparu de la langue littéraire : septante et nonante survivent dans la plupart des dialectes.

Vint (vingt) et cent étaient invariables quand ils étaient employés seuls (vint ome, cent ome).

Mais quand ils étaient précédés d’un autre chiffre (quatre vints, quatre cents) ils avaient un cas sujet et un cas régime, un masculin et un féminin.

c. s.

vint, cent

vinz, cenz

c. r.

vinz, cenz

vinz, cenz

L’ancienne langue employait souvent des multiples de vint : six vint, quinze vint.

Ordinaux

Les plus anciens ordinaux (du moins pour la première dizaine) représentent des formes latines : prims et premiers, secons (semi-savant ; a. fr. simplement altre), terz, quarz, quinz (fém. terce, tierce ; quarte ; quinte), sistes, sedmes, dismes, et, par analogie, oidmes, uitmes, et nuefmes. Telles sont les plus anciennes formes.

Les formes en -iesme, -isme, -ime ne se rencontrent que dans la deuxième partie du xiie siècle. Deuxième, troisième, quatrième sont les dernières à apparaître ; on les rattache à une forme dialectale diesme de decimum[10].

Les multiplicatifs (double, triple, etc.) et les collectifs (dizaine, centaine) présentent au point de vue de leur formation peu de difficultés.

Pronoms

Pronoms personnels

La déclinaison s’est mieux maintenue dans les pronoms que dans les noms : outre le nominatif et l’accusatif, on a encore des formes du datif singulier et du génitif pluriel, ainsi que des neutres.

Il faut distinguer, dans les pronoms personnels, les formes toniques et les formes atones.

Première personne

Singulier

Tonique

Atone

c. s.

jo

je

c. r.

mei, moi

me

Pluriel

c. s.

nos, nous

nos, nous

c. r.

nos, nous

nos, nous

Deuxième personne

Singulier

Tonique

Atone

c. s.

tu

tu

c. r.

tei, toi

te

Pluriel

c. s.

vos, vous

vos, vous

c. r.

vos, vous

vos, vous

 

Ego a donné eo, io, jo, je, ou mieux ieo, io, jo, je. On avait aussi une forme accentuée : gié.

Troisième personne

Formes toniques

fém.

neutre

Singulier

c. s.

il

ele

el

c. r.

lui

li

Pluriel

c. s.

il

eles

c. r.

lor, lour

lor, lour

els, eus

eles

Remarques. — Il provient du latin ille, devenu illī sous l’influence de qui.

 

Le datif lui vient du latin vulgaire *illui, avec aphérèse de il (il]lui).

 

Au pluriel lor, lour, leur proviennent de illorum, qui a supplanté aussi illarum au féminin.

 

Le datif féminin li paraît renvoyer non pas à illi, mais à *illaei, illei (prov. liei, ital. lei).

 

Le pluriel il dure jusqu’à la fin du xiiie siècle ; à cette époque il prend s comme les noms.

Troisième personne

Formes atones

fém.

neutre

Singulier

c. s.

(il)

(ele)

(el)

c. r.

li

li

lo, le

la

lo, le

Pluriel

c. s.

(il)

(eles)

c. r.

lor, lour

lor, lour

les

les

Les cas sujets sont les mêmes que ceux des formes toniques.

Pronom réfléchi

Tonique

Atone

sei, soi

se

Les formes atones me, te, se, lo, le, peuvent s’appuyer sur les mots qui précèdent et perdre leur voyelle finale. Cet usage disparaît au xive siècle. La forme les, quand elle est appuyée, perd les deux premières lettres.

Voici quelques exemples de ces formes : Nes = ne les ; ses = se les, si les ; jos = jo les ; quel = que le ; jat verra = ja te verra ; sis = si se ; nel dire = ne le dire, etc.

Pronoms adjectifs possessifs

Il faut distinguer encore ici deux catégories de formes : toniques ou accentuées et non accentuées ou atones.

Formes toniques

Masculin

Singulier

c. s.

miens

tuens

suens

c. r.

mien

tuen

suen

Pluriel

c. s.

mien

tuen

suen

c. r.

miens

tuens

suens

On admet que la forme mien provient d’un accusatif latin comme meom (meon dans les Serments de Strasbourg, 842), mie-en, mien. Tuen, suen représenteraient de même tuom, suom. Depuis le xiiie siècle on a tien, sien, par analogie de mien.

Féminin

Singulier

c. s. et c. r.

meie (puis moie)

tọe

sọe

Pluriel

c. s. et c. r.

meies

tọes

sọes

 

Neutre

Singulier

mien

tuen

suen

Remarques. — Meie provient de mẹ́a (avec e fermé) au lieu de mę́a (avec e ouvert) ; tọ́e, sọ́e proviennent de tua, sua, en latin vulgaire tọ́a, sọ́a. Mienne, tienne, sienne, formes refaites sur le masculin, apparaissent au xiiie siècle et triomphent au xive. On trouve aussi toie, soie analogiques de moie.

Formes atones

Masculin

Singulier

c. s.

mes

tes

ses

c. r.

mon

ton

son

Pluriel

c. s.

mi

ti

si

c. r.

mes

tes

ses

 

Féminin

Singulier

ma

ta

sa

Pluriel

mes

tes

ses

Les formes latines employées comme proclitiques avaient perdu dès le latin vulgaire la voyelle en hiatus : mea > ma ; meum, meon > mon ; meos > mos.

Meus (puis meos en latin vulgaire) est devenu mos ; il est ensuite passé en français à mes ; tes, ses sont analogiques, à moins qu’ils ne proviennent eux aussi de tuos, suos mis pour tuus, suus et devenus tos, sos en latin vulgaire.

Au pluriel le latin mei est devenu mi ; tui et sui, par analogie de mei > mi, sont devenus ti et si.

Comme pour les substantifs, la forme du cas régime, mon, ton, son, a triomphé au masculin, et ces formes ont même fini par être employées devant les noms féminins commençant par une voyelle : mon âme, mon amie ; autrefois : m’âme (= ma âme), m’amie, m’amour, etc. Cet usage a commencé avant le xive siècle.

Pronoms possessifs du pluriel

Ils sont adjectifs ou pronoms. Il faut distinguer encore ici les formes toniques et les formes atones.

Formes toniques

Masculin

Singulier

c. s. et c. r.

nostre

vostre

lor, lour

Pluriel

c. s.

nostre

vostre

lor, lour

c. r.

nostres

vostres

lor, lour

 

Féminin

Singulier

nostre

vostre

lor, lour

Pluriel

nostres

vostres

lor, lour

Vester était devenu voster dans le latin vulgaire. Illorum est devenu lor par aphérèse de il et chute des deux lettres finales ; lor sert pour le masculin et pour le féminin. Il ne prend s qu’à la fin du xiiie siècle, par analogie des substantifs.

Formes atones

Masculin

Singulier

nostre

vostre

lor, lour

Pluriel

c. s.

nostre

vostre

c. r.

noz

voz

 

Féminin

Singulier

nostre

vostre

lor, lour

Pluriel

noz

voz

lor, lour

Nostros a donné *nosts, noz plus tard nos. De même vostros (*vosts, voz, vos)[11].

Pronoms démonstratifs

Ils sont formés de iste et de ille, précédés de l’adverbe ecce. Quelques-uns sont aussi formés avec hoc.

1. Composés de ille

Singulier

c. s.

icil, cil

icele, cele

icel, cel

c. r.

icelui, celui

icelei, celei

icel, cel

icele, cele

icel, cel

Pluriel

c. s.

icil, cil

iceles, celes

c. r.

cels, ceus

iceles, celes

Icil (c. s. masc. singulier) renvoie à ecce illī pour ecce ille ; celei (fém. sing. datif) renvoie à ecce *illaei. Ceus est devenu ceux par confusion de la finale us avec x.

Celor a existé aussi, mais cette forme est très rare.

2. Composés de iste

Singulier

c. s.

icist, cist

iceste, ceste

icest, cest

c. r.

cestui

cestei

cest

ceste

cest

Pluriel

c. s.

cist

(icestes) cez

c. r.

cez

(icestes) cez


Remarques. — Toutes ces formes se trouvent avec i prothétique ou sans i, comme les composés de ecce ille (icil, icist et cil, cist).

Cist renvoie à ecce isti non à ecce iste, qui aurait donné cest : l’i long final a transformé i bref de iste (ẹste en latin vulgaire) en i ; cf. cil, icil.

Au pluriel le féminin cestes, icestes est très rare : cez est un emprunt au masculin (ecce istos, eccestos > cests, cez ; z = sts), à moins qu’il ne représente un affaiblissement de cestes dû à son emploi comme atone.

Cest (cas régime masc. sing.) se réduit de bonne heure à cet, qui s’est maintenu devant les voyelles ; mais le t est tombé de bonne heure devant une consonne : ce jorn.

Cestui devenu cetui (avec ci, cetui-ci) a survécu jusqu’au xviie siècle.

Celui est toujours vivant.

3. Composés de hoc

Ecce hoc > ço, ce. Cf. ce-ci devenu ceci et ce-la, cela.

Hoc en composition a donné des prépositions et des adverbes : apu(d) hǫ́c, abhǫ́c > avuec, avec (avecque, avecques).

Per hoc (per sous l’influence de pro devient por), porhoc >poruec, pour cela ; neporuec, cependant.

Sine hoc > senuec, sans cela.

 

On trouve encore hoc dans la particule affirmative : o je, o tu, o il. Oïl est devenu progressivement oui. Cf. le chapitre sur l’affirmation et la négation, infra, p. 153.

Pronoms relatifs et interrogatifs

m. et f.

neutre

tonique

atone

c. s.

qui

quei, quoi

que

c. r.

cui

que

 

Qui a remplacé en latin vulgaire le féminin quae. Le neutre du latin vulgaire était quid, c’est-à-dire quẹd, non quod. Qued, avec maintien de d, se rencontre dans les plus anciens textes français.

Le pronom interrogatif masculin et féminin est le même que le pronom relatif, avec la différence que le cas régime direct est qui et non que : qui voyez-vous ?

 

Quels interrogatif se décline comme granz, forz ; cf. p. 86. De même son corrélatif tels. On sait qu’avec l’article quel peut être interrogatif ou relatif : lequel.

Indéfinis

Pronoms et adjectifs

Quelques indéfinis avaient conservé, comme les autres pronoms, des formes du cas régime indirect : autrui, uului, aucunui : la première de ces formes a seule subsisté.

 

Les principaux indéfinis sont (parmi les composés de unus) : alcuns < aliqunus (pour aliquis unus. Il se décline comme les adjectifs de la 1ere classe. Conformément à son étymologie il a un sens affirmatif. Il n’a pris un sens négatif que dans la langue moderne, par suite de son emploi dans des phrases négatives ; cf. la Syntaxe, p. 190.

 

Kata[12] unum > chaün. Chascun, chacun provient de cette dernière forme influencée par quisque unum, cesqun.

 

Nec unus donne neguns ; ne ipse unus > nesuns.

 

Tantus, tanta, tantum a donné tanz, tante, tant, même déclinaison que bons, mals. Tant — quant = tanti quanti  ; féminin pluriel tantes quantes. Aliquanti donne alquant ; on trouve souvent la formule li alquant et li plusor. Cf. encore autant, autretant.

 

Plusor renvoie à une forme barbare *plusiori, *plusori (au lieu de *pluriores, venant de plures).

 

Talis > tels ; cf. supra qualis. Composés : altretels, itels.

 

Alter > altre, altrui. Le neutre latin alid (pour aliud), devenue ali(d), ou peut-être ale, a donné el.

 

Maint est d’origine incertaine (germ. manch ?).

 

Multi donne > molt, mout ; multos > moltz, mouts ; multas > moltes, moutes.

 

*Metipsimus, formé de la particule met et d’un superlatif barbare de ipse, a donné medesme, meesme, même.

 

On vient de homo (Dans certains dialectes uen, uan, an ; cf. Molière, Femmes Savantes, acte II, sc. 5).

 

Pour tōtus ou plutôt tōttus, avec redoublemement de la consonne intérieure, on a les formes suivantes :

Singulier

fém.

c. s.

toz

tote

c. r.

tot

tote

Pluriel

c. s.

tuit

totes

c. r.

toz, tous

totes

On explique tuit par une forme comme *tŏttī (venant de tot totī) dans laquelle l’i final aurait amené la diphtongaison de l’ŏ en ui. Le neutre singulier est tot.

Pronoms dérivés d’adverbes

Il en existe plusieurs en français : en qui vient de inde (et qui était au début de la langue ent) et i (auj. y), de ibi.

Il faut y ajouter le pronom relatif dont, qui provient de de unde devenu en latin vulgaire dunde, et ou (auj, ), de ubi.

  1. Pour quelques pronoms il y avait même deux autres cas, datif singulier et génitif pluriel (lui, lor).
  2. Un cheval de mille sous, lat. mille solidorum.
  3. Une autre théorie veut qu’ils l’aient eue des les débuts de la langue, comme les noms masculins dont nous allons parler : ainsi flors comme murs.
  4. Cf. G. Paris, Romania, XXIII, 321 ; Philippon, Romania, 1902, p. 201.
  5. On trouve aussi, dans les textes de la même époque, nonnánes, nonnains.
  6. Ainsi que des formes féminines en -ans des participes présents au pluriel.
  7. Meyer-Lübke, Grammaire des langues romanes, III, § 65.
  8. Sur l’emploi de par, avec un sens de superlatif, cf. infra le chapitre des adverbes.
  9. Le pluriel de un s’emploie avec des mots qui n’ont pas de singulier, ou avec des mots désignant des objets qui vont par paire ; cf. la Syntaxe, p. 194.
  10. P. Marchot, La numération ordinale en a. fr. (Zeits. für rom. Phil., XXI, 102).
  11. On trouve quelquefois noz, voz employés comme formes toniques : tu n’est mie des noz (= tu n’est pas des nôtres) ; veant tous les voz (= à la vue de tous les vôtres).
  12. Kata est une préposition grecque qui peut avoir un sens distributif : μόνος κατὰ μόνον = unus per unum, un par un.

 


 

CHAPITRE IV

 

CONJUGAISON

 

La langue française étant, comme les autres langues romanes, une langue analytique, a mieux distingué que ne le faisait le latin les éléments de la pensée.

Ainsi pour le passif le latin se contentait de la forme amor, cantor : le français dit : je suis aimé, chanté, etc.

Là où le latin disait amavi, amaveram, le français, employant une formule analytique, dit : j’ai aimé, j’avais aimé, et ainsi de suite pour les temps composés ou surcomposés. Le passé est marqué par le participe : la personne, le nombre et le temps sont marqués par l’auxiliaire.

Le futur roman est remarquable par sa formation. On disait, en latin vulgaire : habeo amare, habeo cantare avec le sens de : j’ai à chanter, je chanterai. On a dit ensuite : amare habeo, cantare habeo, d’où j’aimer-ai, je chanter-ai.

La formation du conditionnel est de même nature : seulement ici l’auxiliaire est à l’imparfait : cantare habebam, amare habebam > j’aimer[av]ais, je chanter[av]ais[1].

Au subjonctif l’imparfait a été formé du plus-que-parfait latin : amavissem, devenu amassent, que j’aimasse ; cantavissem > cantassem, que je chantasse.

L’ancien français avait un gérondif, qui se confondait souvent avec le participe présent, mais qui s’en distinguait en ce qu’il était invariable : je vais chantant.

Division des conjugaisons

On divise les conjugaisons en conjugaisons vivantes et en conjugaisons mortes ou archaïques.

Les premières sont : la conjugaison en -er et la conjugaison en -ir inchoative.

La conjugaison en -ir non inchoative, les conjugaisons en -oir et en -re forment les conjugaisons archaïques.

Les conjugaisons vivantes offrent des paradigmes réguliers, applicables à tous les verbes de la même conjugaison. Les conjugaisons mortes forment une série de conjugaisons, avec des différences très sensibles d’un groupe de verbes à l’autre.

Aujourd’hui la conjugaison en -er est la seule vivante. Elle comprend la plus grande partie des verbes. Ces verbes proviennent de verbes latins en -are, ont été formés avec des noms ou sont d’origine savante (comme rédiger, colliger, affliger, appréhender, etc.).

La conjugaison en -ir inchoative comprend des verbes provenant de verbes latins en -ire et des verbes formés avec des adjectifs : riche, enrichir; pâle, pâlir; rouge, rougir; sage, assagir, etc. Il y a aussi un assez grand nombre de verbes provenant du germanique : choisir, rôtir, saisir, fourbir, fournir, etc.

La conjugaison en -oir comprend des verbes provenant de verbes latins en -ḗre; la conjugaison en -re des verbes provenant de verbes latins en ˊ-ere, c’est-à-dire accentués à l’infinitif sur l’antépénultième ou troisième syllabe en partant de la fin du mot.

Plusieurs verbes avaient changé de conjugaison en latin vulgaire : sápĕre devenu sapḗre a donné savoir; cádĕre devenu cadḗre a donné cheoir, choir. Les infinitifs comme velle, posse étaient devenus volẹ́re, potẹ́re, d’où vouloir et pouvoir.

Rôle de l’accent

Il faut distinguer dans les conjugaisons les formes accentuées sur le radical des formes accentuées sur les terminaisons.

Aux formes accentuées sur le radical (présent de l’indicatif et du subjonctif, 1ere, 2e, 3e p. sg., 3e p. pl.; impératif, 2e p. sg.) peuvent se produire des changements dus aux lois de la phonétique. Ainsi o ouvert (ŏ, ǫ) se diphtongue en ue sous l’accent et ne se diphtongue pas en dehors de l’accent. On a ainsi, pour trouver, que l’on rattache à un *trǫ́po hypothétique, les formes suivantes :

Au début

Plus tard

Trópo

je truef,

treuve

Trópas

tu trueves,

treuves

Trópat

il trueve,

treuve

Tropámus

n. trovóns,

trouvons

Tropátis

v. trovéz,

trouvez

Trópant

il truevent,

treuvent

Au subjonctif présent : q. je trueve, q. n. trovóns.


Voici d’autres exemples où les règles phonétiques sont appliquées.

J’aim[2]

n. amons

tu aimes

v. amez

il aime(t)

il aiment

 

Je sai

n. savons

tu ses

v. savez

il set

il sevent

Latin lavo, je lave.

Je lef

n. lavons

tu lèves

v. lavez

il lève(t)

il lèvent

Alternance de i et de ei-oi.

Je pri[3] (lat. prę́cor)

n. preions, proions

tu pries

v. preiez, proiez

il prie(t)

il prient

E ouvert tonique non suivi de c, g se diphtonguait en ie; atone il devenait é.

On avait ainsi pour ferir, querir, etc.

Je fier, quier

n. ferons, querons

tu fiers, quiers

v. ferez, querez

il fiert, quiert

il fierent, quierent

Subjonctif présent : q. je fiere, q. je quiere; q. n. feriens, q. n. queriens, etc.


Alternance ei-oi, e.

Je pois (lat. *pẹ́so)

n. pesons

tu poises

v. pesez

il poiset

il poisent

Subjonctif présent : q. je pois, poises, poist; q. n. pesons, etc.

Ces alternances étaient très nombreuses dans l’ancienne langue ; on avait : je pruef, nous prouvons ; je pleure, n. plourons ; j’uevre, n. ouvrons, etc.

La langue, à cause de son besoin d’unité, a choisi en général une seule de ces formes; rarement elle les a gardées toutes les deux ; elle a créé alors deux verbes différents. Ainsi : charrier et charroyer, dévier et dévoyer, plier et ployer (cf. infra déjeuner et dîner).

Dans certains verbes comme *adjutare, *parabolare, *disjejunare, les changements étaient plus importants : on disait : je paróle, tu paróles, il paróle; n. parlóns, v. parléz, il parólent On disait également : je déjeune; nous dinons, v. dinez, il déjeunent[4]. Tous ces changements sont dus au déplacement de l’accent tonique.

Il nous reste encore, dans la conjugaison moderne, des exemples assez nombreux de ces variations du radical, surtout dans les conjugaisons archaïques : je tiens, nous tenons; je veux, nous voulons; je peux, nous pouvons; je viens, nous venons; je conquiers, n. conquérons, etc.

Première conjugaison vivante en -ER

Indicatif présent

Je chant

n. chantons

tu chantes

v. chantez

il chantet

il chantent

Remarques 

1ere personne du singulier. Les verbes dont le radical était terminé par deux consonnes qui avaient besoin d’une voyelle d’appui ont eu e final dès le début : je trembl-e, je sembl-e. Au xiiie siècle la plupart des autres verbes ont pris cet e. Cependant jusqu’au xvie siècle on trouve des formes comme je pri, quand le radical n’était pas terminé par une consonne. 2e et 3e p. sg. Depuis les origines la 2e personne n’a pas varié. La 3e a perdu le t au xiie s.

Pour la 1ere p. plur. on a au début -omes (picard), -om, -um (normand) et -ons. C’est probablement à sons (de être) que remonte cette dernière. Sons avait un doublet somes qui est resté pour le verbe être, tandis que sons a servi pour les autres conjugaisons.

Chantez représente au début chantets (z = ts en a. fr.). Depuis longtemps z s’est amuï, du moins devant consonne.

Imparfait

L’imparfait se présente sous trois formes : je chantève < lat. cantabam; je chantoe, chantoue, même origine; je chanteie, chantoie; cette dernière forme, qui est postérieure aux autres, a seule survécu dans la langue littéraire.

Je chant-eie, oie

n. chanti-iens

tu chant-eies

v. chanti-iez

il chant-eiet

il chant-eient


Voici l’explication de ces formes : -eie renvoie à une désinence latine -ẹ́a(m), provenant de -ēbam par chute du b. On suppose que cette forme s’est développée d’abord dans l’imparfait des verbes suivants, très usités pour des motifs d’ailleurs très divers : habebam, debebam, vivebam, bibebam, qui sont devenus habẹ́a, debẹ́a, vivẹ́a, bibẹ́a, d’où aveie, deveie, viveie, beveie. Cet imparfait a donc été emprunté par la 1ere conjugaison. Au xiie siècle -oe, -oue est remplacé par -eie, puis par oie (fin du xiie s.). La terminaison de chant-oie, qui comptait à l’origine pour deux syllabes, devient monosyllabique au xvie s., où l’on écrivait chantoie et chantois. Au xviie la 1ere personne du singulier prend régulièrement s ; à la fin du xviiie s. on écrit chantais. La 1ere et 2e p. pl. sont empruntées à des formes dérivées de -ebámus, -ebátis (et non -abamus, -abatis de la 1ere conjugaison latine). Ces formes sont devenues e-ámus, e-átis, puis i-iens, i-iez, en deux syllabes au début. -I-iens devenu -iens (monosyllabique) a été remplacé de bonne heure par -ions (influence de la désinence -ons de l’ind. prés. 1ere p. pl.).

Parfait[5]

Je chantai

n. chantames

tu chantas

v. chantastes

il chantat

il chantèrent

 

Remarque 

1ere p. sg. Chantai représente le latin canta(v)i. À la 3e p. chantat n’est pas le représentant phonétique régulier de cantavit : il y a là sans doute une influence analogique du verbe avoir : ai, as, a(t). La 1ere p. plur. (lat. cantávimus) ne devrait pas avoir s intérieure en a. fr. et un accent dans l’orthographe moderne: s provient par analogie de la 2e p. pl. chantastes. À la 3e p. pl. on rencontre des formes en -arent : chantarent. On sait que ces formes se trouvent encore dans Rabelais.

Futur et conditionnel

Nous nous sommes occupé déjà de leur formation. Le futur est formé à l’aide du présent de l’indicatif du verbe avoir avec suppression de av au pluriel (1ere et 2e p.) : chanter-ai, chanter-as, chan-ter-a; chanter-ons, chanter-ez, chanter-ont.

Le conditionnel est formé de même avec l’imparfait de avoir, aveie, et suppression du radical av.

Je chanter-eie

n. chanter-iiens, chanteriens

tu chanter-eies

v. chanter-iiez, chanteriez

il chanter-eiet

il chanter-eient.

Les transformations de ces désinences sont les mêmes que celles de l’imparfait.

Le futur et le conditionnel se présentent, dans certains verbes, sous une forme contracte : cette contraction se produit dans les verbes dont le radical est terminé par r ou par n : je jurrai pour jurerai ; j’enterrai pour entrerai, je donraidorrai pour donnerai; je menrai, merrai pour ménerai, etc.

Impératif

Chante; chantons, chantez.

Chante représente régulièrement l’impératif latin canta; chantons, chantez sont des formes empruntées au présent de l’indicatif, ou peut-être au présent du subjonctif.

Subjonctif présent

Que je chant

que n. chantons

que tu chanz

que v. chantez

qu’il chant

qu’il chantent

Ce sont là les formes les plus anciennes. Les formes en e, es, et (que je chante, que tu chantes, qu’il chantet) ont été empruntées aux autres conjugaisons où cet e provenait de a latin : vendam > que je vende.

Au pluriel -ons, -ez, formes de l’indicatif, ont survécu jusqu’au xvie siècle. Il existait dans les dialectes de l’Est (Reims, Namur, Metz) une forme en -iens, -iez provenant de la conjugaison latine en -io (iens vient de -iamus, -iez de -iatis; serviamus > serviens, serviatis > serviez). Cette désinence a influencé la forme -ons ; de là vient la forme actuelle -ions, qui est ancienne, mais qui n’a triomphé qu’au xvie siècle.


On trouve des formes comme portie (que je porte), demorge (que je demeure), donje (= que je donne). Ces formes ont été faites sur le modèle de morje, vienje, fierge, où le j-g provient de -iam latin avec consonification de i.

Subjonctif imparfait

Que je chantasse

que n. chantassons

que tu chantasses

que v. chantassez

qu’il chantast

qu’il chantassent

Ces formes représentent assez régulièrement les formes latines cantassem, cantasses, etc., pour cantavissem.

La 1ere et la 2e p. pl. ont les désinences du subj. prés. Elles sont devenues ensuite chantass-ions, chantass-iez sous l’influence de la même analogie.

L’ancien français a eu aussi, au pluriel, des formes en -issions, -issiez, empruntées à la 2e conjugaison vivante: que n. amissions, q. n. parlissions, q. v. parlissiez; q. n. gardissions, tardissions, etc., comme q. n. florissions, etc.

Encore au xvie siècle Rob. Estienne conjuguait : que j’aimasse, que nous aimissions. Palsgrave admet le même paradigme.

Infinitif

Chant-er

L’infinitif est en ier dans de nombreux verbes: quand -are latin est en contact immédiat avec un i, un c ou un g qui précèdent, ou même quand ce contact n’est pas immédiat et que les voyelles ou consonnes palatales se trouvent dans la syllabe qui précède. Ex. : irier, jugier, vengier (judicare, vindicare), aidier, empirier, despoillier, travaillier, pechier, peschier.

On trouve encore cette diphtongaison en aux formes suivantes : présent de l’indicatif, 2e p. pl., et prétérit, 3e p. pl. (vengiez, vengièrent).

Participe passé

Chantet, chantede (< cantatum, cantatam).

Le participe est en -iet, -iede quand l’infinitif est en -ier. En picard -iée du féminin se réduit à -ie : despoillie, travaillie, vengie.

Participe présent

Chantanz[6]

Gérondif

Chantant : invariable.

Irréguliers

Aller

Ce verbe a trois radicaux provenant du lat. ire, vadere et probablement ambulare. Ire prête son radical au futur-conditionnel; vadere à quatre personnes de l’indicatif présent, à une de l’impératif (et aussi dans l’ancienne langue au subjonctif présent).

Ind. prés. Je vois (et vai), tu vas, vais, il vait, va; n. alons, v. alez, il vont.

Vois ne peut pas venir de vado : il correspond à vado + is, ce dernier élément étant peut-être emprunté à des formes comme conois < cognosco, nais < nascor. Vois est remplacé petit à petit par la forme vais analogique de la 2e et 3e p. sg. Vais triomphe au xvie siècle.

La 2e et la 3e p. sg., vais et vait, paraissent analogiques de fais, fait. Impératif: va (déjà sous cette forme dans des inscriptions latines) ; alons, alez.

Subj. prés. : que je voise, q. tu voises, qu’il voise; q. n. aillons, q. v. aillez, qu’il voisent. Il y avait aussi, au présent du subjonctif, un paradigme avec l mouillée à toutes les personnes, qui s’est maintenu en partie : que j’aille, ailles, aillet; aillions (auj. allions), ailliez (auj. alliez), aillent. On avait enfin d’autres formes de subjonctif présent comme alge et auge.

Ester

Ind. prés. Estois, estas, esta; n. estons, estez, estont. Estois est aussi difficile à expliquer que vois ; il y a eu sans doute une influence analogique, sans qu’on puisse préciser quelle est cette analogie.

Subj. prés. Estoise, estoises, estoit. Impér. Esta; estez.

Parfait. Estai, as, a, comme aimai, chantai. On a aussi une autre forme se rattachant au latin vulgaire *stetui pour steti : j’estui, tu esteüs, il estut; il esturent. L’imparfait du subjonctif est estasse ou esteüsse, suivant qu’il est fait sur la première ou sur la deuxième de ces formes.

Doner

Ce verbe est régulier ; cependant on trouve doins (< don(i)o + s) à l’indicatit présent (1ere p. sg.) et par suite doinse, doinses, doinstdoint aux trois personnes du singulier du subjonctif présent : cette 3e personne du singulier doint s’est conservée jusqu’au xviie siècle dans des formules comme : Dieu vous doint. Au futur on trouve : donerai, donrai et dorrai.


Les verbes prouver et trouver avaient à l’indicatif présent, 1ere p. sg., des formes irrégulières comme je pruis, je truis et, au subj. prés., 1ere p. sg., q. je truisse, pruisse.


Envoyer et renvoyer avaient, au futur, une forme populaire envoyerai[7], qui a survécu jusqu’au xviiie siècle. La forme enverrai, renverrai est aussi ancienne, et peut-être plus. Elle est d’ailleurs difficile à expliquer, au point de vue phonétique.

 

Deuxième conjugaison vivante en -IR

Cette conjugaison comprend les verbes en -ir in- choatifs[8] ; ce sont ceux dont le radical est allongé par l’infixé -iss aux temps suivants : indicatif présent et imparfait, subjonctif présent, impératif, participe présent. Ex : nous fin-iss-ons, je fin-iss-ais, fin-iss-ant.

Formes avec suffixe inchoatif

Indicatif présent

Je fen-is (< finisco)

n. fen-iss-ons

tu fen-is (< finiscis)

v. fen-iss-ez

il fen-ist (< finiscit)

il fen-iss-ent

Il n’y a rien à remarquer sur ces formes, sinon que s, à la 3e p. sg., disparaît de bonne heure devant t. Au pluriel les terminaisons sont les mêmes que celles de la 1ere conjugaison.

Imparfait

Je fen-iss-eie, oie

n. fenissiiens

tu fenisseies, oies

v. fenissiiez

il fenisseiet, oiet, oit

il fenisseient, oient

Mêmes observations que pour l’imparfait en -eie de la 1ere conjugaison; cf. supra; au pluriel i-iens, i-iez sont dissyllabiques à l’origine.

Impératif

Fenis ; fenissons, fenissez

Subjonctif présent

Que je fenisse

que n. fenissons

que tu fenisses

que v. fenissez

qu’il fenisse(t)

qu’il fenissent

Les formes fenissiens (fenissions), fenissiez sont plus récentes. Cf. supra, conjugaison en -er.

Participe présent

Fenissant

La terminaison -ant est empruntée à la conjugaison en -er.

Formes sans suffixe inchoatif

Parfait

Je feni

n. fenimes

tu fenis

v. fenistes

il fenit

il fenirent

À la 1ere p. sg. feni renvoie au latin finí-i pour finívi. S n’a été ajoutée d’une manière régulière qu’à partir du xviie s. ; mais on la trouve bien avant. Fenimes vient du latin finí(vi)mus ; fenistes de finí(vi)stis ; fenismes a été refait sur fenistes.

Subjonctif imparfait

Que je fenisse

que n. fenissons

que tu fenisses

que v. fenissez

qu’il fenist

qu’il fenissent

Ces formes paraissent être les mêmes que celles du subjonctif présent ; mais ici elles proviennent du latin finissem pour finivissem, tandis qu’au subjonctif présent elles proviennent de finiscam devenu *finissam dans le latin vulgaire (finiscam aurait donné fenische).

Participe passé

Fenit, fenide

Bénit est le seul verbe qui aujourd’hui ait gardé le t au participe.

Futur

Fenir-ai

Conditionnel

Fenir-eie

Ces formes sont régulières, du moins en apparence. Dans les verbes du premier fonds de la langue, i aurait dû disparaître, puisque l’infinitif, dans sa réunion avec habeo n’a plus l’accent sur la finale et forme avec habeo un mot unique : finiráyo. Mais la langue a conservé i de l’infinitif, parce que cet i était la caractéristique de cette 2e conjugaison vivante.

Irréguliers

Les verbes irréguliers de cette conjugaison étaient assez nombreux autrefois. Aujourd’hui il n’y a plus que bénir et haïr.

Bénir n’a plus d’irrégulier que le participe bénit, qui, au sens liturgique, a gardé le t. Au moyen âge on a eu longtemps au parfait : je benesquis ; nous benesquimes, il benesquirent. L’infinitif était beneïr ; on avait aussi beneïstre, d’où le futur beneïstrai, benistrai.

Haïr est passé dans la langue moderne à la conjugaison inchoative, sauf aux trois premières personnes du singulier du présent de l’indicatif : Je hais, tu bais, il hait ; au moyen âge on avait nous hayons, v. hayez, il haient. Im- parfait. Je hayeie, oie. Subj. prés, que je haie. Impératif. haez. Participe présent : hayant.

Guérir est aujourd’hui régulier. Au moyen âge le parfait se conjuguait ainsi :

je garis

n. garesimes

tu garesis

v. garesistes

il garist

il garirent

Conjugaisons archaïques

Les conjugaisons archaïques comprennent :

  1. des verbes en -ir (non inchoatifs) ;
  2. tous les verbes en -re;
  3. tous les verbes en -oir[9].

Conjugaison en -IR non inchoative

Servir

Indicatif présent

Je serf

n. serv-ons

tu sers

v. serv-ez

il sert

il serv-ent

À partir du xiiie siècle s s’ajoute à la 1ere personne et on a sers avec chute de f devant s.

Aux trois personnes du singulier il se produit de nombreuses modifications du radical devant s et t finals : ainsi, à la 1ere p. sg., je sers (non je serfs ou servs), je pars (non je parts) ; le radical pur reparaît au pluriel : n. serv-ons, n. part-ons, etc. D’autres modifications plus profondes se produisent dans les verbes dont le radical se termine par l mouillée. Elles seront étudiées à propos des verbes principaux de cette catégorie.

Imparfait

On avait une forme (propre aux dialectes de l’Est, surtout au bourguignon) analogue à celle de la conjugaison en -er : je servive (comme je chantève) ; n. servi-iens, v. servi-iez, il servivent. Mais la forme en -eie[10], -oie la supplanta de bonne heure.

Je serv-eie, oie

n. servi-iens

tu serv-eies

v. servi-iez

il serv-eie(t)

il serv-eient, oient

Parfait

Je servi, servis (comme je feni, fenis).

Futur

Servirai (de servire habeo).

Conditionnel

Servireie (de servire habebam), oie, etc.

Impératif

Serf (sers à partir du xiiie s.) ; servons, ser-vez, formes de l’indicatif présent ou peut-être du subjonctif présent. Cf. supra, première conjugaison vivante.

Subjonctif présent

Que je serve

que n. ser-vons

que tu serves

que v. serv-ez

qu’il serve(t)

qu’il serv-ent

Ces formes correspondent à des formes latines comme servam, servas, etc., au lieu de serviam[11], servias, etc. De même : que je parte renvoie à *partam, au lieu de *partiam (lat. class. partiar). Cependant, pour certains verbes, surtout pour ceux dont le radical est terminé par l ou n, les formes provenant de -iam se sont maintenues. On a ainsi que je bouille (bulliam), que je saille (saliam) et par analogie : que je faille < *falliam pour fallam. À la 1ere p. plur. on avait sailliens, sailliez, représentant normalement saliamus, saliatis. On a eu par analogie serviens, serviez; partiens, partiez, et plus tard servions, partions, etc. Mais les formes sèches (c’est-à-dire sans i) du pluriel se sont maintenues jusqu’au xvie siècle (q. n. servons, q. v. servez).

Subjonctif imparfait

Que je servisse, comme fenisse.

Participe présent

Servant[12]. La terminaison -ant est empruntée à la conjugaison en -er.

Participe passé

Servi, servie.

Les participes passés de cette conjugaison correspondent :

  1. à des participes passés du latin classique ou vulgaire en -ītum : servi, sailli, oui ;
  2. à des participes latins en -ūtum : couru, issu, boulu, falu, feru, jeü ;
  3. à d’autres participes latins, comme mort < *mortum, pour mortuum; quis de quérir, a été formé d’après le parfait quis.

Cette conjugaison ne comprend plus aujourd’hui qu’une vingtaine de verbes simples, dont plusieurs sont défectifs. Voici les formes les plus importantes des principaux d’entre eux.

Bouillir, faillir, saillir, cueillir

Dans ces verbes il y avait alternance entre le radical avec l mouillée (ill) et le radical avec l non mouillée (l), suivant que l était, dans le latin vulgaire, en contact avec i semi-voyelle (bullio, bulliam ; salio, saliam, saliens) ou non. Aujourd’hui, par suite de l’analogie, des transformations assez nombreuses se sont produites dans les radicaux de ces verbes.

Bouillir (d’abord boulir). Ind. prés. : je boil, tu bolsbous, il boltbout ; n. bolons, v. bolez, il boillent (bulliunt). Subj. prés, que je boille, es, e; que n. boliens, boliez, boillent. Part. prés. boillant.

Les autres formes n’avaient pas l mouillée. Imparfait de l’indicatif : je boleie. Parfait : je boli, bouli, is, it. Imparf. du subj.: que je bolisse. Infinitif : bolir. Part. passé : bouli et boulu (encore usité au xvie siècle). Futur : boldrai, boudrai.

Tressaillir (et saillir) se conjuguaient ainsi.

Ind. prés. : je tressail, tu tressalstressaus, il tressalttressaut ; n. tressalons, v. tressalez, il tressaillent. Imparfait : je tressailleie (< *tressaliebam). Subjonctif présent : q. je tressaille. Le radical en l mouillée s’est généralisé à l’indicatif présent (tu tressailles, il tressaille, sur le modèle de : je tressail), à l’infinitif tressaillir (d’abord tressalir), au prétérit tressaillis (d’abord tressali) et à l’imparfait du subjonctif: q. je tressaillisse. Le futur était tressaudrai, aujourd’hui tressaillirai[13] (saillir fait au futur saillirai au sens de jaillir, saillerai au sens de faire saillie).

Faillir

Ind. prés.: je fail (lat. vulg. *fallio pour fallo), tu fals, il falt ; nous falons, v. falez, il faillent (*falliunt pour fallunt). Subj. prés.: que je faille. Ind. imparfait : je faleie. Infinitif: falir. Part. prés. : falant. Part. passé : fali. Futur : faldrai, faudrai.

Avec le radical en l mouillée faill- a été formé le verbe faillir, où l mouillée s’est généralisée. Le verbe fal loir, qui n’est qu’un doublet de faillir, n’a plus de formes en l mouillée qu’au subjonctif présent : qu’il faille.

Cueillir a aussi généralisé l mouillée à l’indicatif présent : l’ancienne conjugaison était : je cueil, tu cuels, il cuelt ; n. coillons, v. coillez, il cueillent. Imparfait : je coillais. Parfait : je coillis. Subjonctif présent : que je cueille, etc.

Il y avait deux radicaux dans ee verbe : cueil- aux formes accentuées sur le radical ; coil- aux autres formes. C’est le premier radical qui a été généralisé.

Ferir, gesir, querir, etc.

Ferir

Ind. prés. : je fier, fiers, fiert ; n. ferons, ferez, fierent. Subj. prés. : que je fiere[14], es, etc. Impératif: fier. Indicatif imparfait : fereie. Parfait : feri. Futur : ferrai. Condit. : ferreie. Part. passé : feru.

Gesir

Ind. prés. : je gis, tu gis, il gist ; n. gesons, v. gesez, il gisent. Imparfait : geseie. Prétérit : je jui, tu jeüs, il jut; n. jeümes, v. jeüstes, il jurent. Futur : gerrai. Subj. prés. : que je gise; que n. gesiens. Imparf. : que je jeüsse. Part. prés. -gesant. Part. passé : jeü, ju. Le radical gis- des formes accentuées sur le radical a remplacé ges- des formes atones.

Querir (Querre)

Ind. prés. : Je quier-s; n. querons, il quierent. Imparfait : je quereie. Parfait :

Je quis

n. quesimes, que-ïmes, quimes

tu quesis, que-ïs, quis

v. quesistes, que-ïstes, quistes[15]

il quist

il quistrent, quirent

C’est un parfait fort; ces parfaits seront étudiés plus loin.

Futur : querrai. Condit. : querreie. Subj. prés. : q. je quiere, quieres, quiere; q. n. queronsqueriens, queriez, quierent. Imparfait : quesisse, puis que-ïsse, quisse. Part. passé: quis.

Cf. encore les composés : acquérir, conquérir, requérir.

Issir

Le radical des formes accentuées sur le radical est iss-, celui des autres formes eiss-, La confusion entre ces deux radicaux s’est produite de bonne heure. Ind. prés. : j’is, tu is, il ist; n. eissons, eissez, issent. Imparfait : eisseie. Prétérit : eissi. Futur : istrai. Conditionnel : istreie. Subj. prés.: que j’isse; que n. eissiens, etc. Infinitif: eissir; forme plus récente issir. Part. prés.: eissant, issant. Part. passé : eissu, issu.

Vestir faisait au part. passé vesti et vestu. Cette dernière forme a seule survécu. Revêtir et dévêtir l’ont gardée. Travestir et investir, formes savantes, ont le participe en i : investi, travesti.

Ouïr

Défectif aujourd’hui. Ind. prés.: j’oi, tu os, il ot; n. oons, v. oez, il oient. Imparfait: j’oeie. Parfait: j’oui(s). Futur : orrai, encore usité au xviie siècle. Conditionnel : orreie. Subj. prés.: que j’oie, oies, oiet; q. n. oiens, oiez, oient. Oyons, oyez (impératif) sont encore usités au xviie s. Part. prés.: oiant, oyant. Part. passé : oui.

Courir

Le parfait de ce verbe était en -i dans l’ancienne langue : je couri, tu couris, etc. L’imparfait du subjonctif était, par suite, en -isse : que je courisse; on trouve encore cette forme au xviie siècle. Le parfait actuel en -us a été emprunté à la conjugaison en -oir. Futur : courrai, formé sur l’infinitif courre.

Mourir

Ind. prés. : je muir, tu muers, il muert ; n. morons, v. morez, il muerent. La forme actuelle de la 1ere personne du singulier est analogique de la 2e et de la 3e p. sg.

Le parfait actuel est en -us : il a été autrefois en -i et en -us. Je mori, tu moris, etc., et je morui, tu morus, etc.; par suite l’imparfait du subjonctif était : que je morisse et que je morusse. Futur : morrai.

Subjonctif présent : que je muire[16], muires, muire; q. n. moriens, moriez (et aussi morons, morez), muirent. Les formes actuelles du singulier sont analogiques du présent de l’indicatif.

Tenir, venir

Ven-ire a entraîné dans la conjugaison en -ir tenere, devenu *tenīre.

Le radical accentué est tien-, vien- ; le radical non accentué ten-, ven-. Ind. prés.: je vien, tien; n. venons, etc.

Au subjonctif n au contact de i est devenu n mouillée, c’est-à-dire gn. On avait donc : que je viegne[17], viegnes, viegne ; q. n. veniensvenions, q. v. veniez, (venons, venez), qu’il viegnent ; on avait de même : que je tiegne (venant de teniam pour teneam). Vers la fin de la période du moyen français (xve siècle) le radical vien-, tien-, avec n non mouillée, a remplacé viegn- : d’où les formes actuelles vienne, tienne.

Le futur était tendrai, vendrai, aujourd’hui tien-d-rai, vien-d-rai, avec emprunt du radical accentué.

Quant au parfait, il appartenait à la classe des parfaits forts dont il sera bientôt question.

Je vin, tin

n. venímes, tenímes

tu venís, tenís

v. venístes, tenístes

il vint, tint

il vindrent, tindrent

Sous l’influence de ī final le parfait latin veni est devenu vīni en latin vulgaire, d’où vin, et, par analogie, tin. À la 3e p. sg. i est analogique de la 1ere personne; l’i final de cette 3e p. n’étant pas long n’aurait pas pu modifier la voyelle tonique. L’i de la 3e p. du pluriel s’explique de même.

Le radical accentué tin-, vin-, s’est généralisé dans la conjugaison moderne du parfait de ces deux verbes.

L’imparfait du subjonctif était : que je tenisse, que je venisse; formes modernes : tinsse, vinsse, avec les radicaux tin-, vin-.

Participes passés : tenu, venu.

Conjugaison en -RE

Verbe rompre

Indicatif présent

Je ron + s

n. romp-ons

tu rons, ronz

v. romp-ez

il ront

il romp-ent

Aux trois personnes du singulier, la consonne finale du radical peut subir des modifications ou disparaître par suite de s ou de t finals : ainsi on avait : tu parz et non tu parts (groupe de trois consonnes), tu ronz, plus tard tu romps, etc. La consonne finale du radical reparaît au pluriel. À la 1ere p. sg. s apparaît de bonne heure, mais ne se généralise qu’assez tard, à la fin de la période du moyen français (xve s.).

À la 3e p. sg., dans les verbes dont l’infinitif se termine en -dre, comme perdre, mordre, tordre, etc., la langue moderne a changé le t final, qui provenait du latin, en d: l’ancien français écrivait pert, mort, vent; la langue moderne écrit perd, mord, vend, mais le t reparaît dans les liaisons, comme : il ven(t) à perte.

Imparfait

Je rompeie.

Parfait

Ici il faut établir une distinction entre les parfaits faibles et les parfaits forts. Les parfaits faibles sont toujours accentués sur la terminaison ; les parfaits forts sont accentués sur le radical à la 1ere p. sg., à la 3e p. sg. et à la 3e p. pl. ; ils sont accentués sur la terminaison aux autres personnes. Nous allons revenir sur ce temps.

Impératif

Romp (s n’a été ajoutée qu’assez tard) ; rompons, rompez.

Subjonctif présent

Que je rompe (lat. rumpam), que n. rompons, plus tard rompiens, rompions; que v. rompez, rompiez qu’il rompent.

Imparfait du subjonctif

Il est formé sur le radical du parfait : je rompi-s, que je rompisse. Dans les verbes à parfaits forts il est formé avec le radical des formes faibles (2e p. sg., 1ere et 2e pl.); parfait: je fis, tu fes-is; imparfait du subjonctif : que je fes-isse. Cf. plus loin pour plus de détails.

Futur

Romprai.

Conditionnel

Rompreie.

Infinitif

Rompre.

Participe présent

Rompant, formé sur am-antem, et non sur rump-entem.

Participe passé

Rompu, du lat. vulgaire *rumputum pour ruptum (a. fr. rout ; cf. route, déroute).

Les participes passés de cette conjugaison correspondent :

  1. à des participes passés latins en -ūtum (lat.cl. ou lat. vulg.) : cousu, vécu, bu, cru, , plu, tu, etc ;
  2. à des participes latins accentués sur le radical : clos (< clausum), cuit, dit, duit, fait, trait; plaint, joint, etc.

En général cette seconde catégorie de participes correspond à des parfaits terminés en -s (lat. -si, -xi), la première catégorie correspond aux parfaits en -us (lat. -ui).


Les verbes de cette conjugaison, avons-nous dit, présentent dans l’ancienne langue des parfaits forts et des parfaits faibles.

Verbes à parfaits faibles

Le parfait faible était le suivant, où toutes les formes sont accentuées sur la terminaison.

Je rompi-(s)

n. rompimes

tu rompis

v. rompistes

il rompit

il rompirent

C’est la même formation que le parfait de servir. Il y eut aussi un autre parfait, dont les formes furent surtout fréquentes à la 3e p. du sg., et qui est perdiet (du latin perdédit). On a ainsi rendiet, tendiet, defendiet, etc. Ce parfait est surtout propre aux verbes en -dre, comme perdre, tordre, mordre, mais on le rencontre aussi dans d’autres verbes : rompiet.

Imparfait du subjonctif

Que je rompisse

q. n. rompissons, iens, ions

que tu rompisses

q. v. rompissez, iez

qu’il rompist

qu’il rompissent

Parmi les verbes à parfaits faibles, c’est-à-dire constam- ment accentués, au parfait, sur la terminaison, nous citerons les suivants : battre (je batti-s), défendre (je defendi-s), descendre, pendre, rendre, tendre, vendre; fondre, tondre; vaincre, suivre.

Les verbes mordre, tordre et les verbes dont l’infinitif est en -aindre, -eindre, -oindre, ont des parfaits forts.


D’autres parfaits sont en -us. Nous allons donner les exemples de parfaits faibles en -i (-is) et en -ui (-us); nous donnerons ensuite les exemples des parfaits forts.

Parfaits faibles en -I

Les verbes les plus intéressants de cette section sont les suivants. Nous donnons en même temps que le parfait les temps principaux ou les formes les plus importantes.

Suivre

Ind. prés.: je siu (plus tard je sui, je suis), tu siussuis, il siutsuit; n. sevons (suivons), v. sevez (suivez), il siventsuivent. Imparfait : je seveie, ou plutôt je sieveie. Parfait: je sévisivi; il sivirent. Futur: je sivrai. Conditionnel: je sivreiesevreie. Subj. prés.: q. je sive et q. je sieve. Infinitif: siure, suire, suivir, etc[18]. Part. présent : sivant, sevant, sievant. Part. passé : seü < secútum et suivi, qui se rattache à l’infinitif suivir.

Les formes du radical étaient, comme on le voit, nombreuses dans ce verbe ; elles se sont réduites à suiv-, forme composée du radical sui- du singulier du présent de l’indicatif et du radical sev-, propre au pluriel de ce temps et aux formes non accentuées sur le radical : le v provient de l’u de qu.

Coudre

Radical coud- (infinitif, futur, conditionnel et 1ere, 2e, 3e p. sg. ind. prés., 2e p. sg. impératif[19]); cous- aux autres temps. Parfait : je cousis. Part. passé : cousu.

Vivre a deux radicaux : viv- aux temps de la 1ere série, à l’infinitif et au participe présent; vesc-, véc-, au parfait et aux temps dérivés. Aux trois premières personnes de l’ind. prés., le radical viv- s’est réduit à vi- devant s, t.

Le parfait fut longtemps vesquis (on trouve encore survesquis au xviie s.); vécus est plus récent. Part. passé: vescu, vécu.

Naître a trois radicaux : naist- (naît-), naiss-, nasqu- (naqu-). Les formes ne présentent pas de difficultés. Ind. prés.: je nais; n. naiss-ons. Parfait : je nasquis.

Parfaits faibles en -UI (-US)

Cette classe n’est pas très nombreuse. On pourrait y mettre, d’après les parfaits actuels, le verbe courre, déjà vu sous courir (cf. supra), moudre et soudre, dont le radical était primitivement : mol-, mold-, et sol-, solv-.

Moudre

Parf.: je molui, tu molus, il molut, etc.


Quant à soudre, son ancien parfait était fort : sols, solsis, solst, etc. La forme solu dans je résolus est relativement récente. Il y a donc lieu de le classer parmi les verbes à parfait fort. Notons que absolu, dissolu, formes régulières du participe passé[20], sont devenus des adjectifs; les participes sont absous, dissous, renvoyant à des radicaux en sols- (*absolsum, *dissolsum) ; mais il y avait une autre forme absout, dissout, dont le féminin était absoute, dissoute renvoyant à des formes latines *absóltum, *dissóltum.

Parfaits forts de la conjugaison en -RE

Parmi les parfaits les plus importants de cette classe, citons d’abord les plus usuels, se rattachant aux parfaits latins en -si, -xi (je mis; je pris; je dis, etc.) et aux parfaits en -i, comme fec-ī; voici les paradigmes :

Je fis

je pris

tu fesís[21]

tu presís

il fist

il prist

n. fesímes

n. presímes

v. fesístes

v. presístes

il fi(s)rent

il pristrent

Fis correspond à une forme *fici (pour fecī) du latin vulgaire ; pris vient de *prisi pour prendidi.

Sur pris se conjuguent : je mis, tu mesís (mettre); je dis, tu desís ; je quis, tu quesís (quérir), etc.

L’évolution de ces formes est la suivante : probablement par suite de dissimilation s intervocalique disparut de bonne heure dans les formes faibles fesis, fesimes, fesistes, qui devinrent fe-ïs, fe-ïmes, fe-ïstes et se maintinrent ainsi pendant la période du moyen français (xive–xve s.). Cet hiatus interne (fe-ïs) disparaissant, on eut les formes fis, fimes, fistes, ou plutôt les formes feis, feimes, feistes, où la pseudo-diphtongue ei[22] est, au xvie siècle, une pure survivance orthographique. De même presis, presimes, mesis, mesimes, devenus pre-ïs, pre-ïmes, me-ïs, me-ïmes, puis preis, preimes, meis, meimes ont abouti aux formes actuelles pris, prîmes, mis, mîmes, etc.

Le même processus a eu lieu dans le radical de l’imparfait du subjonctif, qui était le suivant :

Que je fesisse

plus tard

(fe-ïsse, fisse)

que tu fesisses

(fe-ïsses, fisses)

qu’il fesist

(fe-ïst, fist)

que n. fesissons, iens, ions

(fe-ïssions, fissions)

que v. fesissez, iez

(fe-ïssiez, fissiez)

qu’il fesissent

(fe-ïssent, fissent)

On avait de même : que je presisse (pre-ïsse, prisse) ; que je mesisse (me-ïsse, misse); que je desisse (de dire), que je quesisse (de quérir), etc., etc.


Voici les autres temps de dire, faire.

Dire

Ind. prés. : je di, tu dis, il dit; n. dîmes, v. dites, il dient. Imparf.: je diseie. Parf.: je dis, tu desis, il dist, etc. Subj. imparf. : que je desisse (de-ïsse, disse). Subj. prés.: que je die, dies, die; que nous diiens, dions, q. v. diiez, diez, qu’il dient. Le radical dis-, qui se trouvait dans je diseie, a remplacé le radical di- au subjonctif présent. Mais la forme die a survécu longtemps.

Faire

Ind. prés.: je faz, tu fais, il fait; n. faimes, v. faites, il font. Imparfait : je fesoie. Futur : ferai. Conditionnel : fereie. Subj. présent : que je fasse, face; que nous fassiens, faciens, etc.

Rire faisait aussi, au parfait, je ris, tu resis, il rist ; n. resimes, il rirent, et, à l’imparfait du subjonctif, q. je resisse.

Cuire, détruire, duire (conduire, produire, etc.), luire Le parfait était le suivant (duire) :

Je duis

n. duisímes

tu duisís

v. duisístes

il duist

il duistrent

On conjuguait de même : je luis, tu luisis; je destruis, tu destruisis; je construis ; je cuis, tu cuisis, etc. Depuis le xiiie siècle il existe pour ces verbes, sauf pour les défectifs, un parfait faible, qui est le parfait actuel : je conduisis.

Pour nuire, cf. infra, parfaits forts en -ui.

Conclure, exclure font, au parfait, conclus, conclusis, etc. Mais ils se sont assimilés de bonne heure aux verbes à parfait faible en -us : d’où les formes actuelles : je conclus, tu conclus.

Tordre et mordre avaient dans l’ancienne langue des parfaits forts: je tors, tu torsis, il torst; n. torsimes, etc. Ces parfaits ont été remplacés, à la fin de la période de l’ancien français, par les parfaits faibles actuels : je tordis, je mordis, avec le radical du présent mord-, tord-.

Sourdre avait de même un parfait : je sors, tu sorsis, il sorst.

Prendre dont nous avons étudié le parfait, voit nd réduit à n, aux trois personnes du pluriel de l’indicatif présent, au subjonctif présent, à l’imparfait de l’indicatif et au participe présent. Le radical avec nd[23] a existé dans l’ancienne langue, mais a fait place de bonne heure au radical réduit à n. Au subj. présent on avait preigne, par analogie de plaigne, ceigne, etc. La forme actuelle prenne est empruntée ou radical de l’indicatif présent (pluriel) et est relativement récente. Clore

Ind. prés.: clo, clos, clot; n. cloons, v. cloez, il cloent (auj. ils é-clos-ent). Parfait: je clos, tu closis, il clost, etc.


Ce sont surtout les verbes en -aindre, -eindre, -oindre, qui ont subi des tranformations importantes au parfait. On conjuguait leurs parfaits, qui étaient forts, sur le paradigme suivant :

Je plains (lat. planxi)

n. plainsímes

tu plainsís

v. plainsístes

il plainst

il plainstrent


De même : je ceins, tu ceinsis, il ceinst; je feins, tu feinsis, il feinst. Je joins, tu joinsis, il joinst.

La forme actuelle faible, je plaignis, je joignis, je feignis, est relativement récente (fin de la période de l’ancien français, xiiie–xive s.).

La plupart de ces verbes ont eu aussi une forme de radical terminé en d au parfait, comme je plaindis : elle disparaît pendant la période du moyen français.

Craindre

Ce verbe avait trois parfaits : un parfait fort en -s (je crens, tu crensis, il crenst); deux parfaits faibles, l’un en -ui, -us (je cremui, tu cremus, etc.), l’autre en-i (je cremi-(s), tu cremis, etc.). La forme craignis, analogique, a supplanté les trois autres. Part. passé : cremu.

Ind. prés. : je criem[24], tu criens, il crient; n. cremons, v. cremez, il criement. Imparf. : je cremeie. Infinitif: criembre, criendre, et, par analogie des verbes en -aindre, craindre; d’où la conjugaison actuelle, semblable à celle de plaindre.

Querre

Cf. quérir. Ind. prés.: je quier; n. querons. Parfait: je quis, tu quesis, il quist, etc. Subj. imparfait: que je quesisse. Traire[25]

Ind. prés.; je trai, trais, trait; traions, trai-iez, traient. Subj. prés.: que je traie. Parfait: trais, traisis, traist ; n. traisimes, etc. Part. présent : traiant. Part. passé : trait.

Ecrire avait deux parfaits : j’escris, tu escresis, etc., parfait fort (du latin scripsi, scripsisti), et j’écrivis, tu écrivis, etc., parfait faible.

Parfaits en -UI, -US

Ces parfaits correspondent à des parfaits latins (latin vulgaire ou latin classique) en -ui. Ils sont propres surtout aux verbes en -oir. Voici les principaux verbes en -re qui présentent ces parfaits : nous donnons en même temps les formes des temps principaux.

Boire

Ind. prés. : je boi (et boif), tu bois, il boit; n. bevons, v. bevez[26], il boivent. Imparfait: je beveie. Subj. prés. : que je boive. Ancien futur : bevrai, plus tard buvrai; boirai a été refait sur l’infinitif.

Parfait : je bui, tu be-üs, il but; n. be-ümes, v. be-üstes, il burent. Subj. imparf.: que je be-üsse. Part. passé: be-ü (beu, bu).

Croire

Ind. prés.: je croi, tu crois, il croit; n. creons, v. creez, il croient.

Imparf. : creeie. Subj. prés.: que je creiecroie, etc. Futur : crerai, devenu croirai sous l’influence du radical accentué du présent de l’indicatif croi ou de l’infinitif. Parfait: je crui[27], tu cre-üs, il crut; n. cre-ümes, v. cre-üstes, il crurent. Subj. imp.: q. je cre-üsse. Part. passé: cre-ü (creu, cru). Part. prés. : créant (plus tard croiant, croyant, avec emprunt du radical croi: cf. mécréant).

Lire

Ind. prés. : je li, tu lis, il lit; n. lis-ons, v. lis-ez, il lis-ent. Le radical lis- du pluriel est peu régulier au point de vue phonétique; de même le radical de l’imparfait de l’indicatif et du présent du subjonctif. Peut-être y a-t-il eu influence de dire (imparf.: dis-eie; part. prés. dis-ant).

Il a existé deux parfaits, un en -s, l’autre en -us[28].

  1. Je leis, tu leisis, il leist; n. leisimes, v. leisistes, il leistrent.
  2. Je lui, tu le-üs, il lut; n. le-ümes, v. le-üstes, il lurent.

Subj. imparf.: q. je le-isse et que je le-üsse. Part. passé : leit, lit; le-üt, leu, lu.

Nuire (autre infinitif nuisir) faisait au parfait dans l’ancienne langue : je nui, tu no-üsne-üs, il nut; n. no-ümesne-ümes, no-üstesne-üstes, il nurent. C’est un parfait fort en -ui ; il s’est assimilé au parfait des verbes en -duire (pro-duire, con-duire) : je nuisis ; il est aujourd’hui peu usité.

Plaire, taire

L’ancienne langue connaissait aussi les infinitifs plaisir, taisir.

Parfaits : je ploi, tu plo-üs (ple-üs), il plóut; n. plo-ümes (ple-ümes), v. plo-üstes (ple-üstes), il plóurent.

Je toi, tu to-üs (te-üs), il tóut; n. to-ümes, v. to-üstes, il tóurent. Subj. imparf. : que je plo-üsse (ple-üsse, d’où plusse) ; que je to-üsse (te-üsse, tusse).

Part. passé : plo-üt (plus tard ple-ü, plu); to-üt (te-ü, tu).

Ind. prés.: je plaz, tu plais, il plaist; n. plais-ons, v. plais-ez, il plais-ent. Subj. prés.: que je place; q. n. placiens, q. v. placiez, qu’il placent. Le radical plais- a été généralisé; de même pour taire, qui se conjugue comme plaire.

Paître

Parf. : je poi, tu po-üs, il póut; n. po-ümes, v. po-üstes, il póurent. Subj. imp.: q. je poüsse. Part. passé: po-ü (peü, puis pu; cf. repu).

Connaître (ancienne forme conoistre)

Parf.: je conui, tu cone-üs, il conut; n. cone-ümes, v. cone-üstes, il conurent. Imp. du subjonctif: q. je cone-üsse. Part. passé: coneü, conu. Ind. prés.: je conois; n. conoissons.

Croître

Parfait : je crui, tu cre-üs, il crut; n. cre-ümes, v. cre-üstes, il crurent. Imp. du subjonctif: q. je cre-üsse. Part. passé: cre-ü, crû. Ind. prés.: je creiscrois (< cresco); n. creiss-ons, croiss-ons.

Paraître (ancienne forme paroistre)

Parfait faible (parui, parus, etc.), propre à paroir; voir plus loin cette forme.

Conjugaison en -OIR

Les verbes en -oir correspondent en général aux verbes latins de la conjugaison en -ḗre[29]. La conjugaison des verbes en -oir est la plus irrégulière, parce qu’elle est la plus archaïque. Elle ne contient guère que seize verbes simples, dont la plupart sont défectifs. Les verbes usuels avoir, devoir, pouvoir appartiennent à cette conjugaison.

La plupart de ces verbes ont conservé aux temps du présent de l’indicatif (et quelquefois du subjonctif) des radicaux différents, suivant qu’ils sont accentués ou atones : je veux, nous voulons; je dois, nous devons; je reçois, n. recevons; je sais, n. savons ; je peux, n. pouvons; autrefois je voi, n. veons; je chiet (je tombe), n. cheons, etc.

Les participes passés de ces verbes sont en -u, correspondant au latin -ūtum : eu, chu, , fallu, valu, voulu, etc.; cf. cependant sis < lat. vulg. *sīsum.

On distingue les verbes de cette conjugaison d’après leurs parfaits.

  1. Verbes à parfait faible : parfaits en -ui, us.
  2. Verbes à parfait fort.
    1. Provenant de parfaits latins en -i.
    2. Provenant de parfaits latins en -si.
    3. Provenant de parfaits latins en -ui.

Verbes à parfaits faibles

Paroir

Ind. prés. : je perpair, tu pers, il pert (cf. il appert, de apparoir); n. parons, v. parez, il perent. Subj. prés. : q. je pere (paire), q. tu peres, etc. Parfait: je parui, paru-s, tu parus, il parut; n. parumes, etc.

Verbes dont le radical est terminé par L

Quand cette l est en contact avec yod elle se transforme, au présent de l’indicatif et du subjonctif, en l mouillée : ex. : *volio (class. volo) > je vueil; *voliam (class. velim) > q. je vueille; *fallio (class. fallo) > je fail; *falliam (class. fallam) > q. je faille; *valiam (class. valeam) > q. je vaille, etc.

Chaloir (impersonnel)

Ind. prés. : il chaut (il importe). Parfait : il chalst et il chalut : cette dernière forme est plus fréquente. Subj. présent qu’il chaille (< caleat, caliat). Subj. imparf.: qu’il chalsist, chausist; qu’il chalust.

Douloir et souloir, dont plusieurs formes étaient restées vivantes jusqu’au xviie siècle, faisaient au parfait : je doulus, je soulus. Ind. prés. Je dueil, n. dolons ; je sueil.

Falloir avait trois parfaits : les deux plus anciens sont : un parfait faible : je fali et je faillis, faillis, faillit, etc., emprunté à faillir, et un parfait fort en -s : je fals (faus), tu falsis, il falst; n. falsimes, etc.; l’imparfait du subjonctif était : q. je faillisse et q. je falsissefausisse, ce dernier encore usité au xvie siècle.

La forme du parfait faible actuel : fallus, fallut est relativement récente (xvie siècle ?).

Pour valoir, au contraire, on trouve dès les plus anciens temps le parfait faible : valus, valus, valut, etc. Mais on a aussi un parfait fort en -s : je vals, tu valsis, il valst. Subj. imparf. : q. je valsissevausisse (encore usité au xvie s.) et que je valusse.

Vouloir avait trois parfaits :

  1. je vol (voil), tu vols (volis), il volt; n. volimes, v. volistes, il voldrent;
  2. je vols, lu volsis, il volst, etc. (comme vals, valsis);
  3. je voulus, forme actuelle, qui n’apparaît qu’au xive siècle.

Il y avait aussi trois imparfaits du subjonctif: volisse, volsissevousisse, voulusse. Vousisse a duré jusqu’au xvie siècle.

Pour l’ind. prés., cf. supra. Au subj. prés., on a : que je vueille; q. nous voliens, q. v. voliez, qu’il vueillent. Les formes actuelles veuillions, veuilliez (à côté de voulions, vouliez) sont empruntées aux radicaux toniques : q. je vueille.

Verbes à parfaits forts

1ere et 2e catégorie : parfaits latins en -I, -SI

Veoir, seoir

Parfait

Je vi (lat. vidi)

plus tard

vis

tu ve-ïs

(veis, vis)

il vit

n. ve-ïmes

(veimes, vimes)

v. ve-ïstes

(veistes, vistes, vîtes)

il virent

Je sis

sis

tu ses-ís, se-ïs

(seis, sis)

il sist

sit

n. ses-ímes, se-ïmes

(seimes, simes)

v. ses-ístes, se-ïstes

(sistes, sîtes)

il sis-drent

sirent

Sis vient du lat. vulgaire *sisi pour *sesi, mis lui-même pour sedi. L’e de sēsī est devenu i sous l’influence de i final.

Imparfait du subjonctif : que je ve-ïsse (veisse [xvie s.], visse) ; 2e p. ve-ïsses, veisses, visses, etc.

Que je ses-isse, se-ïsse (seisse, xvie s.), etc.

Se-oir, Ass-eoir

Ind. prés.: j’assiet, tu assiez, il assiet; n. asse-ons, v. asse-ez, il assié-ent. Les formes assois, assoit sont récentes et ont été tirées du radical de l’infinitif, asseoir, assoir. Asseyons, asseyez sont récents aussi. Subj. prés. : que je m’assié-e et que je m’assieye; auj. que je m’asseye ou que je m’assoie, forme plus vivante.

Futur : j’assiérai, assoirai, formes actuelles. La forme régulière phonétiquement était dans l’ancienne langue j’assedrai, asserai.

Ve-oir

Ind. prés.: je voi, tu vois, il voit; n. ve-ons, v. ve-ez, il voient. Imparfait : je ve-eie. Part. passé : ve-ü, vu; vis (lat. visum). Part. prés. : veant. Les composés prévoir et pourvoir font au futur prévoirai et pourvoirai; leur parfait était en -is : je prévis, je pourvis; auj. je prévis, mais je pourvus.


Parmi les autres parfaits en -s (latin -si), il faudrait citer ici ceux de vouloir et de valoir, mais cf. supra. Il y en avait d’autres dans l’ancienne langue : j’ars de ardoir, etc.

3e catégorie : verbes dont le parfait correspond à des parfaits latins en -UI

On les classe d’après la voyelle accentuée de leur radical en latin (a, e, o).

Radical en -A

Avoir

 

Parfait

J’

oi (eus, forme actuelle, est analogique)

tu

o-üs, e-üs (eus)

il

óut, ot (eut récent et analogique)

o-ümes, e-ümes (eumes)

o-üstes, e-üstes (eustes)

il

óurent, orent (eurent)

 

Subjonctif imparfait

Que j’

o-üsse, e-üsse (eusse)

que tu

o-üsses, e-üsses (eusses)

qu’il

o-üst, e-üst (eust, eût)

que n.

o-üssons, -iens, -ions (eussions)

que v.

o-üssez, -iez (eussiez)

qu’il

o-üssent, e-üssent (eussent)


Part. passé. O-ü, e-ü (eu).


Ainsi se conjuguent le parfait et l’imparfait du subjonctif de savoir. Je soi, tu so-üsse-üs, il sóutsot ; q. je so-üssest-üsse, etc.

Avoir

Ind. prés.: j’ai, tu as, il a(t); n. avons, v. avez, il ont-

Subjonctif présent : q. j’aie, q. tu aies, qu’il aiet, ait (de très bonne heure); q. n. aiensayons, q. v. aiezayez, qu’il aient.

Futur-conditionnel : avraiavreie, araiareie; mêmes formes pour savoir : savraisavreie et saraisareie. Ce sont les formes usitées jusqu’au xvie siècle, où elles sont remplacées par aurai, saurai, où l’u, qui a remplacé le v, parait d’origine méridionale.

Savoir

Ind. prés. : je sai, tu ses, il set; n. savons, v. savez, il sevent. Au xvie siècle, on écrit sais, sait, formes actuelles.

Subjonctif présent : q. je sache, q. t. saches, qu’il sache ; q. n. sachienssachions, sachons, q. v. — sachiez, sachez, qu’il sachent.

Pour le futur-conditionnel, cf. supra, avoir.

Che-oir, choir (< cadḗre pour cádere)

Ind. prés.: je chié(t), tu chiés, il chiét; n. cheons, v. cheez, il chiéent.

Ce verbe avait un parfait faible : je che-ï, tu che-ïs, il che-ït, etc.; d’où l’imparfait du subjonctif: q. je che-ïsse, q. tu che-ïsses, etc. Le parfait en -u était: je cheu[30], tu che-üs, il cheut; n. che-ümes, etc. Part. prés.: che-ant; cf. éché-ant. Part. passé : che-ü, chu. Futur : cherrai.

Radical en -E

Devoir

Ind. prés. : je doi, tu dois, il doit ; n. dev-ons, v. dev-ez, il doivent. Imparf.: deveie. Subj. prés.: que je doie, q. tu doies, qu’il doie; q. n. deviensdevons, q. v. deviezdevez, qu’il doient; la forme doive est moins ancienne et apparaît vers le xiiie siècle.

Parfait

plus tard

Je dui

n. de-ümes

(deumes, dûmes)

tu de-üs

v. de-üstes

(deustes, dûtes)

il dut

il durent

Subjonctif imparfait : que je de-üsse, que tu de-üsses, etc.

Part. passé : de-ü, .

Verbes en -CEVOIR (recevoir, décevoir, concevoir, etc.)

Recevoir

Ind. prés.: je reçoi, tu reçois, il reçoit ; n. recevons, v. recevez, il reçoivent. Subj. prés.: q. je reçoive, es, e; q. n. receviens, etc.

Parfait

Je reçui[31]

n. rece-ümes

tu rece-üs

v. rece-üstes

il reçut

il reçurent

Subj. imparf : Que je rece-üsse, que tu rece-üsses, etc.

Part. passé : rece-ü, reçu.

Radical en -O : mouvoir, pouvoir, pleuvoir

Mouvoir (a. fr. moveir, de movḗre)

Ind. prés. : je muefmeuf, tu mues, il muet ; n. movons, v. movez, il muevent. Subj. prés.: q. je muevemeuve; q. n. moviens, etc.

Parfait

plus tard

Je mui

tu me-üs

(meus, mus)

il mut

n. me-ümes

(meumes, mûmes)

v. me-üstes

(meustes, mûtes)

il murent

Subj. imparf : que je mo-üsse, me-üsse, musse; que tu mo-üsses, qu’il mo-üst, etc.

Part. passé : Mo-ü, me-ü; . Pouvoir (lat. vulg. *potḗre pour posse)

Ind. prés.: je puis (peux est plus récent); tu puespeux, il puetpeut ; n. po-ons (pou-ons, pouvons[32]), v. po-ez, il pue-ent. Subj. prés.: q. je puisse (formé sur la 1ere p. sg. de l’ind. prés.); q. n. possiens, possions (formes modernes puissions), etc.

Parfait

Je poi

n. po-ümes, pe-ümes, pûmes

tu po-üs, pe-üs, pus

v. po-üstes, pe-ustes, pûtes

il póut, pot

il póurent (purent)

Subj. imparfait : que je po-üsse (pe-üsse, pusse), que tu po-üsses, qu’il po-üst, etc.

Part. passé. Po-ü (pe-ü, pu).

On remarquera que ces formes sont les mêmes que celles des parfaits dont le radical est en -a.

Pleuvoir Impersonnel.

Ind. prés.: il pluet (pleut). Subj. prés.: qu’il plueve (pleuve).

Parfait : il plut et il plóut.

Subj. imparf. : qu’il ple-üst.

Part. passé : plo-ü, ple-ü, plu.

Conjugaison de être

Indicatif présent

Je sui

n. somes

tu es, ies

v. estes

il est

il sont

Sui correspond au latin vulgaire *sui au lieu de sum. À la 2e p. ies est une forme tonique (d’où la diphtongue), es une forme atone. Au pluriel, 1ere p., somes est la forme la plus ancienne : on trouve aussi sons (qui a servi à former la 1ere p. plur. du présent de l’indicatif des autres verbes) et esmes, formé d’après estes (?).

Imparfait

j’ere, iere (lat. eram)

n. eriens

tu eres, ieres

v. eriez

il eret, ieret (et ert)

il erent, ierent

Eriens et eriez ne renvoient pas directement au latin eramus, eratis; ces formes ont pris la terminaison des imparfaits des autres conjugaisons ; aux trois personnes du singulier et à la 3e du pluriel, accentuées sur le radical, on a des formes diphtonguées et des formes où e n’a pas subi la diphtongaison.

À partir du xive siècle, estoie (de estre) remplace ière.

Parfait

je fui

n. fumes

tu fus

v. fustes

il fut

il furent

Fui est devenu fus par analogie des autres parfaits en -us.

Imparfait du subjonctif

Q. je fusse, fusses, etc. (du latin *fūssem pour fuissem).

Futur

J’ier (lat. ero)

n. ermes

tu iers

v. ertes

il iert, ert

il ierent

Formes analogiques : je serai, formée d’après *essere habeo, esserayo, serayo, et estrai, sur estre.

Conditionnel

Je sereie (seroie)

n. seriiens

tu sereies

v. seriiez

il sereiet, sereit

il sereient

Autre forme du conditionnel : estreie, formé sur estre.

Subjonctif présent

Que je seie

que n. seiens

que tu seies

que v. seiez

qu’il seiet, seit

qu’il seient

Le latin classique sim (pour siem) était devenu en latin vulgaire siam, sẹ́am, d’où seie, plus tard soye, soie et sois, par analogie de la 2e p. sg. Se-iens, se-iez sont composés du radical atone se et de la terminaison iens, iez des subjonctifs.

Impératif

Seies; seiens, seiez, formes du subjonctif.

Participe présent

Estant (de stantem).

Participe passé

Esté (de statunt[33])

  1. Cf. plus loin des explications plus détaillées.
  2. A accentué suivi de m donne ai; cf. supra.
  3. E ouvert accentué + e donne i : avant l’accent e + e donne ei, oi.
  4. Plus exactement: je dejœ̣́n; il dejœ̣́nent ; n. dinóns, v. dinéz.
  5. Prétérit ou Passé simple.
  6. Se décline comme forz, granz.
  7. Voir dans Littré des exemples de Corneille, Molière, etc.
  8. Ces verbes sont dits inchoatifs, du latin inchoativus signifiant qui commence, parce que l’infixé isc- servait à former on latin des verbes indiquant le commencement d’une action : ex. gemo, je gémis; ingemisco, je commence à gémir.
  9. Pour les terminaisons voir leur explication à la conjugaison en -er.
  10. Cf. supra à la conjugaison en -er
  11. On rencontre cependant servie, dormie, partie, etc., qui renvoient à des formes latines en -iam.
  12. Servientem a donné le subst. sergent, a. fr. serjant.
  13. Tressaillerai dans le Dictionnaire de l’Académie de 1798.
  14. Et aussi: que je fierge (de feriam avec consonification de i en j-g)
  15. Les formes faibles sont marquées en italiques.
  16. On a aussi morje avec consonification du yod latin en j (lat. moriam pour moriar).
  17. On trouve aussi, avec consonification de i en j, g: tienge, vienge.
  18. Les formes de l’infinitif sont nombreuses.
  19. Au présent de l’indicatif et à l’impératif le d n’a qu’une valeur orthographique.
  20. Encore employées ainsi au xvie siècle.
  21. Nous rappelons que dans les paradigmes des parfaits les formes faibles sont en italiques.
  22. Au xvie siècle on écrivait: je feis, tu feis, n. feimes mais on prononçait fis, fimes.
  23. Nous prendons ; je prendeie, etc.
  24. Lat. vulg. *crẹ́mo pour lat. cl. trĕmo.
  25. Ce verbe avait dans l’ancienne langue le sens de tirer.
  26. La transformation de bevons, bevez en buvons, buvez s’explique sans doute par l’analogie du radical bu, du parfait et du participe passé, ou peut-être par une raison de phonétique.
  27. On trouve aussi un parfait faible : je cre-í, tu cre-ís, etc. Crui rient d’une forme barbare *credui pour credidi.
  28. Tous deux renvoient à des formes du latin vulgaire: leis se rattache a *lexi (pour legi), lui à *legui. Au participe, leit représente lectum, leüt *legutum.
  29. Luire, nuire, maindre renvoient aux formes suivantes du latin vulgaire, où ces verbes avaient changé de conjugaison : lúcere, nócere, mánere. Lucḗre, nocḗre, manḗre ont donné régulièrement loisir, nuisir, manoir ; placḗre a donné plaisir, plácĕre a donné plaire.
  30. Les formes cheu (1ere p. sg), cheut (3e p. sg.) sont données par Chabaneau (Hist. de la conj. française, 2e éd., p. 125), qui ne connaît pas chui, chut. Nyrop indique chut pour la 1ere p. sg.
  31. Lat. vulg. *recepui pour recepi, 2e pers. recepú(i)sti pour recepisti, 3e p. recé(p)uit pour recepit, etc.
  32. Les formes avec v apparaissent au xiiie siècle ; mais elles ne deviennent courantes qu’au xve.
  33. Il a existé pour ce verbe un reste du plus-que-parfait latin : furet (de fuerat), il avait été ; on a de même avret, de habuerat ; ces formes (et quelques autres) sont d’ailleurs très rares.


 

CHAPITRE V

 

ADVERBES, PRÉPOSITIONS, CONJONCTIONS, NÉGATIONS, INTERJECTIONS

Adverbes

Il y a deux points importants à relever dans la formation des adverbes : la formation avec le mot latin mente, devenu le suffixe -ment en français, et l’addition aux adverbes de s dite adverbiale.

La formation avec mente est commune à toutes les langues romanes, le roumain excepté : bellement, bonement, malement, largement, longuement, franchement, etc. ; avec des adjectifs de la 2e déclinaison : coralmenl, for(t)ment, granment (mod. grandement), loyalment, roialment, etc.

Aujourd’hui certains de ces adverbes ont donné à l’adjectif la forme féminine : grandement, fortement, mais la plupart, formés avec des adjectifs en -ent ou -ant (participes), ont gardé l’adjectif invariable et, dans ce cas-là, il s’est produit une assimilation : innocent-ment[1] > innocen-ment > innocemment ; prudent-ment > pruden-ment, prudemment ; constant-ment > constamment ; incessamment, etc. De là les adverbes actuels terminés en -emment ou en -amment. S se trouve en ancien français dans des adverbes provenant d’adverbes latins terminés par s : mais < magis, plus, fors < foris. De là s est passée à d’autres formes d’adverbes ou de prépositions : sine + s > sans, onques, avuecques, guères, sempres, tandis, jadis.


Parmi les locutions adverbiales, citons celles qui sont formées avec la préposition à et un nom en on au pluriel : a tatons, a trotons, a genouillons, a chevauchons, a reculons, a ventrillons (couché sur le ventre), a reüsons (sur le dos), a cropetons, etc.

Principaux adverbes

Lieu

Lieu où l’on est : ici, ci < ecce hic ; ça < ecce hac ; < illac ; < ubi.

Lieu d’où l’on vient : dont < de unde ; ex. : dont venez-vous ?

Y < ibi et en < inde sont des adverbes de lieu, mais ils sont aussi pronoms : j’y pense, j’en parlerai.

Céans et léans (ecce hac intus, illac intus) sont restés vivants jusque dans la langue moderne.

Sus (sursum devenu susum) signifiait en haut, jus, en bas (jus vient de deorsum > diosum > josum et jusum par analogie de susum). Composé : dessus. Dessous < de subtus.

Enz < intus ; dedans < de de intus.

Hors < foris ; dehors ; cf. encore les prépositions.

Temps

Hui < hodie ; hier < heri ; demain < de mane.

Autres adverbes : encui < hinc hodie, aujourd’hui; anuit (< hac nocte[2] ?), cette nuit ; main < mane, matin ; oan, ouan (< hoc anno), cette année.

Ains, ainçois < *antius, avant < ab ante, auparavant[3] ; onc, onques < unquam + s, jamais. Ja, ja mais, même sens.

Ore, ores, or < ad hora, maintenant ; composés : encore < hinc ad hora ; désormais > de ex hora magis, deslor, etc. D’ores en avant est devenu dorénavant. Alors, lors (< ad illa hora + s).

Maintenant < manu tenente.

Endementres (< in dum interim + s), pendant.

Cf. encore : sovent < subinde ; sempres < semper + s, aussitôt ; adès < adde ipsum ?, bientôt ; todis, pour tous dis, toujours ; pieça pour piece a, ensuite, etc.

Quantité

Molt (< multum), beaucoup. Tres (< trans), au delà ; trestout < trans totum, complètement. Par (per), beaucoup : Tant par fu bels = il fut très beau ; on le rencontre surtout avec le verbe estre (par estre).

Beaucoup (beau coup) a pour équivalent grand coup ; ces deux adverbes sont essentiellement du moyen français, quoiqu’on les rencontre déjà chez Joinville.

Guères (germanique waigro) signifie beaucoup ; assez a souvent le même sens.

Trop marque souvent la grande quantité[4] et non l’excès, comme aujourd’hui.


Peu se disait pou, plus tard peu, et alques --- auques (aliquid + s). L’idée de plus s’exprimait par plus et par mais ; cf. encore l’expression : n’en pouvoir mais.

Tant < tantum ; composés : autant et autretant.

Manière

Si < sic, ainsi ; composés : ainsi (ac sic ?), alsi (alid, pour aliud, sic) devenu aussi ; altresi (alterum sic) ; alsiment, altressiment, ensement.

Comme, comment (quomodo, quomodo + mente).

Prépositions

Elles proviennent de plusieurs sources : prépositions latines, adverbes employés en fonction de prépositions, participes et substantifs.

Prépositions simples[5]

Ad > a. C’est la préposition qui a eu les sens les plus variés dans l’ancienne langue. Cf. la Syntaxe.

Apud > od et o, avec.

Contra > contre.

De > de.

Extra > estre.

In > en.

Inter > entre.

Juxta > joste, jouste.

Per > par.

Post (ou plutôt *postius) > puis (préposition et adverbe en a. fr.).

Pro (influencé par per) > pour.

Sine + s > sans.

Super > soure, sur.

Trans > tres, au delà.

Ultra > outre.

Versus > vers.

Prépositions composées (en latin vulgaire)

Ab ante > avant.

De ab ante > devant.

De ex > dès.

De usque, devenu diusque > dusque, jusque.

In versus > envers.

Adverbes

Foris > fors, hors.

De intus > dans.

Intus > enz.

Intro usque > trosque, tresque, jusque.

Retro > riedre, riere, a rière (ad retro).

Subtus > sotz, sous.

Sursum > susum > sus et composés.


La langue française a formé d’autres composés, surtout avec de : dessus, dessous, dedans, derrière, devers, etc., qui étaient prépositions en même temps qu’adverbes.

Participes présents

Durant, moyennant, nonobstant, pendant, suivant, touchant. Peu fréquentes dans l’ancienne langue, ces prépo- sitions proviennent de la langue du palais et de la chancellerie.

Participes passés. Hormis, excepté, etc.

Substantifs

Chez, (probablement de casis, abl. pluriel de casa) ; lez (latus), près de ; composés : en torn, autour de ; environ (de in + *gironem, de girus, tour), etc.

Conjonctions

Conjonctions de coordination : et et ne, ni (lat. nec). Pour et on trouve souvent si (sic). Ni répété peut avoir quelquefois un sens dubitatif plutôt que négatif ; cf. la Syntaxe.

Plusieurs des principales conjonctions latines de subordination se sont perdues, comme ut et cum.

Quando a persisté, quomodo également (comme) ; si est devenu d’abord se, puis si a été rétabli sous l’influence de l’étymologie ou par suite de phonétique syntactique (s’il vient) ; quare est devenu car et a formé une conjonction de coordination.

La conjonction par excellence des langues romanes provient du latin quid (plutôt que de quod). Elle a servi à former un très grand nombre de conjonctions nouvelles dont voici les principales :

A ce que, afin que.

Ains, ainçois que, avant que (*antius quid[6] ?). Combien que, quoique.

Dès que (de ex quid).

Excepté que (excepto quid).

Pendant que.

Pour que (pro quid au lieu de per quod).

Puisque (post quid, au lieu de postquam), au début conjonction de temps.

Quoique (quid quid[7]).

Selon que, etc.

Il y a des conjonctions encore plus complètes dont le procédé de formation est visible : jusqu’à ce que, par ce que, pour ce que, en ce que ; a fin que, a celle fin que (auj. à seule fin que), jaçoit que (= ja soit que).

Pour le classement des conjonctions, voir les grammaires élémentaires.

Négations

En latin on avait non et ne, ce dernier mot marquant surtout la défense négative.

Non est seul resté en français avec la conjonction disjonctive ni < nec.

Non s’est d’abord affaibli en nen : cf. infra nennil ; nen lui-même s’est affaibli en ne, par suite de son emploi comme atone.


La plupart des mots négatifs latins ont disparu, sauf l’adverbe négatif nunquam qui a donné nonque + s, remplacé bientôt par ja mais (de jam magis).

Nesun < ne ipsum unum signifie : pas un.

À côté de nullus, il a existé, en latin vulgaire, une forme aliqunus qui a donné alcun, aucun, mais qui n’a pris le sens négatif qu’avec ne. Cf. supra, Pronoms indéfinis.

Pour le neutre on emploie rien[8]. Ce mot ne s’employant guère qu’avec des verbes accompagnés d’une négation finit par prendre le sens négatif.


Les termes qui complètent la négation sont nombreux en ancien français ; on employait des mots désignant de petites choses, des fruits : alie, cenelle, fie, nois, pomme, espi, festu ; mie, goutte, pas et point ont seuls survécu.

Néant (anciennes formes nient, noient) paraît provenir de ne inde ou peut-être de ne gentem.

Réponse affirmative ou négative

La réponse affirmative se faisait ordinairement par o et aussi par l’expression o il[9], en sous-entendant le verbe de l’interrogation : vient-il ? o il [vient] ; boit-il ? o il [boit], etc. Les deux éléments s’étant soudés on a eu oïl, puis par amuïssement de l final et passage de o protonique à ou la forme actuelle oui.

La réponse négative se faisait par non ou non il, qui est devenu nen il, puis nenni, avec chute de l et redoublement de n. La prononciation actuelle est naní ; mais beaucoup de patois ont la prononciation nã-ní ; on entend également nènní, avec e ouvert.

On pouvait répondre aussi : o je (avec le pronom de la première personne) et naje (pour non je). Mais ces expressions sont plus rares et n’ont pas survécu.

On pouvait aussi répondre par si, soit seul, soit suivi du verbe faire à un mode personnel : si faz (1ere p. sg ind. prés.), si fait (3e p. sg. ind. prés.), si faisons, si ferons, etc.

Enfin on pouvait répondre par des adverbes d’affirmation comme : certes, voire.

Interjections

Les interjections marquant divers mouvements de l’âme, comme la joie, la douleur, la colère, etc., le nombre des mots qui peuvent exprimer ces « passions » est assez grand. Leur étude est d’ailleurs du domaine de la grammaire élémentaire ou du lexique. Citons cependant l’expression hélas ! qui, composée avec une interjection et un adjectif variable, devient hé lasse, dans l’ancienne langue, quand c’est une femme qui parle.

Aïe signifie aide.

Da, que l’on a dans oui-da, vient des deux impératifs accolés di-va.

Autres interjections : ah ! bah ! ouais ! Onomatopées : pif, paf, pouf ! Impératifs : tiens, allons ; gare. Noms : Silence ! Peste ! Paix !

  1. T entre deux consonnes doit tomber ; l’ancienne langue écrivait : un enfant, des enfans, etc.
  2. Ou plutôt ad noctem ?
  3. Auparavant est composé lui-même de par avant précédé de l’article contracté au.
  4. Sens qu’il a encore au xviie siècle.
  5. Les formes latines sont données les premières.
  6. Nous mettons entre parenthèses les formes latines d’où les conjonctions dérivent.
  7. Lat. vulg. quẹ́d quẹ́d, le premier (fermé) accentué devient régulièrement ei-oi, le second atone n’est pas diphtongué.
  8. Rien signifiait au début, conformément à son étymologie (rem), chose : une riens = une chose.
  9. Hoc illi (pour ille) ; non il = non illi.


 

CHAPITRE VI

 

SYNTAXE DE L'ARTICLE, DU NOM, DE L'ADJECTIF, DU PRONOM

La syntaxe française a été fixée au xviie siècle, on sait à la suite de quelles polémiques et de quelles discussions. La syntaxe de la langue du moyen âge ne connaît pas les règles rigoureuses établies par les grammairiens modernes. Mais il y a des usages et des habitudes auxquels les écrivains de cette époque se conforment : ce sont les principaux de ces usages syntaxiques que nous allons relever.

Ce qui caractérise cette syntaxe de la langue du moyen âge, c’est une très grande liberté. Aussi ne saurait-il être question de règles au sens moderne du mot.

Ces « règles » sont loin d’être absolues ; elles ne sont pas appliquées d’une manière uniforme et les « exceptions » sont quelquefois fort nombreuses. C’est en se souvenant de cette observation importante qu’on devra entendre les « règles » de syntaxe que nous allons exposer. Elles sont plutôt une façon de parler, un usage plus fréquent que l’usage contraire.


D’autre part la littérature du moyen âge étant surtout l’œuvre des clercs, toute influence savante est loin d’être exclue. Cette influence s’exerce surtout dans les traductions, les paraphrases des ouvrages religieux ; elle est sensible dans quelques tournures syntaxiques qui rappellent la syntaxe latine.

Enfin on remarquera que beaucoup d’anciennes constructions se sont maintenues dans la langue moderne, du moins dans celle du xvie et du xviie siècles. Comme nous n’avons pas eu l’intention d’écrire l’histoire de la langue, nous nous sommes contenté de signaler les principales de ces survivances. Elles suffiront à illustrer une fois de plus cette vérité si souvent exprimée — et si peu admise par certains esprits — que la langue classique ne se comprend bien — et ne s’explique — que si on connaît la langue ancienne. Aucun disciple attardé de Malherbe ou de Boileau ne serait plus excusable de croire le contraire.

Nous avons pris nos exemples de préférence dans les œuvres suivantes. Vie de Saint Alexis[1], Pèlerinage de Charlemagne, Chanson de Roland[2], Chastelaine de Vergi[3] : c’est à la Chanson de Roland que nous nous sommes référé le plus souvent.

Article

Article défini

On a vu dans la Morphologie que l’article défini provient du pronom démonstratif latin ille, illa. Le souvenir de cette origine fait que, aux débuts de la langue, l’article n’est employé que pour déterminer avec précision un objet.

D’une manière générale l’article est d’un emploi beaucoup moins fréquent dans la langue ancienne que dans la langue moderne.

Omission de l’article devant les noms abstraits.

Ainsi, en général, l’article n’est pas employé devant les noms abstraits.

Ex. :

Pechiez le m’at tolut. (Alexis, 108.)

Le péché me l’a enlevé.

En icest siecle nos achat pais et joie ! (Ibid., 623.)

Qu’en ce monde il nous procure paix et joie !

Foys et creance estoit une chose où... (Joinville, 45 a.)

La foi et la croyance...

Li rois ama tant verité. (Id.)

Le roi aima tant la vérité.

C’est ainsi que l’ancienne langue disait : avoir honte, avoir peur, avoir faim, avoir guerre ; faire, donner bataille, faire justice, tort, paix ; faire guerre ; dire vérité ; donner victoire, esmouvoir guerre ; faire fidélité ; porter foi, etc. La syntaxe moderne a conservé cet usage dans des cas assez nombreux où un nom abstrait (plus rarement concret) est complément direct d’un verbe, surtout des verbes avoir, donner, faire, prendre : avoir tort, faire tort ; avoir honte, faire honte ; prendre fait et cause, prendre rang ; donner tort, gain de cause ; livrer bataille, etc.


L’article est en général supprimé devant les noms abstraits dans les proverbes ou les sentences. Cet usage s’est également maintenu dans la syntaxe moderne.

Ex. :

Coroz de rei n’est pas gieus de petit enfant. (Vie de S. Thomas, 1625.)

Courroux de roi n’est pas jeu d’enfant.

Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que rage. (La Fontaine.)

Cf. Pauvreté n’est pas vice.

Omission de l’article après les prépositions.

Après certaines prépositions, surtout après à, en, contre, par, l’article est ordinairement omis. On disait : en champ ; en maison ; contre mont ; a val ; a mont ; en ciel ; estre a cort (= être à la cour) ; aler par terre et par mer, etc. Il est resté des traces de cet usage dans la langue moderne : être bien en cour, par terre et par mer, en temps et lieu, être sur pieds, en chambre de conseil ; au xvie siècle on disait : en Parlement.

Article devant les noms propres.

L’article est généralement omis devant les noms de pays.

Ex. :

A remembrer li prist...

De douce France. (Rol. 2377-79.)

Il se mit à se souvenir de la douce France.

Envers Espaigne en at tornét son vis. (Rol., 2376.)

Du côté de l’Espagne il a tourné son visage.

Vers Orient, vers Occident. Devant les noms de peuples, ainsi que devant paien, crestien (au pluriel), l’article est omis dans les plus anciens textes.

Ex. :

Paien s’enfuient ; les Païens s’enfuient.

Païen s’adobent d’osbers sarrazineis. (Rol., 994.)

Les Païens se revêtent de hauberts sarrasins.


L’emploi de l’article devant les noms de peuples est rare au xiie siècle ; il devient beaucoup plus fréquent au xiiie siècle, surtout en prose. Cf. encore dans Villon : Jehanne la bonne LorraineQu’Englois brûlèrent à Rouen.


Pour les noms de rivières l’usage général est qu’ils prennent l’article, sauf quand ils sont précédés des prépositions de ou sur. La rivière de Saône, le fleuve de Jourdain, une cité sur Seine.


Les mots comme ciel, terre, paradis, enfer, diable, nature, fortune, nuit, jour, di (jour), ne prennent pas ordinairement l’article. Ils sont traités comme des noms propres.

Ex. :

De Paradis li seit la porte overte. (Rol., 2258.)

Du Paradis lui soit la porte ouverte.

Elle vouloit dou feu ardoir Paradis et de l’yaue esteindre Enfer. (Joinville, 445 e.)

On disait en Paradis, comme en enfer.

Article dans les énumérations.

Comme dans la syntaxe moderne l’article est ordinairement omis dans les énumérations. Mais il peut aussi être exprimé, ou n’être exprimé que devant le premier nom.

Ex. :

Ad or fin sont les tables et chaièdres et banc. (Pèlerinage, 344.)

Les tables, chaises et bancs sont d’or fin.

Article après l’adjectif tout.

Enfin l’article défini est ordinairement supprimé après l’adjectif indéfini tout, surtout employé au féminin ou au masculin pluriel. On disait : tote gent (tout le monde), totes terres (toutes les terres), tote nuit (toute la nuit), etc. Cf. infra, Pronoms indéfinis.

Ex. :

De trestoz[4] reis vos present les corones. (Rol., 2625.)

De tous les rois je vous présente les couronnes.

Article employé comme pronom démonstratif.

Parmi les emplois de l’article propres à la langue du moyen âge, il faut citer le suivant. L’article défini peut remplacer un pronom démonstratif devant un substantif qui lui sert de complément.

Ex. :

Al tems Noe et al tems Abraam

Et al David. (Alexis, 5.)

À l’époque de Noé, à celle d’Abraam et à celle de David.

Por la[5] Charlon dont il odit parler,

La soe fist Preciose apeler. (Rol., 3145.)

C’est-à-dire : « pour celle (l’épée) de Charles dont il avait entendu parler, il fit appeler la sienne Précieuse. »

N’i troverent défension fors sol la Deu. (Livres des Rois.)

Ils n’y trouvèrent d’autre défense que celle de Dieu.

Pour l’emploi des démonstratifs en fonction d’article, cf. infra.

Lorsque le complément déterminatif d’un nom est cui (cas régime de qui, cf. infra), ce nom, qui est d’ail- leurs placé après cui, ne prend pas ordinairement d’article.

Ex. :

Godefrois, cui anme soit sauvée. (Roman de Bauduin de Sebourc, XXV, 64.)

Godefroy, dont l’âme soit sauvée !

Je ving au conte de Soissons, cui cousine germainne j’avoie espousée. (Joinville, 238.)

On trouve encore dans Joinville des exemples comme le suivant : le roi de France cui cosins il ere (42 e.) ; en cui garde (112 g.), etc.

Article devant les superlatifs.

Quand le superlatif formé avec plus, moins, mieux se trouve après le substantif (ou un pronom), l’article est généralement omis. Il en est de même pour les superlatifs des adverbes.

Ex. :

Ad un des porz qui plus est près de Rome. (Alexis, 196.)

À un des ports qui sont le plus près de Rome.

Par les sainz que Dieu a plus amez. (Aimeri de Narbonne.)

Par les saints que Dieu a le plus aimés.

Ce fut cil qui plus noblement arriva. (Joinville, 158.)

On disait de même : plus tost qu’il pot = le plus tôt qu’il put[6].


Au xvie siècle on hésite entre l’emploi de l’article devant les superlatifs de ce genre et son omission. Du Bellay dira indifféremment :

L’enfant cruel de sa main la plus forte. (I, 115.)

Car le vers plus coulant est le vers plus parfait. (II, 69.)

C’est la beste du monde plus philosophe. (Rabelais, I, Prol.) Au xviie siècle les exemples de cette construction sont encore abondants[7].

Ex. :

Mais je vais employer mes efforts plus puissans. (Molière, Étourdi, V, 7, 1889.)

Le remède plus prompt où j’ai su recourir. (Molière, Dépit amoureux, III, 1780.)

Après 1650, sous l’influence de Vaugelas, l’emploi de l’article est de règle.

Article devant les adjectifs possessifs.

Les adjectifs possessifs accentués prenaient ordinairement l’article : la meie mort ; li miens fredre ; li suens parentez, etc. Cf. infra Pronoms et adjectifs possessifs.

Article avec les noms de nombre.

La construction Des trois les deux sont morts (Corneille) date de l’ancienne langue, où l’article « est de rigueur devant un nombre désignant une partie déterminée d’un tout[8] ».

Ex. :

Des doze pers les dis en sont ocis. (Rol., 1308.)

Sur les douze pairs dix sont morts.

Et tuit nostre homme sont si las, par ma foi,

Que une femme ne valent pas li troi. (Aimeri de Narbonne.)

Li dui tournoient les testes arieres et li ainsnez aussi. (Joinville, 526 c.)

Deux tournaient leurs têtes en arrière et l’aîné aussi.

Ensi fut devisez li assauz que les trois batailles des set garderoient l’ost par defors et les quatre iroient à l’assaut. (Villehardouin.)

L’assaut fut ordonné ainsi : trois corps sur sept garderaient l’armée contre une attaque du dehors et quatre iraient à l’assaut.

Article indéfini.

L’article indéfini un se rencontre quelquefois dans les plus anciens textes, surtout devant les noms concrets, mais en général il est omis, principalement dans les cas suivants : après les verbes estre, paraistre, devenir : riches hom fu (Alexis, 14.) ; après des termes de comparaison : si fait droite sa reie come ligne qui tent (Pélerinage, 297.) (= il fait son sillon droit comme une ligne qui se tend) ; après une proposition négative et surtout après des adverbes négatifs comme onques, jamais (c’est encore la règle aujourd’hui).

Tenez mon helme, oncques meillor no vi. (Rol., 629.)

Tenez mon heaume, je n’en vis jamais de meilleur.

Même en dehors de ces cas particuliers l’omission de l’article indéfini[9] est la règle, surtout au pluriel et devant des noms abstraits.

Ex. :

Sur palies blancs sièdent cil chevalier. (Rol., 110.)

Les chevaliers sont assis sur des tapis blancs.

Enz en lor mains portent branches d’olive. (Rol., 93.)

Entre leurs mains ils portent des branches d’olivier.

Omission devant un nom abstrait.

Ensemble ot lui grant masse de ses homes. (Alexis, 214.)

Avec lui une grande masse de ses hommes.

Dame, dist-ele, jo ai fait si grant perte. (Alexis, 148.)

Dame, dit-elle, j’ai fait une si grande perte.

Sor piez se drecet, mais il at grant dolor. (Rol., 2234.)

Il se dresse sur pieds, mais il a une grande douleur.

Article partitif.

L’article partitif est très rare dans l’ancienne langue (on n’en trouve pas d’exemple au xie siècle) et il ne commence à être fréquent qu’au xve siècle. On l’employa d’abord avec des substantifs compléments. On disait au xie siècle : manger pain, manger viande, boire vin ; ne faire mal ; avoir dommage, etc.


Au xvie siècle l’omission de l’article partitif est encore fréquente.

Ils leur disent injures. (Ronsard, Élégies, XXX.)

On sème contre icelle horribles rapports. (Calvin, Inst. Chrét., Préf.)

Le nouvel usage s’établit au xviie siècle ; mais les exemples d’omission ne sont pas rares, du moins au début du siècle.

Ex. :

Je voulais gagner temps pour ménager ta vie. (Corneille. Polyeucte, V, 2, 1875.)

Il avait vu sortir gibier de toute sorte. (La Fontaine, IV, 16[10].)

Substantifs

Emploi des cas.

Le cas-sujet s’emploie non seulement en fonction de sujet, mais aussi d’attribut, avec les verbes à forme ou à sens attributifs : être, devenir, paraistre, s’appeler, avoir nom, se faire, etc.

Ex. :

Jo ai nom Charlemagnes. (Pèlerinage, 307.)

Quand Rollanz veit que bataille sera

Plus se fait fiers que leon ne leupart. (Rol., 1110.)

Quand Roland voit qu’il y aura bataille, il se fait plus fier que lion ni léopard.

Li Empereres se fait e balz e lier. (Rol., 96.)

L’empereur se fait joyeux et content.

La voldrat il crestiens devenir. (Rol., 155.)

La il voudra devenir chrétien.

Voici l’attribut au cas-régime :

Uns Sarrazins... se feinst mort. (Rol., 2275.)

Un Sarrasin... se feignit mort, fit semblant d’être mort (lat. Unus... se finxit mortuum.).

C’est l’existence du cas-sujet et du cas-régime qui permet à l’ancienne langue une très grande liberté dans l’ordre des mots.

Substantifs attributs.

Dans l’expression c’est une bonne chose que la paix, la paix forme le sujet réel, comme on le voit dans la tournure suivante, qui a le même sens : la paix est une bonne chose. L’ancien français disait ordinairement, dans ce cas : bonne chose est de la pais, le de marquant l’origine, le point de départ. De là les tournures modernes avec un infinitif : c’est une honte de mentir, c’est une joie de..., c’est un jeu de..., etc.

Autres exemples : granz tresors est de la santé ; noble ordene est de chevalerie ; moult est male chose d’envie ; de vostre mort fust granz damages, etc.

Même emploi au xviie siècle.

Un homme qui ne sçait que c’est de science. (Malherbe, II, 355.)

Je sais ce que c’est d’amour et le dois savoir. (La Fontaine, Psyché.)

Qu’est-ce de la vie ? Qu’est-ce que de nous ? (Bossuet.)

Cf. les expressions : si j’étais que de vous, si j’étais de vous. Dans cet emploi de a été remplacé par que, ou il s’est maintenu précédé de que[11].


Le substantif attribut est souvent précédé de la préposition a (fr. moderne pour) ; cet emploi a duré jusqu’au xviie siècle.

Ex. :

Avoir a feme ; eslire a empereor ; coroner a empereor ; recevoir a seignor ; se tenir a honi ; retenir a ami ; prendre a feme, etc.

Ancui sera coronez al moutier

Ses filz a rei. (Cour. de Louis, 1532.)

Aujourd’hui, au moûtier, son fils sera couronné roi.

Les plus grands y tiendront votre amour à bonheur. (Corneille, Polyeucte, II, 1.)

Cf. aujourd’hui : prendre à témoin.

Compléments déterminatifs sans préposition.

Le substantif désignant une personne ou une chose personnifiée, complément déterminatif d’un nom (joint aujourd’hui au nom précédent par la préposition de et quelquefois à) se met ordinairement au cas régime sans préposition ; il peut précéder le nom déterminant, mais ordinairement il le suit. Cette construction qui rappelle le génitif latin (le peuple Dieu : populus Dei[12]) est un des traits les plus caractéristiques de l’ancienne langue. Ex. :

Li doi serjant son pedre. (Alexis, 117.)

Les deux serviteurs de son père.

Ne creit en Deu le fil Sainte Marie. (Rol., 1634.)

Il ne croit pas en Dieu, le fils de Sainte Marie.

Ma mere arsistes en Origni mostier. (Raoul de Cambrai, 2271.)

Vous brûlâtes ma mère au moûtier d’Origny (nom propre traité comme un nom de personne.)

On disait de même : le gonfanon le roi = le gonfanon du roi ; un dent Saint Pierre = une dent de Saint Pierre ; la mort Roland = la mort de Roland ; li angeles Deu = l’ange de Dieu ; la volonté le roi = la volonté du roi ; l’hostel le duc = l’hôtel du duc, etc., etc. On disait même : Franc de France repairent de roi cort, avec suppression des deux articles[13].

Cette tournure, si fréquente en ancien français, disparait au xive siècle. La langue moderne en a cependant conservé des traces, dans des expressions comme : Hôtel Dieu, Fête-Dieu, bain-marie, Bois-le-Comte (et autres formations semblables), Choisy-le-Roi, morbleu (= mort Dieu), etc.

La relation de parenté peut être marquée, entre deux substantifs par a.

Ex. Fille ad un conte (Alexis, 42.) ; fille d’un comte.

Substantifs compléments indirects sans préposition.

Un substantif complément indirect est joint souvent à un verbe sans préposition.

Ex. :

Li nons Joiose l’espede fu donez. (Rol., 2508.)

Le nom de Joyeuse fut donné à l’épée.

Mandez Carlon, a l’orgoillos, al fier. (Ibid., 28.)

Mandez à Charlemagne, à l’orgueilleux, au fier.

Ne bien ne mal ne respont son nevout. (Rol., 216.)

Ni bien ni mal il ne répond à son neveu.

Por ses pechiez Dieu porofrit le guant. (Rol., 2365.)

Pour ses péchés à Dieu il offrit le gant[14].

Cest mien seignor en bataille faillirent. (Rol., 2718.)

Ils faillirent à mon seigneur en la bataille.

Mon seignor dites qu’il me vienge veoir. (Rol., 2746.)

Dites á mon seigneur qu’il vienne me voir,

L’amirail dites que son host i ameint. (Rol., 2760.)

Dites à l’amiral qu’il y amène son armée.

Cet emploi, fréquent au début de la langue, devient plus rare après le xie siècle et disparaît après le xive. Il s’est maintenu avec les pronoms personnels placés immédiatement devant le verbe : il me dit, je lui enlève, il se parle.

Substantif complément d’un verbe de mouvement.

Un substantif peut être employé comme complément circonstanciel sans préposition avec des verbes de mouvement (verbes neutres).

Ex. :

Tant chevalchierent et veies et chemins. (Rol., 405.)

Ils chevauchèrent tant par voies et par chemins.

D’enz de la sale uns veltres avalat

Qui vint a Charle les galos et les salz. (Rol., 731.)

De dans la salle un chien de chasse descendit, qui vint vers Charles en galopant et en sautant (mot à mot : les galops et les sauts.)

On disait : aler le petit pas, grand pas ; aler son chemin, expression qui s’est maintenue (cf. passer son chemin) ; venir grant alure (cf. marcher grand train) , etc.

Adjectifs

Emploi du neutre.

La langue moderne emploie des adjectifs au neutre en fonction d’adverbes : sentir bon, voir clair, porter beau. La langue du moyen âge connaît aussi cet emploi, qui y est beaucoup plus fréquent.

Ex. :

Sempres morrai, mais chier me sui venduz. (Rol., 2053.)

Je mourrai bientôt, mais je me suis vendu chèrement.

À la différence de la langue moderne l’adjectif pouvait aussi s’accorder en genre et en nombre avec le sujet.

Ex. : Sa prouece li ert ja vendue trop chiere ; vaillance est chiere achetée ; perdris fresches tuées ; or sui je li plus durs (= durement) ferus[15].

Ce qui caractérisait la forme neutre de l’adjectif et du participe passé, c’est qu’elle ne prenait pas s flexionnelle au cas-sujet singulier. On disait : il est bels (masc), mais ço est bel (neutre).

Ex. :

Quant li jorz passet et il est anoitet. (Alexis, 11 a.)

Quand le jour passe et qu’il fut « anuité », qu’il fut nuit.

Sonent mil graisle, por ço que plus bel seit. (Rol., 1004)

Mille trompettes sonnent, pour que ce soit plus beau.

Il est jugiet que nos les ocidrons. (Rol., 884.)

Il est décidé que nous les tuerons.

Les adjectifs neutres substantivés le beau, l’utile, l’agréable sont d’un emploi très rare dans l’ancienne langue. L’adjectif neutre s’emploie principalement comme attribut.

Accord des adjectifs.

L’ancienne langue usait d’une très grande liberté dans l’accord de l’adjectif se rapportant à plusieurs substantifs. Ordinairement l’accord se faisait avec le substantif le plus rapproché, quels que fussent le genre et le nombre des autres.

Ex. :

Li palais et la sale de pailes portendude. (Pélerinage, 332.)

Le palais et la salle tendus de soieries.

Covert en sont li val et les montaignes

Et li laris et trestotes les plaignes. (Rol., 1084.)

Couvertes en sont les vallées et les montagnes et les landes et toutes les plaines.

Accord des adjectifs demi, mi, etc.

Demi, devant un nom féminin, peut s’accorder ou rester invariable.

Ex. : Demi mon ost vos lerrai en présent : je vous laisserai en présent la moitié de mon armée (Rol., 785.). Mais on trouve aussi le féminin : demie lieue.

On trouve demie morte plutôt que demi-morte ; la syntaxe moderne emploie dans ce cas-là demi au neutre ; l’ancienne syntaxe fait ordinairement l’accord : ex. demie perdue ; l’espée demie traite.

Mi gardait son rôle d’adjectif dans des expressions comme : en mie nuit.

Nu et plein s’accordent avec le substantif, qu’ils soient placés avant ou après. Pour tout, cf. les Pronoms indéfinis.

Adjectif construit avec de.

On pouvait dire — et on disait ordinairement — ta lasse mère ; mais on pouvait dire aussi : ta lasse de mère, ma lasse d’âme, mon las de cors (= cœur, au cas-sujet), ta sainte de bouche, ta vieille de mère, etc.

Que diras-tu, chétive d’âme,
Quand tu verras ta douce dame ?

Li fel d’anemis (cas-sujet singulier ; li felon d’anemi, cas-sujet pluriel)[16]. Cf. aujourd’hui ; : ce fripon de valet et autres expressions semblables ; car de peut dépendre aussi d’un substantif qui précède.

Construction du comparatif

L’ancien français construit le comparatif avec que, comme le français moderne.

Ex. :

Plus se fait fiers que lion ne liépart (Rol., 1111.)

Il se fait plus fier que lion ni léopard.

Plus aimet Dieu que trestot son lignage. (Alexis, 250.)

Il aime Dieu plus que tout son lignage.

Mais l’ancien français peut construire aussi le comparatif avec de, devant des substantifs, des pronoms, et — comme aujourd’hui — devant des noms de nombre.

Ex. :

N’avez baron qui mielz de lui la facet. (Rol., 750.)

Vous n’avez pas de baron qui forme mieux l’avant-garde que lui (Ogier de Danemark).

Meillors vassals de vos onques ne vi. (Rol., 1857.)

Jamais je ne vis de meilleurs vassaux que vous.

Meillor vassal de lui ja ne demant. (Rol., 3377.)

Jamais je ne chercherai, je ne demanderai de meilleur vassal que lui.

Sur l’emploi du superlatif formé avec le plus, le moins, le mieux sans article, cf. supra, Article.

Le comparatif d’égalité se construit avec come, qui est par excellence, pendant tout le moyen âge, la conjonction de la comparaison ; cf. infra, Propositions subordonnées.

Ex. :

Fist une corde si longe come ele pot. (Aucassin et Nicolete, 12, 14.)

Elle fit une corde aussi longue qu’elle put.

Après le comparatif, il arrive souvent que la proposition subordonnée contient la négation, sans que ce soit une règle absolue.

Ex. :

Plus est isnels que n’est oisels qui volet. (Rol., 1573.)

Il est plus rapide que n’est un oiseau qui vole.

Pronoms

Pronoms personnels

Emploi des formes accentuées et des formes atones.

On a vu plus haut (Morphologie) que les pronoms personnels se présentaient sous deux formes : tonique et atone. La forme tonique s’emploie avec les prépositions, comme dans la syntaxe moderne.

Ex. :

Set a mei sole vels une feiz parlasses. (Alexis, 448.)

Si avec moi seule tu avais parlé même une seule fois.

On disait donc : en tei, o tei (avec toi), encontre mei, por mei, por tei, etc.

L’ancien français emploie encore la forme accentuée devant l’infinitif pur et surtout devant l’infinitif précédé d’une préposition, le gérondif et le participe passé. Cet usage, qui était resté vivant jusqu’au xvie siècle, a disparu dans la syntaxe moderne. Ex. :

As tables jueent por els esbaneier. (Rol., 111.)

Ils jouent au tric-trac pour se distraire.

Fait sei porter en sa chambre voltice. (Rol., 2593.)

Il se fait porter (mot à mot : il fait soi porter) dans sa chambre voûtée.

Pensez de moi aidier. (Raoul de Cambrai, 2832.)

Pensez à m’aider.

On disait donc : pour moi, toi, lui servir ; pour moi accuser, acquitter ; s’il vous plaisoit moi commander.


Au xvie s. : Les veoir ainsi soy rigouller (Rabelais, I, 4.). Contraints de soy retirer (Amyot, Fabius, 4.). Pour soy garder (Grand Parangon, 107.).


On emploie aussi la forme tonique, en dehors du cas précédent, quand on veut insister sur le pronom, marquer une opposition.

Ex. :

Quand jo mei pert, de vos nen ai mais cure. (Rol., 2305.)

Quand je me perds, de vous (de Durendal) je n’ai plus souci.

Tei covenist helme et bronie a porter. (Alexis, 411.)

C’est à toi qu’il aurait convenu de porter le heaume et la broigne (cuirasse).

Emploi des pronoms personnels sujets.

Conformément à l’usage latin le pronom personnel sujet est généralement omis.

On ne l’exprime que lorsqu’on veut insister ou marquer un contraste, une opposition.

Quant jo mei pert, de vos nen ai mais cure. (Rol., 2305.)

Quand je me perds, de vous (de Durendal) je n’ai plus souci.

Tu n’ies mes hom, ne jo ne sui tes sire. (Rol., 297.)

Toi, tu n’es pas mon vassal, et moi, je ne suis pas ton seigneur.

Tu por ton per, jol ferai por mon fil. (Alexis, 155.)

Toi pour ton compagnon, moi je le ferai pour mon fils.

Cependant à la fin du xiie siècle l’emploi du pronom sujet se généralise.

Les cas-sujets des pronoms personnels étaient, au singulier, je, tu, il[17]. On disait : je et tu irons ; ne vos ne il n’i porterez les piez (Rol., 260) ; il et ses frères (= lui et son frère) ; il dui (= eux deux) ; je et mi chevalier (= moi et mes chevaliers) ; li maistres deu Temple et je (Joinville), etc.

Ex. :

Il et Rolanz el camp furent remes (Rol., 2779).

Lui et Roland furent laissés sur le champ de bataille.

Dès le xiie siècle, on trouve cependant la tournure moderne moi et vous au lieu de je et vous ; mais ces tournures ne deviendront communes qu’à partir du xve siècle et ne seront de règle qu’à la fin du xvie.

Emploi pléonastique de il.

Quand une phrase commence par qui = celui qui, il est employé pléonastiquement dans le second membre de phrase. Ex. Qui molt est las il se dort contre terre (Rol., 2494). Celui qui est très las dort contre terre.

Même en dehors de ce cas, l’emploi pléonastique de il, après un sujet déjà exprimé, est fréquent dans l’ancienne langue.

Omission des pronoms neutres sujets il, ce.

Les pronoms neutres il et plus rarement ço, ce sujets grammaticaux de verbes impersonnels, sont en général omis. Ex. :

Donc li remembret de son seignor céleste. (Alexis, 57.)

Alors il lui souvient de son seigneur céleste.

Ne puet altre estre. (Alexis, 156.)

Il ne peut en être autrement.

Soz ciel n’at home. (Alexis, 598.)

Sous le ciel il n’y a pas d’homme.

Assez est mielz. (Rol., 58.)

Il vaut beaucoup mieux.

Quatre pedrons i at. (Rol., 59.)

Il y a quatre perrons.

L’expression moderne il y a se présentait ordinairement sous la forme i at (lat. ibi habet) , quelquefois at tout court, et le nom qui suivait était au cas-régime, comme complément de a.

L’omission du pronom neutre sujet est restée fréquente jusqu’au xvie siècle. La langue moderne en a conservé des traces dans des expressions comme : tant y a que, tant s’en faut, naguère (= il n’y a guère, il n’y a pas beaucoup), peut-être (= cela peut être) ; pieça (= il y a une pièce de temps, il y a un moment ; encore dans La Fontaine). On disait dans l’ancienne langue : grant pieç’a = il y a très longtemps.

Omission du pronom personnel de la 3e personne régime direct.

La grammaire moderne considère comme une faute la tournure populaire : je lui ai dit pour je le lui ai dit ; je lui ai donnée pour je la lui ai donnée. L’omission du premier pronom, régime direct, est fréquente encore au xvie siècle et elle est presque constante en ancien français.

Ex. :

Tient une chartre, mais ne li puis tolir. (Alexis, 355.)

Il tient une charte, un écrit, mais je ne puis le lui enlever.

Il la vuelt prendre, cil ne li vuelt guerpir. (Ibid., 351.)

Il veut la prendre, mais celui-ci ne veut pas la lui abandonner[18].

Périphrases remplaçant le pronom personnel.

L’ancien français employait des tournures comme mon cors, ton cors, son cors, plus rarement ma char, ta char, et quelques autres expressions semblables en fonction de pronoms personnels. Les exemples avec cors sont en particulier nombreux : l’expression signifiait : de ma personne, de ta personne, en personne, moi-même, toi-même.

Ex. :

Jo conduirai mon cors en Rencesvals. (Rol., 892.)

J’irai moi-même, en personne, à Roncevaux.

Li cors Dieu les cravant ! (Aimeri de Narbonne, 1019.)

Que Dieu les écrase !

Le mot cors sert aussi à renforcer le pronom de la 3e personne ou le substantif sujet.

Ex. :

Il ses cors ira. (Villehardouin, 93 f.)

Il ira en personne.

Li roys ses cors avoit fait. (Joinville)

Le roi avait fait en personne, lui-même.

Il meismes ses cors portoit. (Id.)

Lui-même portait.

Pronoms-adverbes en, y.

En et y (a. fr. i), qui, dans la syntaxe moderne, se rapportent aux choses, pouvaient se rapporter aussi aux personnes.

Ex. :

De Nicole le bien faite

Nus hom ne l’en puet retraire. (Aucassin, III, 4.)

D’auprès de Nicolette la bien faite aucun homme ne peut le ramener.

L’emploi de ces mêmes pronoms-adverbes est fréquent pour annoncer un régime ou rappeler une proposition. Dans ce dernier cas cet emploi s’est maintenu avec beaucoup de liberté jusqu’au xviie siècle ; on n’a qu’à étudier, à ce point de vue, la syntaxe de en dans Corneille.

Emploi du pronom personnel pour l’adjectif possessif.

Le pronom personnel précédé de la préposition de remplace assez souvent l’adjectif possessif. On disait : l’ame de mei (= mon âme), l’ame de tei (= ton âme), l’âme de lui (= son âme) ; le nombre d’eus, l’ame d’eus, etc.

Ex. :

Guaris de mei l’ame de toz périls. (Rol., 2387.)

Protège mon âme contre tous les périls.

Li sire d’els premiers parlat avant. (Rol., 2656.)

Leur seigneur parla le premier.

L’anme de tei seit mise en pareïs. (Rol., 2934.)

Que ton âme soit mise en paradis.

Por la douçor de li e por s’amor. (Aucassin, 24, 77.)

Pour la grâce d’elle, pour sa grâce et pour son amour.

On trouve dans ce dernier exemple les deux tournures, l’ancienne et la moderne.

Emploi du pronom réfléchi.

Le français moderne n’emploie le pronom réfléchi accentué que lorsque le sujet est indéterminé : chacun pour soi ; il vaut mieux avoir les honnêtes gens avec soi ; on a souvent besoin d’un plus petit que soi.

L’ancienne langue avait une liberté bien plus grande ; elle pouvait employer le pronom réfléchi accentué dans tous les cas où nous emploierions la forme tonique du pronom non réfléchi lui. Ex. :

Dedavant sei fait porter son dragon. (Rol., 3266.)

Devant lui il fait porter son dragon.

A sei apelet ses filz e les dous reis. (Rol., 3280.)

Il appelle à lui ses fils et les deux rois.

Or ad li cuens endreit sei sez que faire. (Rol., 2123.)

Maintenant le comte (Roland) a assez à faire envers lui-même.

Quant veit li cuens que ne la freindrat mie,

Molt dolcement la plainst a sei meïsme. (Rol., 2342.)

Quand Roland voit qu’il ne la brisera pas,

très doucement il la plaignit en lui-même[19].

D’autre part, au lieu du réfléchi atone (se) comme dans la langue moderne, ou du réfléchi tonique sei, soi (cf. supra), l’ancien français emploie volontiers le pronom personnel non réfléchi lui, elseus[20].

Ex. :

As tables jueent por els esbaneier. (Rol., 111.)

Ils jouent au tric-trac pour s’amuser.

Olivier sent qu’il est a mort naffret ;

De lui vengier ja mais ne lui ert sez. (Rol., 1966.)

Olivier sent qu’il est blessé à mort ;

de se venger il n’aura pas le temps.

Pronoms adjectifs démonstratifs

Emploi du pronom adjectif démonstratif en fonction d’article.

L’article provient d’un démonstratif latin (cf. la Morphologie). L’ancien français connaît aussi l’emploi du démonstratif cet, cete ou de cil, cele en fonction d’article. Cet emploi est même fréquent.

Par tote l’ost font lors tabors soner

Et cez buisines e cez greisles molt cler. (Rol., 3137.)

Par toute l’armée ils font sonner très haut leurs tambours et les trompettes et les cors.

Franceis i fierent par vigor et par ire,

Trenchent cez poinz, cez costez, cez eschines. (Rol., 1662.)

Tranchent les poings, les côtés, les échines[21].

Pronoms et adjectifs.

Les pronoms démonstratifs étaient indifféremment, dans l’ancienne langue, adjectifs ou pronoms.

Adjectifs.

On disait : en cest païs, en ceste ville ; en cel païs, en celle ville, cel désignant les objets éloignés, cest les objets rapprochés.

Pronoms.

On disait également : cil dist ; cil a parlet a lei de bon vassal (Rol., 887.). Cel list romans e cil dist fables (Méon, Nouv. Rec., I, 152.).

Autres exemples de l’emploi du pronom adjectif :

Si veit venir cele gent paienor (Rol., 1019). Et il voit venir cette race païenne.

A celle jornée que nos entrames dans nos neis (Joinville, XXVIII). En celui temps ; en celui jour ; en cestuy jour.

La langue moderne a établi une distinction rigoureuse dans l’emploi de ces formes : cet, cette est adjectif ; celui, celle sont pronoms (celui-ci, celle-là) ; ils peuvent s’employer aussi comme antécédents du relatif qui : celui qui règne dans les les cieux (a. fr. cil qui regnet es ciels).

Quant a celui, qui était le cas du régime indirect (et quelquefois direct), il s’emploie de bonne heure comme cas-sujet.

Ex. :

Celui levat le rei Marsilion. (Rol., 1520.)

Celui-ci éleva le roi Marsile. Au xvie siècle celui pouvait encore être employé comme sujet d’un verbe ou comme adjectif.

Celuy n’est parfait poète

Qui n’a une âme parfaite. (D’Aubigné, III, 140.)

Celui Dieu (Marot) ; iceux bœufs (Rabelais).

Icelui, icelle subsistent encore au xviie siècle dans certaines formules de procédure.

Cettui-ci, très fréquent chez Balzac, est rare après Corneille, qui l’a employé trois fois dans Clitandre.

Dans une proposition négative comme la suivante : n’i ad cel, celui ne plort et se dement, celui prend le sens de personne, comme on le voit en traduisant : il n’y a personne qui ne pleure et ne se lamente. Cette tournure, très fréquente en ancien français, se retrouve au xvie siècle : Il n’y a celuy qui ne se vante qu’il en a grande quantité (Despériers, Cymbalum, II)[22].

Après comme, celui a le sens de quelqu’un.

Ex. :

J’en parle come de celuy que je ai connu. (Commynes, 7, 2.)

J’en parle comme de quelqu’un que j’ai connu.

Dès le lendemain délibéra de partir comme celuy qui avait grande envie de retourner (Id., 8, 11.) ; = comme quelqu’un.

Emploi de ce, ço.

L’ancien français emploie volontiers le pronom neutre ço, ce devant les verbes croire, dire, savoir, sentir, voir, etc., quand ces verbes sont suivis d’une proposition subordonnée complétive, que ço, ce servent, pour ainsi dire, à annoncer.

Ex. :

Ço sent Rodlanz que la mort li est prés. (Rol., 2259.)

Roland sent que la mort lui est proche.

Ço sent Rodlanz que s’espéde li tolt. (Rol., 2284.)

Roland sent qu’il (le païen) lui enlève son épée.

Quant il ço vit que n’en pout mie fraindre. Rol., 2314.)

Quand il vit qu’il n’en pouvait rien briser.

Pronoms adjectifs possessifs

La forme accentuée du pronom ou adjectif possessif était ordinairement précédée de l’article défini ; elle pouvait aussi être précédée d’un pronom démonstratif, ou de l’indéfini un.

On disait donc : la meie mort, la soe mort ; li tuens parentez ; li miens cuers ; li miens amis ; la toe, la soe mercit ; uns suens chevaliers ; uns suens escuiers ; ceste vostre charrue ; cez lor espées, etc. Cf. encore aujourd’hui, dans le langage populaire : un mien ami, un mien cousin.

Pour l’emploi du pronom personnel précédé d’une préposition en fonction d’adjectif possessif, cf. supra.

Lour (< illorum), devenu leur, ne prend la marque du pluriel qu’à la fin du xiiie siècle.

Pronoms relatifs

Emploi du cas-régime cui.

Le cas-régime cui, conformément à son origine (datif latin cui), s’emploie comme régime indirect ; il peut s’employer aussi comme régime direct et même comme « génitif ». Voici des exemples de, ces trois cas.

  1. Li rois cui la cité estoit.

Le roi à qui était la cité.

Li chanceliers, cui li mestiers en eret. (Alexis, 376.)

Le chancelier à qui (= dont) c’était la fonction.

  1. Al tems Noé cui Dieus par amat tant. (Alexis, 7.)

Au temps de Noé que Dieu aima tant.

Celui cui j’amoie. (Chastelaine de Vergi, 739.)

Celui que j’aimais.

Plus que moi cui il a trahie. (Ibid., 743.)

Plus que moi qu’il a trahie.

  1. Godefrois, cui ame soit sauvée. (Roman de Bauduin de Sebourc, XXV, 64.)

Godefroy, dont l’âme soit sauvée.

Autres exemples de cui mis pour de qui, dont.

Barons cui pere establirent l’Église. (Vie de saint Thomas, 2447.)

Les barons dont les pères fondèrent l’Eglise.

A cui porte Ladres gisoit. (Renclus de Molliens, 43, 3.)

Devant la porte de qui gisait Lazare.

Dans ces derniers cas, comme dans le suivant : en la cui garde li rois l’aveit mis (c’est-à-dire, en la garde de qui), cui, servant de régime à garde, est construit sans la préposition de, comme dans les expressions l’enseigne Charle, lo corn Roland, la Charlon, etc.


Cui peut aussi s’employer avec une préposition.

Ex. :

D’icel saint home par cui il gariront. (Alexis, 330.)

De ce saint homme par qui ils seront sauvés.

Dont.

Dont s’employait assez librement pour exprimer des rapports divers : un anel dont il l’out esposede (Alexis, 73.) : un anneau qu’il lui avait donné en l’épousant. Cette liberté régnait encore au xviie siècle (Haase, Synt. fr., § 37.). Dont peut se rapporter à toute une phrase précédente : li roys s’en revint en France, dont il en fu mout blasmez (Joinville, 77 b.) . Cet usage s’est maintenu jusque dans la langue contemporaine[23].

Lequel.

Lequel n’apparaît guère avant le xiiie siècle ; il est très fréquent au xive siècle et son usage ne se restreint qu’au xviie.

Pronom-adverbe .

Le pronom-adverbe peut se rapporter dans l’ancienne langue à des personnes (cf. supra, en, y).

Ex. :

Ensi dist Charles, ou il n’ot qu’aïrer. (Aimeri de Narbonne, G. Paris, Chrest., v. 280.)

Ainsi dit Charles, chez qui il n’y avait que tristesse.

Cet emploi, qui était assez rare en ancien français, devient d’un usage courant au xviie siècle.

Ex. :

Vous avez vu ce fils, où mon espoir se fonde. (Molière, Étourdi, IV, 2.)

Il ne reste que moi

Où l’on découvre encor les vestiges d’un roi. (Racine, Alexandre, II, 2[24].)

Omission du pronom relatif.

L’ancienne langue omettait volontiers le pronom relatif après des propositions négatives ou restrictives. « Le trait le plus caractéristique du Roland est l’omission fréquente de que ou qui entre la proposition principale et les propositions subordonnées[25]. » Cela est vrai naturellement des autres textes. C’est là une habitude si différente de la syntaxe moderne qu’elle déroute souvent les débutants.

Ex. :

Soz ciel n’at home plus en ait de meillors. (Rol., 1442.)

Sous le ciel il n’y a pas d’homme qui en ait de meilleurs.

Cel nen i at Monjoie ne demant. (Rol., 1525.)

Il n’y a personne qui ne demande Montjoie[26].

Jamais n’iert home plus volenters le serve. (Rol., 2254.)

Jamais il n’y aura un homme qui le serve plus volontiers.

Suppression de l’antécédent ce.

Dans les interrogations indirectes, le pronom interrogatif[27] neutre que est précédé, dans la langue moderne, de ce, à moins que ce que ne soit devant un infinitif.

Ex. :

Savez-vous bien ce que vous faites ?

Mais : je ne sais que faire.

L’ancienne langue employait que comme pronom interrogatif neutre sans antécédent.

Ex. :

Il ne sout que ço fut. (Pélerinage, 386.)

Il ne savait ce que c’était.

Ne sevent que font. (Alexis, 370.)

Ils ne savent ce qu’ils font.

Or ne sai jo que face. (Rol.)

Je ne sais que faire.

Cette tournure s’est maintenue longtemps. Au xvie siècle, elle est constante : Je ne sais que c’est ; sans sçavoir qu’ils faisoient, tant ils estoient troublés[28].

Hélas ! mon cher Morel, dy-moy que je feray,

Car je tiens, comme on dit, le loup par les oreilles. (Du Bellay, Œuvres choisies, 219[29].)

Au xviie siècle, les exemples ne sont pas rares.

Ex. :

Qui n’avait jamais éprouvé que peut un visage d’Alcide. (Malherbe.)

Le roi ne sait que c’est d’honorer à demi. (Corneille.)

Voilà, voilà que c’est de ne voir pas Jeannette. (Molière, Étourdi, IV, 6.)

Vous savez bien par votre expérience

Que c’est d’aimer. (La Fontaine, Contes, III, 5.)

C’est par une omission de la même nature que s’explique la tournure suivante, si commune dans la langue du moyen âge : faire que avec le cas-sujet et ellipse du verbe : faire que fols, c’est-à-dire : faire (ce) que (fait) un fou[30] ; faire que sages, c’est-à-dire : faire (ce) que (fait) un sage ; faire que proz, agir en preux ; faire que traïstre, agir en traître.

On trouve encore dans La Fontaine (Fables, V, 2) :

Celui-ci s’en excusa,
Disant qu’il ferait que sage
De garder le coin du feu.

Qui = Si l’on.

Qui sujet d’un verbe au conditionnel ou, ce qui est la même chose en ancien français, à l’imparfait ou au plus-que-parfait du subjonctif, a le sens de : si quelqu’un, si l’on, si on : cet emploi a lieu surtout dans des propositions qui marquent l’hypothèse ou dans des propositions exclamatives.

Ex. :

Qui donc odist Monjoie demander,

De vasselage li poüst remembrer. (Rol., 1182.)

Si quelqu’un avait entendu ce cri de Monjoie, il aurait pu avoir une belle idée du courage.

Qui lui veïst Sarrasins desmembrer,

De bon vassal li poüst remembrer. (Rol., 1970.)

Si quelqu’un lui avait vu démembrer les Sarrasins, il aurait pu se représenter un bon vassal.

Qui puis veïst Roland et Olivier

De lor espées et ferir et chapler ! (Rol., 1680.)

Ah ! Si on avait vu Roland et Olivier frapper de leurs épées !

Même en dehors de ces cas, qui, employé comme pronom absolu, avec un sens indéfini, peut être traduit par si on, comme dans l’expression moderne : tout va bien, qui peut attendre.

Ex. :

Dieus, come est biaus, qui l’a bien regardé ! (Huon de Bordeaux, 3414.)

Dieu ! comme il est beau, pour celui qui l’a bien regardé, si on le regarde bien.

De noz aveirs ferons granz départides

La main menude, qui l’almosne desidret. (Alexis, 523.)

De nos biens nous ferons de grandes et nombreuses distributions, si quelqu’un désire l’aumône.

Cet emploi de qui, du moins avec un conditionnel, est resté très vivant jusqu’au xvie siècle et on en trouve des exemples au xviie[31].

Qui seroit contraint d’y vivre, on trouverait moyen d’y avoir du repos. (Malherbe, II, 373.)

Bonne chasse, dit-il, qui t’aurait à son croc. (La Fontaine, Fables, X, 4).

Qui n’aurait que vingt ou trente ans,

Ce serait un voyage à faire. (Id. Contes, IV, 9.)

Adverbe relatif que.

L’adverbe relatif que pouvait remplacer dans l’ancienne langue un pronom relatif précédé d’une préposition.

Ex. :

Il les tendroit as us et coutumes que li empereeur les avoient tenuz. (Villehardouin, 280 k.)

Il les tiendrait aux us et coutumes auxquels les empereurs les avaient tenus.

Nous somes ou plus grant péril que nous fussiens onques mais. (Id.)

Nous sommes au plus grand péril où nous ayons jamais été.

Cet emploi est encore général chez les auteurs du xviie siècle (Haase, Synt.fr., § 36).

Pronoms interrogatifs

Le pronom interrogatif cui, écrit quelquefois qui, s’emploie comme régime indirect sans préposition avec autant de liberté que cui pronom relatif.

Ex. :

De ço cui chalt ? Demorét i ont trop. (Rol., 1806.)

De cela à qui (ou à quoi) importe-t-il ? À qui (à quoi) cela sert-il ? Ils ont trop tardé.

O filz, cui ierent mes granz hereditéz ? (Alexis, 401.)

Ô fils, à qui seront mes grands héritages ?

Il pouvait aussi, comme le relatif, être précédé de prépositions : a cui, de cui, par cui, etc. Sur l’omission de l’antécédent ce dans les propositions interrogatives indirectes, cf. supra.

Que, quoi, qui.

L’interrogatif neutre était que[32] (forme atone), quoi (forme tonique). De bonne heure que a été remplacé comme cas-sujet par qui, forme du masculin et du féminin. Cet emploi de qui s’est maintenu dans la langue moderne : qui fait l’oiseau ? c’est le plumage (= qu’est-ce qui). Qui vous presse ? (La Fontaine, Fables, IX, 2) (= qu’est-ce qui vous presse).

Pronoms adjectifs indéfinis

Les indéfinis sont en général pronoms et adjectifs. Nous ne parlerons que des plus usuels.

Aucun.

Alcun, aucun provenant de aliqui(s) unus, signifie quelqu’un dans l’ancienne langue ; ce sens affirmatif s’est maintenu jusque dans la langue moderne : d’aucuns prétendent. Le mot, employé souvent dans des phrases négatives, a pris le sens négatif.

Altrui.

Altrui, autrui est le cas-régime indirect de altre. L’autrui était aussi un neutre qui signifiait : le bien des autres. Il était construit comme un nom (complément déterminatif) dans des expressions comme : notre droit et l’autrui (= celui d’autrui).

Chascun.

Chascun servait d’adjectif et de pronom : chascun seigneur, chascun jour. Cette construction s’est maintenue jusqu’au xvie siècle[33]chaque a remplacé chacun en fonction d’adjectif. Chaque « inconnu à Rabelais, se rencontre dans Montaigne (I, 10.)[34] ».

 

Mesme.

La langue actuelle donne deux sens à cet adjectif indéfini, suivant la place qu’il occupe : le même homme (identité), l’homme même (idée d’insistance).

Dans l’ancienne langue cette règle n’existait pas et jusqu’au xviie siècle le sens de même était déterminé par le contexte et non par la place qu’il occupait.

Ex. :

Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu ? (Corneille, Cid, II, 12.)

avoir ainsi traité

Et la même innocence et la même bonté. (Molière, Sganarelle.)

Inversement on trouve au xviie siècle :

Sans être rivaux, nous aimons en lieu même. (Corneille, Place Royale, V, 3.)

Nul.

Nul avait un cas-régime nului, qui a disparu de bonne heure. Étant négatif, nul pouvait s’employer sans négation ; mais ce n’était pas une règle générale ; il est souvent accompagné de la négation dans la Chanson de Roland.

Om, on.

Om, on venant de homo, a de bonne heure le sens indéfini qu’il a de nos jours : il y en a quatre exemples dans la Vie de Saint Alexis, et ils sont plus nombreux dans la Chanson de Roland.

Plusor.

Plusor, pluisor (mod. plusieurs) correspond à un comparatif du latin vulgaire (cf. la Morphologie) et signifie plusieurs, beaucoup. Employé avec l’article défini il signifie : le plus grand nombre. On dit ordinairement : li alquant et li pluisor.

Ex. :

Alquant i chantent, li pluisor getent lairmes.

Quelques-uns chantent, le plus grand nombre pleurent.

Se pasment li plusor. (Rol., 2422.)

La plupart s’évanouissent.

De plusors choses à remembrer li prist. (Rol., 2377.)

Il se mit à se souvenir de plusieurs choses.

Quel... que.

Là où le français moderne emploie quelque... que[35], l’ancien français employait, plus logiquement et plus simplement, quel... que : cet emploi a d’ailleurs persisté jusqu’au xviie siècle.

Ex. :

Quel part qu’il alt, ne poet mie caïr. (Rol., 2034.)

Quelque part qu’il aille, il ne peut tomber.

Deu gardad David quel part qu’il alast. (Quatre livres des Rois, II, 148.)

Dieu garda David, quelque part qu’il allât.

En quel lieu que on le mist : en quelque lieu qu’on le mît.

Au xviie siècle :

En quel lieu que ce soit, je veux suivre tes pas. (Molière, Fâcheux, III, 4.)

Les distinctions entre quelque adjectif et quelque adverbe ne sont pas connues de l’ancienne langue ; jusqu’au xviie siècle d’ailleurs, quelque s’accorde avec le mot auquel il se rapporte.

Qui qui, qui que, que que.

Qui qui, quique, cui que (cas-régime du précédent) s’employaient en parlant des personnes.

Que que, quoi que s’employaient en parlant des choses.

Ex. :

Ambor ocit, qui quel blasmt ne le lot. (Rol., 1546.).

Il les tue tous deux, qui que ce soit qui le blâme ou le loue.

Cui qu’en peist[36] o cui non. (Rol., 1279.)

Qui que ce soit que cela ennuie ou non.

Autres exemples : cui qu’en doie desplaire ; cui qu’en doit anuier, etc.

Que que Roland Guenelon forsfesist (Rol., 3827.).

Quelque faute que Roland ait commise envers Ganelon.

Autres exemples : que que li autre facent ; que qu’on die...


Qui qui, qui que étaient souvent accompagnés de l’adverbe de temps onques : de là vient le pronom indéfini Quiconque (qui que onque).

Qui... qui pouvait avoir aussi le sens de : les uns... les autres. Le neutre que... que signifiait : tant... que. Cf. encore, dans La Fontaine : Que bien que mal elle arriva (Fables, IX, 2).

Tant.

Tant, comme quant, était un adjectif indéfini variable.

Ex. :

Par tantes terres ad son cors travailliét ! (Rol., 540.)

Par tant de pays il a fatigué son corps !

Tanz bons vassals veez gésir par terre. (Rol., 1694.)

Tant de bons vassaux vous voyez couchés par terre !

Avec quant on pouvait dire : en quantes choses, quantes proieres (prières), etc. Cf. encore l’expression vieillie : toutes et quantes fois.

On disait mil tanz, cent tanz = mille fois autant, cent fois autant.

Tout.

Tout employé comme adjectif (tous les hommes) pouvait ne pas prendre l’article dans l’ancienne langue surtout au pluriel : tous hommes, tous dis, tous jours. On disait aussi toute nuit, toute veie (toutefois, cependant). Cf. encore, au xviie siècle :

Chez lui paisiblement a dormi toute nuit. (Corneille, Menteur, III, 2.)

Quoi ! Masques toute nuit assiégeront ma porte ! (Molière, Étourdi, III, 9.)

Un.

Un s’emploie au pluriel devant les mots qui n’ont pas de singulier ou devant les mots désignant des objets qui vont par paire.

Unes lettres, unes fourches, unes chausses, unes cornes, unes grosses lèvres, etc.

Un employé comme pronom au sens de l’un, quelqu’un est fréquent.

Uns qui se jut el pavillon

Respondi orgoillosement. (Ben. de Sainte Maure, 16042.)

L’un d’eux, qui était couché au pavillon, répondit orgueilleusement.

Au xvie siècle, un avait souvent le sens de quelqu’un : Comme un qui prend une coupe (Ronsard, Odes, I, 2). Oter à un ce que la fortune lui avait acquis (Montaigne, II, 8).

Noms de nombre

Cardinaux

Sur l’emploi de un article indéfini, cf. supra. Sur l’emploi de l’article devant les nombres cardinaux, cf. supra. Les divers éléments des noms de nombre formés par addition étaient réunis par et : on disait vingt et deux, trente et trois, comme aujourd’hui vingt et un, soixante et onze. Cet usage s’était maintenu en partie au xviie siècle (trente et trois, vingt et quatre dans Corneille).

Ex. : Mil et cent et quatre vinz et dix sept anz. (Villehardouin.)

Un nom de nombre formé d’une unité de dizaine + un n’exigeait pas que le substantif fût au pluriel ; l’accord se faisait avec un et non avec l’ensemble du chiffre.

La règle se maintient au xvie siècle et au xviie il y a encore hésitation.

L’ancien français formait des multiplicatifs avec vingt : six vint, douze vint, quatorze, quinze vint, etc. Quatre-vingts est un reste de cet ancien usage (cf. l’Hôpital des Quinze Vingts) . On trouve jusqu’à dix-huit vingt. Le cas-sujet de vingt était vint, le cas-régime vinz.

Avec cent l’usage est le même qu’aujourd’hui ; mais on pouvait dire dix cens, comme huit cens, neuf cens.


Pour mille l’ancien français avait la forme mil, qui on correspondait au latin mille (singulier) et milie, plus tard mille, qui correspondait au latin milia (pluriel neutre).

Ex. :

Od mil de mes fedeilz. (Rol., 84.)

Avec mille de mes fidèles.

Vint milie homes (Ibid., 13.)

Sont plus de cinquante milie. (Ibid., 1919.)

Il y a d’ailleurs souvent confusion entre mil et milie, mille.

Ordinaux

L’ancienne langue employait peu les noms de nombre cardinaux dans les cas où nous les employons aujour- d’hui (succession de rois, d’empereurs, etc.) ; elle aurait dit : Louis deuxième, troisième, quatorzième ; elle disait de même, pour les jours du mois : le quatorzième d’aoust, le vingt cinquième de mai. Cet usage a duré jusqu’au xviie siècle, au moins en ce qui concerne la succession des rois, papes, empereurs, etc., les jours du mois. Balzac dit : Louis quatorzième, Adrien sixième, Henri troisième ; Boileau : Louis douzième ; Balzac : vingt-quatrième de mars ; quinzième de décembre.

Citons encore les expressions comme moi dixième, moi troisième (= dix, trois personnes, moi compris) qui se retrouvent au xviie siècle et qui survivent encore dans les dialectes modernes.

  1. Composée vers 1040 ; éd. Gaston Paris et M. Roques (Classiques français du Moyen-âge).
  2. Texte du manuscrit d’Oxford, publié par G. Grœber (Bibliotheca Romanica, no 53-54). Nous y avons introduit quelques modifications surtout orthographiques. La Syntaxe de l’Essai de Grammaire de l’ancien français de E. Etienne abonde en observations ingénieuses fondées sur l’étude de textes nombreux : nous nous en sommes servi avec fruit pour cette partie de notre travail. Les exemples concernant le xvie siècle sont empruntés en général à : Darmesteter et Hatzfeld, Le xvie siècle en France, 1ere éd., Paris, 1878. Plusieurs exemples sont empruntes à la Chrestomathie du moyen âge de Gaston Paris et Langlois (4e éd., 1904), dont l’introduction contient de précieuses notes de syntaxe. Pour le xviie siècle nous nous sommes servi de : Haase, Syntaxe française du xviie siècle, trad. Obert. Paris, 1898, ainsi que de la Grammaire historique de M. F. Brunot et de l’Histoire de la langue française du même auteur, Tome IV (Paris, Colin, 1913). Le tome 1 du même ouvrage nous a fourni aussi d’intéressants exemples et de précieuses observations. On trouvera des renseignements bibliographiques complets dans l’ouvrage suivant : Horluc et Marinet, Bibliographie de la Syntaxe du français, Lyon — Paris, 1908.
  3. Classiques français du moyen-âge.
  4. Composé de tres et de tot (lat. vulg. trans totum, au delà de tout).
  5. Sous-entendu : espede.
  6. On lit dans Villon : Passez-vous en mieulx que pourrez. (Grand Testament, 346.)
  7. Cf. Haase, Syntaxe française du xviie siècle, §29 A.
  8. G. Paris, Chrestomathie de l’ancien français, p. LXI.
  9. Le pluriel de l’article indéfini un a été remplacé dans la langue moderne par des, qui est le pluriel de l’article partitif.
  10. Cf. Haase, Synt. fr., § 117.
  11. Haase, Synt. fr., § 107.
  12. En réalité populus Deo en latin vulgaire, la forme du génitif ayant disparu.
  13. Peut-être doit-on rapporter au même usage des expressions tomme : en yver tens, en esté tens, au temps d’hiver, au temps d’été.
  14. Au vers 2389 on trouve, avec la même formule, a Deu.
  15. Tobler, Vermischte Beitraege, I (1ere éd.), 65.
  16. Tous ces exemples sont donnés par Tobler, Vermischte Beitraege, I (1ere éd.), p. 113.
  17. Sert aussi de 3e personne du pluriel ; cf. la Morphologie.
  18. Cependant on trouve, dans le même poème (v. 368, 373) : done li la, lui la consent, exemples qui prouvent que le pronom régime ne s’omettait pas, quand il devait être placé après le pronom régime indirect. Pour le xviiie s., cf. Haase, Synt. fr., § 4.
  19. Un peu plus loin on trouve (v. 2382) : Mais lui meïsme ne volt mettre en obli.
  20. Une grande liberté dans l’emploi de soi au lieu de lui existait encore au xviie siècle ; cf. Haase, Synt. fr., § 13.
  21. Cf. Ch. de Roland, 2533–38, le mélange de les et de ces.
  22. Darmesteter et Hatzfeld, Le xvie siècle en France, p. 257.
  23. Cf. des exemples d’Andrieux et de G. Sand dans Ayer, Grammaire comparée de la langue française, 4e éd., p. 452.
  24. Cf. Haase, Synt. fr., § 38 A.
  25. G. Paris, Extraits de la Chanson de Roland, 6e éd., p. 52.
  26. Cri de guerre des soldats de Charlemagne.
  27. Nous croyons que c’est un interrogatif plutôt qu’un relatif.
  28. Exemples de la Satyre Ménippée et d’Amyot cités par Darmesteter et Hatzfeld, Le xvie siècle en France, 1ere éd., p. 258.
  29. Brunot, Gram. hist., § 275.
  30. Il s’agit à vrai dire ici d’une proposition relative et non pas interrogative, comme dans le cas précédent.
  31. Cf. Haase, Synt. fr., § 40.
  32. L’ancienne langue pouvait dire : que vous faut ? (= Qu’est-ce qui vous manque ?).
  33. Encore dans La Fontaine : chacune sœur. (Fables, II, 20.).
  34. Brunot, Gram. hist., p. 353.
  35. On trouve des exemples de quelque... que dès le xiiie siècle ; mais son emploi n’a prévalu qu’au xviie.
  36. Subj. prés, 3e p. sg., du verbe peser.


 

CHAPITRE VII

 

VERBES

OBSERVATIONS GÉNÉRALES

Accord.

Le verbe précédé de plusieurs sujets peut s’accorder avec l’ensemble des sujets et se mettre au pluriel. Mais la liberté de construction est si grande dans la langue du moyen âge que le verbe peut ne s’accorder qu’avec le sujet le plus rapproché, même si ce sujet est au singulier et que l’autre ou les autres soient au pluriel ; cela arrive surtout quand les sujets sont joints entre eux par et et de préférence par les particules disjonctives ne, ou.

Ex. :

Murs ne citét n’i est remés a fraindre. (Rol., 5.)

Ni mur ni cité n’y sont restés à renverser.

Car molt vos priset mes sire et tuit si home. (Rol., 636.)

Car mon seigneur et tous ses hommes vous prisent beaucoup.

Les noms collectifs, comme gent, peuple, mesnie (maison, entourage d’un grand personnage), chevalerie, etc., sont souvent suivis d’un verbe au pluriel.

Ex. :

La gent de Rome, qui tant l’ont desidrét,

Set jorz le tienent sour terre a podestét. (Alexis, 571.)

Le peuple de Rome, qui l’a tant regretté,

le retient sept jours sur terre en son pouvoir.

Ad une voiz crident la gent menude. (Alexis, 531.)

D’une seule voix le bas peuple s’écrie.

Gent paienor ne voelent cesser onques.

Issent de mer, vienent as ewes dolces. (Rol., 2639.)

La gent païenne ne veut (veulent) pas s’arrêter ; ils sortent de la mer, entrent dans les eaux douces.

Au lieu de c’est moi, toi, lui ; c’est nous, c’est vous, ce sont eux, on disait en ancien français : ce sui je, ce es tu, ce est il ; ce somes nous, ce estes vous, ce sont il. Comme on le voit, ce est attribut et l’accord se fait avec le sujet réel, qui est le pronom personnel.

On disait encore au xvie siècle : Ce suis-je moy, dist le Seigneur, qui l’ay deceu (Calvin, I, 18, 2.).

Vois ces rochers au front audacieux,

C’estoient jadis des plaines fromenteuses. (Ronsard, 963 L[1].)

Cet accord du verbe avec le sujet logique se fait dans d’autres cas où l’ancien français employait une tournure impersonnelle ; par exemple : il estoient jadis dui frère ; il sont venues tant de plaintes[2]. Cf. encore : il i corurent set rei et quinze duc (Cour. de Louis, 631.). Et si sont il venu assésIci maint preudome vaillant (Chev. aux deux épées, 4456.)[3].

Changements dans les voix.

De nombreux changements se sont produits, depuis le moyen-âge, en ce qui concerne les voix des verbes. D’une manière générale, les verbes à forme pronominale étaient beaucoup plus nombreux que dans la langue moderne, parce que la plupart des verbes intransitifs avaient une tendance à prendre cette forme. Ils indiquaient alors une action qui ne sort pas du sujet et porte essentiellement sur lui.


On disait : s’apareistre, se combatre, se craindre, se demorer, se douter (craindre), se dormir, se feindre, se gesir, se joster (joûter avec quelqu’un), se merveiller, se morir, se monter, se périr, se partir, se recreidre, recreire (s’avouer vaincu, fatigué), se remembrer, se targier (tarder), etc.

On pouvait d’ailleurs employer aussi beaucoup de ces verbes comme transitifs. Ainsi escrier est transitif au sens do appeler, crier.

Ex. :

Grant est la noise de Monjoie escrier. (Rol., 2151.)

Le bruit est grand quand on crie : Montjoie !

Morir, aux temps composés, est transitif.

Ex. :

Qui tei a mort France douce a honnie. (Rol., 2935.)

Celui qui t’a tué a déshonoré la douce France.

Inversement beaucoup de verbes aujourd’hui réfléchis se présentent sous la forme intransitive ; ces confusions sont constantes.

Ex. :

A halte voiz, prist li pedre a crider. (Alexis, 391.)

Le père se mit à crier à haute voix.

Isnelement sur lor piez relevérent. (Rol., 3575.)

Rapidement ils se relevèrent sur leurs pieds.

Ço vuelt li reis par amor convertisset. (Rol., 3674.)

Le roi veut qu’il se convertisse par amour.

Impersonnels.

Ils étaient aussi beaucoup plus nombreux que dans la langue moderne.

On disait : il afiert (il convient) ; il anuite (il fait nuit) ; il apent (convient) ; il chaut ; il aserit, il avesprit (le soir arrive) ; il abelist (il plaît) ; il dueut (de douloir, il fait de la peine) ; il besogne (il est besoin) ; il loist (lat. licet, il est permis) ; il membre, remembre ; il passe (en parlant du temps) ; il prend (a remembrer lui prist = il (neutre) lui prit à, il (personnel) se mit à se souvenir) ; il estuet (il est besoin) ; il ennuie (il est ennuyeux que) ; il i ot (il y eut), avec un participe passé : il i ot mainte larme plorée ; maint conseil i ot pris et donné (on prit et on donna maint conseil[4]) ; il semble, il est vis ou a vis (même sens).

Emploi des auxiliaires être, avoir.

La règle est, dans l’ensemble, la même que dans la langue moderne, où règne d’ailleurs une assez grande liberté dans l’emploi des auxiliaires avec certains verbes ; les verbes transitifs se construisaient avec le verbe avoir et les verbes intransitifs, par analogie avec les verbes passifs, se construisaient avec le verbe être. Mais comme beaucoup de verbes pouvaient être à la fois transitifs et intransitifs, il s’est produit, en ancien français, de nombreuses confusions dans l’emploi des deux auxiliaires être et avoir.

Les verbes réfléchis se construisaient ordinairement avec être, mais ils pouvaient aussi se construire avec avoir, comme on le voit par les exemples ci-dessous.

On pouvait donc dire : il a sorti et il est sorti ; il est remés et il a remasu (= il est resté) ; il était passé la montagne, il était monté les degrés ; il s’a ad Deu comandét (Alexis, 288.) ; il s’a vestu et chaucié ; vengiéz m’en sui (Rol., 3778.) ; il s’a bien défendu ; il a alé par le chemin (Froissart) ; et avoient li Juis sorti (Id.) ; il estoient fuis (Id.) ; il sont coru (=ils ont couru).


Une construction particulière à l’ancienne langue est la suivante : quand deux participes passés qui se suivaient devaient être construits le premier avec être et le second avec avoir — ou réciproquement — on pouvait sous-entendre le second verbe auxiliaire.

Ex. :

Liquel s’estoient ivernét et passét le temps. (Froissart, IV, 281.)

Lesquels s’étaient hivernés (avaient hiverné) et (avaient) passé le temps.

Ele a tenu ses termes et venue d’un royaume en l’autre. (Froissart, II, 13.)

Elle a tenu ses termes et (est) venue d’un royaume dans l’autre.

Il y a d’ailleurs des exemples antérieurs à Froissart.

Construction des verbes passifs.

L’ancien français construisait volontiers le régime des verbes passifs avec de. Cet usage est resté très vivant au xviie siècle[5]. La construction du verbe passif avec a était également fréquente.

Ex. :

Me gardez que je soie prise a beste cuiverte. (Berte, 895.)

Gardez-moi, que je ne sois prise par une bête perfide.

Emploi de faire.

Faire pouvait, comme dans la langue moderne, remplacer un verbe déjà employé.

Ex. :

Mielz en valt l’ors que ne font cinc cens livres. (Rol., 516.)

Mieux en vaut l’or que ne valent cinq cents livres.

Le verbe faire peut encore s’employer, suivi d’un infinitif, avec la valeur du verbe simple marquée par cet infinitif.

Ex. :

Merci, père, dist-il, or me faites entendre. (Renaut de Montauban, 355.)

Pitié, père, dit-il, écoutez-moi.

Et me proient que je lor face moustrer le Saint Roi. (Joinville, 566.)

Et ils me prient que je leur indique le Saint Roi.

On trouve encore : faites moi escouter, faites moi oïr = écoutez-moi.

Conjugaison périphrastique.

Sur la conjugaison périphrastique de être avec un participe présent ou un gérondif, cf. infra.

Emploi de en avec certains verbes.

Plusieurs verbes, surtout des verbes de mouvement, se faisaient précéder de en principalement quand ils étaient employés comme pronominaux : s’en aler (qui s’est maintenu), s’en venir, en mener, en porter ; courir, s’en courir ; fuir, s’en fuir. Beaucoup de verbes modernes composés avec en-, em- sont issus de cet emploi.

Emploi des temps, emploi des modes dans les propositions indépendantes

Temps de l’indicatif

À l’indicatif les confusions entre l’imparfait et les différents temps du passé sont des plus fréquentes ; sur ce point, la syntaxe de l’ancien français s’éloignait beaucoup de la syntaxe actuelle.

En ce qui concerne le présent, l’ancien français emploie souvent, dans la même phrase, le présent de l’indicatif, le passé défini et le passé indéfini. Ex. :

Com vit le lit, esguardat la pulcele,

Donc li remembret de son seignour céleste. (Alexis, 56.)

Quand il vit le lit et qu’il regarda la jeune fille, alors il lui souvient de son seigneur céleste.

Li cuens Rollanz quant il veit morz ses pers,

Tendror en out, comencet a plorer. (Rol., 2215.)

Le comte Roland, quand il voit morts ses pairs, en eut pitié et commence à pleurer.

Quand se redrecet, mout par out fier le vis. (Rol., 142.)

Quand il se redresse (redressa[6]), il eut (avait) le visage très fier.

En piez se drecet si li vint contredire. (Rol., 195.)

Il se dresse sur ses pieds et vint le contredire.

L’imparfait, qui, dans la langue moderne, marque une action qui durait dans le passé, est souvent remplacé par le passé défini, qui est le temps de la narration et non de la description. La réciproque a d’ailleurs également lieu, mais beaucoup moins souvent avant le xiie siècle.

Ex. :

Li palais fut listez d’azur et d’adimant.

Li palais fut voltiz...

Et fut fait par compas... (Pélerinage, 334.)

Le palais fut (était) bordé d’azur et de diamant...

Il fut (était) voûté...

Il fut (était) bien construit.

Bons fut li siecles al tems ancienour,

Quer feit i eret et justicie et amour. (Alexis, 1.)

Bon fut (était) le monde au temps passé, car il y régnait justice et amour.

Vairs out les oilz et molt fier le visage ;

Gent out le cors et les costez molt larges.

Tant par fut bels, tuit si per l’en esgardent. (Rol., 299.)

[Ganelon] eut (avait) les yeux vairs et le visage très fier ; il eut (avait) le corps bien fait et les côtés très larges ; il fut (était) si beau que tous ses pairs le regardent.

C’est surtout dans l’emploi des verbes être et avoir que cette confusion des temps du passé a lieu.


Mais au xiie siècle, l’emploi de l’imparfait se développe d’une façon de plus en plus sensible, surtout chez Chrestien de Troyes. « C’est un des grands changements survenus du xie au xiiie siècle[7]. »


Le passé défini et le passé indéfini sont souvent employés l’un pour l’autre.

Ex. :

Carles li reis, nostre emperere magnes,

Set anz entiers est remes en Espagne ;

Tresqu’en la mer conquist la terre altaigne. (Rol., 1.)

Charles, le roi, notre grand empereur, sept ans entiers est resté en Espagne ; jusqu’à la mer il conquit (a conquis) la haute terre.

Cordres at prise et les murs peceiez

Od ses cadables les tors en abatiet (Rol., 97.)

Il a pris Cordes et brisé ses murs ; avec ses machines il en abattit les tours.

Vinc en Jérusalem par l’amistét de Deu ;

La croiz et le sepulcre sui venuz aorer. (Pélerinage, 154.)

Je vins à Jérusalem pour l’amour de Dieu ; je suis venu adorer la croix et le sépulcre.

Le passé antérieur est souvent employé pour le plus-que-parfait (qui est très rare en ancien français), surtout dans les propositions relatives. Cet emploi disparaît au xvie siècle.

Ex. :

Il ot pleü : il avait plu (exactement : il eut plu). (Raoul de Cambrai, 2781.)

Quand Raous fut jovenceaus a Paris

A escremir ot as enfanz apris. (Raoul de Cambrai ; G. Paris, Chrest., v. 74.)

Quand Raoul fut (était) jouvenceau à Paris, il avait appris (mot à mot : il eut appris) l’escrime avec les enfants royaux.

Dessus un pui vit une ville ester

Que Sarrazin i orent fait fermer. (Aimeri de Narbonne ; G. Paris, Chrest., v. 35–36.)

Sur une hauteur il vit une ville que les Sarrasins eurent fait (avaient fait) fortifier.

Li empereres out sa raison finie. (Rol., 193.)

L’empereur eut (avait) terminé son discours.

Pour l’emploi et le sens des rares formes anciennes du plus-que-parfait, cf. supra, Morphologie.

Le futur antérieur peut quelquefois servir à rendre, par une extension de sens, l’idée du passé.

Ex. :

E Durendal...

Molt larges terres de vos avrai conquises. (Rol., 2352.)

Eh ! Durendal, que de terres j’aurai conquises par vous ! (c.-à-d. j’ai conquis)

Veüd avrons cest orgoillos rei Carle. (Rol., 3132.)

Nous aurons vu (= nous avons vu, c’est un messager qui parle) cet orgueilleux roi Charlemagne.

Cf. ces vers de Corneille :

Je verrai les lauriers d’un frère ou d’un mari
Fumer encor d’un sang que j’aurai tant chéri. (Corneille[8], Horace, II, 6, 649–50.)

 

Conditionnel.

Le conditionnel dit présent a, à peu près, dans les propositions indépendantes, le même emploi que dans la langue moderne ; seulement il subit la concurrence de l’imparfait du subjonctif ; cf. infra.

Ex. :

De soe part vos voldreie preier. (Cour. de Louis, 516.)

De sa part je voudrais vous prier.

Le conditionnel passé est d’un emploi très rare. Il est remplacé ordinairement par le plus-que-parfait du subjonctif et quelquefois par l’imparfait du subjonctif ; cf. infra.

Emploi de l’impératif

L’impératif peut être précédé d’un pronom sujet.

L’impératif négatif se rendait fréquemment par l’infinitif précédé de la négation : il correspond à la 2e personne du singulier.

Ex. :

E reis celestes, tu nos i fai venir ! (Alexis, 335.)

Eh ! roi céleste, fais nous y venir !

Nel dire ja. (Rol., 1113.)

Ne le dis pas, ne parle pas ainsi.

Damnes Deu pedre, nen laissier honir France. (Roi, 2337.)

Seigneur Dieu le père, ne laissez pas honnir la France.

Charles ne t’esmaier, ço te mandet Jésus. (Pélerinage, 674.)

Charles, ne t’effraie pas, te mande Jésus.

On trouve aussi quelquefois un infinitif employé sans négation en fonction d’impératif : il est alors procédé de de et de l’article et la phrase impérative débute par or[9]. Ex. :

Or del mangier : eh ! bien, mangeons.

Or del bien faire : songeons à bien faire.

Or du ferir : allons, frappons.

L’impératif est souvent précédé de car (quar, quer) , qui peut se traduire par donc, eh bien !

Ex. :

Ço dist li pedre : « Filz, quer t’en va colchier. » (Alexis, 52.).

Le père dit : « Fils, eh bien, va te coucher. »

Quar chevalchiez = allons ! à cheval ! est fréquent dans la Chanson de Roland.

Emploi du subjonctif

Présent.

Le subjonctif marquant un désir, un souhait (ou un ordre) s’emploie ordinairement sans que.

Ex. :

Deus li otreit sainte beneïçon ! (Rol., 2245.)

Que Dieu lui octroie sa sainte bénédiction !

Ja la vostre anme nen ait duel ne soffraite !

De pareïs li seit la porte overte ! (Rol., 2257.)

Que votre âme n’ait ni deuil ni douleur ; que du Paradis la porte lui soit ouverte !

Ne vos ait hom qui face coardie ! (Rol., 2351.)

Ne vous ait homme qui fasse couardise !

Ne placet Deu ne ses sainz ne ses angeles ! (Rol., 3718.)

À Dieu ne plaise, ni à ses saints ni à ses anges !

Aït vos Deus, qui onques ne mentit ! (Rol., 1865.)

Que Dieu vous aide, qui jamais ne mentit !

Le subjonctif-optatif (marquant le désir) existe encore sans la conjonction que dans la syntaxe moderne, mais avec certains verbes seulement.

Ex. : Fasse le ciel que ; puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre ; périssent les colonies plutôt que les principes ; à Dieu ne plaise.

Ce qui n’est plus qu’une exception était la règle dans l’ancien français. Au xvie siècle cette règle était encore en plein usage : Souvienne-vous des Athéniens (Montaigne, I, 9). Aille devant ou après (Id., I, 25)[10].

Au xviie siècle, les exemples ne sont pas rares :

Deviennent tous pareils à ces vaines idoles

Ceux qui leur donnent l’être ! (Corneille, IX, 315.)

Quiconque est loup agisse en loup. (La Fontaine, Fables, III, 3.)

Je meure, si je savais cela !

Me confonde le ciel ! (Molière).

Je sois exterminé, si je ne tiens parole ! (Molière, Dépit amoureux, IV, 3[11].)

Le subjonctif présent s’emploie volontiers dans les formules de souhait commençant par si (= lat. sic)[12] et quelquefois par se.

Ex. :

Si m’aït Deus ! (formule très fréquente.)

Que Dieu m’aide ! Par Dieu !

Si Dieus me gart !

Puisse Dieu me garder !

Plus vous amoie la moitié,

Se Dieus ait ja de moi pitié !

Que ne fesoie moi-meïsmes. (Chastelaine de Vergi, 761.)

Je vous aimais, Dieu me pardonne ! la moitié plus que je ne faisais moi-même.

Imparfait et plus-que-parfait.

L’imparfait du subjonctif, employé dans une proposition indépendante, exprime un regret du passé, un souhait qui ne peut pas être réalisé (mode irréel).


Le plus-que-parfait du subjonctif — plus rarement employé d’ailleurs — peut servir à rendre la même idée.

Ex. :

Car la tenisse en France et Bertrans si i fusset,

A pis ed a martels sereit aconseüde. (Pélerinage, 327–8.)

Car si je la tenais en France (puissé-je la tenir) et que Bertrand y fût, à coups de pics et de marteaux elle serait attaquée[13] !

E deus, dist-il, quer oüsse un serjant

Qui·l me gardast ! (Alexis, 226.)

Eh ! Dieu, dit-il, si j’avais un serviteur qui me le garderait[14] !

L’imparfait du subjonctif a aussi le sens du conditionnel présent.

Ex. :

Mais li quens Guenes iloec ne volsist estre. (Rol., 332.)

Mais le comte Ganelon ne voudrait pas être là.

L’imparfait du subjonctif jouait aussi, conformément à son origine (plus-que-parfait du subjonctif en latin), le rôle de conditionnel passé et était même d’un emploi très fréquent dans ce sens.

Ex. :

Qui lui veïst Sarrazins desmembrer ! (Rol., 1970.)

Qui l’aurait vu démembrer ainsi les Sarrasins !

La veïssiez la terre si jonchiée ! (Rol., 3388.)

Là vous auriez vu la terre si jonchée !

Ki pois veïst les chevaliers d’Arabe ! (Rol., 3473.)

Celui qui aurait vu ensuite les chevaliers d’Arabie !

Ne fust la coife de son hauberc treliz,

De ci es denz li eüst le brant mis. (Raoul de Cambrai, G. Paris, Chrest., v. 63.)

Si ce n’eût été[15] la coiffe du haubert tressé, il lui aurait enfoncé sa lame jusqu’aux dents.

Ja de lour vuel de lui ne dessevrassent. (Alexis, 585.)

Jamais, de leur propre volonté, ils ne se seraient séparés de lui.

Ha ! Fine amor, et qui pensast

Que cist feïst vers moi desroi ? (Chastelaine de Vergi, 784.)

Ah ! parfaite amour[16], qui aurait cru que celui-ci me serait infidèle ?

L’imparfait du subjonctif s’emploie avec le même sens dans les propositions subordonnées.

Ex. :

Mais co’st tels plaiz dont il volsist neient. (Alexis, 49.)

Mais c’est un accord dont il n’aurait nullement voulu.

Infinitif

L’infinitif peut être employé en fonction de substantif, sujet d’une phrase, et dans ce cas il prend s, signe du cas- sujet. Cet emploi est très fréquent ; on sait qu’il s’est restreint à quelques verbes seulement dans la langue moderne.

Ex. :

Li corners ne vos avreit mestier. (Rol., 1742.)

Le corner, le fait de sonner du cor ne vous servirait de rien.

L’infinitif peut être aussi employé, comme un substantif, en fonction de cas-régime.

Ex. :

Dieus exodist les suons pensers. (Vie de Saint Léger, 29 b.)

Dieu exauça ses pensers.

Tot nostre vivre et tot nostre mangier

De cel autel le convient repairier. (Raoul de Cambrai, 1348.)

Tout notre vivre et tout notre manger il convient de le tirer de cet autel.

De plus, l’infinitif peut jouer, accompagné de l’article défini ou d’un adjectif démonstratif ou possessif, le rôle de complément déterminatif, indirect ou circonstanciel.

Ex. :

Tens est del herbergier,

En Rencesvals est tart del repaidrier. (Rol., 2482.)

Il est temps de se reposer, en Roncevaux il est trop tard pour revenir.

En cel tirer le coms s’aperçut alques. (Rol., 2283.)

Au moment où on lui tirait (la barbe), Roland reprit connaissance.

Dans tous les cas où l’infinitif est employé en fonction de substantif, il conserve son caractère de verbe et peut avoir des compléments.

Tant me puis esmaier

Que jo ne fui à l’estorn comencer. (Rol., 2413.)

Je puis m’étonner que je n’aie pas été au début de l’assaut.

A l’esmovoir l’ost le roi. (Joinville.)

Au moment où l’armée du roi se mettait en mouvement.

Infinitif pur dépendant d’un verbe.

L’infinitif pur (non substantivé) dépendant d’un verbe peut être relié à ce verbe soit directement, soit par l’intermédiaire d’une préposition. Il y a, sur ce point, des différences assez nombreuses entre la syntaxe ancienne et la syntaxe moderne.

L’ancien français employait l’infinitif complément sans préposition dans des cas nombreux où nous mettrions à et plutôt de. On construisait ainsi : prier, rover (même sens), conseiller, louer (conseiller), consentir, délibérer, feindre, craindre, douter (craindre), promettre, souloir (avoir coutume), jurer, etc.


Tous ces verbes peuvent d’ailleurs se construire également avec un infinitif prépositionnel (ou même avec un mode personnel ; cf. les propositions complétives).

Ex. :

Me rogat aler en Ninive. (Fragm. de Valenciennes.)

Il me pria d’aller en Ninive.

Tu me rueves dormir. (Vie de S. Thomas, 3325.)

Tu me pries de dormir.

La construction d’un verbe avec à et l’infinitif était beaucoup plus fréquente en ancien français que dans la langue moderne.

Ex. :

Tei covenist helme et bronie a porter. (Alexis, 411.)

C’est à toi qu’il aurait convenu de porter le heaume et la cuirasse.

A ferir le desidret. (Rol., 1482.)

Il désire le frapper.

L’emperedor lui comande a garder. (Rol., 2527.)

Il lui commande de veiller sur l’empereur.

On disait aussi : jurer à (jurer de) ; il me plaist à (il me plaît de) ; je vous avoie oublié a dire (Joinville, 160.).


C’est à des constructions de ce genre qu’on peut rattacher les tournures : prendre à, faire à, suivis d’un infinitif.

Prendre à signifie commencer à, se mettre à : danz Alexis la prist a apeler (Alexis, 62.) ; le seigneur Alexis se mit à l’appeler.


Faire à signifie qui mérite de, qui est à.

Ex. :

Qui molt fait a prisier. (Aimeri de Narbonne, 1469.)

Qui mérite beaucoup d’être prisé.

Donc faites vos bien a blasmer. (Joinville, 36.)

Vous êtes bien coupable.

Molt fait bel ad odir : c’est très beau à entendre.

L’infinitif prépositionnel avec de était moins fréquent que dans la langue moderne : mais peu à peu son emploi s’est développé aux dépens de l’infinitif précédé de à. Là ou l’ancien français disait essayer a faire, et dans d’autres cas semblables, la langue moderne dit essayer de, etc. On disait de même : il covient a faire, il lui plaisoit a demourer, etc.

Parmi les autres prépositions qui peuvent précéder l’Infinitif, citons pour, qui sert à désigner le but, comme dans la langue moderne, mais qui peut avoir aussi le sens de malgré, dussé-je, dût-il.

Ex. :

Ja por morir n’eschiveront bataille. (Rol., 1096.)

Jamais, devraient-ils y mourir, ils ne fuiront la bataille.

Participe présent

Le participe présent[17] se décline comme un adjectif de la deuxième classe : cf. la Morphologie. On disait donc ; uns hom chantanz ; une femme chantant, au cas-sujet singulier ; au cas-sujet pluriel on disait : li home chantant, les femmes chantanz ; au cas-régime : les homes chantanz, les femmes chantanz.

Les formes en -ante, -antes pour le féminin n’existaient pour ainsi dire pas dans l’ancienne langue ; des exemples comme les suivants : si s’en ala criante et plorante (Livres des Rois, 164.), gens mécréantes (ibid., 396) sont des plus rares.

Les formes féminines en -ante, -antes deviennent plus fréquentes en moyen français ; mais jusqu’au xvie siècle la langue a une tendance à faire l’accord en nombre et non en genre : on disait donc plutôt des femmes plorans, chantans que pleurantes, chantantes. « Palsgrave déclare même que le participe présent français n’a pas de féminin[18]. » En 1679, l’Académie décide que le participe présent sera invariable, à moins qu’il ne soit devenu adjectif verbal.

Participes présents à sens passif.

La langue moderne a conservé quelques participes présents à sens passif, dans des expressions comme : rue passante, représentation payante, deniers comptants, etc. Les participes de ce genre étaient très fréquents dans l’ancienne langue ; ils marquent d’ailleurs plutôt une action qui dure qu’un passif proprement dit. Ex. :

Trestuit si nerf molt li sont estendant

Et tuit li membre de son cors derompant. (Rol., 3970.)

Tous ses nerfs sont très tendus,

Et tous les membres de son corps rompus.

S’en ceste terre puet mais estre ataignanz. (Raoul de Cambrai, 3925.)

Si en cette terre il peut être atteint.

On disait : du vin buvant (= bon à boire) ; se faire connoissant, se faire connaître ; faire entendant, faire entendre ; faus dieus mescreants, auxquels il ne faut pas croire[19] ; au jour du tremblant jugement, etc.

Participe présent et gérondif

L’ancien français possédait un participe présent et un gérondif. Le premier suivait les règles d’accord ; le second, correspondant à des formes latines invariables, était invariable comme elles. Chantanz, part. prés. (lat. *cantantis) ; chantant, gérondif (lat. cantando) .

L’ancienne langue avait une conjugaison périphrastique formée du verbe être suivi d’un participe présent[20]. On disait : il est fuianz, il est coranz, il est aidanz, il est chantanz, c’est-à-dire il fuit, il court, il aide, il chante, avec la distinction de l’état et de l’action.

Mais une tournure encore plus fréquente était l’emploi des verbes aller, venir (et de quelques autres verbes de mouvement) suivis d’un gérondif. Cette tournure était très usuelle au xvie siècle et les poètes de la Pléiade en firent un tel abus que Malherbe dut réagir contre cet emploi. Cependant elle était encore restée vivante au xviie siècle, comme on le voit par des exemples bien connus : je m’en vas désaltérant (La Fontaine) ; cf. dans la langue moderne :


Un couplet qu’on s’en va chantant
Efface-t-il la trace altière
Du pied de nos chevaux marqués dans votre sang ? (Musset)

Les exemples sont très nombreux dans la Chanson de Roland : en voici une série, pris dans la même laisse.

Por un sol lievre vait tote jorn cornant.

Devant ses pers vait il ore gabant...

Car chevalchiez ; por qu’alez arrestant ? (Rol., 1780.)

Pour un seul lièvre il (Roland) va tout le jour cornant.

Devant ses pairs il se vante maintenant...

Chevauchez donc ; pourquoi vous arrêtez-vous ?

Son petit pas s’en tornet chancelant. (Rol., 2227.)

Il s’en revient à petits pas, en chancelant.

Fuiant s’en vint (Rol., 2784.) ; vient corant (Ibid., 2822.) ; S’en est tornét plorant (Ibid., 2839.).

Qui vint plorant, chantant l’en fait raler. (Alexis, 560.)

Si quelqu’un vint (= vient) en pleurant, il le fait repartir chantant.

Et cil s’en torne as esperons brochant. (Couronnement de Louis, 2456.)

Et celui-ci s’en retourne piquant des éperons.

Le gérondif des verbes marquant une action des sens, principalement de veoir et ouir, s’employait d’une manière absolue, comme complément circonstanciel.

Ex. :

Veant le roi : le roi voyant, sous ses yeux, devant lui.

Oyant le roi : le roi entendant, devant lui.

Fait son eslais, veant cent milie home. (Rol., 2997.)

Il fait son galop devant cent mille hommes.

Desfi les en, Sire, vostre veiant. (Rol., 326.)

Je les en défie, Sire, devant vous.

Et li dus tout autresi tost

Oiant toz qui oïr le vost. (Chastelaine de Vergi, 927.)

Et le duc aussitôt, devant tous ceux qui voulurent l’entendre.

Gérondif précédé d’une préposition.

Le gérondif peut être précédé de la préposition en, comme dans la langue moderne : en riant, en plorant. Il peut aussi être précédé d’autres prépositions.

Ex. :

Li deffendi sor les membres perdant. (Huon de Bordeaux, 4646.)

Je le lui défendis sous peine de perdre ses membres.

Mais je le fis sor mon cors défendant. (Ibid., 1350.)

Mais je le fis à mon corps défendant.

On sait que cette dernière expression s’est maintenue en prenant un sens figuré.

On trouve dans Joinville : par pais faisant (= en faisant la paix, par le fait de faire la paix), par grant treüt rendant (= en rendant un grand tribut). Cf. encore : Ne vos leroie par les membres perdant (Prise d’Orange, 1427.) ; je ne vous abandonnerais pas, dussé-je y perdre les membres.

Participe passé

Accord du participe passé.

La règle de l’accord du participe passé en ancien français peut se résumer ainsi : « L’ancienne langue peut à volonté faire accorder ou ne pas accorder le participe passé construit avec avoir et son régime, que celui-ci le suive ou le précède[21]. » Ordinai- rement cependant le participe s’accorde, que le régime direct précède — ce qui arrive plus souvent que dans la langue moderne — ou qu’il suive.

Souvent aussi l’accord ne se fait pas. On peut alors considérer le participe comme un neutre, qui marque simplement l’idée exprimée par le verbe au passé, et qui forme un tout avec l’auxiliaire, qui, lui, marque la personne et le nombre.

Dans la Chanson de Roland le participe s’accorde presque toujours[22] avec le régime, quand ce régime est placé entre le verbe auxiliaire avoir et le participe.

Ex. :

Carles li Magnes at Espagne guastée,

Les castels pris, les citéz violées.

Ço dit li reis que sa guerre out finée. (Rol., 703.)

Charlemagne a dévasté l’Espagne, pris les châteaux et violé les cités. Le roi dit qu’il a fini sa guerre.

... Carles l’emperére

Mort m’at mes homes, ma terre déguastée

Et mes citéz fraites et violées. (Rol., 2755.)

Charles l’empereur m’a tué mes hommes, dévasté ma terre, brisé et violé mes cités.

Quand le régime précède l’auxiliaire avoir, l’accord se fait trois fois sur quatre environ. Cf. l’exemple cité plus haut :

Ço dit li reis que sa guerre out finée.

Quand le régime est placé après l’auxiliaire et le participe, l’accord se fait ou ne se fait pas (il y a à peu près autant d’exemples d’une construction que de l’autre).

Ex. :

Li emperere at prise sa herberge ;

Franceis descendent en la terre déserte.

A lor chevalz ont toleites les selles. (Rol., 2488.)

L’empereur a pris son quartier ; les Français descendent sur la terre déserte : à leurs chevaux ils ont enlevé les selles.

Od vos caables avez froisét ses murs,

Ses citéz arses et ses hommes vencuz. (Rol., 237.)

Avec vos machines vous avez brisé ses murs, brûlé ses cités et vaincu ses hommes.

Telle est la règle à la fin du xie siècle. Dans la période suivante l’accord continue à se faire en général quand le régime précède le participe : cette tradition s’est maintenue jusqu’à la langue moderne.

Dans les autres cas la langue a une tendance à considérer le participe comme une forme neutre faisant corps avec l’auxiliaire et ne prenant pas l’accord. Ce n’est qu’au xviie siècle que la syntaxe a été fixée sur ce point.


La même liberté de construction se retrouve dans les phrases où le participe précédé d’un régime direct précède lui-même un infinitif : je les ai fait voir ; l’ancienne langue pouvait dire : je les ai faits voir, je l’ai fait ou je l’ai faite voir ; je les ai fait ou je les ai faites voir ; je les ai fait ou faites venir ; je les ai faits venir.

Participe passé avec le verbe être.

On trouve le participe passé construit avec le verbe être dans les verbes passifs, et aux temps composés des verbes pronominaux et intransitifs. L’accord, dans tous les cas, se fait avec le sujet (et non avec le régime, comme cela a lieu dans la langue actuelle avec certains verbes pronominaux).

Ex. :

Mais chier me sui venduz. (Rol., 2053.)

Mais je me suis vendu cher.

Amont parmi ces heaumes se sont entreferu. (Fierabras, 1440.)

En haut sur les heaumes ils se sont « entrefrappés ». On disait de même : il est evanoïz (verbe passif, avec participe au cas-sujet) et il s’est evanoïz (verbe pronominal, avec participe au cas-sujet) ; pluriel : il sont evanoï, il se sont evanoï. « Cette règle ne comportait aucuns exception[23]. »

Le participe passé construit avec être est quelquefois invariable quand il commence la phrase : il est alors traité comme un neutre.

Ex. :

Averé fut par cette fin

La prophecie de Merlin. (Phil. Mousket, 19124.)

Par cette fin fut rendue vraie la prophétie de Merlin.

Benoit soit l’eure qu’en mes flans fut portée. (Aliscans, 86.)

Bénie soit l’heure où elle fut portée dans mes flancs.

Cf. encore aujourd’hui : il est venu deux personnes.

L’emploi des neutres comme approuvé, attendu, ci-joint, ci-inclus, invariables quand ils précèdent le substantif, s’explique par cette tournure.

Pour les participes devenus prépositions comme excepté, hormis, etc., cf. supra, Morphologie.

  1. Exemples donnés par Brunot, Gram. hist., § 414.
  2. G. Paris et Langlois, Chrestomathie, 4e éd., p. LXXII.
  3. Il n’est pas probable que il soit un pluriel masculin, car on trouve il avec un féminin : il sont quatre manières (Vie de S. Thomas, 170).
  4. Cf. encore l’emploi de l’impersonnel cité plus haut.
  5. Hasse, Synt. fr., § 113.
  6. Nous mettons entre parenthèses, dans les exemples qui suivent, les formes qu’exigerait la syntaxe actuelle.
  7. Brunot, Hist. de la langue française, I, 241.
  8. Cité par Ayer, Gram. fr., 4e éd., § 204.
  9. G. Paris, Chrest., 4e éd., p. LXXIII.
  10. Darmesteter et Hatzfeld, Le xvie siècle en France, 1ere éd., p. 368.
  11. Cf. Haase, Synt. fr., § 73.
  12. D’après certains grammairiens ces propositions se rattacheraient aux propositions conditionnelles et si proviendrait de la conjonction latine si et non de l’adverbe sic. En réalité il doit y avoir eu des confusions graphiques entre se (= si latin) et si (= sic) dans des phrases de ce genre ; mais nous croyons qu’il y a, à l’origine de ces formules, l’idée de souhait et non celle de condition.
  13. Il s’agit d’une charrue d’or, appartenant au roi de Constantinople, qui émerveille les compagnons de Charlemagne.
  14. On verra d’autres exemples de cet emploi dans l’étude des propositions conditionnelles.
  15. Cf. la tournure moderne : n’eût été.
  16. Amour était du féminin dans l’ancienne langue.
  17. Au début il était invariable ; il ne s’est assimilé aux adjectifs qu’à la fin du xie siècle et au début du xiie.
  18. Brunot, Gram. hist., § 466.
  19. Tobler, Vermischte Beitraege, I (1ere éd.), p 32. sq.
  20. Cf. l’anglais moderne : i am going, je suis allant.
  21. G. Paris, Extraits de la Chanson de Roland, 6e éd., Rem. 70.
  22. D’après les statistiques faites par Étienne, Essai de grammaire de l’ancien français, § 377 sq.
  23. Darmesteter, Cours de grammaire historique, 4e partie (2e éd.), p. 101. Toutes ces pages sur les verbes pronominaux sont excellentes.


 

Chapitre VIII

PROPOSITIONS SUBORDONNÉES

Nous traiterons d’abord des propositions complétives et interrogatives, puis des propositions relatives : en second lieu des propositions subordonnées circonstancielles : finales, consécutives, conditionnelles, comparatives, concessives, causales, temporelles.

On trouvera dans l’emploi des modes tantôt des différences importantes avec la syntaxe moderne (propositions complétives, conditionnelles) , tantôt des différences insignifiantes (propositions relatives, finales) . Une grande liberté — qui n’est pas d’ailleurs l’arbitraire, mais qui provient quelquefois d’une conception logique non gênée par des règles étroites — règne dans cette partie de la syntaxe, comme dans celles que nous avons déjà étudiées.

En ce qui concerne l’emploi des modes, la règle générale, conservée par l’usage moderne, est que l’indicatif est de rigueur quand il s’agit d’un fait réel, tandis que le subjonctif s’emploie quand il s’agit d’un fait simplement possible ou douteux.

Ajoutons que le subjonctif, dans les propositions subordonnées — directes ou circonstancielles — est d’un usage plus fréquent dans la langue ancienne que dans la langue moderne (cf. les propositions complétives, conditionnelles, concessives et même temporelles).

Propositions complétives

Dans les propositions complétives ou subordonnées directes le verbe peut être, suivant le sens du verbe de la proposition principale, au subjonctif, à l’indicatif ou même à l’infinitif.

A.

Après les verbes qui signifient croire, estimer, penser (a. fr. cuidier), sembler, être vis (impersonnel neutre), l’ancienne langue emploie volontiers le subjonctif, pour peu que l’action marquée par le verbe de la proposition subordonnée soit fausse ou simplement douteuse (ce qui est souvent le cas avec sembler, être vis) .

Ex. :

Sire, ce croi-je bien qu’ele soit morte. (Chastelaine de Vergi, 875.)

Sire, je crois bien qu’elle est morte.

Ele... le duc atise

A croire que mout soit irie. (Ibid., 574.)

Elle excite le duc à croire qu’elle est très irritée.

Je cuidoie que plus loiaus me fussiez. (Ibid., 758.)

Je croyais que vous m’étiez plus loyal.

Et cuide que veritéz soit. (Ibid., 648.)

Et il pense que c’est la vérité.

Comme on le voit par ces exemples, il n’est pas nécessaire pour employer le subjonctif que la proposition principale soit négative ou interrogative, comme dans la langue moderne.

Autres exemples :

Ço lor est vis que tiengent[1] Deu medisme. (Alexis, 539.)

Il leur semble qu’ils tiennent Dieu lui-même.

Que il lor sembloit que ele durast trop. (Villehardouin, 197.)

Il leur semblait qu’elle durait trop.

Cette construction avec le subjonctif était encore fréquente au xviie siècle.

Ex. :

La plus belle des deux je crois que ce soit l’autre. (Corneille, Menteur, I, 4.)

Ils pensent que ce soit une sainte en extase. (Balzac.)

Cf. supra : Ço lor est vis qu’il tiengent Dieu medisme.

B.

Après les verbes narratifs : dire, raconter, narrer, tesmoigner, etc., le verbe est à l’indicatif, comme dans la langue actuelle. Mais quand ces verbes sont accompagnés d’une négation ou qu’ils sont interrogatifs, le subjonctif est de règle, parce que la négation ou l’interrogation introduisent une nuance de doute.

Ex. :

N’en vanteras... que mi aies tolut. (Rol., 1962.)

Tu ne te vanteras pas que tu me l’aies enlevé.

Ne dites mie je vous aie trahi. (Raoul de Cambrai, 2318.)

Ne dites pas que je vous ai trahi.

Le subjonctif peut même être employé en dehors de ces cas :

Qu’en ai odit parler estranges soldeiers

Que issi grant barnage nen ait nuls reis soz ciel. (Pélerinage, 312.)

Car j’ai entendu raconter à des soldats étrangers qu’aucun roi sous le ciel n’a un aussi grand nombre de chevaliers.

Cf. encore au xviie siècle : Vous diriez qu’il ait l’oreille du prince. (La Bruyère.)

C.

Après les verbes marquant un acte de la volonté, c’est-à-dire l’ordre, la défense, le conseil ou la prière, etc. : commander, mander (même sens que commander), dire (idem) ; défendre ; conseiller, loer (même sens) ; prier, etc., on trouve plus souvent le subjonctif que l’infinitif.

Ex. :

Quand Deu del cel li manda par un angele

Qu’il te donast à un comte cataigne. (Rol., 2319.)

Quand Dieu lui manda du Ciel par un ange de te donner à un vaillant comte.

Je vos comant qu’en Sarragoce algez. (Rol., 2673.)

Je vous commande d’aller à Saragosse.

Ki ço vos lodet que cest plait degetons,

Ne li calt, Sire, de quel mort nos morions. (Roi., 226.)

Celui qui vous conseille de rejeter cette convention, peu lui importe, Sire, de quelle mort nous pouvons mourir.

Et ço li prient que d’els aiet mercit. (Alexis, 508.)

Et ils le prient qu’il ait pitié de lui.

Por Deu vos pri que ne seiez fuiant. (Rol., 1516.)

Pour Dieu, je vous prie de ne pas fuir.

Il se produit quelquefois un changement de construction et on trouve l’impératif dans la subordonnée.

Ex. :

Je te requier qu’en guerredon

D’un de ces cierges me fai don. (G. de Coins., 316, 42.)

Je te prie qu’en récompense : fais-moi don d’un de ces cierges.

Jou te conjur... que revien par moi. (Phil. Mousket, 11794.)

Je t’en conjure : reviens par moi.

On rencontre aussi quelquefois, même après que, l’infinitif négatif en fonction d’impératif.

Garde que trop ne te haster. (Chastoiement d’un père, II, 346.)

Garde-toi de trop te hâter.

Mès garde que n’i parler mie. (Athis, 1146.)

Garde-toi de rien dire[2].

D.

Après les verbes marquant la crainte ou l’empêchement : criendre, doter, se redoter ; se garder ; ne laissier, etc., le subjonctif est de règle ; l’indicatif se rencontre aussi ; il marque alors l’accomplissement positif d’une action, l’idée d’appréhension étant laissée de côté[3].

Ex. :

Se senz guarde remaint, criem qu’ele seit perdude. (Pélerinage, 322.)

Si elle reste sans garde, je crains qu’elle ne soit perdue.

Jo ne lerroie... Que ne li die. (Rol., 459.)

Je ne laisserais pas de lui dire.

Gardez de nos ne tornez[4] le corage. (Rol., 650.)

Gardez-vous de changer vos sentiments pour nous.

Quant à l’emploi de la négation ne dans la subordonnée, après les verbes marquant la crainte, il est assez libre : à côté de la construction Criem qu’ele seit perdude, on trouve Molt criem que ne t’en perde (Alexis, 60).

E.

Après les expressions marquant la douleur, l’étonnement, comme : c’est malheureux que, c’est merveille que, c’est étonnant que, l’ancien français, contrairement à l’usage moderne, emploie le mode indicatif. Ex. :

Co’st grant merveille que li miens cuers tant duret[5]. (Alexis, 445.)

C’est étonnant que mon cœur supporte tant de souffrances.

Co’st grant merveille que pitiét ne t’en prist. (Alexis, 440.)

C’est étonnant que la pitié ne t’ait pas saisi.

Deus ! quel dolor que li Franceis nel sévent ! (Rol., 716.)

Dieu ! quel malheur que les Français ne le sachent pas !

... Mout me mervoil

Que folement vos voi ovrer. (Chr. de Troyes, Ivain, 1599.)

Je m’étonne beaucoup de vous voir agir si follement.

Omission de la conjonction que.

Une des particularités de l’ancien français c’est le non-emploi de la conjonction que dans les subordonnées complétives, surtout après une proposition principale négative. Les exemples de cette omission sont innombrables[6].

Ex. :

Ço sent Rolanz la veüe ad perdüe. (Rol., 2297.)

Roland sent qu’il a perdu la vue.

Ne lesserat bataille ne lur dont. (Rol., 859.)

Il ne laissera pas de leur donner bataille.

Carles li Magnes ne puet muer nen plort. (Rol., 841.)

Charlemagne ne peut s’empêcher de pleurer.

L’omission de la conjonction que est surtout fréquente après savoir, être certain, etc.

Ex. :

Ço set hom bien, n’ai cure de manace. (Rol., 293.)

On sait bien que je n’ai cure des menaces. Quelques vers plus haut on trouve d’ailleurs :

Ço set hom bien que je suis tis parastre. (v. 287)

On sait bien que je suis ton parâtre.

Qui que s’en aut[7], sachiez je remandrai. (Aimeri de Narbonne.)

Qui que ce soit qui s’en aille, sachez que je resterai.

Enfin l’ancienne langue pouvait aussi omettre la conjonction que devant une proposition consécutive.

Ex. :

Donc out tel doel, onques mais n’out si grant. (Rol., 2223.)

Alors il eut une telle douleur que jamais il n’en eut d’aussi grande.

Quatre vers plus haut on trouve :

Si grant doel out que mais ne pout ester.

Répétition de la conjonction que.

Il n’est pas rare, dans une proposition complétive, que la conjonction que soit répétée après une phrase placée en incise.

Ex. : Sachiez que, si Dieus vueut, que tuit morrons.

Propositions interrogatives indirectes

Elles commencent par un pronom interrogatif (qui, nul, etc.), par un adverbe interrogatif (come, coment), ou par une conjonction, en particulier par si. Le mode est l’indicatif, comme dans la syntaxe moderne. Mais on trouve souvent le subjonctif : il correspond dans ce cas à un conditionnel (ou même à un futur) dans la proposition interrogative directe : c’est d’ailleurs la construction latine.

Ex. :

Or ne sai jo que face. (Rol., 1982.)

Je ne sais que faire. (Interrogation directe : que ferai-je ?)

Ne li chalt, Sire, de quel mort nos morions. (Rol., 227.)

Peu lui importe, Sire, de quelle mort nous pouvons mourir.

Ne set liquels d’els mielz lui plaise. (Chr. de Troyes, Erec, 2360.)

Il ne sait lequel d’entre eux lui plaît le plus.

Et ne voi coment ele puisse estre ferme. (Villehardouin, 189.)

Et je ne vois pas comment elle peut être ferme.

L’interrogation avec lo verbe à l’infinitif précédé d’un pronom interrogatif est connue de l’ancienne langue.

Ex. :

Ne sai cui entercier. (Alexis, 177.)

Je ne sais qui reconnaître.

Propositions relatives

La syntaxe de ces propositions ne présente pas de différences sensibles avec la syntaxe moderne. Ainsi on emploie le subjonctif, comme aujourd’hui, quand le relatif introduit une phrase qui marque un but, une intention.

Ex. :

Enfant nos done qui seit a ton talent. (Alexis, 25.)

Donne-nous un enfant qui soit selon ton désir.

Aujourd’hui cette construction n’est possible qu’après un substantif indéterminé : en ancien français, comme en latin, le substantif pouvait être déterminé.

Quatre homes i tramist arméz

Qui lui alassent decoller. (Saint Léger, 37.)

Il y envoya quatre hommes armés pour aller lui couper le cou.

On trouve, comme dans la syntaxe moderne, le subjonctif après une proposition principale négative ou interrogative.

Ex. :

N’avez baron qui mielz de lui la facet. (Rol., 750.)

Vous n’avez pas de baron qui la forme (l’avant-garde) mieux que lui.

Dans les phrases comme : N’i at celui n’ait poor de sa vie (Aimeri de Narbonne, 1089.), la construction est la même, malgré l’omission du relatif. Cf. supra.


Quand un superlatif sert d’antécédent au pronom relatif, le verbe de la subordonnée est au subjonctif ou à l’indicatif, comme dans la langue moderne, suivant la nuance qu’on veut exprimer. Seulement encore ici la langue du moyen âge a plus de liberté que la langue actuelle.


Les pronoms relatifs indéfinis qui qui, que que, etc., se construisent avec le subjonctif.

Ex. :

Que mort l’abat, qui qu’en plort o qui’n riet. (Rol., 3354.)

Il l’abat mort, qui que ce soit qui en pleure ou qui en rie.

Ambure ocit, qui quel blasmt ne le lot. (Rol., 1589.)

Il les tue tous les deux, quel que soit celui qui le blâme ou le loue.

Qui que·ls rapelt, ja nen retorneront. (Rol., 1912.)

Qui que ce soit qui les rappelle, jamais ils ne retourneront. L’ancien français pouvait introduire un subjonctif optatif dans une proposition subordonnée relative, ce qui est contraire à l’usage moderne.

Ex. :

Paien, cui Dieus maldie !

Païens, que Dieu puisse maudire !

Godefrois, cui ame soit sauvée. (Roman de Bauduin de Sebourc, XXV, 64.)

Godefroy, dont l’âme puisse être sauvée !

Double pronom relatif.

Dans la phrase suivante : deux brebis siennes que il dit que je li ay mangies (Ménestrel de Reims, 405.), le premier que sert de régime à mangies, tandis que le second est une conjonction. On sait que cette tournure complexe, mais logique et commode, s’est maintenue jusque dans la langue moderne.

La phrase peut d’ailleurs, par suite d’une confusion entre le pronom relatif et la conjonction, se présenter sous une autre forme.

Ex. :

Ne dirai chose que je cuit qui vous griet. (Chrestien de Troyes, Cligès, 5523.)

Je ne dirai rien que je croie qui puisse vous attrister[8].

Le pronom relatif régime suivi de il (qu’il) est souvent remplacé par qui ; la confusion a été facilitée par le fait que l finale s’étant amuïe de bonne heure, qu’il s’est réduit, dans la prononciation, à qu’i, qui.

Ex. :

... Il faisoit

Totes les choses qui savoit

Qu’a la dame deüssent plaire. (Fabliaux, Méon, I, 174, 9.)

... Celui qui li sanble

Que des autres soit sire et mestre. (Rom. de la Charrette, 4186.)

Propositions finales

Elles se construisent, comme aujourd’hui, avec le subjonctif. Elles sont introduites par les conjonctions : que (dont les sens sont assez variés) et ses composés : a fin que (qui ne paraît pas antérieur au xiv s.), pour que, pour ce que (qui pouvait être réduit à pour ce), etc.

Ex. :

A l’altre voiz lor fait altre sonmonse

Que l’ome Deu quiergent[9]. (Alexis, 297.)

La seconde fois que la voix parle, elle leur fait un autre avertissement, pour qu’ils cherchent l’homme de Dieu.

Seez vous ci, bien pres de moi, pour ce que on ne nous oie. (Joinville, 37.)

Asseyez-vous ici, bien près de moi, pour qu’on ne nous entende pas.

Por ce le fist ne fust aparissant. (Rol., 1779.)

Il le fit pour que cela ne parût pas.

Propositions consécutives

Elles peuvent marquer un but atteint ou à atteindre. Dans le premier cas, le mode est l’indicatif ; dans le second cas, on emploie le subjonctif ; c’est l’usage moderne. Elles sont introduites par tant que, si que, que, etc. Ex. :

Tant aprist letres que bien en fut guarniz. (Alexis, 34.)

Il apprit tant les lettres qu’il en fut bien orné.

Me colchiez dous deniers que li uns seit sur l’autre. (Pélerinage, 608.)

Placez-moi deux deniers de manière que l’un soit sur l’autre.

La conjonction que est souvent sous-entendue.

Ex. :

Il l’aiment tant ne li faldront nient. (Rol., 397.)

Ils l’aiment tant qu’ils ne lui manqueront pas du tout.

Quand la subordonnée consécutive commence par que nus plus, le verbe est ordinairement omis.

Ex. :

Tant fut biaus varlès que nus plus. (Nouv. fr. du xiiie s., p. 30.)

Ce fut un beau valet comme pas un au monde.

Ainsi s’en va dolans que nus plus. (Enfances Ogier, 2976.)

Il s’en va triste comme pas un.

Propositions conditionnelles

L’ancienne langue connaît toutes les formes de la proposition conditionnelle que présente la langue actuelle. Mais grâce à l’emploi de l’imparfait et du plus-que-parfait du subjonctif, elle possède un plus grand nombre de combinaisons.

Voici d’abord des cas où l’hypothèse, la condition sont indiquées par le verbe à l’imparfait du subjonctif, sans qu’il soit nécessaire de le faire précéder de la conjonction si, se, qui sert à introduire les propositions conditionnelles. Ex. :

Car la tenisse en France e Bertrans si i fusset,

A pis et a martels sereit aconseüde. (Pélerinage, 327.)

Car si je la tenais en France et que Bertrand y fût, à coups de pics et de marteaux elle serait vite démolie.

Quer oüsse un serjant...

Jo l’en fereie franc. (Alexis, 226.)

Si j’avais un serviteur... je le ferais libre.

Fust i li reis, n’i oüssons damage. (Rol., 1102.)

Si le roi y était, nous n’y aurions pas de dommage.

Au vers 1717 de la Chanson de Roland, la même idée est exprimée par la tournure : S’i fust li reis...

On peut considérer ces subjonctifs comme des subjonctifs optatifs ; mais en fait il y a dans la pensée une hypothèse.

Hypothèse marquant la possibilité.

Si l’hypothèse le rapporte au futur ou si elle est considérée comme simplement possible, le verbe de la proposition conditionnelle peut se mettre à la plupart des temps de l’indicatif (y compris le futur, à la différence de la langue actuelle) ; le verbe de la principale peut être à l’indicatif ou au conditionnel.

Ce sont les règles de la syntaxe moderne, sauf en ce qui concerne l’emploi du futur dans la proposition conditionnelle. Cet emploi du futur est très rare d’ailleurs et ne se trouve guère que dans des textes traduits du latin.

Ex. :

Se truis Rolland, de mort li doins fidance. (Rol., 914.)

Si je trouve Roland, il peut être sûr de sa mort (mot à mot : je lui donne confiance de mort).

Il est inutile de donner des exemples de toutes les cons- tructions possibles, qui sont nombreuses. Voici un exemple de l’emploi du futur dans la conditionnelle.

Ex. :

Si je monterai el ciel, tu iluec iés ; si je descendrai en enfer, tu iés. (Psautier d’Oxford, 138, 7.)

Si je monte (monterai) au ciel, tu es là ; si je descends en enfer, tu y es présent.

Quelquefois, mais rarement et principalement avec une négation, le verbe de la proposition conditionnelle est au subjonctif présent.

Ex. :

S’en ma mercit ne se colzt[10] a mes piéz,

Et ne guerpisset la lei de chrestiiens,

Jo li toldrai la corone del chief. (Rol., 2682.)

Si en ma merci il ne se couche pas à mes pieds et s’il n’abandonne pas la loi des chrétiens, je lui enlèverai la couronne de la tête.

Mode irréel.

Le mode irréel, c’est-à-dire l’hypothèse se rapportant au passé ou à un présent irréalisable, s’exprime de différentes manières.

Le verbe de la proposition conditionnelle est : 1) ordinairement à l’imparfait du subjonctif (ou plus rarement au plus-que-parfait) ; 2) quelquefois, comme dans la langue moderne, à l’imparfait ou au plus-que-parfait de l’indicatif ; 3) plus rarement au conditionnel.

Le verbe de la proposition principale est à l’imparfait ou au plus-que-parfait du subjonctif : très souvent au conditionnel.

  1. Imparfait du subjonctif (ou plus-que-parfait) dans la proposition conditionnelle.

Ex. :

Se vedissons Roland...

Ensemble od lui i donrions granz colps. (Rol., 1804.)

Si nous voyions Roland... ensemble avec lui nous y donnerions de grands coups.

S’i fust li reis, n’i oüssons damage. (Rol., 1717.)

Si le roi y était, nous n’y aurions pas de dommage.

Se·m creïssez, venuz i fust mis sire. (Rol., 1728.)

Si vous m’aviez cru, mon seigneur y serait venu.

S’altre·l desist, ja semblast grant mençonge. (Roi., 1760.)

Si un autre l’avait dit, cela semblerait un grand mensonge.

E s’il volsist, il l’eüst mis a pié. (Cour. de Louis, 1095.)

Et s’il avait voulu, il l’aurait renversé.

Vos l’eüssiez destruit, se vos eüst pleü. (Aye d’Avignon, 3732.)

Vous l’auriez détruit, si cela vous avait plu[11].

  1. Imparfait ou plus-que-parfait de l’indicatif dans la proposition conditionnelle (construction moderne). Cette combinaison n’apparaît guère qu’au xiie siècle ; elle paraît inconnue à la plus ancienne langue.

Ex. :

S’il le saveit, vos seriés vergondé. (Huon de Bordeaux, 4003.)

S’il le savait, vous seriez honni.

S’or vos aloie lor terre abandonner,

Tuit gentil home m’en devroient blasmer. (Raoul de Cambrai, 839.)

Si maintenant j’allais vous abandonner leurs terres, tous les gentilshommes m’en devraient blâmer.

  1. Emploi du conditionnel dans la proposition conditionnelle (construction rare). Ex. :

Se tu ja le porroies a ton cuer rachater,

Volentiers te lairoie arière retorner. (Fierabras, 623.)

Si jamais tu pouvais le racheter avec ton cœur, volontiers je te laisserais revenir en arrière.

Des exemples de cette construction existent encore au xviie siècle[12].

Je meure si je saurois vous dire qui a le moins de jugement. (Malherbe, II, 634.)

Dans ces trois cas, le verbe de la proposition principale est, comme nous l’avons dit plus haut, au conditionnel (présent ou passé), à l’imparfait ou au plus-que-parfait du subjonctif. Il ne semble pas qu’on puisse établir de règle précise au sujet de ces emplois. Notons seulement que la formule la plus courante, quand les deux propositions du mode irréel concernent le présent ou le futur, paraît être : si j’osasseje demandasse (= en fr. mod. : si j’osais, je demanderais) .

Propositions relatives conditionnelles.

Nous avons vu plus haut qu’une phrase pouvait être conditionnelle, sans que la conjonction si y fût exprimée. Il en est de même pour les propositions en apparence relatives où qui signifie si on, si quelqu’un. Cf. les exemples à la syntaxe des pronoms relatifs et les exemples suivants.

Ex. :

Qui podreit faire que Rollanz i fust morz

Donc perdreit Charles le dextre bras del cors. (Rol., 996.)

Si on pouvait faire que Roland y fût tué, alors Charles perdrait le bras droit du corps.

Qui donc odist Monjoie escrider,

De vasselage li poüst remembrer. (Rol., 1181.)

Si quelqu’un avait entendu le cri de Montjoie, il aurait eu une idée de ce qu’est le courage.

Liaison des propositions conditionnelles.

Quand deux ou plusieurs propositions conditionnelles se suivent, se peut être répété ou sous-entendu.

Ex. :

Se Karlemaines veut et il lui vient a gré. (Fierabras, 5996.)

Si Charlemagne le veut et s’il lui vient à gré.

Ces propositions peuvent aussi être unies par la conjonction que suivie du subjonctif, comme dans la langue actuelle.

Ex. :

Et se Gui vous eschape, que vous ne l’ochiez,

Mal nous arez baillis. (Gui de Nanteuil, 882.)

Et si Gui vous échappe et que vous ne le tuiez pas, vous nous aurez mal commandés.

Et se li jors ne lor faillist,

Que la nuit sitost ne venist,

Molt fussent cil dedenz grevéz. (Roman de Rou, 3401.)

Si le jour ne leur avait pas manqué et que la nuit ne fût pas venue si tôt, ceux de dedans auraient été fort éprouvés.

On remarquera que la conjonction de liaison et, obligatoire dans la langue actuelle, n’est pas nécessaire dans l’ancienne langue.

D’autre part que peut être sous-entendu et le verbe se met au subjonctif.

Ex. :

Se il se muevent et il me soit conté. (Gaydon, v. 668.)

S’ils se révoltent et que cela me soit raconté.

Pour la suppression de la conjonction se après une proposition comparative, cf. infra.

Propositions comparatives

Dans les conjonctions de comparaison le second terme n’est pas que, comme dans la langue actuelle, mais la conjonction de comparaison par excellence com : on disait si com, ensi com, tant com, autant com, tel com, etc. ; on a cependant mielz que, plus que, et non mielz com, plus com.

Le mode est l’indicatif, quand il s’agit d’un fait réel ou envisagé comme tel.

Ex. :

Jo vos donrai...

Terres et fieus tant com vos en voldrez. (Rol., 76.)

Je vous donnerai terres et fiefs autant que vous en voudrez.

Le subjonctif apparaît quand la comparaison a un sens hypothétique et conditionnel, surtout après si com, tant com.

Ex. :

Si com vos place. (Vie de S. Thomas, 3466.)

Autant qu’il puisse vous plaire, qu’il vous plaira.

Tant corne je tienge : autant que je puisse tenir (Aliscans, 6290.)

Il arrive quelquefois que le second membre de la comparaison renferme un verbe à l’imparfait du subjonctif, qui correspond à un conditionnel.

Ex. :

Il s’entresloignent plus qu’uns ars ne traisist. (Cour. de Louis, 2537.)

Ils s’éloignent l’un de l’autre de plus de la portée d’un arc (mot à mot : plus qu’un arc n’aurait tiré).

Dans des phrases comme les suivantes : Mielz vueil morir que je ne l’alge ocidre (Rol., i485) : j’aime mieux mourir plutôt que de ne pas aller le tuer ; mielz vueil morir que ja fuiet de champ (Ibid., 2738) : j’aime mieux mourir plutôt que de ne pas aller le tuer ; mielz vueil morir que ja fuiet de champ (Ibid., 2738) : j’aime mieux mourir plutôt que de ne pas le voir quitter le champ de bataille, le subjonctif n’est pas amené par la locution mieux que, mais par le verbe de la proposition principale sous-entendu devant la subordonnée : je veux plutôt mourir que je ne veux que j’aille le tuer.

Comme dans les propositions complétives, la conjonction que peut être omise, mais plus rarement, dans les propositions comparatives.

Ex. :

Miex vodroie estre a cheval traïnée

De vostre corps fusse jamais privée (Girard de Viane, Tarbé, 40.)

J’aimerais mieux être traînée par un cheval plutôt que d’être privée de vous.

Dans la locution pas plus que si, l’ancien français peut supprimer si ; le verbe de la subordonnée, au subjonctif imparfait, équivaut alors à une proposition conditionnelle sans conjonction ; cf. supra.

Ex. :

Ne·t conoisseie plus c’onques net vedisse. (Alexis, 435.)

Je ne te connaissais pas plus que si je ne t’avais jamais vu.

Au lieu de que dans le second terme de la comparaison on trouve souvent que ce que.

Ex. : Ele ameroit mieus que il fust mors que ce que il feïst un pechié mortel. (Joinville, 7.)

Ce peut être supprimé et on a alors : que que.

Ex. : Je ameroie mieus que uns Escoz venist d’Escosse... que que (= plutôt que) tu le gouvernasses mal (Joinville, 21.)

Propositions concessives

Les propositions concessives se rapprochent par le sens des propositions conditionnelles. Elles peuvent n’être accompagnées d’aucune conjonction dans l’ancienne langue, surtout dans des formules marquant l’alternative, comme : vueillet o non, qu’il veuille ou non, qui sont des propositions concessives elliptiques[13].

Ex. :

Vueillet o non, remés i est a piét. (Rol., 2168.)

Qu’il veuille ou non, il est resté à pied.

Vousist ou non, l’a deuz piéz reculé. (Aliscans, 6271.)

Qu’il voulût ou non, il l’a fait reculer de deux pieds.

Une autre forme de proposition concessive peut commencer par tout (aujourd’hui tout... que avec un adjectif seulement) construit avec le subjonctif sans que[14].

Tout ait Dieus faites les choses,

Au mains ne fist il pas le nom. (Rom. de la Rose, 7829.)

Quoique Dieu ait créé les choses, du moins il ne fit pas le nom.

Tout soiez joenes, si estes vous ja tes

Que vous devez par droit estre honourés. (Enf. Ogier, 7251.)

Quoique vous soyez jeune, vous êtes cependant tel que vous devez par droit être honoré.

Les propositions concessives ou restrictives sont introduites ordinairement par des locutions conjonctives com- posées avec que, comme : jaçoit[15] que, quoi que, que que[16], quel que, quand (plus tard quand même), pour... que (dans pour grand que), combien que, non obstant que, etc. Le mode est le subjonctif, sauf avec quand, quand même, qui se construisent avec le conditionnel.

Ex. :

Ja soit ce que il Nostre Seignor cultivassent, a ces ydles servirent. (Quatre livres des Rois, IV, 404.)

Quoiqu’ils pratiquassent le culte de Notre Seigneur, ils servirent ces idoles.

Même en dehors des cas cités plus haut, il peut arriver qu’une phrase renfermant un verbe au subjonctif sans conjonction ait, en ancien français, un sens concessif ou restrictif, comme dans les formules modernes : fût-ce le roi lui-même ; fût-il la valeur même,... Il verra ce que c’est que de n’obéir pas (Corneille, Cid, v. 568.).

La construction de pour avec un adjectif (pour grand que) a amené une construction analogue avec un substantif.

Ex. : Pour proesce que il eüst ; pour meschief qui avenist au cors ; on pouvait dire aussi avec par ; par pooir que nous ayons[17] ; mais cette formule est plus rare.

Comme on le voit, les propositions concessives ou restrictives — dont les nuances sont des plus variées — pouvaient être énoncées sans l’aide d’une conjonction, mais au mode subjonctif[18] ; d’autre part les principales conjonctions concessives de la langue actuelle comme bien que, quoique (malgré que) étaient inconnues ou peu usitées dans l’ancienne langue[19].

Propositions causales

Elles sont introduites par les conjonctions suivantes : que, quant (puisque), puisque, por o que, por ço que, de ço que, etc. Le mode employé est l’indicatif.

Ex. :

Ne l’amerai por ço qu’est ses compaing. (Rol., 285.)

Je ne l’aimerai pas, parce qu’il est son compagnon.

Puis que·l comant, aler vos en estuet. (Rol., 318.)

Puisque je l’ordonne, il faut vous en aller.

Volentiers, dist le cuens, quant vos le comandez. (Pélerinage, 554.)

Volontiers, dit le comte, puisque vous le commandez.

Dans l’expression de la fausse cause, non que, non pas que se construit avec le subjonctif, comme dans la syntaxe moderne.

Propositions temporelles

Les propositions temporelles sont introduites par diverses conjonctions de temps comme : quant, comme (sens temporel, équivalent de quant) ; l’ore que (lorsque), dementre que (pendant que), tant com (tant que), que... que, marquant la durée ; ainz que, avant que, puis que, après que ; tresque, entro que, jusque, etc.


Le mode est l’indicatif, comme dans la syntaxe moderne, quand on veut parler d’un fait réel.

Ex. :

Ensemble furent jusque a Deu s’en ralèrent. (Alexis, 603.)

Ils furent ensemble jusqu’à ce qu’ils s’en allèrent de nouveau vers Dieu.

La nuit demorent tresque vint al jorn cler. (Rol., 162.)

Ils attendent, la nuit, jusqu’à ce que vint le jour clair.

Que qu’ele se demente einsi,

Uns chevaliers del bois issi. (Chrestien de Troyes, Erec, 2795.)

Pendant qu’elle se « démente » ainsi, un chevalier sortit du bois.

Le subjonctif marquant un fait hypothétique, qui n’existe pas encore, se rencontre surtout après : jusque (= jusqu’à ce que), ainz que, tant com, tant que, etc.

Ex. :

Ainz que seiez chalciéz, le matin li dirai. (Pélerinage, 517.)

Avant que vous soyez habillés, le matin je lui dirai.

Jo vo defent que n’i adeist nuls hom

Jusque Deus vueillet. (Rol., 2439.)

Je défends que personne n’y touche, jusqu’à ce que Dieu le veuille.

Ço n’iert, dist Guenes, tant com vivet ses niés. (Rol., 544.)

Ce ne sera, dit Ganelon, tant que vivra son neveu.

Tant com el vive. (Chastelaine de Vergi, 552.)

Aussi longtemps qu’il vivra. Comme au sens de lorsque s’est construit souvent avec l’imparfait ou le plus-que-parfait du subjonctif ; mais on trouve aussi l’indicatif (Rol., 1643, 2917.). C’est surtout au xvie siècle que cette construction avec le subjonctif est fréquente et on en trouve encore quelques exemples au début du xviie siècle. Il y a eu peut-être là une influence de la syntaxe latine, surtout aux xvi et xviie siècles.

Ex. :

Comme ils eüssent soupé et qu’il y avoit largement gens. (Commynes, I, 5.)

Comme ils le priassent de vouloir escrire des loix. (Amyot, Lucullus.)

Comme quelques-uns le priassent de se retirer. (Malherbe, IV, 208[20].)

  1. Subj. prés., 3e p. pl., de tenir.
  2. Étienne, Essai de grammaire de l’a. fr., § 400.
  3. Cf. pour le xviie siècle, Haase, § 77.
  4. Subj. prés. et non indicatif.
  5. Le subj. présent 3e p. sg. serait durt.
  6. Cf. supra, l’omission de qui dans les propositions relatives.
  7. Subj. prés., 3e p. sg., du verbe aler ; aut = alt, avec vocalisation de l.
  8. Voir de nombreux exemples dans Tobler, Vermischte Beitraege, I (1ere éd.), p. 104, sq.
  9. Présent du subjonctif de quérir
  10. Subj. prés de colchier.
  11. L’emploi de deux plus-que-parfaits du subjonctif est assez rare. Brunot, Histoire de la langue française, I, 255.
  12. Haase, Syntaxe française du xviie siècle, § 66, C.
  13. Cf. l’expression moderne soit que... soit que, qui est aussi une proposition concessive elliptique.
  14. Cf. Tobler, Vermischte Beitraege, I (1ere éd.), p. 70.
  15. Cette locution est elle-même une proposition concessive elliptique : ja ce soit que. On trouve aussi, mais plus rarement : ja fust que. Jaçoit que se rencontre encore quelquefois au xviie siècle, par exemple dans Bossuet.
  16. Que... que, quoi... qui peuvent avoir aussi un sens temporel :

Que qu’ele se demente einsi,

Uns chevaliers del bois issi. (Chr. de Troyes, Erec, 3795.)

Pendant qu’elle se « démente » ainsi, un chevalier sortit du bois.

Kanque, quant que peuvent avoir aussi le même sens.

  1. Exemples tirés de Villehardouin.
  2. Tant soit peu est une proposition concessive : on trouve dans l’ancienne langue que poi que soit : quelque peu que ce soit.
  3. Au xviie siècle bien que, quoique, malgré que, encore que, se construisent souvent avec l’indicatif ; mais cette construction n’est pas conforme à celle de l’ancienne langue, quoi qu’en dise Haase (Synt. fr., § 83), car la plupart de ces conjonctions ou locutions conjonctives y étaient inconnues.
  4. Cf. Brunot, Gram. hist., § 416 ; Hasse, Synt. fr., § 82 B.


 

Chapitre IX

CONJONCTIONS, ADVERBES, PRÉPOSITIONS, ORDRE DES MOTS.

Conjonctions

La syntaxe des conjonctions se rattache étroitement à l’étude des propositions subordonnées et se confond en partie avec elle ; nous renvoyons donc à cette étude. On se reportera à la Morphologie pour les formes des diverses conjonctions et leur origine. Nous ne parlerons ici que de quelques points qui n’ont pas été traités dans l’étude des propositions subordonnées.

Omission de que.

On a vu plus haut que la conjonction que pouvait être omise devant le subjonctif dans une proposition indépendante, devant une proposition complétive ou consécutive et dans quelques autres cas.

Emploi de que.

La conjonction que est par excellence la conjonction usitée dans les langues romanes et en particulier en français. Son domaine s’est restreint dans la langue moderne ; au moyen âge elle suffisait a elle seule — sans l’adjonction d’autres éléments — à désigner des rapports assez divers ; elle pouvait même rem- placer devant les propositions subordonnées la plupart des autres conjonctions.

Que peut avoir le sens de afin que.

Ex. :

El camp estez, que ne seiom vencu. (Rol., 1046.)

Restez sur le champ de bataille pour que nous ne soyons pas vaincus.

Que peut signifier si bien que, de sorte que ou pour que.

Ex. :

Charles se dort qu’il ne s’esveillet mie. (Rol., 724.)

Charles dort si bien qu’il ne s’éveille pas.

Com fus si os que me saisis ? (Ibid., 2293.)

Comment as-tu été si osé pour me saisir ?

Que peut encore signifier autant que, pour autant que, comme dans les expressions que je sache, que je puisse (= autant que je sache, autant que je puisse).

Que a souvent un sens explicatif et peut se traduire par car.

Ex. :

Nicolete laisse ester, que c’est une caitive qui fu amenée d’estrange terre. (Aucassin, II, 27.)

Laisse Nicolette, car c’est une pauvre fille qui fut amenée d’une terre étrangère.

Lorsque plusieurs propositions subordonnées, qui devraient commencer par que, se suivent, que peut n’être exprimé que devant la première : il en est de même de quant et de se (= si) .

Ex. :

Manderent que li emperere Alexis s’en ere foïz et si avoient relevé a empereor l’empereor Kyrsac. (Villehardouin.)

Ils mandèrent que l’empereur Alexis s’était enfui et qu’ils avaient rétabli pour empereur Isaac.

Se trestuit cil qui sont en paradis ierent présent et chascuns fust garnis...

Si tous ceux qui sont en paradis étaient présents et que chacun fût pourvu.

Mais si l’ancien français avait la liberté de ne pas répéter la conjonction, il pouvait aussi, comme la langue moderne, remplacer par que la plupart des autres conjonctions, quand celles-ci auraient dû être répétées devant une ou plusieurs propositions subordonnées formant une même phrase. Cf. des exemples de cet emploi supra, aux propositions hypothétiques.

Pour les emplois et les sens de que dans les propositions comparatives, cf. supra.

Puisque, conformément à son étymologie (post quod, ou mieux post quid, pour postquam) a le sens temporel (après que) aussi bien que le sens causal.

Ex. :

Puisque il est sur son cheval montét. (Rol., 896.)

Après qu’il est monté sur son cheval.

Puisque·l comant, aler vos en estuet. (Rol., 318.)

Puisque je le commande, il faut vous en aller.

Conjonctions de coordination

Emploi de si.

La conjonction si (lat. sic) peut s’employer pour et : cet emploi est très fréquent[1]. On trouve aussi si renforçant et : et si.

Si a quelquefois le sens adversatif (= mais, et pourtant, et cependant) ; très souvent aussi il est employé explétivement et peut être négligé dans la traduction.

Ex, :

Enceis nel vit, si·l conut veirement. (Rol., 1639.)

Il ne l’avait jamais vu, mais il le reconnut bien.

Il est mes filz e si tendrat mes marches. (Rol., 3716.)

Il est mon fils et il tiendra mes marches (frontières).

L’emploi de si avec un sens adversatif s’est conservé jusqu’au xviie siècle dans des expressions comme : si faut-il, et si (= et pourtant). Cf. de nombreux exemples dans Haase, Synt. fr., § 141.

Souvent si devant une principale sert simplement à rappeler une circonstancielle qui précède.

Ex. :

Quant li Sarrazin les virent, si nos laissièrent. (Joinville, 227.)

Emploi de ne (ni).

Pour peu qu’une phrase disjonctive ait un sens dubitatif, ne peut remplacer ou comme copule de liaison. Cela tient à ce que ne (ni) disjonctif n’a pas un sens nettement négatif et qu’il doit être précédé d’une négation pour avoir ce sens[2].

Ex. :

Se galerne ist de mer, bise ne altre venz. (Pélerinage.)

Si la galerne (vent), bise ou autre vent s’élève de la mer.

Se tu dois prendre, beaus fiz, de faus loiers,

Ne desmesure lever ne esaucier...

Ne oir enfant retolir le sien fié,

Ne veve feme tolir quatre deniers,

Ceste corone, de Jesu, la te vié. (Cour. de Louis.)

Beau fils, si tu dois prendre des salaires indus, favoriser ou protéger l’orgueil, ou ravir son fief à un enfant orphelin, ou enlever à une femme veuve ses quatre deniers, cette couronne, au nom de Jésus, je te défends d’y toucher.

Dictes-moi où, n’en quel païs

Est Flora, la belle Romaine,

Archipiada ne Thaïs ? (Villon, Ballade des dames du temps jadis.)

Adverbes

L’étude des adverbes présente peu d’intérêt au point de vue syntaxique. On peut étudier en effet leur origine et leur étymologie, comme nous l’avons fait dans la Morphologie, les variations de sens (ce qui est du domaine du lexique et de l’histoire des mots) ou enfin leur place dans la proposition. À ce dernier point de vue on peut les étudier dans la partie de la syntaxe qui traite de l’ordre des mots ; mais là encore leur étude n’offre ni intérêt ni difficultés : aussi nous nous bornerons ici à quelques observations syntaxiques, renvoyant pour le reste à la Morphologie.

Mar, buer.

Parmi les adverbes dont l’emploi est spécial à l’ancienne langue il faut citer mar ou mare et buer, d’un emploi très fréquent, surtout le premier. Mar (du latin mala hora) signifie : pour le malheur, malheureusement ; buer (de bona hora) signifie le contraire.

Ex. :

Tant mare fustes, ber ! (Rol., 350.)

C’est pour votre malheur que vous y fûtes, baron.

Ja mar crerez Marsilie. (Rol., 196.)

Vous aurez bien tort de croire Marsilie.

Carles li Magnes mar vos laissat as porz. (Rol., 1949.)

C’est pour votre malheur que Charlemagne vous laissa aux ports (passages des Pyrénées).

Exemples de buer.

Ta lasse medre si la reconfortasses

Qui sist[3] dolente ! Chiers filz, buer i alasses ! (Alexis, 450.)

Ta pauvre mère, qui est si dolente, tu l’aurais réconfortée. Cher fils, quel bonheur si tu y étais allé !

Buer creümes ier vostre los. (Chr. de Troyes, Erec, 1226.)

Nous eûmes bien raison hier de croire votre conseil.

Dame ! certes buer fustes née ! (Erec, 3403.)

Dame, certes vous êtes née sous une bonne étoile.

Dont.

Dont, adverbe d’interrogation, signifie, conformément à son étymologie (de unde), d’où, et s’emploie avec ce sens.

Ex. :

Dont venez-vous ? D’où venez-vous ?

El regne dont tu fus. (Rol., 1961.)

Au royaume d’où tu étais originaire.

Si ne sai dont vos est venue

Tel pensée... (Chast. de Vergi, 164.)

Je ne sais d’où vous est venue telle pensée.

On trouve encore dans Rabelais : Dont es-tu ? Dont viens-tu ? Cet emploi est d’ailleurs encore connu au xviie siècle[4].

Pour l’emploi des adverbes , y, en en fonction de pronoms, cf. supra.

Pour l’emploi de en avec les verbes, cf. supra, et Meyer-Lübke, Grammaire des langues romanes, III, § 477.

Adverbes de négation

La négation est exprimée dans la plus ancienne langue par la négation simple nen[5] (lat. non) devant une voyelle[6], ne devant une voyelle[7], ne devant une consonne, sans adjonction d’un autre mot.

Cet emploi s’est maintenu, dans des cas assez nombreux, jusqu’au xviie siècle ; cf. Haase, Synt. fr., § 100.

Ex. :

Nen ont poor. (Rol., 828.)

Ils n’ont pas peur.

Jo nen ai ost qui bataille li donget. (Rol., 18.)

Je n’ai pas d’armée pour lui livrer bataille.

La négation composée (ne... pas, ne... point, ne... mie) apparaît çà et là dans la Chanson de Roland, tandis qu’on n’en trouve pas de traces dans les textes antérieurs[8].

Au xiie siècle, la négation composée devient de plus en plus fréquente.

En moyen français les mots pas et point, qui accompagnent la négation, finissent par prendre un sens négatif qu’ils n’avaient pas d’abord ; ils peuvent s’employer seuls, surtout dans des phrases interrogatives ; cet emploi a survécu au moyen français et se retrouve souvent au xviie siècle : Fit-il pas mieux que de se plaindre ? (La Fontaine). Avais-je pas raison ? (Id., VI, 10). Tous les jours sont-ils pas à Dieu ? (Bossuet). Cet emploi a lieu surtout, au xviie siècle, dans les interrogations directes[9].

Prépositions

L’étude des prépositions relève, pour ce qui est des changements de sens, du lexique historique, et non de la syntaxe. Nous traiterons cependant ici de quelques-unes des principales prépositions, parce que les variations de leur usage touchent de près à l’histoire de la langue et à la syntaxe proprement dite.

A

C’est une des prépositions dont les sens étaient les plus variés dans l’ancienne langue.

A paraît avoir hérité des sens des prépositions latines ad (vers), ab (par, avec), apud (auprès de).

Pour son omission devant un régime indirect ; pour son emploi devant un infinitif ; pour marquer la possession, la parenté ; devant un substantif attribut ; emploi de a après un verbe passif : cf. supra.


A marque, comme dans la langue moderne, le lieu où l’on va et le lieu ou l’on est. Dans le premier cas, l’emploi de a était plus libre dans l’ancienne langue que dans la moderne. On disait aler a Paris, mais aussi chevaucher a une autre cité, entrer au royaume d’Angleterre.

Ex. :

Angele del ciel i descendent a lui. (Rol., 2374.)

Des anges du ciel descendent vers lui.

L’emploi de a, dans ce sens, s’est un peu restreint dans la langue moderne au profit de vers, dans, en. Mais on trouve encore au xviie siècle des exemples comme les suivants[10] :

Je méditais ma fuite aux terres étrangères. (Racine.)

L’un des trois jouvenceaux

Se noya dès le port allant à l’Amérique. (La Fontaine, Fables, XI, 8.) A sert souvent à marquer le temps, l’époque, avec ou sans idée de durée.

Ex. :

A cel jour : ce jour là.

Vos le sivrez a feste Saint Michel. (Rol., 37.)

Vous le suivrez à la fête Saint Michel.

Ne l’amerai a trestot mon vivant. (Rol., 323.)

Je ne l’aimerai de toute ma vie.

Metez le siege a tote vostre vie. (Rol., 212.)

Mettez-y le siège pendant toute votre vie.

Il porterent viande a nuef mois. (Villehardouin, 21.)

Ils portèrent de la nourriture pour neuf mois.

A marque très souvent le moyen, l’accompagnement, la manière et peut se traduire par avec.

Ex. :

A l’une main si ad son pis batut. (Rol., 2868.)

Avec une de ses mains il a frappé sa poitrine.

L’olifant sone a dolor et a peine. (Rol., 1787.)

Il sonne l’olifant avec douleur et avec peine.

Ad ambes mains deront sa barbe blanche. (Alexis, 78 b.)

Avec ses deux mains il déchire sa barbe blanche.

A pou de gent repère en la citét. (Aimeri de Narbonne, 1989.)

Avec peu de gens il revient dans la cité.

Passa la mer a son seignor. (Benoit de Sainte-Maure, 38495.)

Il passa la mer avec son seigneur.

On trouve avec le même sens la locution composée a tout (= avec).

Li cuens Tybaus de Champaigne... vint servir le roi a tout trois cens chevaliers (= avec trois cents chevaliers).

A a aussi un sens distributif.

Ex. :

Muerent paien a miliers et a cenz. (Rol., 1417.)

Les païens meurent par milliers et par centaines.

Avant, devant

Avant était surtout adverbe dans la langue du moyen âge. Il l’est constamment dans la Chanson de Roland. En moyen français l’usage de avant préposition se développe et triomphe à partir du xvie siècle.


Devant était adverbe et préposition : il s’employait comme préposition, dans l’ancienne langue, là où nous mettrions avant. Ex. : Devant le jour, avant le jour.

Au xviie siècle, ces deux prépositions ne se distinguent pas encore d’une manière précise ; les conjonctions avant que et devant que sont en concurrence, mais, malgré les préférences de Vaugelas pour cette dernière, avant que l’emporte[11].

De

De présente, comme à, une très grande variété de sens. Cette préposition marque primitivement la séparation ; mais, au figuré, les sens sont très divers.

Pour l’omission de de devant un complément possessif ; de devant un infinitif ; de précédant un sujet logique ; de après un comparatif ; de après un participe passé ; après un adjectif (ma lasse d’ame) : cf. supra.

De peut signifier de la part de, au nom de.

Ex. :

Et l’arcevesques, de Deu, les beneïst. (Rol., 1137.)

Et l’archevêque, au nom de Dieu, les bénit.

Ceste corone, de Jesu, la te vié. (Cour. de Louis.)

Cette couronne, au nom de Jésus, je te défends d’y toucher.

Salvéz seiez de Mahom ! (Rol., 416.)

Soyez sauvé, au nom de Mahomet !

De peut désigner l’instrument, le moyen, la manière et la matière : voici des exemples des deux premiers cas, les deux derniers étant : conformes à la syntaxe moderne.

Ex. :

Molt larges terres de vos avrai conquises. (Rol., 2352.)

J’aurai conquis par vous de bien grandes terres.

De saint batesme l’ont fait regenerer. (Alexis, 29.)

Avec le saint baptême ils l’ont régénéré.

Pour le de partitif, cf. l’article partitif. C’est au de partitif que se rattachent des exemples comme le suivant : avez veü de ces ribaus ? (= avez-vous vu ces ribauds ?) (Joinville, 237.) On trouve des tournures semblables avec veoir et ouir.


De signifiant au sujet de, touchant, concernant, s’emploie dans les mêmes cas que dans la langue moderne ; mais son emploi est bien plus étendu. Il est impossible d’énumérer toutes ces nuances de sens, qui varient suivant le contexte.

Il semble cependant qu’on puisse rattacher à ce sens l’emploi de de exclamatif.

Ex. :

O chiers amis, de ta jovente bele ! (Alexis, 476.)

Ô cher ami, quel regret de ta belle jeunesse !

Fils Alexis, de ta dolente medre ! (Ibid., 396.)

Fils Alexis, que ta mère est malheureuse !

Deus, que ferai ? Lasse, cheitive !

Del melhor chevalier qui vive,

Del plus franc et del plus jantil ! (Chr. de Troyes, Erec, 4347.)

Dieu, que ferai-je ? Pauvre malheureuse ! Le meilleur chevalier qui vive, le plus noble et le plus gentil !

De marquant l’éloignement et la séparation peut signifier, avec certains verbes, contre.

Ex. :

Que nos aidiez de Rollant le baron. (Rol., 623.)

Que vous nous aidiez contre (à nous délivrer de) Roland le baron.

Mais que de Sarrazins et paiiens nos guardez. (Pélerinage, 224.)

Pourvu que vous nous gardiez des Sarrasins et des païens, que vous nous protégiez contre eux.

De suivi d’une indication de temps s’emploie dans de nombreux cas où nous mettrions depuis. On disait : de tant (depuis tant de temps), de pièce, de grant pièce (depuis longtemps).


De suivi d’un adjectif neutre a servi à former des locutions adverbiales : de nouveau. Cet emploi était plus étendu dans l’ancienne langue que dans la moderne : de fi, de certain (= sûrement), del tot (complètement) ; cf. les expressions analogues de rien, de neient (= en rien), etc.

En

En provient du latin in, qui signifiait dans et sur : ces deux sens existaient dans l’ancienne langue, qui disait : se dresser en piez, estre pendu en crois, estre assis en cheval (lat. in equo sedere), monter en cheval, etc.

Ex. :

Ja mais en teste ne portera corone. (Rol., 930.)

Jamais sur la tête il ne portera la couronne.

Seanz en deus chaiéres, lez a lez. (Villehardouin, 216.)

Assis sur deux chaises, côte à côte. En s’employait ordinairement devant un nom de ville ; en Londres, en Rome la citét, en Saragoce, etc. Cet emploi a persisté jusqu’au xviie siècle : en Jérusalem, en Damas, en Florence, surtout devant des noms de ville commençant par une voyelle : en Alger, en Avignon[12].

Pour l’emploi de en devant un infinitif et un gérondif, cf. supra.

De en il faut rapprocher la double préposition enz en < intus in, qui disparaît d’ailleurs dès le xiie–xiiie siècle.

On sait que en le a donné el, plus tard ou, et que en les est devenu ès. Cette dernière forme a survécu jusqu’au xvie siècle ; es était encore vivant au xviie[13].

Ex. :

Il tombe ès mains d’un autre ennemi. (Malherbe, II, 11.)

Votre trône, ô grand Dieu, est établi ès siècles des siècles. (Bossuet, Serm. pour la Circoncision[14].)

Par

Par signifie primitivement à travers, qu’il s’agisse du temps ou de l’espace. Voici quelques exemples du premier emploi dans l’ancienne langue.

Ex. :

Par deus anz l’a il ja eü. (Chr. de Troyes, Erec, 595.)

Il l’a eu pendant deux ans.

Ensi dura cil asalz bien par cinq jors. (Villehardouin, 85.)

Ainsi dura cet assaut pendant cinq jours.

Par peut marquer le moment, l’époque.

Ex. :

Li emperedre est par matin levéz. (Rol., 163.)

L’empereur est levé de bon matin.

Par signifie, comme aujourd’hui d’ailleurs, au nom de.

Ex. :

Par mon chief, ço dist Charles, orendreit le·m direz. (Pélerinage, 41.)

Par ma tête, dit Charles, vous me le direz tout de suite.

Par peut avoir le sens distributif.

Ex. :

Par un et un i at pris les barons. (Rol., 2190.)

Un par un il a pris les barons.

Il peut se traduire souvent par avec, surtout devant des noms abstraits.

Ex. :

Serai ses hom par amor et par feid. (Rol., 86.)

Je serai son vassal, avec amour et fidélité.

Puis si chevalchent, Deus, par si grant fiertét ! (Rol., 1183.)

Puis ils chevauchent, Dieu, avec quelle fierté !

Plorent... por lor parenz par cuer et par amor. (Rol., 1447.)

Ils pleurent pour leurs parents avec cœur et amour.

Par pouvait être précédé de la préposition de, marquant le point de départ, l’origine ; d’où la préposition composée de par, confondue dans l’orthographe avec de part, qui viendrait de de parte. En réalité il faut écrire de par. Ex. :

Vos lui dites de par moi. (Chr. de Troyes, Chevalier au Lyon, 4286.)

Dites-lui de ma part, en mon nom.

De par le roi. (Raoul de Cambrai, 167.)

Au nom du roi.

Par suivi d’un nom ou d’un adjectif servait à former quelques locutions usuelles, dont voici les principales : par nom de (= au risque de).

Ex. :

Par nom d’ocidre j’enveierai le mien. (Rol., 43.)

Au risque de le perdre, j’y enverrai mon fils.

Par som = au sommet de, au-dessus de.

Ex. :

Par som les puis. (Rol., 714.)

Au sommet des puys.

Josque par som le ventre. (Rol., 3922.)

Jusqu’au-dessus du ventre.

C’est à des formations de ce genre que se rattache la préposition par mi, plus tard parmi.

Quant à par servant à former un superlatif, en particulier avec les verbes être et avoir, il se rattache aux adverbes ; cf. supra.


Par peut s’employer devant un infinitif. Cf. encore aujourd’hui : il finit par dire, il commença par protester ; ce n’est d’ailleurs qu’avec ces deux verbes que par est encore employé devant l’infinitif.

Pour

Pour peut signifier à cause de, pris en mauvaise part, c’est-à-dire en somme malgré.

Ex. :

N’en descendrat por malveises noveles. (Rol., 810.)

Il ne descendra pas, si mauvaises que soient les nouvelles. Por est surtout employé avec ce sens devant un infinitif.

Ex. :

Ja por morir le champ ne guerpiront. (Rol., 1909.)

Jamais, dussent-ils y mourir, ils n’abandonneront le champ de bataille.

Ne vos faudrons por estre desmembré. (Aimeri de Narbonne, 856.)

Nous ne vous faillirons pas, dussions-nous être démembrés.

N’alast avant por les membres trenchier. (Cour. de Louis.)

Il ne serait pas allé en avant, même si on lui avait tranché les membres.

Au sujet de pour employé dans des propositions concessives, cf. supra.


Pour marquant la cause, le but, a servi à former les locutions conjonctives : por o que, por so que, plus tard pource que, remplacé définitivement au xviie siècle par la conjonction parce que.


Por poi, por poi que peuvent se traduire par : il s’en faut de peu que.

Ex. :

Por poi d’ire ne fent. (Rol., 304.)

Il s’en faut de peu qu’il ne crève de colère.

Por poi que n’est desvéz. (Rol., 2789.)

Peu s’en faut qu’il ne devienne fou.

Ordre des mots

L’ordre des mots était beaucoup plus libre dans l’ancienne langue que dans la langue moderne. L’existence des cas favorisait les inversions, comme on peut le voir par le début de la Cantilène de Sainte Eulalie.


Buona pulcela fut Eulalia ;
Bels avret cors, bellezour anima ;
Voldrent la veintre li Deo inimi.

Bonne jeune fille fut Eulalie — Beau elle eut le corps, plus belle l’âme — Voulurent la vaincre les Dieu-ennemis.

La liberté dans l’ordre des mots n’est pas d’ailleurs le pur arbitraire : souvent l’ordre pathétique l’emporte sur l’ordre dit logique, comme il arrive dans les langues qui n’ont pas encore fixé par des règles trop rigoureuses l’ordre de leurs éléments. Nous ne pouvons donner ici que quelques indications sommaires, le sujet étant trop vaste et les « règles » n’étant pas nettement établies.

Plus que dans la syntaxe proprement dite il y a dans ce domaine des usages, tendances ou habitudes plutôt que des règles.

Place des substantifs sujets et compléments.

Grâce à la distinction du cas-sujet et du cas-régime, il n’est pas rare de rencontrer le régime direct avant le verbe et le sujet après, ou bien le régime en même temps que le sujet devant le verbe, ou d’autres combinaisons.

Le régime indirect pouvait aussi précéder le sujet et le verbe, et ce sans préposition, comme on l’a vu plus haut. Voici quelques exemples de ces combinaisons, mais elles sont beaucoup plus nombreuses.

Ex. :

Halt sont li pui et molt halt sont li arbre. (Roi., 2271.)

Les puys sont hauts et très hauts sont les arbres.

Ço sent Rollanz la veüe at perdue...

Croist li aciers... et dist li quens. (Rol., 2297.)

Roland sent qu’il a perdu la vue... l’acier grince... le comte dit.

Rollant saisit et son cors et ses armes. (Rol., 2280.)

Il saisit Roland (cas-régime) et son corps et ses armes.

L’altre meitiet avrat Rollanz sis niés. (Rol., 473.)

L’autre moitié, Roland, son neveu, l’aura.

L’anme del Comte portent en Paradis. (Rol., 2396.)

Ils portent en Paradis l’âme du comte.

Karles se dort com home travaillét,

Saint Gabriel li at Deus enveiét,

L’empereor li comandet a garder. (Rol., 2525.)

Charlemagne dort comme un homme fatigué ; Dieu lui a envoyé Saint Gabriel ; il lui commande de veiller sur l’empereur.

Ne hoir enfant retolir le sien fié. (Cour. de Louis.)

Ne pas enlever son fief à un enfant orphelin.

Sujet après le verbe.

Dans les propositions optatives le sujet suit ordinairement le verbe.

Ex. :

Dehait ait li plus lenz ! (Rol., 1938.)

Malheur au plus lent !

Cf. encore, dans la langue moderne : Fasse le ciel ! Puissé-je ! Puisse-t-il ! Périssent les colonies !

Même en dehors de ce cas, le sujet se place après le verbe bien plus souvent que dans la langue moderne, non seulement dans les propositions principales, mais aussi dans les subordonnées.

Cette inversion, dans les propositions principales, a lieu quand la proposition commence par des adverbes de lieu, de temps, de manière ou par un complément. La langue moderne a gardé des restes assez nombreux de cet usage.

Ex. :

Devant chevalchet uns Sarrazins. (Rol., 1470.)

Devant chevauche un Sarrasin.

Les dis mulez fait Charles establer. (Rol., 158.)

Charles fait remiser les dix mulets.

Parmi la boche en salt fors li clers sancs. (Rol., 1763.)

Parmi la bouche en jaillit le sang clair.

Ne placet Deu...

Que ja por mei perdet sa valor France. (Rol., 1090}.

À Dieu ne plaise... que jamais pour moi la France perde sa valeur.

L’inversion est à peu près de règle jusqu’au xive siècle ; à cette époque les infractions à la règle se multiplient[15].

L’inversion du sujet se faisait fréquemment quand le verbe signifiait dire, parler, ou voir, ouir.

Ex. :

Dist Oliviers. (Rol., 1080.)

Respont li enfes. (Cour. de Louis, 214.)

L’enfant répond.

Dans les incises l’inversion est de règle, comme aujourd’hui (fait il, dist il, respont il, etc.)

Place du complément déterminatif.

En général quand le substantif complément déterminatif n’est pas relié au substantif déterminant par la préposition de, il suit le déterminant : la mort Roland, l’espée Charlon, l’onor mon père.

Quand le complément déterminatif est uni à son substantif par la préposition de, il peut le suivre immédiatement, mais il arrive souvent qu’il le précède.

De mon espede encui savras le non. (Rol., 1901.)

Tu sauras aujourd’hui le nom de mon épée.

De nos ostages ferat trenchier les testes. (Rol., 57.)

Il fera trancher les têtes de nos otages.

De mon lignage ai perdue la flour. (Aliscans, 432.)

J’ai perdu la fleur de mon lignage.

Plage de l’adjectif attribut.

Avec le verbe être l’adjectif attribut est ordinairement en tête de la phrase. Dans les autres cas sa place ordinaire est après le verbe.

Buona pulcela fut Eulalia. (Cantilène de Sainte Eulalie.)

Bons fut li siecles al tems ancienour. (Alexis, 1.)

Bon fut le monde au temps ancien.

Vielz est e fraieles, toz s’en vait declinant. (Alexis, 9.)

Il est vieux et débile, il s’en va déclinant.

Riches hom fut... (Alexis, 14.)

Ce fut (c’était) un homme riche.

Granz sont les oz et les eschieles beles...

Grant est la plaigne et large la contrée. (Rol., 3291, 3305 )

Grandes sont les armées et beaux les bataillons... Grande est la plaine et large la contrée.

Cf. supra : Halt sont li puy et molt halt sont li arbre. (Rol., 2271).

L’adjectif attribut avec le verbe avoir précède aussi souvent le verbe.

Ex. :

Grant a le cors, bien ressemble marchis ;

Blanche a la barbe, come flor en avril. (Rol., 3502.)

Il a le corps grand ; il ressemble bien à un marquis ; il a la barbe blanche, comme fleur en avril.

Place de l’adjectif épithète.

L’épithète précède plus souvent le nom dans l’ancienne langue que dans la langue moderne. Quelques grammairiens attribuent cette construction à une influence germanique ; mais ce n’est pas sûr. On disait : une veuve dame, un maigre cheval, un vi diable, un merveilleux barnage (prouesse étonnante), la crestiiene loi, etc.

Place du participe passé.

Le participe passé était mis souvent avant le verbe être, quoique ce ne fût pas sa place la plus ordinaire.

Ex. :

Batisiéz fut, si out nom Alexis. (Alexis, 31.)

Il fut baptisé et il eut nom Alexis.

Morz est Turpins el servise Carlon. (Rol., 2242.)

Turpin est mort au service de Charles.

Vencuz est li niés Carle. (Rol., 2281.)

Il est vaincu, le neveu de Charíemagne.

D’autre part, le participe passé construit avec avoir pouvait aussi précéder l’auxiliaire.

Ex. :

Perdut avez Malpramis, vostre fils. (Rol., 3498.)

Vous avez perdu Malpramis, votre fils.

Desor son piz, entre les dous forcheles,

Croisiédes ad ses blanches mains, les beles. (Rol., 2249–50.)

Sur sa poitrine, entre les deux épaules, il a croisé ses blanches mains, les belles.

Place des pronoms.

Quand deux pronoms personnels atones, l’un régime direct, l’autre régime indirect précèdent un verbe, le régime direct, quand il est le, la, les, se met le premier.

Ex. :

Donc la me ceinst li gentilz reis, li magnes. (Rol., 2321.)

Alors le noble roi, le grand me la ceignit.

Bien le me garde. (Rol., 1819.)

Garde le moi bien. Cette construction s’est maintenue jusqu’au début du xviie siècle[16].


Le pronom régime d’un infinitif qui dépend d’un verbe à un mode personnel ne s’intercale pas entre ce verbe et l’infinitif, comme dans la syntaxe moderne, mais il se met ordinairement devant le verbe principal, qui est considéré comme faisant corps avec l’infinitif suivant ; ainsi l’ancienne langue disait : je le veux voir ; je le veux conseiller. Cette tournure était encore l’usage habituel au xviie siècle[17].


Le pronom personnel accentué, sans préposition, dans les propositions indépendantes non impératives, se place ordinairement avant le verbe ; mais il peut aussi se placer après.

Ex. :

Tei covenist helme et bronie a porter. (Alexis, 411.)

C’est à toi qu’il aurait convenu de porter le heaume et la cuirasse.

Liverrai lui une mortel bataille. (Rol., 658.)

Je lui livrerai un combat à mort.

Quant aux pronoms atones, ils se placent ordinairement avant le verbe.

Avec un impératif affirmatif, le pronom accentué se place ordinairement après l’impératif (construction actuelle : conseilliez mei), rarement devant. Avec un impératif négatif on emploie la forme atone, qui se met devant.

Ex. :

Ne vos esmaiiez onques. (Rol., 920.)

Ne vous effrayez jamais. On trouve aussi ne t’esmaier (infinitif impératif).

Dans une interrogation du genre de celle-ci : le fis-tu ; le dis-tu ? le pronom régime se place, dans l’ancienne langue, entre le verbe et le pronom sujet : feïs le tu por mei ? Le fis-tu pour moi ? Avez les vos ocis ? Les avez-vous tués ? Faites le vos de grét ? (Rol., 2000.) Le faites-vous exprès ?

Dans les expressions il y en vint, il y en a, en précédait i (y) ; l’ancienne langue disait : il en i vint, en i a.

Pronom relatif.

Il est souvent séparé de son antécédent.

Ex. :

Terres...

Que Carles tient qui la barbe at floride. (Rol., 2353.)

Terres... que Charles tient qui a la barbe fleurie.

Uns Bédouins estoit venuz qui. (Joinville.)

E lors vint frère Enris de Ronai, prévos de l’Ospital, a lui, qui avoit passé la rivière. (Joinville.)

Et alors vint à lui frère Henri... qui avait passé la rivière.

Verbes

Temps composés : place du régime.

En ancien français le régime — et quelquefois le sujet — peut s’intercaler, dans les temps composés, entre le verbe auxiliaire et le participe passé.

Ex. :

Si out li enfes sa tendre charn mudéde. (Alexis, 116.)

L’enfant avait changé sa tendre chair.

Guenes li fel at nostre mort juréde. (Rol., 1457.)

Ganelon le traître a juré notre mort.

La a Guillelmes rei Looïs trové. (Cour. de Louis, 2217.)

Là Guillaume a trouvé le roi Louis. Cette construction s’est maintenue jusqu’au xviie siècle.

Ex. :

Chaque goutte épargnée a sa gloire flétrie. (Corneille, Horace, III, 6.)

Dans le plus bel endroit a la pièce troublée. (Molière, Fâcheux, I, 1.)

Avec le sujet intercalé entre le verbe auxiliaire et le participe :

Sur qui sera d’abord sa vengeance exercée ? (Racine, Bajazet, V, 1.)

De nul d’eux n’est souvent la province conquise. (La Fontaine, Fables, I, 13[18].)

Place du complément et du sujet de l’infinitif.

Quand un infinitif, dépendant d’un verbe à un mode personnel, a un régime direct, le régime peut se placer avant l’infinitif.

Ex. :

O je vos ferai ja cele teste colper. (Pélerinage, 42.)

Ou je vous ferai couper cette tête.

Bien en podrat ses soldediers loer. (Rol., 133.)

Il en pourra bien louer ses soldats.

Or li fesons toz les chevels trenchier. (Cour. de Louis.)

Faisons-lui couper tous les cheveux.

Cette construction est beaucoup plus rare en prose.


Le sujet de la proposition infinitive peut aussi se mettre entre le verbe personnel et l’infinitif (c’est la construction actuelle : laissiez m’aler = laissez-moi partir) ; mais de plus le sujet se place souvent devant le verbe personnel. Ex. :

Tanz bons vassals vedez gesir par terre. (Rol., 1694 )

Vous voyez couchés par terre tant de bons vassaux.

Sur la place du pronom personnel régime d’un infinitif dépendant d’un verbe à un mode personnel, cf. supra.

Enfin l’ancien français intercale volontiers le régime direct entre une préposition et un infinitif qui en dépend.

Ex. :

Por lei tenir et por homes atraire. (Rol., 2256.)

Pour maintenir la loi chrétienne et pour convertir les hommes.

Prodome i out por son seignor aidier. (Rol., 26.)

C’était un homme de bon conseil pour aider son seigneur.

  1. Les débutants confondent souvent la conjonction de coordination si = et et la conjonction se marquant l’hypothèse.
  2. Brunot, Gram. hist., 2e éd., § 511.
  3. Pour si est.
  4. Cf. Haase, Synt.fr., § 37 A.
  5. Cf. la négation nen il devenue nennil et nenni ; cf. supra, Morphologie.
  6. Quelquefois n’.
  7. Quelquefois n’.
  8. Jusqu’à la Vie de saint Alexis inclusivement (milieu du xie siècle) on ne trouve pas de négation composée.
  9. Haase, Synt. fr., § 101.
  10. Cf. Haase, Synt. fr., § 120.
  11. Haase, Synt. fr., § 130.
  12. Haase, Synt. fr., § 126, 2e, C.
  13. Il s’est figé aujourd’hui dans quelques expressions comme bachelier ès lettres, docteur ès sciences, etc. Ès étant un pluriel, les personnes qui, par manie d’archaïsme, l’emploient devant un nom au singulier commettent une erreur : des formes comme docteur ès droit, ès médecine n’ont jamais existé ; docteur ès droits (droit civil, droit canon) au contraire est correct.
  14. Haase, Synt. fr., § 126, 2e, A. On trouve aussi, au xviie siècle, èsquelles = en, dans lesquelles.
  15. G. Paris, Chr., § 251, 252.
  16. Haase, Synt. fr., § 154 A.
  17. Haase, Synt. fr., § 154 C.
  18. Cf. A. Darmesteter, Cours de gram. hist., Syntaxe, 2e éd., p. 116 ; Hasse, Synt. fr., § 153, 2e et 153, 1 A.