COMPOSITION FRANÇAISE

Rapport présenté par Annie RIZK

Sujet : 

Eugène Ionesco, dans son article « Expérience du théâtre » N.R.F, février 1958, publié dans Notes et Contre-notes, p. 62-63, Folio, Essais, 2003 affirme:

 

« D’abord, le théâtre a une façon propre d’utiliser la parole, c’est le dialogue, c’est la parole de combat, de conflit. Si elle n’est que discussion chez certains auteurs, c’est une grande faute de leur part. Il existe d’autres moyens de théâtraliser la parole : en la portant à son paroxysme, pour donner au théâtre sa vraie mesure, qui est dans la démesure ; le verbe lui-même doit être tendu jusqu’à ses limites ultimes, le langage doit presque exploser, ou se détruire, dans son impossibilité de contenir les significations. »

 

Analysez et évaluez cette assertion en vous appuyant sur des exemples précis et variés.

 

 

Analyse et enjeux de la citation de Ionesco sur la parole théâtrale

Préambules méthodologiques

D’abord, l’insertion de cet énoncé mérite un commentaire préalable puisqu’il est extrait d’un article publié originellement dans la revue NRF, en février 1958, repris ensuite dans Notes et contre-notes en 1962 puis en 1966, recueil de propos à l’origine diverse : publiés en revues, ils peuvent avoir été aussi diffusés oralement dans des entretiens ou des conférences. Malgré le caractère épars des contextes, l’unité consiste dans l’expression anti-dogmatique des conceptions esthétiques de son auteur. La tonalité humoristique défie toute logique convenue, en particulier le principe de non-contradiction et elle n’a d’égale que la violence de l’imprécation. Ce titre, Notes et Contre-notes,par son esprit de juxtaposition des contraires pointe une méthode de contestation et de dénonciation contrastée de la doxa, étant susceptible, à son tour, de devenir une opinion commune !

On pourra donc attendre des candidats, qui ne seront pas surpris de cette référence familière à l’une des mines préférées des enseignants en quête de sujets de dissertations, une reconnaissance a priori des colères de cet empêcheur de tourner en rond que fut Ionesco. Ils pourront donc légitimement s’exposer à la recherche de ce contre quoi Ionesco a voulu penser : opinion des spectateurs et critiques contemporains ou théoriciens du passé ?

La diversité des formes est grande : articles, réponses à des enquêtes, contribution à des colloques, introduction à des programmes de théâtre, notes de travail, réflexions et les sujets sont multiples : « L’auteur et ses problèmes, expérience du théâtre, controverses et témoignages, intermède : les gammes, mes pièces, vouloir être de son temps c’est déjà être dépassé ». Ionesco commente ses œuvres et énonce sa conception du théâtre avec pour principe une profonde méfiance des critiques à qui il s’adresse d’entrée de jeu pour polémiquer. Il part donc de la posture de l’auteur incompris face à ceux qui le commentent, posture pour le moins traditionnelle…

Outre le fait de savoir contre quoi Ionesco s’insurge, le candidat devra percevoir cette toutepuissance de l’auteur, énonciateur absolu de sa vérité esthétique, autrement dit un dogmatisme antidogmatique ! Le théoricien de l’absurde vise-t-il une nouvelle forme de classicisme ?

Une troisième difficulté réside dans la tension même du genre théâtral entre le texte donné à lire et le spectacle éphémère et unique que constitue chaque représentation, chaque interprétation unique. S’agira-t-il d’analyser la parole théâtrale figée en quelque sorte dans la texture de l’écrit, condensée, à la manière des paroles gelées de Rabelais dans le Quart Livre, (chap. LV) ou doiton observer cet objet dynamique, mouvant de la parole théâtrale dans sa dimension matérielle, sonore, physiologique ? Doit-on considérer la chair de la parole ou sa transcription, simple reflet calligraphié, à moins que ce ne soit un modèle préalable à la performance, semblable à la partition musicale ? Dans l’un ou l’autre cas, les paramètres d’analyse, les repères, l’objet même de la discussion ne sauront être exactement les mêmes : les codes de la parole théâtrale dans le texte ne sont pas forcément identiques à ceux du plateau.

Indépendamment de cette opposition purement théorique, les nécessités de la dissertation de CAPES supposent que l’objet du discours demeure ce qui reste du théâtre une fois que les lampions se sont éteints : sa trace écrite, sans oublier toutefois la particularité de ce texte fait pour la scène ! Qui plus est, ne devra pas être oubliée la dimension linguistique spécifique au texte de théâtre : la règle incontournable de la double énonciation, qui fait que tout discours émane de plusieurs locuteurs (l’auteur, le personnage, l’acteur) et s’adresse également à plusieurs types d’interlocuteurs, un autre personnage, le lecteur, les spectateurs… Le feuilleté complexe de la polyphonie énonciative qui fait la spécificité du théâtre ne devra pas être oublié. Sans séparer de manière caricaturale les deux aspects de la parole théâtrale (à l’écrit, ou en scène), il importera sans doute d’évaluer les relations d’une instance à l’autre : le texte écrit, sauf exception (Musset), n’existe que pour être représenté et sans persistance écrite, la scène n’est qu’un objet de mémoire. Dans La Poétique, déjà Aristote séparait les deux arts, pour donner la primauté au texte : « La mise en scène, certes séduisante, n’est nullement une œuvre d’art et n’appartient du tout à la poétique. En effet, la force de la tragédie reste indépendante de la représentation et des acteurs. »

Plus récemment Georges Baty, dans Le Metteur en scène formule une idée analogue : « Le texte est la partie essentielle du drame. Il est au drame ce que le noyau est au fruit, le centre solide autour duquel viennent s’ordonner les autres éléments. Et de même que le fruit savouré, le noyau reste pour assurer la croissance d’autres fruits semblables, le texte, lorsque se sont évanouis les prestiges de la représentation, attend dans une bibliothèque de les ressusciter quelque jour. » C’est pourquoi, on pourra, ces précautions étant prises, être sensible malgré tout dans les copies à l’évocation d’une mise en scène particulière, aux grands interprètes et à tout ce qui constitue le caractère concret de la représentation. De futurs enseignants sont censés donner le goût de se rendre au spectacle à leurs élèves autant que de réfléchir aux relations qui unissent texte et représentation, leçon éminemment transmise dans L'Ecole du spectateur, par cette grande dame qui vient de disparaître Anne Ubersfeld. En ce sens, on attendra l’idée que le théâtre est aussi « spectacle du discours »

Mise en contexte de la citation

Dans la section « Expérience du théâtre », l’écrivain et dramaturge exprime en premier lieu son embarras à répondre à la question la plus simple : « Pourquoi écrivez-vous des pièces de théâtre? ». La réponse est inattendue, paradoxale, à la limite de la plaisanterie : « Il me semble parfois que je me suis mis à écrire du théâtre parce que je le détestais ». Ce rejet du genre dramatique, il l’explique d’abord par le dégoût viscéral de ce qui fonde selon lui la théâtralité, la facticité qu’il juge ridicule, mensongère, excessive. « Comment [le comédien] pouvait-il accepter d’être un autre ? De jouer un personnage? C’était pour moi une sorte de tricherie grossière, cousue de fil blanc, inconcevable. »

Presque à l’opposé, la deuxième raison de son rejet du théâtre est selon lui, le caractère excessivement réaliste de ce genre littéraire qui le différencie de l’imaginaire ou de la fiction, propres au roman et à la poésie. Ce réalisme sonne faux par son excès de mise en spectacle de soi. « Aller au spectacle, c’était pour moi aller voir des gens, apparemment sérieux, se donner en spectacle ». « Pourquoi la réalité théâtrale ne s’imposait-elle pas à moi? Pourquoi sa vérité me semblait-elle fausse ? » […] Je crois comprendre que ce qui me gênait au théâtre, c’était la présence sur le plateau de personnages en chair et en os. Leur présence matérielle détruisait la fiction. […] Il y avait là comme deux plans de réalité, la réalité concrète, matérielle, […] et la réalité de l’imagination […]deux univers n’arrivant pas à s’unifier, à se confondre. »

Ionesco ressent l’impureté du théâtre du fait de ce clivage et se considère comme un spectateur éternellement maussade et mécontent. Les deux tendances extrêmes de la mise en spectacle lui déplaisent. Il refuse aussi bien l’identification totale du comédien à son personnage que la distance froide et maîtrisée qu’un Diderot préconise, et à sa suite, Jouvet, Piscator ou Brecht. Pour lui, le modèle idéal du metteur en scène est Jean Vilar : « Jean Vilar […] avait su trouver le dosage indispensable, en respectant la nécessité de la cohésion scénique sans déshumaniser le comédien […] rendant ainsi au spectacle son unité, au comédien sa liberté à mi-chemin entre le style de l’Odéon […] [et] la caserne brechtienne ou piscatorienne. »

Il analyse ensuite ses propres déceptions de lecteur du théâtre, pour mettre en évidence une exigence de sens, de réponse à des questions existentielles. Lire le théâtre, ce serait trouver des réponses possibles à ces interrogations formulées par les multiples personnages. Néanmoins, tout dramaturge ne peut se contenter du sens : celui qui exprime une morale, une psychologie ou une idéologie lui semble écrire du théâtre de patronage.

Malgré ces réticences, il énonce le caractère essentiel du théâtre à la vie humaine : « On ne peut pas résister à ce besoin de faire parler [des personnages], de les faire vivre devant nous. Incarner les phantasmes, donner la vie, c’est une aventure prodigieuse, irremplaçable. » Ou encore : « Ce n’est que lorsque j’ai écrit pour le théâtre, tout à fait par hasard et dans l’intention de le tourner en dérision, que je me suis mis à l’aimer. »

Ainsi, tour à tour spectateur, lecteur, auteur de théâtre, Ionesco ne fait aucune place ni au théoricien ni au critique. Ses propos expriment un étonnement sur la nature étrange de la représentation théâtrale dans son rapport à la réalité, sur le caractère hybride d’un texte dont les conventions surlignent les artifices plus que tout autre genre et de sa volonté propre en tant qu’auteur de représenter, comme au second degré, cette facticité propre aux nécessités de la mise en spectacle et du langage afférent. L’excès, la démesure, le grossissement sont autant de procédés pour se jouer de la dynamique artistique spécifique à l’espace théâtral. Mais c’est aussi l’étrangeté du monde, l’insolite qu’il souhaite révéler, pour s’arracher au quotidien à travers le théâtre et en dehors de tous les engagements idéologiques ou moraux.

C’est dans ce contexte que Ionesco exprime sa conception de l’énonciation théâtrale. Cet extrait concerne les éléments langagiers et semble leur donner la primeur alors qu’en réalité dans le paragraphe précédent, Ionesco rappelle que « la parole ne constitue qu’un des éléments de choc du théâtre ». Immédiatement ensuite, il évoquera tous les éléments non-verbaux du spectacle, gestes, mimiques, décors, accessoires, éclairages, objets, symboles concrétisés… « Mais il n’y a pas que la parole : le théâtre est une histoire qui se vit, recommençant à chaque représentation, et c’est aussi une histoire que l’on voit vivre. Le théâtre est autant visuel qu’auditif. »

Il est donc clair que par une série de retournement théoriques Ionesco affirme une intemporelle vitalité du théâtre où il n’oppose pas le texte et la scène. Il s’agira d’évaluer pour les candidats la spécificité du langage théâtral, au-delà des choix esthétiques de l’auteur, dans sa relation à ce qui est non-langagier et dans son rapport au sens. Ionesco répudie tout engagement moral ou philosophique mais il n’en cherche pas moins à produire un choc, un « coup de matraque » métaphysique asséné au spectateur. La qualité de réception des spectateurs, entre empathie et distance, étonnement devant la dislocation du sens ou compréhension aisée de ce sens, oubli du réel ou retour à l’essentielle étrangeté du monde, tout ceci pourra être envisagé à un moment de la réflexion des candidats.

Analyse de l’énoncé

« D’abord, le théâtre a une façon propre d’utiliser la parole, c’est le dialogue, c’est la parole de combat, de conflit. Si elle n’est que discussion chez certains auteurs, c’est une grande faute de leur part. Il existe d’autres moyens de théâtraliser la parole : en la portant à son paroxysme, pour donner au théâtre sa vraie mesure, qui est dans la démesure ; le verbe lui-même doit être tendu jusqu’à ses limites ultimes, le langage doit presque exploser, ou se détruire, dans son impossibilité de contenir les significations. »

Composition de l’énoncé

Cet extrait de réflexion manifeste la première étape d’un raisonnement marqué par le terme

« d’abord », suivi d’une précision ou d’une variante suggérée par l’adjectif « autre », « il existe d’autres moyens » et dans un troisième temps, le retournement lexical formule la contradiction « limites ultimes, exploser, se détruire, impossibilité ».Ce retournement de sens est la logique de l’énoncé où la définition de la parole théâtrale va de sa dynamique – le dialogue – à son impossibilité.

L’objet du discours est de définir en théorie la parole théâtrale à partir d’une série de verbes à présentatifs « c’est », auxquels fait suite le « il existe » qui renvoie au champ du réel et suggère la multiplicité des possibles concrets, enfin la définition se mue en précepte de dramaturge « le verbe doit être tendu, le langage doit presque exploser … impossibilité ». 

D’un côté, la parole au théâtre est définie par le recours au dialogue dans sa spécificité, agonistique, ensuite par l’existence de modalités atténuées de l’échange verbal, « la discussion » que la négation restrictive marque d’un fort discrédit. La deuxième proposition définit davantage le fait théâtral que la parole par la démesure « paroxysme », « démesure », « ultimes limites ». Cette fois, la parole est envisagée comme acte de langage et non dans son énoncé brut, qui plus est dans son rapport à la représentation, sa tension vers le fait d’être dite. Dans cette deuxième phrase, on voit qu’il n’y a pas de possibilité de séparer le texte de théâtre de son dire.

Enfin, le théâtre pousse les contradictions et les carences du langage à leurs derniers retranchements. Quand il est joué au théâtre, parce qu’il doit faire sens et qu’il surligne le sens, le langage se détruit de lui-même. Ce troisième temps pousse le raisonnement jusqu’à l’absurde par retournement de sens : au départ, la parole théâtrale exhibe, donne en spectacle la toute-puissance du langage dans cette possibilité de briller dans la contradiction, dans l’affrontement conflictuel, dans l’émulation verbale, ludique et collective. Mais en définitive, cet excès de brio s’annihile puisque la parole théâtrale révèle la fragilité fondamentale du langage qui réside dans son incapacité à signifier. Nous ne sommes donc plus dans la dimension ludique, pleine d’esprit des échanges verbaux, ni dans le spectacle d’un pugilat langagier sublimé, mais dans le sérieux extrême de la quête de sens. L’agôn, ce n’est plus la sophistique de Platon, cette rhétorique qui tourne à vide à force de vouloir montrer toutes les vérités probables mais la dialectique qui mène à l’idée… à la nuance près que chez Ionesco, le réel n’a pas de sens et le langage est absolument inadéquat pour le dire !

Problématisation

Si l’objet de la réflexion est bien le langage théâtral et plus spécifiquement la parole théâtrale (comme acte de langage incarné par un locuteur, ici le personnage ou l’acteur) la difficulté de problématiser réside dans l’imbrication de plusieurs questions relatives à la définition de la théâtralité. Le candidat devra choisir un angle d’attaque pour construire le raisonnement, plusieurs manières de théâtraliser le langage étant proposées dans l’énoncé du sujet. Chacun de ces angles pourra être accepté à condition de donner lieu à un examen avec des références appropriées, et d’éviter un traitement chronologique. Cinq angles d’attaque du sujet sont possibles : la théâtralité du discours, le sens, la démesure, la violence, le devenir du langage au théâtre.

A chaque fois cependant, on attendra, qu’après avoir évalué de manière dialectique la question qu’il aura clairement formulée, le candidat propose une définition, fût-elle prudente ou hypothétique, de ce qui lui paraît le plus pertinent de la théâtralité. Il devra, bien sûr, éviter de scinder le sujet en trois pour faire un simple exposé illustré, ce qui ne saurait être un questionnement !

Premier type de plan pour répondre à la question : qu’est-ce que la théâtralité du discours?

I       La théâtralité consiste dans l’art du discours

1)      Comme agôn : un conflit de paroles consistant à chercher une vérité (Œdipe de Sophocle) ou à faire s’affronter des individus, des valeurs.

2)      Comme joute verbale ludique (Plaute, Molière, Marivaux, Corneille).

3)      Comme spectacle de la parole sous toutes ses formes y compris les monologues, les didascalies, le langage mis en spectacle : discours citationnel, psittacisme, onomatopées, le spectacle qui explore toutes les contradictions du langage jusqu’à l’anéantir. 

II    La théâtralité : un art extra-langagier

1)      Que devient le texte ? Le langage anéanti jusqu’au grotesque. le retour au « théâtre pur » (mimes, jongleries, farces, marionnettes) d’Aristophane à Jarry.

2)      De la diction à la fiction : Kate Hambürger, Genette. L’action au fondement du suspens théâtral.

3)      Sémiotique de l’espace théâtral : la théâtralité est un nouveau code linguistique qui fait écho au texte et consiste dans« le théâtre moins le texte ». Barthes : gestuelles, objets, décors...

III  La théâtralité entre représentation et quête de signification

1)      La représentation prime pour signifier : les épisodes de bouffonnerie, de mimes, de mutisme sont toujours en écho avec leur contraire. Les bouffons tragiques de Shakespeare, la sagesse des fous au plus près du grotesque sont lourds de sens.

2)      Il n’y a pas de théâtre sans quête de sens : même et surtout le théâtre de l’absurde vise le sens.

3)      L’artificialité fait le théâtre : artificialité du discours, de la double énonciation et de la mise en scène, qu’elle soit convenue, parodiée ou dénoncée. L’essentiel est la communication entre la scène et le spectateur et la poéticité du texte.

 

Conclusion : La quête d’un unisson : le théâtre comme cérémonie chorale.

2ème type de plan : Le langage théâtral est-il sens ou non-sens ?

I       Une tension vers le sens

1)      L’intérêt dramatique qui court vers le dénouement est une dynamique du sens. (au sens de direction)

2)      Le dialogue agonistique est affrontement de deux thèses Alceste/Philinthe

3)      L’affrontement de deux intérêts ou deux systèmes de valeur. Néron/Britannicus ; Figaro/ Le comte

II    La représentation du non-sens

1)      Par la stigmatisation du langage

2)      Par la représentation du désordre: Folie d’Ajax ou du Roi Lear. Le Bien joué aux dés dans Le Diable et le bon Dieu

3)      Par la remise en cause des codes théâtraux. Mise en abyme, inversion de la salle et du plateau (Les Chaises de Ionesco).

III  La quête du sens à travers le non-sens

1)      Le théâtre de l’absurde dit une vérité existentielle

2)      La dramaturgie comme passage du désordre à un nouvel ordre

3)      La théâtralité repose sur la diversité et l’audace de la mise en scène : il existe ainsi une histoire des représentations de Brecht, didactique, grotesque ou choral.

 

Conclusion : un équilibre instable entre sens et non-sens : l’ambigu, l’énigmatique, l’équivoque sont nécessaires à la dynamique temporelle de toute pièce. Par ailleurs la tension entre l’unicité du texte et la multiplicité des représentations rend possible ce jeu avec le sens.

3ème type de plan : Le théâtre est-il, comme art de représenter le discours, mesure ou démesure ?

I       Le théâtre est démesure

1)                  Démesure de la parole : agôn à l’origine du théâtre

2)                  Démesure des passions conflictuelles

3)                  Démesure des actions qui s’expriment en un langage paroxystique

II    Le théâtre peut-il être mesure?

1)                  La conversation des honnêtes gens

2)                  L’avènement des discours vers un nouvel ordre : la résolution des conflits. Comédie matrimoniale, tragédie héroïque, drame total.

3)                  Le texte comme norme de la mise en scène.

III  Le théâtre comme cérémonie de la tension entre mesure et démesure

1)                  L’outrance verbale de la farce au service de la liberté

2)                  La facticité de la parole, étalon du jeu théâtral

3)                  Lyrisme choral du théâtre : l’intensité dramatique tempérée par le rythme et l’harmonie poétiques.

 

Conclusion : La démesure propre à la représentation théâtrale ne peut être efficace sans la mesure d’une codification librement choisie.

4ème type de plan : quelles sont les possibilités du langage que le théâtre explore ? 

I       La parole théâtrale manifeste la toute-puissance du langage

1)                  Expressive et émotive. Tend à la poéticité.

2)                  Délibérative, rationnelle, dialectique. Elle fait avancer le sens et l’action.

3)                  Ludique: la fête linguistique du jeu verbal gratuit.

II    la parole théâtrale expose l’essentielle infirmité du langage

1)                  A faire sens : de l’ambiguïté tragique à la polysémie jusqu’au monolithisme idéologique.

Trop de sens ou trop peu de sens nuisent au discours.

2)                  A s’exprimer : le danger du mutisme ou de l’aphasie.

3)                  Les jeux poétiques du langage le mettent en danger (Tardieu, Ionesco, Beckett)

III  Spécificité de la parole théâtrale

1)                  La double énonciation lui donne épaisseur et variabilité infinies.

2)                  Le rôle du non-verbal : importance capitale des codes non-langagiers.

3)                  Une symbolisation en fragile équilibre entre texte et scène, entre dialogue et monologue, entre didascalies et mises en scène réelles. Il existe une histoire des pratiques scénographiques, qui tantôt privilégient le texte, tantôt le spectacle : la tendance contemporaine à mettre en avant la mise en scène par rapport au texte clos.

 

Conclusion : le langage est authentiquement mis en danger et exposé avec toutes ses failles sur scène mais le théâtre condense, déplace et réinvente les éléments d’une nouvelle linguistique. Il est le lieu de l’invention d’un nouveau langage, qui en ses confins peut se passer même de la parole.

5ème exemple : Plan retenu : la violence du discours théâtral met–elle en scène la faillite du langage ? 

Introduction 

Selon Aristote, la représentation théâtrale, à la différence du récit épique, est « drama », une action représentée et portée par la parole. Quelques siècles plus tard, dans Notes et Contre-notes, Eugène Ionesco accorde encore la première place à la parole théâtrale :

« D’abord, le théâtre a une façon propre d’utiliser la parole, c’est le dialogue, c’est la parole de combat, de conflit. Si elle n’est que discussion chez certains auteurs, c’est une grande faute de leur part. Il existe d’autres moyens de théâtraliser la parole : en la portant à son paroxysme, pour donner au théâtre sa vraie mesure, qui est dans la démesure ; le verbe lui-même doit être tendu jusqu’à ses limites ultimes, le langage doit presque exploser, ou se détruire, dans son impossibilité de contenir les significations. »

En premier lieu, Ionesco évoque la parole théâtrale en distinguant deux codes, somme toute fort conventionnels, le premier à adopter, le second à proscrire. L’échange théâtral doit plutôt être, selon lui, un combat, un agôn et non une « discussion ». Ionesco semble préférer le principe antique, de la confrontation issue du dialogue philosophique aux échanges polis du théâtre mondain, faits de la « conversation des honnêtes gens ». L’hypothèse de départ est donc que le théâtre est par définition violence, manifestée, déployée et mise en spectacle sur scène mais que cette violence doit d’abord employer les moyens retenus et codifiés du dialogisme pour s’exprimer.

Curieusement, à partir de cette analyse qui ne contredit en rien la tradition aristotélicienne, selon laquelle le texte fait le théâtre plus que la scène et pour laquelle les significations et l’accord sont possibles à l’issue des confrontations, Ionesco pousse le raisonnement jusqu’à inverser les propositions, quasiment jusqu’à l’absurde : la confrontation verbale au théâtre anéantit toutes les instances du langage ! Le discours devient donc un spectacle, mettant en jeu l’impuissance du langage, fût-ce jusqu’à l’anéantissement en faisant littéralement exploser toutes ses composantes. Le langage, selon la perspective de Ionesco, devient-il à soi seul en ce cas l’objet du spectacle en se détruisant dans le non-sens?

L’affrontement par les mots n’étant ni suffisant ni adéquat à l’espace du théâtre, l’échange peut donc aller jusqu’à la destruction du langage et la violence se manifester par d’autres éléments qui échappent à la parole. Quels sont ces éléments non-verbaux de la violence du théâtre ? Pourquoi menace-t-elle la suprématie de la parole, a priori constitutive du théâtre ? Cette contradiction formulée par Ionesco jusqu’à ses limites pose bien la question du fonctionnement de la double énonciation ainsi que des voies de symbolisation. N'est-ce pas plutôt le visuel qui est en jeu dans cette rhétorique de l’agôn et la violence n’adopte-t-elle pas un code propre, exhibant par là même l’infirmité du langage ? Dans cette perspective, c’est le spectacle qui devient un discours à soi seul.

Après avoir mis en évidence ce renversement de perspective des voies de signification et de représentation au théâtre, reste à répondre à la question sous-jacente : qu’est-ce qui constitue le plus la théâtralité : la représentation violente quasi mimétique d’un conflit (entre les dieux et les hommes, entre un individu et un autre, entre l’amour et la haine, entre le sens et le non-sens,) ou bien la modération, la résolution de cette violence? Le théâtre est-il nécessairement choc pour le spectateur, ne peut-il être aussi charme hypnotique, empathie de la salle et du plateau ? La parole la plus théâtrale serait alors plutôt chorale que dialoguée, comme le montre l’évolution du chœur de l’Antiquité à celui du peuple brechtien. Dans cette perspective, que deviennent les relations du textuel et du visuel et ne peut-on dépasser les oppositions énoncées dans les deux moments de la réflexion ? 

Entre son éclatement au profit d’un théâtre « pur » et son exploration infinie des voies de signification, que devient le langage spécifiquement théâtral? Ne peut-on parler de sublimation du langage, et par delà l’affrontement et la démesure, évoquer un apaisement, et au lieu de dialogisme penser à une harmonie chorale ? La théâtralité, in fine, ne se définit-elle pas par sa littérarité, le chant et la poéticité de sa langue lui rendant ainsi sa fonction première, celle d’une cérémonie sacrée, grâce à cet échange fondamental, cette communion de la salle et de la scène ?

I- La parole théâtrale doit être affrontement agonistique : le langage en tension - Le discours est spectacle… jusqu’à sa propre destruction

Comment théâtraliser la parole? Cette question suppose non seulement que le langage ne soit pas employé à l’ordinaire, mais que sur la scène de théâtre il subisse une distorsion propre aux règles de la représentation, pour créer l’illusion fictionnelle. Sa nécessité réside dans sa tension dynamique entre deux forces qui mènent inéluctablement à l’issue de la pièce.

1) Nécessité de l’affrontement verbal pour affirmer la toute-puissance du langage et faire avancer la vérité en même temps que l’action. a) Définition philosophique de l’agôn

En utilisant cette référence, Ionesco reprend les définitions les plus anciennes du statut de l’échange dialogué. Dans la Grèce antique, l’agôn désignait à l’origine « les jeux marquant certaines fêtes, le rassemblement des spectateurs et la compétition livrée. Puis ce terme s’est étendu au débat judiciaire et en général à la compétition oratoire, donnant les conditions d’apparition du dialogue philosophique. Dans le Protagoras, Platon oppose l’aspect ludique de l’agonistique au sérieux de la dialectique. Aristote en revanche, prolonge l’enseignement des Sophistes en donnant à ce jeu verbal une valeur gymnastique », gage des possibles de la vérité. Au théâtre, on retrouve cette opposition entre le jeu verbal gratuit et la parole de combat, le duel qui doit mener à la vérité.

 

b) La tragédie, comme la comédie, met en scène des conflits humains.

La scène de ménage moliéresque du Médecin malgré lui est la version comique, accessible à tous, de la dynamique du conflit. Une femme, pour se venger d'être battue, fait de son paysan de mari un médecin de pacotille afin qu'il soit dûment étrillé à son tour. Des mots mensongers vont entraîner des actes sous la forme de coups et rétablir un équilibre rompu.

Chez Sophocle, cette tension première du dialogue mène, non pas vers l’action mais vers le sens. Qui est Œdipe ? Quel est son destin ? Qui est le chef politique ? La première scène s’ouvre sur cette énigme qui oppose le héros et Tirésias, détenteur de la vérité.

Dans Œdipe Roi de Sophocle, le dialogue procède dès le début de la pièce en ces termes. C’est l’échange de paroles qui est la modalité de progression de la scène et qui fait qu’elle peut aller d’un point à un autre, du secret à la révélation. Œdipe est tout entier dans le désir de savoir et d’agir, Tirésias dans la parole de vérité prophétique, mais énigmatique. L’accusation d’Œdipe a raison du silence de Tirésias qui accuse à son tour. Les répliques sont d’abord courtes, puis ce sont des grandes tirades d’égale longueur. Aucune recherche de naturel, le discours n’obéit en rien au code de la parole vraie et la construction est très visible. « Le texte théâtral est comme saturé et la violence est toute entière contenue dans les mots, » La révélation de la prophétie qui pèse sur Œdipe est l’issue de la confrontation. Qui suis-je ? Quel est mon destin? Ces deux questions règlent simultanément l’action et le sens. La pièce de Sophocle sert de modèle matriciel et permet de comprendre la fonction de l’agôn dans le dialogue. Le duel verbal amène la vérité de manière progressive, selon un ensemble de règles rhétoriques propres au théâtre et le débat entre les personnages n’est qu’un support, prétexte à l’affrontement des enjeux et des valeurs.

 

c) Tout est dialogue et conflit de valeurs

D’après Anne Ubersfeld, « La parole théâtrale est, même dans le monologue, essentiellement dialoguée. Le dialogue théâtral est moins une série de couches textuelles à deux ou plusieurs sujets de l’énonciation que l’émergence verbale d’une situation de parole comportant deux éléments affrontés. »

A travers les siècles, perdure un énoncé minimal qui définit le théâtre par la toute-puissance du discours (le langage mis en acte concrètement par un locuteur), mais un discours dont le progrès et la dynamique sont fondés sur le combat. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, cet affrontement ne concerne pas seulement un conflit d’intérêt ni une opposition passionnelle incarnée par des personnages/comédiens mais un objet interne au discours ou à l’action. Entre Antigone et Créon se joue la définition de la loi (la loi sacrée domine-t-elle la loi politique ?), entre Horace et son père la raison d’état, dans Œdipe la quête d’une vérité portant sur l’identité du roi. Les deux termes grecs qui désignent la fonction royale, « tyrannos » ou « basileus » signifient pour l'un, l’usurpateur despote, pour l'autre, le souverain légitime. Ces deux mots retracent l’itinéraire d’Œdipe, roi illégitime de Thèbes qui après être devenu aveugle, deviendra, à Colone, le souverain d’un nouvel ordre politique légitime. Ce signifiant prend toute sa valeur dans la dynamique de l’action au cours des affrontements verbaux. Les instances qui s’opposent, formulées dans le discours, ne forment pas seulement la trame du texte mais l’enjeu de l’action. Laquelle des valeurs ou des vérités va-t-elle dominer ? Du conflit, l’ordre ou le désordre vont-ils émerger ?

La parole théâtralisée dépasse donc largement le cadre de ce qui se joue habituellement dans la langue commune, dans le réel vécu par les spectateurs. Du fait de la double énonciation et de la combinaison des quatre voix de communication (deux du scripteur et deux du destinataireinterlocuteur ou public), les possibilités de jeu avec les instances du langage sont démultipliées.

2) L’affrontement dissimulé sous le masque de la bienséance (euphémisation de l'agôn) :

la joute verbale, pur jeu social

a) Le discours théâtral, principe d’honnêteté

Ce serait une faute de goût que d’abâtardir l’échange verbal en « discussion », selon Ionesco. Que doit-on entendre par ce terme? Il peut suggérer le langage naturel, reflet de la parole ordinaire du quotidien dans son peu de recherche ou au contraire, l'usage le plus rhétorique du langage, la joute verbale. Ce deuxième sens est probablement ce qu’il faut retenir ici. En dépit de l'anathème lancé par Ionesco, cet usage de l’échange agonistique est celui qui a présidé au moment où le théâtre devint, qu’il soit comique ou tragique, un genre policé, où le code des bienséances de la société l’emportait sur toute autre considération. L'essentiel n’est plus alors de purger les passions mais de distraire l’honnête homme, avec son cortège de modération, de retenue et d'observation des règles de bonne conduite. La parole théâtrale, de ce fait, atténue la violence du conflit en le sublimant de manière formelle. Le jeu verbal, avec sa dominante rationnelle ou morale fait l’objet d’une grande virtuosité. 

Déjà dans l'antiquité, l'évolution du théâtre de Sophocle à Euripide accorde de plus en plus de place au texte dialogué sous cette forme sophistique du débat d'idées. L'hybris est contenue dans les limites plus acceptables de la civilité au lieu de prendre la forme amplifiée de la déclamation. Certes, depuis l’époque latine, le modèle sénéquéen qui exacerbe la violence devient exemplaire jusqu'à la fin du XVIème siècle, mais par la suite, la langue dramatique tend à se tempérer. Chez Corneille, cet art répond au précepte qu'il formule en termes de « conversation des honnêtes gens ». Dans une analyse précédant cet entretien extrait de Notes et contre-Notes, Ionesco exprime précisément son peu de goût pour Corneille. Dans cette opposition, il reprend l’ancienne querelle du XVIIème siècle opposant ceux qui font des discours au théâtre de simples morceaux de rhétorique et ceux pour qui, les discours sont des substituts de l’action.

Dans le premier cas, la virtuosité des discours exprime une maîtrise parfaite du beau langage et s’inscrit dans le cadre d’un théâtre de l’honnêteté. Dans La Place Royale, la première scène n’expose pas une action mais une confrontation de maximes sur l’amour entre Angélique et Philis : la première défend la fidélité et la seconde la liberté.

 

Angélique

« On ne doit point avoir des amants par quartier,

Alidor a mon cœur et l’aura tout entier,

En aimer deux, c’est être à tous deux infidèle. »

 

Philis 

« Pour moi j’aime un chacun, et sans rien négliger

Le premier qui m’en conte a de quoi m’engager […]

Mon cœur n’est à pas un en se donnant à tous,

Pas un d’eux ne me traite avecque tyrannie »

 

Joute oratoire très enlevée qui expose le dilemme de « l’art d’aimer » entre union mystique ou refus de l’esclavage passionnel. Les contradictions de l’existence aristocratique de ces personnages se reflètent avec bonheur dans celles des spectateurs qui se mirent dans ces débats. La joliesse des tournures, l’équilibre stylistique et syntaxique que permet l’usage de l’alexandrin, la qualité raffinée des débats offrent bien le miroir d’une préciosité diffuse de la société. Préciosité qui, précisément tente de réformer le langage, le jugeant inadapté à la finesse de la conscience au regard de la brutalité du monde !

L’affrontement du dialogue théâtral cornélien tout en exaltant les possibilités exquises de la langue, aboutit néanmoins au constat d’une relative faillite de l’échange. Pour preuve, le nombre envahissant des monologues dans la pièce déjà citée (La Place Royale) où tour à tour les personnages expriment, mais en vain, leur désarroi, leur fureur, ou leurs hésitations. L’intransigeance d’Angélique, l’héroïne de comédie qui se réfugie au couvent, ne sera altérée par aucun discours ! Dans la scène dernière, le spectateur perçoit à quel point la rhétorique des discours semble avoir été vaine : dans ses Stances en forme d’épilogue, Alidor, l’amoureux extravagant qui a préféré donner sa maîtresse à son meilleur ami, se félicite que cette dernière ait choisi le couvent. L’issue de la pièce n’est qu’un artifice dramatique. D’une certaine manière, le brio des paroles n’est qu’un feu de paille éphémère et inefficace. Seule demeure l’impossibilité d’anéantir l’extravagance amoureuse.

La joute verbale, qui oppose Alceste et Philinte dans Le Misanthrope, plus existentielle en quelque sorte, est le support de deux conceptions du monde des plus tranchées et aborde un sujet plus grave : celui de la sociabilité. Les deux protagonistes sont les porte-parole de deux systèmes qui s’exposent plus qu’ils ne s’affrontent de manière dynamique. Renvoyant les discours aux formes de la conversation mondaine ou aux débats d’époque, les discours théâtraux s’inscrivent donc au XVIIème siècle dans des cadres théoriques existants : le plaidoyer ou le réquisitoire, la délibération, dans les monologues ou les scènes de conseil, la narration, le discours judiciaire ou épidictique. Ces formes codifiées et reconnues du public à la fois expriment la toute-puissance ludique de la parole et n’en exhibent pas moins ses failles.

 

b) Le dialogue théâtral, principe d’action

En revanche, l’Abbé d’Aubignac, dans La Pratique du théâtre, IV, 2 confère une efficacité pragmatique à ces discours, qui font à eux seuls toute l’action du théâtre et sont doués de faire concevoir comme visibles des actions qui n’accèdent à l’existence que par le langage dramatique. Anticipant la linguistique du XXe siècle, l’abbé d’Aubignac montre le caractère performatif, selon la formule d’Austin (quand dire, c’est faire) de la parole théâtrale.

 

« Ce poème est appelé drama, c’est-à-dire action, et non pas récit ; ceux qui le représentent se nomment acteurs, et non pas orateurs ; ceux-là même qui s’y trouvent présents s’appellent spectateurs, ou regardants, et non pas auditeurs ; enfin le lieu qui sert à ses représentations, est dit théâtre, et non pas auditoire, c’est-à-dire un lieu où on regarde ce qui est fait, et non pas un lieu où l’on écoute ce qui s’y dit. »

 

La rhétorique est donc portée à l’action, précisément lorsque les règles de la bienséance interdisent de représenter l’impensable, le conflictuel, la violence. A partir d’une même réalité théâtrale et de textes répondant à des conventions identiques, l’abbé d’Aubignac énonce simplement que le discours au théâtre, est d’abord un spectacle. Se joue dans cette opposition le primat accordé au visuel sur le langage dramatique. L’abbé d’Aubignac bien avant les linguistes et les structuralistes énonce l’artifice fondamental qui caractérise le discours théâtral. Ainsi, bon nombre de personnages, par exemple, les amants des comédies de Corneille parlent la langue des précieuses, alors qu’ils ne reconnaissent pas nécessairement leur système de valeurs. Ce discours de convention, reflet des codes d’une époque, semble peu théâtral à Ionesco en ce qu’il évacue la teneur de toute relation intersubjective, qui est, selon lui et selon la dynamique théâtrale, le conflit. 

 

c) Rhétorique de l’agôn et mise à l’épreuve

Le marivaudage, cet art suprême du langage défini par Deloffre comme une « préciosité nouvelle » comporte les contradictions de cet aspect ludique de l’échange théâtral. L’enchaînement nécessaire et éblouissant des répliques, marque de fabrique du théâtre de Marivaux, n’est qu’une illusion esthétique, comme le puissant déterminisme qui semble emporter les intrigues. Chaque pièce demeure un jeu dans les trois sens possibles du mot définis par Roger Caillois : un jeu de compétition réglée (l’« agôn »), un vertigineux entraînement (« illinx ») et enfin une sorte de plaisir enfantin du simulacre (« paidia ») une aventure, où s’ébattent les libertés. Moins que l’affrontement, l’esprit de défi ou de défiance envers l’autre, ce qui compte chez Marivaux est le cheminement psychologique qui mène à la découverte de la vérité, à une transparence de soi à soi et de soi-même à l’autre. Seule la dynamique du langage permet cette épreuve, au sens d’un « humanisme expérimental » pour reprendre les termes de Henri Coulet et Michel Gilot, épreuve qui demeure la figure essentielle du dialogue. L’action repose principalement sur la révélation du sentiment amoureux qui vient surprendre le cœur du héros et que celui-ci a bien du mal à accepter. Dans Le Jeu de l’amour et du hasard, Silvia qui se déguise en soubrette pour mieux examiner le fiancé auquel son père la destine, se trouve prise au piège, dès le premier regard, de la bonne allure de Dorante, lui-même déguisé en valet. Le divertissement qu’elle a imaginé devient une véritable épreuve, une souffrance, qui aboutit aussi à une révélation. A l’acte I scène VII seuls les apartés expriment ou plutôt trahissent la vérité du cœur, ou en d’autres mots, la surprise de l’amour :

 

Silvia, a part, Mais en vérité, voilà un garçon qui me surprend malgré que j’en aie…(Haut) Dis-moi, qui es-tu toi qui me parles ainsi ?

Dorante, Le fils d’honnêtes gens qui n’étaient pas riches. […] Silvia, A part. A la fin, je crois qu’il m’amuse. »

 

Le dialogue ne progresse ni sur le mode du duel ni sur le mode du duo, mais par une série d’évitements, de demi-mensonges où se cachent des demi-vérités qui finalement ne se révèleront que lorsque l’héroïne aura parcouru la « distance intérieure » qui la sépare de sa propre vérité. Le spectateur, bien longtemps avant l’héroïne, a conscience des affres du sentiment amoureux. A l’occasion de sa mise en scène du Triomphe de l’amour en 1956, Jean Vilar a parlé d’un « Marivaux-le-cruel », à l’image de Sade, bourreau du cœur humain.

Ces contradictions étant posées, entre l’explosion de la démesure et la retenue du sens, comment la parole théâtrale peut-elle en soi, se transformer en un spectacle ? Deux solutions possibles : les échanges dialogués peuvent mener au dépassement dynamique du conflit ou demeurer pure virtuosité rhétorique. Le suspens dramatique est au cœur du spectacle dans le premier cas, dans le second, un sens distancié de l’observation et du bel esprit sera l’attente du spectateur. Dans la perspective beaucoup plus grave et radicale de Ionesco, la démesure du fait théâtral transforme le discours en un spectacle de sa propre dissolution. Selon quelles modalités ?

Comment la scène pallie-t-elle alors la faillite du langage ?

3) L’affrontement verbal est donc plutôt du côté de la mise en spectacle : ni conçu pour aboutir à un sens ou à une issue (1er cas de figure), ni conçu comme pur jeu formel (2ème cas) ; le discursif est évincé par le visuel, le sonore, le perceptible… jusqu’à ses plus extrêmes limites.

 

a) La parole théâtrale jusqu’au cri

De la rhétorique racinienne de l’aveu (masque et révélateur de « cet art de la sourdine » dont la véritable raison d’être est sans doute la profération violente) au théâtre de la cruauté, en passant par la chair du verbe claudélien, la parole théâtrale, présente sur scène pour donner corps aux passions aboutit souvent à une simple profération d'un mot issu des profondeurs. Les discours construits s'effacent au profit de la prononciation obsessionnelle d’un nom propre - celui de l’être aimé, ou de l’ennemi maudit par exemple - voire d’onomatopées. L'inavouable objet d'amour infligé par les dieux est d’abord prononcé par Œnone à l’acte I, scène 3 : « Cet Hippolyte ». Le nom tabou éclate aux oreilles de Phèdre comme une incongruité : « Malheureuse, quel nom est sorti de ta bouche? ». Exprimant l’intensité aussi bien que l’impuissance, ce seul nom propre engendre l’aveu de Phèdre. Quant à l’échange lyrique du nom des amants: Ysé, Mesa du Partage de midi claudélien, il produit une harmonie scénique, une résonance, un souffle qui dépasse l’empan du langage. L'onomastique se trouve aux confins de l'indicible. Le verbe devient respiration. L’intensité vocale des discours prend en quelque sorte chair et vie dans ces limites du langage, où le mot isolé contient plus de sens et d’effet dramatique que la dynamique des échanges.

Dans le théâtre de l’absurde, les énoncés des personnages éclatent littéralement. Dans La Comédie du langage, conçue selon Tardieu, comme un « clavecin bien tempéré du théâtre », l’organisation grammaticale de la phrase est intacte mais les sonorités des mots dérapent :

 

Madame […] allant au devant de son amie

« Chère, très chère peluche! Depuis combien de trous, depuis combien de galets n’avais-je pas eu le mitron de vous sucrer!

Madame de Perleminouze très affectée : […] Je n’ai pas eu une minette à moi. »

 

A la fin de La Cantatrice chauve, les phrases ne sont que de pures combinaisons syntaxiques comiques, sans référent :

 

Monsieur Martin :

J’aime mieux tuer un lapin que de chanter dans le jardin 

 

Puis les mots se réduisent à la récitation des voyelles :

« Monsieur Smith: aeiouaeiouaeiou […]

Enfin, ils se phonétisent au point de devenir de simples exercices de prononciation :

Madame Martin : de l’ail à l’eau du lait à l’ail.[…] La suite logique est le silence :

« Puis les paroles cessèrent brusquement. »

 

b) La parole théâtrale jusqu’au mutisme

A une autre extrémité se situe l’impossibilité de proférer le moindre son, le mutisme, le silence.

Déjà, dans le théâtre classique, puis au XVIIIe, le silence est un élément indissociable du flux du discours au même titre que les pauses de la partition musicale. Les moments de silence complètent en alternance avec le dialogue ce que les mots ne peuvent exprimer, pour des raisons de bienséance ou tout simplement parce que le locuteur ne peut aboutir à sa pensée. Les points de suspension du théâtre marivaudien, le plus souvent marquent le désir qui ne peut s’avouer, comme celui de Marton ou d’Araminte qui, dans Les Fausses confidences est cruellement prise au piège par la bonne mine du faux intendant Dorante. Ce signe de ponctuation, fréquemment usité chez Marivaux, dans une moindre mesure chez Musset est la marque de l’implicite, de l’inavouable et sur scène, se joue en faisant résonner éloquemment le silence. Même dans un cadre où l’on prête foi au langage, sa théâtralisation tend à souligner sa valeur vocale et dans ses marges, à l’effacer.

Lorsque l’aptitude du langage à signifier est mise en doute, le procédé est radicalisé ; le mutisme peut s’étendre à toute la pièce. Dans Actes sans paroles, Beckett supprime toute cette dimension du théâtre et fait avancer l’action par les seuls mouvements des personnages sur scène, le décor devenant alors un support essentiel du sens. Le texte théâtral se réduit aux seules didascalies. Ce choix d’éliminer totalement le langage discursif fait basculer radicalement les voies de significations vers le visuel, et ce cas-limite ne stigmatise pas seulement les failles du langage dans les échanges intersubjectifs. Il déplace la codification esthétique du théâtre vers le seul champ de la perception, principalement visuelle.

 

c) L’effacement du langage ; pour une symbolisation du visuel

Pendant longtemps, les théoriciens du langage dramatique, comme Pierre Larthomas, dans Le Langage dramatique passaient sous silence les didascalies, omettant même de les mentionner. Pourtant, tout énoncé non destiné à être lu sur le plateau fait également partie du discours théâtral. Partie émergée de l’iceberg du texte dramatique, les didascalies ne sont pas moins essentielles pour représenter les paroles prononcées par les personnages. Indiquant la liste des personnages, (qui deviennent parfois des « personnes » comme chez Claudel) le lieu, le temps, les décors, les gestes, les mimiques, ils indiquent à quel point les dialogues ne sauraient constituer à eux seuls la dynamique théâtrale. Ils entretiennent avec eux une relation intrinsèque, au même titre que les apartés ou les monologues car ils sont un élément de codage linguistique, qui inclut ce qui n’est pas langagier.

Selon les termes de Michaël Issaschareff, le texte théâtral invite à une « didascalecture ». Ce néologisme accorde une importance aux didascalies égale à celles des dialogues et suggère que le lecteur de théâtre tout comme le metteur en scène se doit de leur prêter une attention particulière. Indications scéniques ou de régie, mention des locuteurs et du lieu de l’énonciation, les didascalies fournies par l’auteur dramatique complètent les énoncés des personnages et les rendent représentables. 

Rhinocéros chez Ionesco, en est la plus visible manifestation. Selon les cas, la proportion du visuel et du discursif varie, mais il n’en demeure pas moins que la théâtralité se définit ainsi nouvellement, du fait même du statut particulier de l’échange verbal au théâtre, du caractère incomplet des possibilités du langage et par ailleurs de l’infini des voies de symbolisation offertes par la scène. Tendues vers la mise en scène, les didascalies incitent à une herméneutique que l’interprète peut choisir, en toute liberté de négliger ou de contredire. Quand Ariane Mnouchkine fit lors d’une célèbre interprétation du Tartuffe en Avignon la dénonciation de tous les intégrismes, elle transposa la Compagnie du Saint Sacrement chrétienne du XVIIème siècle aux extrémismes musulmans d’aujourd’hui, forçant le trait des indications de Molière, par le choix d’une transposition historique.

Le théâtre de l’absurde démontre à un point limite la faillite ou du moins l’incomplétude du langage dramatique et pousse le théâtre du côté des autres arts du spectacle, comme le préconisait Artaud dans Le Théâtre et son double, opposant la sécheresse du langage abstrait des occidentaux à la réalité tangible des symboles orientaux.

« A côté de la culture par mots il y a la culture par gestes. Il y a d’autres langages au monde que notre langage occidental qui a opté pour le dépouillement, le desséchement des idées […] [il y a] au passage tout un système d’analogies naturelles comme dans les langages orientaux. »

Tout se passe comme si, par essence, le théâtre tendait au mime et à la danse. Le dernier spectacle de Bartabas intitulé L’Homme-centaure conjugue ces deux arts : la danse du cavalier faisant corps avec sa monture offre une image spectaculaire du Centaure et la danse de mort du butô japonais au premier plan de la scène figure les limites de l’humain et de l’animal. Le sens est désormais porté par l’image seule des acteurs évoluant sur le plateau.

Il est donc vrai que la parole se théâtralise d’abord par la vertu de l’échange, souvent violent entre des protagonistes et que la démesure du spectacle pousse le langage à sa négation. Cependant, la spécificité de la parole théâtrale réside-t-elle dans cette tension impossible vers le sens ou au contraire vers la prolifération des signes extra-linguistiques ?

Le langage se donne en spectacle dans sa fragilité et devient l’objet essentiel du jeu théâtral, que le code de référence soit la toute-puissance langagière classique ou qu’il soit la mise en doute contemporaine. Néanmoins, le glissement de symbolisation vers le visuel recompose les différentes instances de la parole théâtrale au profit d’autres systèmes de signes. Comment, symétriquement le spectacle devient-il discours ?

II - Comment la violence théâtrale expose-t-elle la faillite du langage? Pour une nouvelle définition de l’échange théâtral : c’est le spectacle qui est discours

Quels sont les éléments du langage menacés par sa théâtralisation ? Chacun des constituants de la communication se disloque en unités séparées et produit un effet spécifique, comique, absurde, tragique. La violence du discours se déplace alors et se dissémine en d’autres instances propres au théâtre.

1) Le signifié menacé : la violence des échanges jusqu’au non-sens a) L’ambigüité à l’origine de la faillite du signifié

C’est l’inscription même du langage au cœur de la représentation théâtrale qui menace le signifié : dans un cadre esthétique traditionnel où l’on met en scène la toute-puissance du langage, le quiproquo et l’ironie dramatiques fragilisent l’interprétation des signes. L’ambigüité est inséparable de la tension dramatique. Dans la comédie, le quiproquo pousse le sens à ses ultimes retranchements. Dans L’Ecole des femmes, à l’acte II, Agnès croit qu’Horace sera le futur mari que lui annonce son tuteur Arnolphe, alors que celui-ci l’a élevée en vue de l’épouser. Symétriquement, Arnolphe croit à un moment qu’elle va accepter de l’épouser. La méprise crée le comique et sa révélation le ridicule des passions déçues.

Parfois, le quiproquo entraîne l’action dans une valse folle : dans Un Chapeau de paille d’Italie, de Feydeau, l’action est rythmée par la recherche d’un chapeau à demi grignoté par un cheval. Sa découverte permettra au héros Fadinard de se marier. Tout un jeu de substitutions d’objets et de personnages, de méprises sur les identités font du quiproquo le procès fondamental de la signification.

Dans Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Vernant et Vidal-Naquet analysent la structure énigmatique exemplaire d’Œdipe Roi dans son rapport à la signification. « Dans la bouche des différents personnages, les mêmes mots prennent des sens différents ou opposés, parce que leur valeur sémantique n’est pas la même dans la langue religieuse, juridique, politique. Ainsi pour Antigone, nomos désigne le contraire de ce que Créon, dans les circonstances où il est placé appelle lui aussi nomos. […] L’ambiguïté traduit alors la tension entre certaines valeurs senties comme inconciliables en dépit de leur homonymie. Les paroles échangées sur l’espace scénique, au lieu d’établir la communication et l’accord entre les personnages, soulignent au contraire l’imperméabilité des esprits, le blocage des caractères ; elles marquent les barrières qui séparent les protagonistes, elles dessinent les lignes de conflit. Chaque héros, enfermé dans l’univers qui lui est propre, donne au mot un sens et un seul. A cette unilatéralité se heurte violemment une autre unilatéralité. L’ironie tragique [fera que…] le héros se trouve littéralement « pris au mot », un mot qui se retourne contre lui en lui apportant l’amère expérience du sens qu’il s’obstinait à ne pas reconnaître. »

 

b) Le langage phonétisé jusqu’à l’absurde 

A l’autre extrémité historique, Ionesco ainsi qu’un certain nombre de dramaturges de l’absurde offrent le spectacle de la dissolution du sens en abolissant d’une part tragique et comique et d’autre part en décrochant le signifiant du signifié. Le langage est rendu à sa pure matérialité phonétique. Dans Jacques ou la soumission, Jacques mère rappelle tous les sacrifices qu’elle a faits pour son enfant : 

 

« Jacques mère : […] Ah, fils ingrat, tu ne te rappelles même pas quand je te tenais sur mes genoux et t’arrachais tes petites dents mignonnes, et les ongles de tes orteils pour te faire gueuler comme un petit veau adorable.

Jacqueline : Oh! Qu’ils sont gentils les veaux! Meuh! Meuh!Meuh! »

 

Parfois, la perte de la signification promeut littéralement le signifiant au pouvoir. Ainsi dans Les Salutations de Ionesco, à la question « Comment allez-vous? », suit une série d’adverbes en liste quasi alphabétique 

 

« Agréablement, Et vous? […]

 

Premier Monsieur : …fouchtramment fougasseusement, fripouilleusement, […] ganglionnairement, gangréneusement, gargouilleusement,

gastralgiquement…[…]

 

Premier Monsieur : Nous allons merveilleusement, nous nous portons ionescamment!

 

Le Quatrième spectateur (qui n’existe pas) : J’en étais sûr. Le dernier mot était prévu. »

 

Chez Jarry, le verbal est également en premier lieu valorisé au détriment du visuel. Comme Ionesco, Jarry subvertit la triade signifiant, signifié, référent. La Pologne, lieu de l’action d’Ubu Roi est pour le moins abstraite, désignée par l’auteur comme « Nulle Part » et, en lieu et place d’un décor, annoncée par des écriteaux. Le plus célèbre néologisme du théâtre français, le « MERDRE » initial, répété 33 fois dans la pièce est souvent associé à une action violente, l’assassinat du roi Venceslas, comme le« crochet à nobles », autre néologisme, permet de massacrer les aristocrates. « La merdre est le signe de l’assassinat et l’assassinat du signe ». Le mot régit l’action et s’y substitue ; le signe renvoie souvent à un autre signe. Arbitraire ou hallucinant, le signifiant bloque ainsi la transmission du sens et les objets prennent une importance inhabituelle, preuve que le visuel porte aussi plus intensément la signification lorsque le langage est mis à mal. Le grand cabas, le parapluie, la chaise sont autant de signes substituts grotesques du pouvoir convoités par Mère Ubu. Les objets peuvent aussi devenir néologiques, tels ces « ciseaux à oneilles », dans cet univers où le système référentiel est devenu imprévisible…

 

c) L’espace théâtral substitut du sens

Dans ce dernier cas, les codes de la communication non-langagiers prennent le pas et « la didascalecture » précède la vision du spectacle.

Dans l’esthétique classique, l’espace est réduit à une dimension abstraite. Chez Racine, les représentations conformes aux bienséances devaient valoriser l’espace diégétique ou contenu dans la parole théâtrale. La sobriété du décor mimétique tendait à l’épure au point que Jean-Louis Barrault s’en tint, dans une célèbre mise en scène historique, en 1946, à figurer simplement l’ombre et la lumière, royaumes de Minos et de Pasiphaé :

 

« Deux éléments contrastants doivent donc former le décor

-  d’une part : la lumière, le soleil, l’air marin ;

-  d’autre part ;des coins sombres donnés par les murs et les voûtes.

[…] Dans ce pays de lumière, on cherche l’ombre; on s’y cache.

Les nuits sont blanches. Le sommeil a fui; et dans le jour les hommes errent comme des somnambules[…]

 

La tâche du décorateur réside donc dans une savante répartition des ombres et de la lumière. » Dans le théâtre moderne, l’espace fait totalement sens à partir du conflit entre l’espace mimétique (montré sur scène) et l’espace diégétique (raconté). Dans Les Bonnes de Genet, ce conflit fait tout le ressort de la pièce et se substitue au sens inclus dans les paroles. Seul l’espace de Madame, la patronne est visible alors que l’espace des servantes, la mansarde, la cuisine, est invisible, et uniquement contenu dans les paroles. Simple reflet de celui de Madame, leur espace n’a pour ainsi dire pas d’existence. Cette aliénation sociale, figurée par l’invisibilité des lieux personnels entraîne une réappropriation mais sur le mode théâtral de l’espace de Madame. Claire et Solange y jouent à la patronne et à la servante…

Particulièrement dans le théâtre de l’absurde, la symbolisation scénique se substitue au discours dramatique. Dans Oh ! Les Beaux jours ! l’avancée de l’action se mesure au degré d’enfouissement du personnage et les poubelles sur lesquelles Hamm frappe pour faire sortir Nagg ou Nell dans Fin de partie figurent mieux que les paroles la dégradation et la déréliction.

 

 2) Le signifiant menacé par les éléments extérieurs à la parole théâtrale a) Contextualisation des discours

Tout échange théâtral est de nature factice ; toute parole n’existe qu’en situation. Par définition, la notion de parole ou l’énonciation actualise l’énoncé en la mettant dans un contexte. Le sens est fonction de cette actualisation qui au théâtre, subit des données variables, fonction dans le texte du statut des données spatio-temporelles (intra-diégétiques ou mimétiques) et des choix de la mise en scène ainsi que de l’horizon d’attente des spectateurs. Les discours et la scène entretiennent donc une relation complexe mais intrinsèque. Le signifiant peut être menacé par cette mise en situation. Parfois, celle-ci renvoie à l’intertextualité et met à mal le signifiant en le surchargeant d’une dimension parodique.

Ainsi, Labiche, en bon vaudevilliste, reprend le drame historique Toussaint Louverture de Lamartine, sur le mode farcesque. Le poète romantique, en 1850, met en scène ses idéaux politiques à travers ce général haïtien qui proclama l’indépendance de l’île en 1800. Le vaudevilliste subvertit la référence au réel historique puisque le titre de la pièce devient Traversin et Couverture, et son sous-titre « parodie » l’annonce comme une œuvre de caractère ludique où il réécrit l’ensemble du texte de Lamartine. Les accessoires domestiques — traversins et couvertures— étaient chers à des farceurs comme Feydeau et Labiche. Le nom du personnage historique est scindé en deux et dégradé à l’univers domestique. Tous les personnages subissent cette déformation, rendue comique par le contexte historique. Serbelli chez Lamartine devient Vermicelli chez Labiche, les généraux français célèbres Rochambeau et Ferrand deviennent Machin et Chose. Mazuline devient Mousseline… Le décor domestique achève le travail de sape du signifiant pour former l’élément cohérent de la parodie.

 

b) Du psittacisme au silence : discours citationnel, bégaiement.

Tout un pan de la parole théâtrale, repose sur le principe de répétition, base du comique de la grande comédie moliéresque. Le « Qu’allait-il faire dans cette galère? » des Fourberies de Scapin n’égale que le « sans dot! » de l’Avare. Cette expressivité scénique de la parole qui en répète une autre peut en revanche aboutir à son inverse, à une sorte de malaise, de dysharmonie ou de déroute du sens. Le psittacisme propre aux paroles des personnages du théâtre de l’absurde, leur propension à parler comme des perroquets, chez Ionesco, Tardieu ou Pinter met en spectacle le décrochement du signifiant par rapport aux intentions signifiantes. Les personnages, transformés en mécaniques, semblent dépourvus de toute réflexion ou d’intelligence. Le langage s’emballe tout seul.

Parfois, les énoncés sont savants et supposent une connaissance des grands textes littéraires. Ainsi, dans Rosenkrantz et Guildenstern sont morts de Stoppard, de nombreuses tirades et répliques de Shakespeare sont reprises intégralement. Outre le fait que ces éléments risquent de passer inaperçus pour un spectateur naïf, la question se pose de savoir si la référence à l’hypotexte menace le langage ou au contraire l’enrichit grâce à ce principe citationnel. La parole théâtralise alors le langage, non par son expressivité mais par sa littérarité – car ces procédés sont alors plus textuels que scéniques.

 

c) La polyphonie signifiante du plateau

Néanmoins, toute parole étant lacunaire, la scénographie— la lumière, le décor, le jeu de l’acteur, la musique etc. —vient compléter le sens de la pièce. Les signes non-langagiers ou extra-langagiers de la scène finissent par se substituer au monde réel, et par devenir l’indispensable complément de la parole. Barthes va plus loin encore : « Qu’est-ce que la théâtralité ? c’est le théâtre moins le texte » Par cette formule lapidaire qui entame une analyse fort convaincante du théâtre de Baudelaire et des paradoxes de ce qui fait le propre du théâtre, à la fois dans le texte et dans sa représentation, Barthes énonce l’empire absolu des signes nonlangagiers ou extra-langagiers de la scène. Il poursuit ainsi en évaluant le rôle exact du texte : « C’est une épaisseur de signes et de sensations qui s’édifie sur la scène à partir de l’argument écrit, c’est une sorte de perception œcuménique des artifices sensuels, gestes, tons, distances, substances lumières, qui submerge le texte sous la plénitude de son langage extérieur. Naturellement, la théâtralité doit être présente dès le premier germe écrit d’une œuvre, elle est une donnée de création, non de réalisation. »

Jamais on n’a aussi nettement indiqué l’union intrinsèque du texte et de la scène mais surtout désigné la théâtralité à partir du potentiel représentable de l’écrit. Le réseau de signification dans cette perspective se déplace du langagier au visuel. C’est pourquoi, plus la pièce frise le non-sens, plus les signifiants abondent sur la scène. Chez Beckett, les didascalies envahissantes indiquent l’importance du contexte de la parole (une double poubelle, un monticule de sable) et la place des fenêtres ou des issues orientent le sens pour le spectateur. Les personnages, dans un univers clos ont pour tout espoir la lueur émise par un vasistas élevé.

Ainsi, la théâtralité apparaît comme l’ensemble des signes qui, inscrits en creux dans le texte et actualisés à la scène seulement viennent parachever la signification de la pièce. Ce que Barthes reformule ainsi « on a donc affaire à une véritable polyphonie informationnelle, et c’est cela la théâtralité « une épaisseur de signes ».

3) Le référent menacé

a) Un référent extra-scénique de convention

Une composante essentielle de la triade du signe est le référent. Lorsqu’elle se théâtralise, l’intensité de la parole met à mal également cette instance. Essentiellement, de même que dans ses deux autres instances, le signifié menacé par l’ambiguïté, le signifiant par sa vocalisation, le référent au théâtre est chargé d’irréalité. C’est dans cette perspective qu’Aristote accorde la place prépondérante à la fiction sur la diction. Le théâtre est l’espace d’une action qui se déroule en un espace condensé, stylisé, rendu abstrait par convention. Les analyses plus récentes, comme celles de Kate Hambürger, ou Genette apportent des variations à cette distinction mais n’en soulignent pas moins l’irréalité, la transposition métaphorique, l’illusion du lieu scénique. Pour Anne Ubersfeld, les personnages sont des « êtres de papier » et le monde réel n’existe au théâtre que par le langage, y compris celui des signes non-langagiers.

Le référent au théâtre est donc ce combiné d’illusion à laquelle le spectateur ne demande qu’à croire et de conscience de l’irréalité, par laquelle le spectateur n’oublie pas qu’il y a une frontière entre le réel et l’irréel. Selon le maniement de cette convention communément partagée, le dramaturge va jouer avec le réel en le théâtralisant, jusqu’à produire parfois la disparition du référent premier!

Dans certains cas, le réel est totalement déréalisé au point de n’exister que dans les paroles des personnages, d’être strictement diégétique. Dans Huis Clos, où Sartre met en scène des morts en enfer, les personnages, Inès, Garcin et Estelle ne peuvent convoquer la réalité qu’au passé et dans l’irréalité de leur discours. Deux référents s’opposent : celui de l’enfer sur scène composé pour respecter les didascalies, d’un salon bourgeois du second empire, et l’univers passé des morts frappé par définition de non-existence. L’ironie dramatique repose sur cette inversion de la relation entre l’espace et le temps : l’action de la pièce ne s’exerçant qu’en forme de reconstitution, dans les paroles, d’une action révolue, où la liberté ne peut plus s’exercer.

 

b) Quand le référent disparaît

Dans Les Chaises, Ionesco brouille complètement les cartes du rapport entre la parole théâtrale et le référent. La pièce, dans sa dimension spéculaire et allégorique, symboliserait le théâtre et le problème de la création théâtrale. Le Vieux et la Vieille attendent des invités, figurés par des chaises auxquelles ils s’adressent et qui restent désespérément vides. Pour les spectateurs, ils parlent dans le vide, à des fantômes, et ces personnages absents sont matérialisés par des chaises vides que l’on apporte de plus en plus nombreuses sur la scène! Cette mise en abyme d’une pièce en quête de spectateurs, figure l’auteur (le Vieux) qui a un message à communiquer à l’humanité. Celui-ci précise qu’il a engagé un orateur pour parler en son nom. Mais celui-ci est muet et ne peut prononcer que des borborygmes :

 

« Mmmm, Mmmm, Gueue, Gou, Gu, Mmmm, Mmmm, Mmmm, Mmmm. » 

 

Sa femme explique à un invité que son mari organise tout. Il figure donc le metteur en scène. Quant à la Vieille, puisqu’elle apporte tout le temps des chaises, les arrange, vend des programmes, son rôle semble celui d’une ouvreuse-régisseur. L’orateur de métier, c’est le comédien et les chaises vides le public. Ionesco brouille toutes les instances de l’énonciation et met sur les planches ce qui appartient à la coulisse : le non-visible. Par toutes sortes de bruitages (sonneries ininterrompues, vagues, barques) il parvient aussi à brouiller les zones qui séparent la scène de la coulisse et la scène de la salle. La conséquence? Les hiérarchies sont déplacées, la réalité du visible est mise en doute. Et on assiste à une forme de prolifération de la déréalisation.

 

c) Le spectacle ne représente ni ne symbolise plus le réel, mais le grime. 

Pour certains dramaturges du XXe siècle, il faut jouer au second degré, ainsi pour Genet, ainsi pour Artaud. La violence, la démesure propres au théâtre font exploser jusqu’aux codes de l’artifice théâtral en le surlignant. Le résultat est l’importance de la mascarade farcesque, du jeu carnavalesque chez Genet, ou de l’excès grotesque chez Brecht. Genet préconise ainsi que les acteurs dans Le Balcon, jouent surélevés sur des cothurnes, ou bien dans Les Bonnes, indique en note, dans une didascalie péremptoire, la manière dont Claire doit surjouer. Ce goût pour l’excès a parfois abouti dans certaines mises en scène, à placer l’ensemble des acteurs sur la scène du début à la fin de la représentation des Nègres, au point de dérouter les spectateurs.

Déjà, sous une autre forme, ce principe existait dans la farce médiévale, proche de l’inversion et du déguisement carnavalesque. Dans le théâtre allégorique du début du XVIe siècle, inspiré des Mystères médiévaux, le défilé des péchés capitaux du Faust de Marlowe prend l’allure stylisée d’une pantomime. Le XXe et le XXIe siècle retrouvent dans maints spectacles ce goût de l’artifice caricaturé jusqu’à remplacer les acteurs par des marionnettes. Loin de signifier la distance entre le réel et la scène théâtrale, ce procédé a le but de réunir les deux univers. On se souviendra de l’usage que le théâtre du Soleil fait, parfois de la marionnette à des fins politiques, dans des manifestations de rue. La perte du référent au théâtre n’est qu’un choix esthétique et finalement ne menace ni le sens ni le réel comme on pourrait le penser.

Ce sont donc les composantes propres au langage théâtral, fondées sur l’expressivité, l’ambigüité, la répétitivité, l’artifice qui poussées à leur extrême produisent sa dislocation, et non quelque distinction entre un système esthétique ancien et la modernité. Tout se passe comme si le langage, dès lors qu’il s’expose en scène possédait sa violence propre, avec pour résultat l’inversion des données attendues : devenant chair concrète, il attribue au visuel une valeur linguistique.

Mais n’est-ce pas cet entrecroisement des instances qui confère au spectacle sa valeur intrinsèque de cérémonie? Dans cette perspective, il serait plus judicieux de voir au théâtre une façon de sublimer le langage, de le poétiser, et de faire de l’échange théâtral un dialogue démultiplié jusqu’à la mesure d’un grand ensemble choral.

III- Comment définir la théâtralité ? le langage sublimé et poétisé

1) Pour un théâtre choral

a) Retour transposé au chœur de la tragédie antique

Depuis les débuts du XXe siècle, simultanément à la remise en question du langage chez Jarry, ou à la scène symboliste d’un Maeterlinck, on assiste à un retour du chœur. Tout se passe comme si on cherchait à compenser un besoin de renouveler la représentation par d’autres voies, la contestation farcesque, la symbolisation ou le retour à des données de l’Antiquité. Ainsi, chez Cocteau, dans Les Mariés de la Tour Eiffel, des phonographes humains, sortes de comédiens chosifiés, renvoient à des personnages rappelant à leur tour la convention théâtrale du chœur grec. Comme ce dernier, précise Cocteau « les phonographes humains, à droite et à gauche de la scène, comme le chœur antique, comme le compère et la commère, parlent sans la moindre littérature, l’action ridicule qui se déroule, se danse au milieu. »

Dans La Cité sans sommeil de Tardieu, un dictateur a réussi à abolir le sommeil en obligeant les citoyens à veiller en permanence, toute infraction étant sanctionnée par la peine de mort! Deux espaces s’opposent un diurne et un nocturne, où des opposants luttent contre la normalité des discours par des discours oniriques. La révolution à la fin de la pièce parvient à libérer les citoyens. La propagande du dictateur est diffusée par un reporter-radio dans une cabine en plexiglas, souvenir du rôle du chœur antique chargé de commenter les événements qui se déroulaient devant les yeux des spectateurs. Ce journaliste finit par subvertir son instrument et parler pour les rebelles, comme s’il rêvait dans son sommeil…

Comment cette nouvelle figuration du chœur remplit-elle la fonction de la parole théâtrale? Aux origines grecques du théâtre, le chœur de la tragédie, situé en avant de la scène joue le rôle d’intermédiaire entre les spectateurs et les protagonistes. Les paroles chantées et rythmées en vers alternés contrastent avec le caractère paradoxalement prosaïque des dialogues des héros. Commentant l’action tout en la psalmodiant, il permet de sublimer l’action et de garantir la cohésion collective de la cérémonie. S’effaçant peu à peu de l’histoire du théâtre, déjà chez Euripide puis à partir des Juives de Garnier au XVIe siècle, il revient sous des formes détournées à notre époque. Chez Brecht, les mélopées populaires de L’Opéra de quatre sous rendent au peuple sa fonction première de commentateur et de protagoniste fondamental, sans entrer en contradiction avec le principe de la distanciation. Même dans le théâtre de l’absurde, le malaise suscité par l’apparente dislocation du sens est parfois compensé par une instance qui de près ou de loin remplace un collectif, une foule, une voix multiple, ainsi les observateurs du rhinocéros qui traverse l’espace inopinément.

Les trois fonctions originelles du chœur sont remplies par d’autres éléments, la fonction de commentaire de l’action, la fonction consistant à rythmer poétiquement l’action, la fonction d’incarnation politique du peuple.

Nul besoin de lui donner la forme stricte d’un groupe de chanteurs, un seul individu suffit parfois à remplir ce rôle, comme c’est le cas de l’ivrogne ou du bouffon chez Shakespeare. La parole est éminemment théâtralisée par les discours de l’ivresse ou de la folie, peu soucieux de bienséance ni de détours rhétoriques pour dire les choses avec justesse. Ainsi dans le Roi Lear, après la malédiction de Cordelia par son père, qui a partagé tout son royaume entre ses deux sœurs aînées, voici ce que dit le bouffon à son roi :

 

Le Fou […] M’n’oncle, donne-moi donc un œuf, et je te donnerai deux couronnes.

Lear – Et que seront ces deux couronnes ?

Le Fou – Eh bien, quand j’aurai coupé l’œuf en deux et coupé le jaune et le blanc, les deux couronnes de la coque! Quand tu as fendu ta couronne pour en distribuer les deux moitiés, tu as, comme dans la fable, porté ton âne sur ton dos pour franchir le bourbier, prouvant que tu n’avais guère de cervelle sous la couronne de ton crâne, le jour où tu t’es défait de ta couronne d’or ». (Acte I, scène 4)

 

Cette voix triviale dit avec justesse l’erreur tragique de Lear, sous des dehors grotesques qui font passer la parole pour gratuite. 

 

b) La théâtralité, liturgie lyrique

Un des moindres paradoxes du chœur est le suivant : il exprime la voix de la foule populaire mais sous la forme poétique et scandée du vers. Dès les origines, la nature prosaïque des échanges dialogués fait contraste avec le lyrisme propre à la sacralité théâtrale, censée rassembler les individus de la cité et exhausser par l’art lyrique, le sublime des actions humaines. Quand le chœur disparaît de la scène, la poéticité ainsi que la fonction politique se déplacent en d’autres lieux.

Dans le théâtre classique, le rythme de l’alexandrin se charge de magnifier la parole théâtrale jusqu’à l’incandescence. Nul mieux que Jean-Louis Barrault n’a indiqué la force poétique potentielle de l’alexandrin de Racine. « L’alexandrin d’action […] est la charpente de la tragédie, « il gratte le sol » comme si subitement apparaissait « en premier plan » les jambes des personnages.[…] Pour nous acheminer progressivement vers l’état de rêve éveillé est […] la période. Sa vertu est incantatoire. Par la succession choisie de syllabes et de rythmes elle a le pouvoir de « métamorphoser » l’atmosphère, de préparer le climat, d’entraîner la situation vers cette autre « réalité » bien plus réelle que la première, celle qui ne s’adresse plus à la vue mais à la « vision ». Elle […] n’agit plus sur les spectateurs individuellement, mais collectivement. » Quant au récitatif, il est « le moment où l’homme se met à « penser à haute voix », le moment où l’exaltation est si tendue que, poussée jusqu’au cas limite, elle pourrait s’exprimer par le chant. Le récitatif est le principal obstacle que l’acteur ait à surmonter[…] car il ne peut le découvrir que s’il a atteint lui-même un état second, qui n’est autre que l’état lyrique. »

Un peu plus loin, il définit ainsi la voix : « La voix, […] doit servir un certain verbe qui n’est ni la prose, ni le chant. » La poéticité lyrique vers laquelle le texte de théâtre tend, dépasse le prosaïsme des échanges dialogués et produit une forme intrinsèque de musicalité, dont la résonance manifeste la nature du lien qui unit la scène et la salle. De là, cette tentative de définir les moments parfaits de la parole théâtrale, les plus beaux vers, les instants où l’acteur et le spectateur se trouvent à l’unisson, comme en ces vers :

 

« Ariane, ma sœur, de quelle amour blessée,  Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée! »

 

Moments où le personnage s’adresse à une absente pour déplorer le sort que lui infligent les dieux. Cette fonction lyrique traverse toute l’histoire du théâtre et tend à dépasser le principe dialogué de la parole théâtrale. Ainsi dans Partage de Midi, le Cantique de Mesa, à l’acte III concentre tous les effets incantatoires de la parole théâtrale sous la forme d’une prière monologuée adressée à Dieu. Bon nombre de monologues remplissent cette fonction poétique et chorale.

 

c) La fonction chorale est politique : le théâtre et la cité réconciliés.

Les temps modernes ont essayé de conjuguer la valeur politique et la sacralité du théâtre, en éliminant le rituel social décoratif, somme toute superficiel de la mondanité. Jean Vilar, fondateur du festival d’Avignon en 1947, adoptant les principes de Copeau qui deviendront ceux du T.N.P. a une idée maîtresse : inventer un théâtre socialement unificateur. Il s’agira de rassembler toutes les catégories sociales dans les travées de la communion dramatiques. Brecht, puis Sartre, dénonceront le caractère illusoire de ce projet puisque le théâtre à lui seul ne saurait faire la révolution. Néanmoins, on essaie de retrouver à la fois le goût populaire qu’avaient les Romains pour le jeu, et le sens sacré de la Cité, porté par la cérémonie grecque.

La nouveauté réside dans le fait que la parole théâtrale se charge de l’intensité des enjeux universaux, en se focalisant sur la prise de parole des sans-voix. C’est ainsi que Valère Novarina, dans sa Lettre aux acteurs, inspiré d’Artaud, redonne à la parole sa fonction libératoire, y compris politique et fait de la pulsation rythmique le propre d’une parole vivante, respiratoire à laquelle il importe de rendre son authenticité, quitte à la démultiplier de manière insensée sous la force du néologisme. Dans L’Atelier Volant, le conflit entre Mr Bouche et Mme Bouche figures du patronat, et les ouvriers est dramatisé autour de la question de la maîtrise de la langue. Les premiers possèdent bouche et pouvoir, les seconds n’ont qu’un babil de classes dangereuses.

Il ne faudrait pas se méprendre cependant : le théâtre ne remplit pas sa fonction chorale politique, car il est engagé mais parce qu’il réunit une collectivité autour d’une intensité artistique commune.

2) L’artificialité exhibée et consciente fait la théâtralité 

a) Un « théâtre pur », nouvellement défini par l’étalage de l’artifice

Déjà, chez Aristophane, dans La Paix, un paysan s’effraie en pleine ascension de la machine de théâtre, et demande au machiniste de faire plus doucement, dans un renversement burlesque de l’usage de ces machines de théâtre. Pourtant, il ne s’agit nullement de remettre en cause, la toutepuissance de la cérémonie tragique. Déplorant son déclin dans Les Grenouilles, Aristophane imagine d’aller chercher Eschyle aux Enfers ! Simultanément, la mise à mal du langage s’exerçait plutôt dans une partition entre tragique et comique, ce dernier registre permettant une exploration néologique de la langue grecque, ainsi qu’un usage anticonformiste volontiers scatologique ou obscène. 

De nos jours, ce partage de l’expérience théâtrale, se fait de plus en plus dans la commune conscience de l’artifice des conventions. Certains sociologues, comme Baudrillard vont même jusqu’à suggérer que le moment où les spectateurs ont le plus conscience de leur être-collectif de spectateurs est l’entracte, lorsqu’ils commentent la pièce dont ils viennent de voir la moitié. L’accord commun se fait en quelque sorte au second degré et pas seulement par le partage de valeurs esthétiques. La parole des commentateurs critiques vient prendre le relais des dialogues en scène pour les constituer. Tout naturellement, par voie de conséquence, le genre de la farce est remis à l’honneur pour figurer ce grand accord des spectateurs entre eux, qui fonde la théâtralité. Baudrillard, grand germaniste qui a traduit Brecht, Peter Weiss et Botho Strauss, redéfinit la notion de représentation à partir de celle de simulation dans Simulacres et simulation. Il y a un modèle de réel qui sert à cacher qu’il n’y a pas de réel ! En 1981, la pièce de Botho Strauss, Kalldewey, Farce est l’illustration de cette perspective : un homme, à l’acte I est mis en lambeaux dans une machine à laver par deux furies féministes et il ressurgit à l’acte III…Est-ce une simulation moderne du Médecin malgré lui ?

A l’échelle historique, de la farce médiévale à la farce brechtienne ou contemporaine, la farce devient donc de plus en plus consciente d’elle-même. Entre l’exaltation lyrique et l’exacerbation consciente de l’artifice, le point commun est cette communion des spectateurs dans un grand ensemble collectif.

 

b) L’illusion théâtrale mise à distance

La dialectique de l’agôn, violence exaltée ou mesurée, ne définit plus alors ce que le spectateur recherche dans sa lecture ou sa vision du théâtre mais une forme de regard sur soi jubilatoire. Du théâtre baroque où la mise en abyme est de règle aux vertiges plus contemporains comme ceux de Pirandello dans Six personnages en quête d’auteur, les artifices des instances de la communication au théâtre ne cessent de faire de la théâtralité un jeu de miroirs, susceptible de se démultiplier à l’infini.

En réalité, le dialogue de théâtre n’est qu’un dialogue postiche et selon qu’il ignore cet artifice conventionnel ou qu’il le souligne, le dramaturge crée une forme spécifique de plaisir théâtral. Dialogue postiche parce que les paroles du comédien sont empruntées à un archi-énonciateur (l’auteur) qui attribue des répliques à tel personnage virtuel dont l’identité effective n’est pas stable. A l’autre bout de la chaîne de communication : à qui s’adresse-t-on ? L’allocutaire n’est pas tout bonnement le public, car il lui est interdit de répondre, tout au moins en empruntant la même voix verbale. Les autres personnages sur scène ? Ce ne sont que des allocutaires postiches qui font semblant d’écouter. Certains remettent en cause le statut du discours théâtral en subvertissant les normes de l’axe locuteur/ allocutaire et ce, depuis bien longtemps.

Molière dans L’Impromptu de Versailles prête son nom au personnage qu’il a incarné luimême; il a en outre interprété la plupart des rôles de ces pièces. Cocteau a tenté dans L’Impromptu du Palais-Royal de faire sauter la barrière séparant la scène de la salle en plantant dans celle-ci un personnage qui interrompt l’action scénique pour s’entretenir avec les comédiens, corriger leur prononciation. 

La théâtralité, pour ainsi dire retournée comme un gant, exhibant ses propres coutures, produit alors une forme de plaisir du spectateur consistant en une forme de jubilation narcissique. Le spectateur, loin de s’oublier, maintient à distance le charme propre à l’art théâtral en le soulignant. Sporadique dans l’antiquité et à l’âge classique et plutôt réservé au genre comique, la rupture de l’illusion comique, devenant de plus en plus systématique aux époques plus récentes, accompagne la critique du langage et de ses limites. 

 

c) Le théâtre est le lieu d’une « ultra-incarnation » (charnelle et magnifiée métaphoriquement) : le corps emphatique de l’acteur et la réception théâtrale, un « paradis artificiel ». 

C’est ce que Barthes théorise dans son article des Essais critiques : « L’acteur porte en lui la sur-précision même d’un monde excessif, […] où rien n’est inventé, mais où tout existe dans une intensité démultipliée. […] La théâtralité la plus secrète et la plus troublante [est] celle qui met l’acteur au centre du prodige théâtral et constitue le théâtre comme lieu d’une ultra-incarnation, où le corps est double, à la fois corps vivant venu d’une nature triviale, et corps emphatique, solennel, glacé par sa fonction d’objet artificiel. »

Un peu plus loin, il analyse le phénomène de réception théâtrale en termes de paradis artificiels, expliquant ainsi la présence de théâtralité dans la prose de Baudelaire et son relatif manque dans ses tentatives théâtrales (La Fin de Don Juan, L’Ivrogne) : « [dans] la perception théâtrale, […] la réalité est affectée d’une emphase aiguë et légère, qui est celle-là même d’une idéalité des choses. »

On en vient à opposer deux types de publics, ouverts différemment à cette magie de la scène, le premier, populaire et amateur d’illusion facile, et le second plus exigeant, enclin à goûter l’exhibition de l’artifice, le second degré. La profonde méfiance du poète Baudelaire vis-à-vis du goût esthétique primaire des foules le conduit à renoncer à écrire du théâtre au profit de la poésie plus élitiste et où l’artificialité se niche subtilement.

Aux époques plus contemporaines, cette artificialité devient l’enjeu de la performance, le farcesque accompagnant intiment le poétique, comme ce fut le cas lors de la représentation de La Bonne Ame de Sé-Tchouan de Brecht au Théâtre de la Colline, mis en scène par Benno Besson. Une exacerbation des constructions artificielles, comme l’usage d’un masque en bas de nylon pour la bonne âme, le recours au déguisement carnavalesque stylisent le corps de l’acteur pour rendre au discours sa dimension signifiante et poétique.

Paradoxalement, du point de vue d’un spectateur universel, les deux démarches, celles de la farce pure (par exemple la farce médiévale) et celles de la mise en abyme des artifices se rejoignent dans cette idée que la convention codifiée, qu’elle soit exaltée et stylisée pour produire le rire, ou contestée, constitue le véritable langage du théâtre et le socle inébranlable sur lequel repose l’accord entre les spectateurs et la scène.

3) Pour une nouvelle sacralité théâtrale au-delà de la catharsis : quelle est la nature de la communion entre la scène et les spectateurs ?

Dans un entretien accordé à un magazine hebdomadaire, à l’occasion de son départ des Bouffes du Nord, le réalisateur Peter Brook explique les raisons du choix de cet espace, en définissant le type de partage qu’il souhaitait avec son public : [Avant 1968], toute la structure artistique, philosophique et surtout sociale de la représentation était conditionnée par le théâtre à l’italienne. Aux premières places, les plus chères, il y avait le pire des publics, celui qui s’endormait le plus ! Dans le théâtre élisabéthain, c’était l’inverse, le public populaire était le plus proche de la scène, et le plus snob, le plus éloigné. Je voulais gommer la séparation entre scène et salle afin de créer un espace de communion et d’expérience partagée.[...] L’invisible ne peut se manifester que lorsque sont créées les conditions d’une relation intime entre les acteurs et le public.[...] Or les Bouffes du Nord permettent de combiner les deux : une intimité non pas chuchotée mais vigoureuse, et une amplitude non pas grandiose mais simple. »

L’insoutenable légèreté de l’être perçue intuitivement par les spectateurs : un exemple de cet ineffable mystère de la parole théâtrale en scène est assurément fourni par Tchékhov. Dans une lettre de Gorki, datant de novembre 1898 et adressée à Tchekhov, Gorki exprime ainsi l’intensité de son émotion de spectateur: « J’ai vu ces jours-ci Oncle Vania — j’ai vu et j’ai pleuré comme une bonne femme, […] je suis rentré chez moi abasourdi, chaviré par votre pièce. […] Oncle Vania et La Mouette sont une nouvelle forme d’art dramatique, dans laquelle le réalisme s’élève à la hauteur d’un symbole porté par l’émotion et profondément pensé. […] Les autres drames ne détournent pas l’homme de la réalité pour l’amener aux généralisations philosophiques — le vôtre, si. »

Dans la scène la plus intensément théâtrale d’Oncle Vania, la vieille Elena Andréevna, seconde femme du professeur Sérébriakov, aimée en secret par le docteur Astrov et par Oncle Vania est surprise, au moment de son départ par Voïnitski (Vania) alors qu’Astrov la prenant par la taille, l’invite à fuir avec elle.

Voici les paroles d’Astrov, qui expriment avec une rare intensité, l’impossibilité de dire la passion autrement qu’en termes atmosphériques :

 

Astrov (rembruni) Aujourd’hui, très cher Ivan Petrovitch, il ne fait pas trop mauvais. Ce matin, le ciel était couvert, on aurait dit qu’il allait pleuvoir, et maintenant — du soleil. A dire vrai, l’automne est splendide… et les blés d’hiver non plus, ils ne viennent pas mal. (Il roule son cartogramme) Mais voilà : les jours ont raccourci…(Il sort.) »

 

Ce qui aurait pu être traité comme une scène de vaudeville de façon fort triviale — au cours de laquelle deux rivaux en amour viennent de se surprendre mutuellement, car Vania est arrivé avec un bouquet de fleurs—prend au contraire une intensité poétique, du fait de l’évitement du conflit, de la négation silencieuse de la scène qui vient de se produire. Le décalage entre les propos météorologiques et les gestes donne toute sa poésie à l’atmosphère scénique. Loin de tout réalisme, évoquant la morosité de la province russe au tournant du siècle, la mention de l’automne occupe toute la place au devant de la scène et superpose ce temps dérisoire et éphémère de la passion inassouvie à cette temporalité symbolique de l’automne, à la fois humeur mélancolique et image d’une mort qui n’en finit pas de venir. Suspension temporelle indéfinissable qui déplace le drame personnel sur un plan philosophico-poétique. Cette suggestion d’universalité subtile permet précisément la communion des spectateurs et de ce qui se joue sur scène.

D’autant plus que les paroles d’Astrov au début de la pièce résonnent encore :

 

« Astrov. Basta ! Je suis dessaoulé. Vous voyez, je suis parfaitement lucide, et je le resterai jusqu’à la fin de mes jours. (Il regarde l’heure).Et donc, continuons. Je dis : mon temps est déjà passé, il est trop tard pour moi… J’ai vieilli, je me suis usé au travail, je suis devenu un rustre, mes sentiments se sont émoussés, et semble-t-il, je ne pourrai plus m’attacher à quelqu’un. Je n’aime personne…et je n’aimerai plus. Ce qui me touche encore, c’est la beauté. A ça, je n’en suis pas indifférent. Il me semble qu’Eléna Andréevna, tiens, si elle voulait, elle pourrait me faire tourner la tête en un jour… Mais, ça, ce n’est pas de l’amour, ce n’est pas de l’attachement…(Il se passe la main sur les yeux et tressaille.) »

 

b) Le dialogue avec les morts

Au cœur de la parole théâtrale, la communion la plus absolue qui se joue entre les spectateurs et la scène est sans doute le dialogue avec l’au-delà, cet « autre côté du miroir », qui fascinait un Cocteau ou un Genet. La voix endeuillée des pleureuses de l’antiquité, la méditation du héros romantique autour d’un tombeau, la lamentation lyrique autour des victimes du massacre de Sétif dans Le Cadavre encerclé de Kateb Yacine, les Quatre Heures à Chatila de Genet, autant de références qui égrènent la relation de la parole théâtrale avec le monde des morts. 

Le poète Michel Deguy évoque dans l’un de ses poèmes intitulé « Antepurgatoire » du recueil Gisants ce défilé des morts, semblables à ceux de Genet, analogies des œuvres d’art, et figures du désir.

 

Antepurgatoire

Comme les morts de Jean Genet, ils arrivent en un lieu

Autre, spirituel, et nous pouvons comprendre

Que ce ne sont des morts, quand bien même figures Par la superstition des mourants que nous sommes Mais des êtres libres « comme » les morts :

C’est le lieu de l’Art dont le Musée lui-même

N’est que l’ombre approximativement rapportée des ombres

L’être-ensemble des œuvres en effet ressurgies

Sorties des temps et des lieux innombrables

Et réunies ici autour de Tirésias

 

D’où que ce fût venues les unes proches des autres Dialoguant peu disertes à travers mon silence :

Ce que les amants de Lucrèce ne peuvent Le peuvent les morts d’Homère : la traversée du désir.

 

L’association d’Eros et Thanatos fonde assurément toute la puissance dramaturgique du théâtre de Genet qui évoque volontiers son théâtre en termes de dramaturgie lyrique et préconise de placer les théâtres dans les cimetières afin de rendre sa gravité à cet art. « Quant au public, seul viendrait au théâtre qui se saurait capable d’une promenade nocturne dans un cimetière afin d’être confronté avec un mystère ».

Le théâtre est dans cette acception double de la cérémonie funèbre qui accompagne les vivants à leur dernière demeure et les mots sont, à ses yeux, déréalisés au même titre que ce « mime funèbre »: 

 

« Quand on est malin, on peut faire semblant de s’y retrouver, on peut faire semblant de croire que les mots ne bougent pas, que leur sens est fixe ou qu’il a bougé grâce à nous qui, volontairement, feint-on de croire, si l’on en modifie un peu l’apparence, devenons dieux. Moi, devant ce troupeau enragé, encagé dans le dictionnaire, je sais que je n’ai rien dit et que je ne dirai jamais rien : et les mots s’en foutent. »

 

Par la juxtaposition de ces deux analyses, nous percevons à quel point la mise en doute « du langage à contenir les significations », pour reprendre la formule de Ionesco, n’en attribue pas moins à la cérémonie théâtrale sa valeur sacrée, lieu de partage entre les morts et les vivants. Celle-ci ne fait que perpétrer le mystère insondable de l’existence, mais d’une existence qui tourne parfois, en farce. Genet renoue ainsi avec la tradition antique qui fait de cet art une cérémonie rituelle et sacrée, où ce n’est pas la cohésion politique de la foule des spectateurs qui compte le plus mais le souffle suspendu du vivant au seuil de l’innommable.

Cette abdication lucide devant les capacités du langage aboutit néanmoins à un retour au sens et aux formes liturgiques du lyrisme théâtral.

 

c) La mise en scène, système artistique autonome 

Que reste-t-il à l’issue de cette réflexion sur la théâtralité de la parole? Une fois que l’on a remis en cause la catharsis, cette purification de la violence des passions à travers les vecteurs des mécanismes identificatoires, que le « quatrième mur », support de l’illusion théâtrale s’est effondré, le théâtre s’offre au spectateur dans sa théâtralité véritable. On ne vient plus découvrir un texte pour le connaître, en suivre l’histoire, en attendre les résolutions, mais pour en voir la mise en jeu d’un exercice de style.

« Depuis que les héros ont filé dans les images, on ne va plus au théâtre pour y jouir de personnages ni de situations. […] On ne s’installe plus dans un fauteuil pour apprendre ce qu’il adviendra d’Agrippine, ni suivre à nouveau, même connus les démêlés d’Œdipe, ni de Clov — pour eux-mêmes. On va au théâtre pour voir un spectacle […] C’est pourquoi, la présentation des classiques a tant de succès […] on va voir un classique pour découvrir ce qui, dans sa présentation, diffère de celle qu’on a pu connaître[…] c’est le mode déterminé de sa théâtralisation.[…] Le représenté n’est plus la vérité du texte. La vérité du texte théâtral est désormais intempestivement poétique {…]. Elle vise d’abord à « faire entendre » la plus grande portée— le meilleur porté— poétique des mots enchaînés.

« La fonction propre des signes de la représentation est double : elle renvoie à un système extérieur de significations, mais aussi elle est son signe propre[…] la pratique spectaculaire, « signe sans signifié » est analogue à un pas de danse ou à une séquence musicale. »

La performance, avec ses signes propres, prend de plus en plus le pas sur le texte et devient artistique en elle-même.

Conclusion

En définissant la spécificité du langage théâtral d’une double manière, d’un côté par la joute verbale menée jusqu’à l’accomplissement le plus achevé des prouesses de la langue, d’un autre côté par la démesure qui anéantit cette même langue jusqu’au non-sens, Ionesco ne se contredit pas réellement. Qu’il semble célébrer la toute-puissance du langage ou au contraire en dénoncer les failles, il n’en garde pas moins dans les deux cas cette commune idée d’une dynamique propre, d’une expressivité en tension, d’un sens qui cherche activement à s’offrir, fût-ce par sa négation, sur la scène. Ce flux, cette intensité, ce mouvement constituent le rythme dramaturgique et c’est en cela que l’artificialité de la communication théâtrale prend l’aspect du vivant. La convention de la double énonciation, en démultipliant les éléments constitutifs du langage assure une créativité infinie, qui effectivement s’accomplit jusqu’à des extrémités que l’irréalité de la scène seule permet.

C’est pourquoi, cette tension exprimée par Ionesco entre l’extrême classicisme et le théâtre de l’absurde n’est pas non plus une véritable opposition à deux extrémités de l’échelle historique. Que le dialogue soit agonistique ou qu’il s’oriente vers son propre éclatement, il a ceci de commun d’être toujours un spectacle, dont la dimension ludique n’exclut pas le sérieux de l’enjeu. Entre mesure et démesure, sens et non-sens, virtuosité rhétorique ou expression brutale de la violence, la théâtralité se définit par le spectaculaire qui ne peut exister sans art de l’interlocution, de l’adresse à une masse de spectateurs. Symétriquement, le spectacle, y compris dans sa dimension non-langagière se constitue en discours, en système de codification complexe. Il s’agira donc de dépasser ces interrogations aporétiques et de dégager le mystère de l’intensité théâtrale, au delà des genres comiques, tragiques ou dramatiques.

Le véritable enjeu de la question réside sans doute dans l’élucidation non pas de cette communication mais de cette communion collective qui se joue lors de chaque représentation. Mensonge reconnu comme tel ou séduction illusoire, artifice accepté ou dénoncé, cohésion collective ou sentiment de l’unicité la plus extrême, assurément, l’art théâtral réalise les opérations esthétiques contradictoires de la mimesis. Se fondant avec l’objet représenté qu’il surprend par effraction ou se mettant à distance, l’individu spectateur se retrouve à la fois rendu à son dénuement existentiel et conforté dans la chaleur de ce grand ensemble choral. Dans son impossibilité à signifier, le langage théâtral présente isolément, mais absolument, cette autre scène imaginaire de l’existence. Terminons par les mots d’Yves Thoret : « Le théâtre, ce « T » majuscule qui déploie ses bras comme pour ouvrir le rideau et saluer le public, cet « âtre » qui protège la chaleur des mots. »

 

TRANSITION 

 

Ces éléments d’une réflexion possible constituent un exemple parmi d’autres et non un modèle absolu. La réflexion personnelle, l’originalité, les connaissances intériorisées avec passion ainsi que l’aptitude à les partager avec un public sont les qualités attendues de tout futur professeur. C’est pourquoi les quelques conseils qui suivent s’entendent comme une aide pratique à la préparation du concours pour les futurs candidats au CAPES, avec pour horizon la recherche d’une dynamique de pensée, d’une curiosité intellectuelle, d’une culture vivante… qui ne sauraient s’arrêter aux portes du concours.

 

 

EVALUATION DES COPIES ET CONSEILS DE MÉTHODE

 

 

Un certain nombre de conseils d’ordre général concernant les principes de la composition française ont été données les années précédentes et peuvent être consultées dans les archives du site du CAPES. En particulier, la synthèse faite en 2007 rassemble avec grande clarté un rappel des règles de la composition française, tant comme exercice de pensée que de présentation pour autrui d’un raisonnement. Celle de 2003 en rappelle les présupposés avec une grande élégance.

Les lignes qui suivent relèvent, à partir des copies réelles de 2010/2011, les erreurs qu’il aurait été bon d’éviter ainsi que les critères de jugement à l’œuvre dans la notation chiffrée.

 

La compréhension du sujet et la problématisation 

 

L’exercice de la dissertation est royal, tant par son art de la rhétorique poussé à ses limites que sa dynamique qui permet une authentique fécondité de la pensée. Son fondement en est l’art d’analyser le sujet proposé en tant qu’unité synthétique. 

Deux erreurs habituelles se rencontrent dans les copies faute d’avoir fait le travail préalable d’explication du texte de l’énoncé, qui doit être autant analytique que synthétique. Il s’agit d’en repérer les termes majeurs, (« dialogue », « théâtraliser la parole », « démesure », « impossibilité de contenir les significations ») de les définir, sans oublier les éventuels mots de liaisons qui permettent de dire quel est le type de subordination d’un membre de phrase à un autre. Ici, il fallait bien voir l’importance de « il existe d’autres moyens de théâtraliser la parole », offrant dans l’énoncé même son alternative, qu’il s’agissait de définir. Quels sont ces autres moyens ? La mise en scène pour doubler les dialogues, les didascalies, l’accord entre le plateau et la salle ?

 Ensuite, l’analyse synthétique de l’énoncé présuppose une remise dans son contexte historico-littéraire, dans une histoire et des débats d’idées, ce qui permet de formuler aussi clairement ce qui est dit que ce qui n’est pas dit. Cette question formulée par un dramaturge de l’absurde, dépasse bien les enjeux du théâtre de l’absurde, et l’on pourra reconnaître dans « la parole de combat », la rhétorique de l’agôn antique.

C’est alors seulement qu’il convient de problématiser, c’est-à-dire de transformer l’énoncé en une question riche qui sera examinée de manière critique et différenciée, tout en gardant une cohérence et un suivi de la pensée.

La première erreur consiste à ne traiter qu’une partie de l’énoncé. Ainsi, un bon nombre de copies se sont contentées d’interroger la valeur conflictuelle de la parole au théâtre, en consacrant une première partie à un relevé d’exemples de dialogues ressemblant à des duels ou des matches de boxes, puis une seconde partie à montrer que le dialogue, de duel pouvait se transformer en duo, pour se synthétiser au mieux en une réflexion sur la résolution des conflits ou sur de vagues considérations relatives à la parole théâtrale. Ce raisonnement, tout riche qu’il ait été, ne reprenait qu’une partie de l’énoncé et oubliait deux points : la question de la démesure intrinsèque de la parole au  théâtre et à la difficulté du langage à faire sens. Les copies qui ont eu la moyenne, malgré ce type de traitement partiel du sujet, ont par hasard inclus les questions annexes à leur démarche, ainsi que des exemples s’y référant !

La seconde erreur consiste à ne pas interroger l’ensemble de l’énoncé mais à chercher à l’illustrer en un plan qui le divise en trois moments. Ce « saucissonnage » comporte deux défauts graves : d’un côté, on ne met pas en relation les trois moments du raisonnement en les dissociant de manière juxtaposée et, par ailleurs, on omet d’évaluer de manière critique les assertions de l’ensemble de la citation. Ce défaut fut très répandu lors de cette session, du fait du caractère apparemment contradictoire de l‘affirmation de Ionesco : d’un côté le dialogue comme essence du théâtre, de l’autre, les autres moyens de théâtraliser la parole et son anéantissement. Il fallait que la dissertation soit un questionnement continu sur cette nature contradictoire de la parole théâtrale, entre sens et non-sens, mesure et démesure, tension conflictuelle et harmonie plurielle… et bien sûr il s’agissait de poser la manière dont la « communication » pouvait se transmettre spécifiquement au théâtre au-delà des limites du verbal et du non-verbal.

La nécessité de donner un tour interrogatif à la pensée qui se construit pas à pas, à chaque étape du raisonnement, proscrit bien évidemment tout exposé historique, tout catalogue informatif ou énumération d’œuvres, de scènes ou de personnages sans articulation critique entre eux. Trop de candidats croient bon de montrer qu’ils ont bien suivi et retenu des cours sur l’histoire du théâtre et ont développé, en première partie l’antiquité et le classicisme, puis  en seconde partie, la remise en cause des constituants du théâtre par le drame bourgeois et le romantisme pour achever dans un troisième temps sur la « modernité » — non définie — située sur la défaite du sens et le sentiment de l’absurde. Il est clair que cette perspective chronologique ne convient qu’à un exposé, un cours, un manuel didactique et non à l’exercice de la dissertation qui interroge des concepts ou des notions. Pire encore, certaines copies, pourtant bien informées, ont fait un exposé sur le seul théâtre de l’absurde, ce qui ne constitue pas une réflexion. Elles ont été sanctionnées comme un hors-sujet.

 

L’argumentation 

 

1)              Un fil directeur et des étapes claires et logiques du raisonnement : des remarques précédentes découle le fait que la construction du raisonnement ne peut se faire qu’en cohérence avec la problématisation, elle-même inséparable d’une compréhension pertinente du sujet, seule et véritable fondation de la pensée.

La question dégagée du sujet doit permettre un examen continu dont on ne perde pas le fil directeur. Il ne faut pas changer de questionnement en cours de route, ni superposer plusieurs devoirs. 

Par ailleurs, il importe que le lecteur puisse suivre les articulations de la pensée. En tout début de chaque partie, l’hypothèse envisagée doit être clairement formulée, sous forme affirmative ou interrogative, peu importe. Les bilans d’étape et les transitions sont essentielles à la bonne compréhension du raisonnement. Tout plan, toute construction de pensée sont acceptables à deux conditions : d’une part, formuler des hypothèses de travail correspondant à la problématique et d’autre part, être lisibles et intelligibles. Il n’y a donc pas de plan type, mais plutôt un principe logique d’argumentation qui devrait respecter les règles de cohérence, de non-contradiction et de progressivité.

 

2)              Il existe plusieurs types de plans, tous possibles en fonction de la nature, la densité et la richesse de l’énoncé. Le plan dialectique canonique — thèse, antithèse, synthèse — est apprécié mais correspond surtout aux questions qui admettent leur contrepoint et leur dépassement. Parfois, l’énoncé contient déjà en lui-même deux aspects de la question ou se formule en réponse à une thèse antérieure qui n’est pas dite, mais que le candidat devra reconnaître. Enfin, parfois le sujet est métaphorique et il s’agira de décrypter les différents sens d’une éventuelle métaphore filée. D’autres sujets encore nécessiteront de construire presque entièrement une question, à partir d’une limite, ou d’un non-dit de l’énoncé. Encore une fois, on voit que l’argumentation est intrinsèquement liée dans ses possibles à l’énoncé du sujet.

Cette année, un certain nombre de candidats ont pu obtenir de bonnes notes sans qu’ils aient recours aux plans possibles proposés dans le corrigé, preuve qu’un raisonnement autonome et fondé sur des exemples personnels et pertinents est le meilleur moyen pour que le correcteur soit intellectuellement séduit. Ainsi, un candidat a bien posé la question de la représentation du langage en crise et de ses effets sur le spectateur ; il a su utiliser son expérience de spectateur de L’Ecole des Femmes joué par Pierre Arditi, pour aller au-delà de la tradition scolaire, d’un point de vue critique et dépasser les catégories caricaturales opposant l’ancien et le nouveau, ce que certains ont nommé sommairement « classicisme » ou « absurde ».

Pour conclure sur l’argumentation, on attend des candidats qu’il tentent d’interroger de manière critique l’évidence, une doxa, des opinions toutes faites voire des idées reçues, en se fondant sur leur capacité personnelle à penser, qui reste l’ultime gage de réussite !

 

Présentation

La présentation graphique est essentielle, la clarté de la calligraphie, la couleur de l’encre — mieux vaut éviter les encres « sympathiques » ou les écritures qui nécessitent un décodage — la présentation en paragraphes, trois en général par partie, l’espacement entre l’introduction, chaque partie et la conclusion.

Ces principes de présentation formelle supposent aussi une maîtrise de la langue française appropriée à ce qui peut être attendu de futurs professeurs censés enseigner la correction orthographique et grammaticale aux générations à venir.

 

Les exemples

 

Une culture vaste et intériorisée est le meilleur atout pour un candidat au CAPES, sachant que ces connaissances sont perfectibles et s’enrichissent tout le long d’une vie. Entre l’illusion de l’exhaustivité, l’érudition pédante  et le vide total, il y a un intervalle raisonnable.

Le choix de l’exemple littéraire est d’abord motivé par sa pertinence : il doit être approprié au sujet. Inutile donc de puiser des références d’« impossibilité à contenir les significations » dans la poésie, le roman ou l’essai. Sans chercher à étaler des noms pour le simple plaisir de les mentionner, le candidat essaiera de diversifier les sources des exemples (comiques ou tragiques, de l’Antiquité à nos jours). Le sujet se prêtait à l’évocation d’une mise en scène connue de première main et qui serve le propos. Le catalogue autant  que l’absence complète d’exemples ne pouvaient mener qu’à l’échec. Un exemple par paragraphe est ainsi une bonne proportion. Un exemple n’a jamais de fonction purement illustrative ; il est toujours la preuve concrète d’une idée. Néanmoins, la complexité de toute référence permet souvent de nuancer ou d’enrichir le raisonnement et permet de relancer le débat en fondant l’analyse sur lui.

L’exactitude de l’exemple doit être un principe de politesse de la copie : Michaux, et non Claudel, a écrit Un Barbare en Asie, dans Les Justes de Camus, le tyran à exécuter n’est pas un criminel nazi mais le tsar de Russie, Harpagon s’écrit avec un « H » initial, Epidaure, la ville où se trouve un des plus grands théâtres grecs, ne doit pas être orthographiée comme une marque d’huile et le nom d’Anne Ubersfeld, bien qu’elle ait beaucoup écrit sur Hugo, ne s’écrit pas « Hugersfeld ».

Pour le sujet de cette année, la nature de l’exemple est particulièrement multiple. Ce peut être un nom d’auteur, un titre de pièce, un nom de personnage, la référence à une scène, une citation, un principe théâtral formulé en théorie par un dramaturge, un metteur en scène, une représentation historique, la forme géométrique d’un théâtre, des critiques littéraires à condition que leurs idées soient maîtrisées (ce n’est pas Barthes qui a fondé le TNP). Les commentateurs de textes autant que de mises en scène pouvaient être convoqués ainsi que des théoriciens du théâtre dans toute leur diversité : Valère Novarina, Wajdi Mouawad, Kate Hamburger pouvaient être cités au même titre qu’Aristote. 

Par conséquent, le choix des exemples, leur utilisation et leur diversité constituent l’objet principal de la réflexion ; sans eux, la dissertation deviendrait une argumentation purement formelle et stérile.

 

La conclusion 

 

Moment délicat de la dissertation, elle doit être rédigée à l’avance juste après l’élaboration du plan, car la justesse de sa formulation, sa force, voire son élégance sont les dernières impressions du correcteur. Elle ne doit donc donner l’impression ni de la hâte ni de l’inachèvement.

Par ailleurs, en soi, elle est un exercice d’équilibre redoutable puisqu’elle suppose de répondre clairement à la question problématisée en introduction mais aussi de montrer qu’il ne s’agit que d’une ébauche de réflexion élaborée en quelques heures… et qui pourrait s’enrichir le cas échéant. Pour tout flaubertien qui se respecte, « la bêtise consiste bien à conclure ». Néanmoins il faudra, en essayant d’éviter tout dogmatisme, offrir une proposition ferme et claire en guise de réponse, ce qui correspond le plus souvent à une situation d’enseignement, nécessairement engagée vers la simplification la plus juste possible. Il faudra suggérer aussi que la réflexion pourrait se prolonger sans se nier elle-même.

Dans les bonnes copies, après avoir évoqué la nature de la parole théâtrale, les candidats ont montré qu’on pouvait  prolonger la réflexion sur l’expérience du spectateur, cette part essentielle de la communication théâtrale, si particulière qu’elle en devient un rituel collectif.

C’est pourquoi, il peut être judicieux d’adopter l’ordre suivant en conclusion : faire d’abord un petit bilan du raisonnement, qui sans le répéter le synthétise dans son mouvement, puis formuler nettement une réponse à la question posée. Enfin, les nuances possibles, les ouvertures, les remises en cause sous un autre angle peuvent être amenées pour signifier au lecteur que la pensée, à ce moment final est encore alerte et vive et prête à un nouveau dynamisme !

 

 

 

 

 

Suggestions bibliographiques

 

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