CAPES LM 2013 : EPREUVE DE GRAMMAIRE


TEXTE I

La reine Guenièvre, convaincue d’adultère avec Lancelot, est conduite au bûcher.

1          Lors lieve li criz et la noise par la cité de Kamaalot et font si grant duel com se la reïne fust

2          leur mere. Cil cui il fu commandé a fere feu le firent si grant et si merveillex que tuit cil de la

3          cité le porent veoir. Li rois commande que l’en li amaint avant la reïne ; et ele vint moult

4          plorant, et ot vestue une robe de cendal[1] vermeill, cote et mantel. Si estoit si bele dame et si

5          avenanz qu’en tout le monde ne trovast l’en si bele ne si avenant de son aage. Quant li rois la

6          vit, si en ot si grant pitié qu’il ne la pot regarder, einz commande que l’en l’ost de devant lui

7          et que l’en en face ce que la cort esgarde[2] par le jugement ; et il la moinent maintenant hors

8          dou palés et la conduient tout contreval les rues.

La Mort le roi Artu, éd. J. Frappier, Droz/Minard, 1964, § 93, p. 122

 

Questions A - Histoire de la langue (7 points)

  1. Traduction et lexicologie (3 points)

Traduisez le texte en français moderne du début du texte à « de son aage », l. 5.

Vous justifierez la traduction de merveillex (l. 2) en vous appuyant sur une étude lexicologique du mot. 

 

  1. Morphologie (2 points)

À partir des trois occurrences plorant (l. 4), avenanz et avenant (l. 5), étudiez les formes en –ant et exposez leur évolution jusqu’au français moderne.

 

  1. Syntaxe (2 points)

Étudiez les emplois du subjonctif dans le texte.

   

CAPES LM 2013 : EPREUVE DE GRAMMAIRE

 

TEXTE II

 

Beaux et grands bâtiments d’éternelle structure,

Superbes de matière, et d’ouvrages divers,

Où le plus digne roi qui soit en l’univers

Aux miracles de l’art fait céder la nature ;

 

Beau parc, et beaux jardins, qui dans votre clôture

Avez toujours des fleurs, et des ombrages verts,

Non sans quelque démon qui défend aux hivers

D’en effacer jamais l’agréable peinture ;

 

Lieux qui donnez aux cœurs tant d’aimables désirs,

Bois, fontaines, canaux, si parmi vos plaisirs

Mon humeur est chagrine, et mon visage triste :

 

Ce n’est point qu’en effet vous n’ayez des appas,

Mais quoi que vous ayez, vous n’avez point Caliste1,

Et moi je ne vois rien quand je ne la vois pas.

 

François de MALHERBE, Œuvres, 1630

(orthographe modernisée)

 

1. Caliste, vicomtesse d’Auchy.  

 

 

Questions B : Étude synchronique du texte de français moderne ou contemporain (7 points)

 - Orthographe et morphologie (2 points)

Étudiez, du point de vue phonique et graphique, les marques du genre et du nombre dans le vers 1.

 - Lexicologie (2 points) 

Étudiez ouvrages (v. 2) et humeur (v. 11).  

 - Morphosyntaxe (3 points)

Étudiez les groupes prépositionnels dans les deux quatrains.

 

 

Question C : Étude stylistique du texte de français moderne ou contemporain (6 points)

 

Vous ferez une étude stylistique de ce texte en insistant sur l’énonciation lyrique.

 

RAPPORT DE L’ÉTUDE GRAMMATICALE DE TEXTES DE LANGUE FRANÇAISE


Rapport présenté par Sylvie Bazin, Sandrine Hériché-Pradeau, Mathilde Vallespir, Trung Tran et Jean-François Sablayrolles


AHISTOIRE DE LA LANGUE

 

1. Traduction et lexicologie : traduisez le texte en français moderne jusqu’à la ligne 5 (… aage). Vous justifierez la traduction de merveillex (l. 2) en vous appuyant sur une étude lexicologique du mot. (3 points)

 

Texte médiéval

Traduction proposée

Lors lieve li criz et la noise par la cité de Kamaalot et font si grant duel com se la reïne fust leur mere. 

Cil cui il fu commandé a fere feu le firent si grant et si merveillex que tuit cil de la cité le porent veoir. 

Li rois commande que l’en li amaint avant la reïne ; et ele vint moult plorant, et ot vestue une robe de cendal vermeill, cote et mantel. 

Si estoit si bele dame et si avenanz qu’en tout le monde ne trovast l’en si bele ne si avenant de son aage.

S’élevèrent alors à travers la cité de Kamaalot des cris et des rumeurs et les gens manifestèrent autant de chagrin que si la reine avait été leur mère. 

Ceux à qui l’on avait ordonné de préparer le bûcher le firent si haut et si impressionnant que tous les habitants de la cité purent le voir. 

Le roi ordonna qu’on lui amenât la reine, qui vint tout en pleurs et vêtue d’un habit de soie rouge, tunique et manteau.  Elle était une dame si belle et plaisante que l’on n’aurait pu en trouver, nulle part dans le monde, de plus belle ni de plus plaisante de son âge.

Les omissions, les contre-sens, les faux-sens et les fautes de langue ont été sanctionnés, mais les correcteurs ont valorisé tous les efforts de reformulation. Le passage n’était pas très long, il comportait quatre phrases dont on pouvait attendre une traduction à la fois précise et correcte. Le texte comportait plusieurs difficultés qu’un entraînement régulier à la traduction permettait de surmonter. Ainsi, il fallait bien comprendre l’expression topique du début : Lors lieve li criz et la noise et l’accord du verbe avec le sujet le plus proche que n’autorise plus la syntaxe du français moderne. Le terme noise « bruit, clameur », qui a posé problème à certains candidats est un terme usuel en AF. Les traductions qui ont pris le parti de conserver le verbe au singulier grâce à un sujet unique comme : « une bruyante clameur » ont été acceptées. La traduction par le pronom personnel neutre « on » de la valeur générique de la 3e personne du pluriel font, tout à fait possible, était ici rendue malaisée par la suite de la phrase, où figure dans la proposition conjonctive à valeur comparative l’article possessif leur ; l’introduction d’un sujet pluriel, « les gens », ou encore « les habitants » était une solution habile. 

L’adjectif grant, dans la 2e phrase, pouvait être conservé tel quel, mais aussi être plus nuancé et traduit par « haut » : le bûcher devient visible parce qu’il s’élève audessus des toits de la cité. Cil est un pronom démonstratif au CSP, terme d’appel de la relative qui suit ; la proposition dans son ensemble Cil cui… est sujet du verbe firent

Dans la phrase suivante, le présent de l’indicatif commande, entouré de verbes au passé, devait être traduit par un passé simple, car le français moderne supporte plus difficilement le mélange des temps présent/passé que l’ancien français. Il fallait éviter de conserver le substantif féminin robe, d’autant que la robe qui renvoie à un habillement en général, à un vêtement, fait l’objet d’un éclaircissement grâce à l’apposition, cote et mantel (l. 4). Mais plutôt que de sanctionner la faute, qui a été assez systématique, le jury a préféré bonifier les bonnes traductions qui ont évité le calque. 

L’adjectif  au féminin avenanz, dans la dernière phrase, peut renvoyer aussi bien aux qualités physiques et morales de la reine au sens de « charmant, agréable, plaisant » qu’à l’idée qu’elle est comme il convient : « convenable, pleine de mérites ». La valeur d’irréel du passé du subjonctif imparfait trovast devait être rendue par le conditionnel passé. Le syntagme de son aage (l. 5), s’il peut être traduit par un calque, renvoie plus vraisemblablement à « époque, génération ». 


Lexicologie : merveillex 

 

  1. Identification et origine

L’adjectif qualificatif merveillex, attribut du pronom personnel au CR le, représentant feu, est au CR masc. sing., mais cette forme est indifférenciée par rapport au CS, puisque la finale est en -s : merveilleus. La graphie -x renvoie à l’abréviation finale, usuelle chez les copistes, de  -us.

L’adjectif merveilleus, attesté au début du XIIe siècle (vers 1100), est un dérivé du substantif féminin merveille, apparu au XIe siècle, qui provient de la forme mirabilia, neutre pluriel substantivé de l’adjectif du latin classique mirabilis : « admirable, merveilleux » ; « étonnant, singulier ». L’adjectif partage la racine mir- avec le v. déponent mirari, refait en *mirare : « s’étonner, être surpris » ; « admirer ». La forme mirabilia n’est pas attestée en tant qu’adjectif substantivé en LC, mais en latin tardif où elle désigne des « monstruosités ; miracles naturels ». 

 

  1. Sens en langue et sens contextuel  

L’adjectif merveilleus signifie de façon générale « étonnant, surprenant », en lien avec le sème principal de l’« étonnement » généralement lié à ce que l’on voit, d’où le sens de « étrange, extraordinaire ». Selon le substantif auquel il s’applique, il peut prendre des valeurs plus précises en ayant des connotations négatives : « violent, terrible, extrême » (XIe siècle) en parlant, par exemple, d’une bataille, d’un combat ; ou des connotations positives : « très grand, impressionnant » ; « excellent, magnifique » en évoquant, par exemple, un jardin, un arbre… Il existe aussi pour cet adjectif une valeur subjective, propre à l’ancien français : « étonné, frappé d’étonnement, de stupeur » (fin XIIe siècle).

L’adjectif a été traduit par « impressionnant », au sens de « très grand » en considérant qu’il redouble l’adjectif qui le précède et crée ainsi un binôme synonymique. Il pourrait aussi être traduit par « extraordinaire », ou encore par « étonnant, surprenant », en fonction de l’un des sèmes principaux du substantif féminin, la merveille, qui est celui de l’« étonnement ». L’adjectif merveilleus s’applique en effet à un objet, un phénomène, une nouvelle, en l’occurrence ici le bûcher, qui sont ressentis comme hors du commun. 

 

  1. Paradigmes morphologique et sémantique

Il réunit le substantif féminin merveille que l’on trouve employé aussi dans de nombreuses locutions : avoir merveille : « s’étonner » ; tenir a merveille/ torner a merveille ; n’est merveille que/se : « il n’est pas étonnant que/si » ; et un autre substantif féminin plus rare : merveilleuseté : « magnificience » ; le verbe construit absolument soi esmerveiller/merveillier : « se demander avec étonnement, s’étonner » ; les adverbes merveilles et merveilleusement (XIIe s.) qui signifient « étonnamment, admirablement, extraordinairement », mais qui peuvent aussi devenir des intensifs : « très, fort » ; l’adjectif merveillable (XIIIe s.) : « merveilleux, étonnant » et l’adverbe correspondant : merveillablement. Formés comme l’adjectif merveilleus sur la racine mir-, on trouve les adjectifs mirab(i)le : « admirable, merveilleux », et miraculeus.

 

  1. Evolution  

Comme le substantif merveille qui acquiert peu à peu un sens uniquement mélioratif, l’adjectif est employé avec une valeur presque toujours positive. Ainsi sera qualifié de merveilleux un inanimé qui provoque l’étonnement à cause de son caractère étrange et/ou extraordinaire. Conformément à ce sens proche du sens médiéval, l’adjectif a été substantivé au masculin avec une valeur de neutre (XVIIe siècle) : le merveilleux, pour désigner un genre littéraire, proche du fantastique, qui s’éloigne du cours ordinaire des choses et voit l’intervention d’êtres et de moyens surnaturels.

L’adjectif peut aussi s’appliquer à un animé ou à un inanimé qui suscitent l’étonnement et l’admiration en raison d’une qualité quelconque (beauté, grandeur, etc.). Il est alors synonyme de « admirable, extraordinaire », mais peut aussi avoir une valeur affaiblie de « agréable, séduisant ».

 

 

2. Morphologie (2 points) : à partir des trois occurrences plorant (l.4), avenanz et avenant (l. 5), étudiez les formes en -ant et exposez leur évolution jusqu’au français moderne.

Sous la dénomination de «  formes en -ant », on regroupe en AF les formes dérivées du participe présent (amans, amantem) et du gérondif latins (prép. + amando). Suivant leur emploi, elles se déclinent ou non. On ne connaît donc pas en AF la distinction du FM entre un adjectif verbal variable (un travail passionnant), un participe présent invariable (un sujet passionnant les lecteurs) et un gérondif invariable, toujours précédé de la préposition en (à l’exception de la formule figée à son corps défendant), indiquant une circonstance de l’action. En AF, aucune distinction formelle n’est faite entre l’adjectif verbal et le participe présent qui s’accordent tous deux avec le terme auquel ils se rapportent. Le texte présente deux exemples de formes en -ant adjectives et un exemple de forme adverbiale ; pas d’exemple de forme en -ant participe présent au sens moderne. 

 

I./ Les formes du texte 

A. La  forme en -ant adjectif : variable 

Elle fonctionne comme un adjectif et peut être coordonnée à un adjectif qualificatif. Il s’agit ici des formes avenanz et avenant, formes en -ant de l’ancien verbe avenir

« convenir », coordonnées à l’adjectif qualificatif féminin bele, épithètes du substantif féminin singulier dame (si bele dame et si avenanz, si bele ne si avenant). 

La forme en -ant se construit sur la base faible du verbe (aven-), suivie d’un suffixe (ant/anz), elle se décline comme un adjectif du type grant, avec des formes féminines non marquées. Elle présente en AF la déclinaison suivante (en gras les formes présentes dans le texte) :

 

 Cas sujet singulier

Masculin : avenanz

Féminin : avenanz 

Neutre : avenant

Cas  régime singulier

M : avenant

F : avenant

N : avenant

Cas sujet pluriel

M : avenant

F : avenanz

Cas régime pluriel

M : avenanz

F : avenanz

 

Ce tableau pouvait être commenté. L’absence de formes marquées au féminin (à la différence des adjectifs du type (bon/bone) n’implique pas l’identité totale des paradigmes. En effet, au pluriel, l’opposition du CS et du CR caractérise le masculin, tandis que le féminin présente une seule forme de pluriel. La graphie finale -z reprend l’abréviation manuscrite correspondant à l’affriquée [ts], qui résulte de la rencontre entre le [t] final du radical et la marque désinentielle [s].


                  B. La forme en -ant adverbiale : invariable    elevint moult plorant (l. 3-4)  


Le texte présente un exemple de la construction venir + forme en -ant, variante du tour aler + forme en -ant, qui peut être interprétée de façon diverse en AF, soit comme dans l’exemple, la forme en -ant exprime une modalité du mouvement (« vint en pleurant »), soit la périphrase indique l’aspect progressif, ou ne constitue qu’une variante expressive de la forme simple.  

 

II./ Evolution 

A. Des formes variables

Le libellé invitait les candidats à partir du système médiéval pour retracer son évolution. Le tableau qui suit (du latin à l’AF) n’était donc pas attendu ; il rassemble des éléments qui permettent de comprendre l’origine latine et l’évolution des différentes formes du latin en AF. Certaines copies en ont fait état au moins dans leur introduction.


Formation : du latin à l’AF 

Les désinences remontent à celles des participes présents latins, qui avaient à l’origine un nominatif singulier en -ans pour les verbes en -are (amans) ou en -ens/iens pour les autres types (legens/veniens) et un accusatif en -antem pour les verbes en -are (amantem) ou en -entem /-ientem pour les autres (legentem/venientem). Deux modifications ont affecté ces formes : d’une part, il y a généralisation de la terminaison des verbes du premier groupe à tous les verbes ; d’autre part, lorsqu’il y a eu réfection des imparisyllabiques en parisyllabiques en latin impérial, le phénomène s’est également produit pour les participes dont le nominatif singulier a été refait sur le génitif. Pour le verbe venire, dont est dérivé le verbe avenir, les formes du participe présent sont les suivantes : 

          Nominatif singulier :          veniens  → *venientis  → *venantis

          Accusatif singulier :           venientem → *venantem

Autre modification conforme à l’évolution générale des substantifs et adjectifs latins, au nominatif pluriel masculin la forme primitive en -es a cédé la place à une forme en -*i. 

Les participes présents se déclinaient comme les adjectifs de la deuxième classe des adjectifs latins qui ne distinguaient pas les genres masculin et féminin ; seul le neutre présentait une désinence différente : fortis masculin ou féminin vs forte neutre. Comme dans l’ensemble du système nominal, la réduction des cas latins s’est faite au bénéfice du nominatif (à l’origine du cas sujet de l’AF) et de l’accusatif (à l’origine du CR de l’AF). L’évolution du système désinentiel a cependant rétabli en AF une distinction au CSP en opposant le masculin avenant et le féminin avenanz.

 Nominatif singulier > CSS

Masculin : -*antis

Féminin : -*antis

Neutre : -*ante

Accusatif singulier > CRS

M : -*antem

F : -*antem

N : -*ante

Nominatif pluriel >CSP

M : -*antes → -*anti

F : -*antes

Accusatif   pluriel> CRP

M : -*antes

F : -*antes

  1. Du point de vue morphologique, le MF voit l’apparition de plus en plus répandue de formes féminines analogiques des adjectifs à féminin en -e pour le participe présent et l’adjectif verbal (avenante, avenantes), comme pour tous les adjectifs à féminin sans -e (apparition des formes forte, verte, grande, etc. qui concurrencent les formes fort, vert et grant avant de les faire disparaître). Ces formes ont existé dès les premiers textes, mais sont rares avant le MF ; elles deviennent plus fréquentes au XVIe siècle. La présence ou l’absence de -e final oppose le féminin au masculin, cependant, avec l’évolution phonétique du MF, e central se labialise et passe à un e caduc en finale [avœnãnt(ƏӘ)], tandis que la consonne dentale finale commence à disparaître de la prononciation au XIIIe siècle [avœnãn(t)], d’où l’opposition moderne entre la forme féminine de l’adjectif en -[ãt] et sa forme masculine en -[ã]. 

Remarque : les adverbes de manière en -ment, habituellement construits à partir de la forme de l’adjectif féminin médiévale, pour les adjectifs féminins sans -e, ne correspondent plus aux adjectifs refaits, ainsi vaillant (féminin) explique vaillamment, à l’origine vaillan(t)ment, alors que l’adjectif féminin est refait en vaillante

 

  1. Pour les participes présents, les formes féminines marquées (-ante/-antes) disparaissent progressivement au XVIIe siècle, très tôt pour les verbes transitifs, plus lentement pour les verbes intransitifs. En revanche, la forme pluriel -ans, blâmée au féminin et surtout utilisée au début du siècle, se maintient tout au long du siècle au masculin, ce qui génère des ambiguïtés entre adjectif verbal et participe : « Figuretoi, Pyrrhus, les yeux étincelants, / Entrant à la lueur de nos palais brûlants» (si étincelants est bien ici adjectif, brûlants peut accepter deux interprétations (propriété : ‘en flammes’/ procès : ‘en train de brûler’). C’est l’invariabilité du participe présent (déjà attestée en AF) qui l’emportera définitivement à la fin du XVIIe siècle et qui rapprochera ce dernier du gérondif du point de vue morphologique[3]. En FM, seul l’adjectif verbal varie en genre et en nombre, les autres formes demeurant invariables. 

 

B. La forme en -ant adverbiale : invariable 

La forme est invariable, car elle remonte à une forme d’ablatif latin en -ando, pour les verbes en -are, plorando, qui aboutit phonétiquement à une forme plorant qui se confond avec le participe présent, lui-même issu de plorante. Pour les verbes des autres types, le gérondif présentait d’autres terminaisons comme le participe, en endo ou -iendo (veniendo) qui ont fini par disparaître au Ve siècle, au profit de celle de la première conjugaison. La voyelle finale [o] ou [e] est tombée et la dentale [d] ou [t] est devenue la consonne finale du mot, avec assourdissement pour le [d] en [t].  

La préposition en devient progressivement au XVIIe siècle la marque distinctive du gérondif, à l’exclusion des autres propositions encore possibles au XVIe siècle. Ce n’est qu’au début du XVIIIe siècle que la préposition en est exigée, auparavant les deux formes avec ou sans en étaient usuelles et pouvaient même coexister au sein d’un même énoncé, ce qui en faisait des variantes libres. D’où des cas d’ambiguïté ou d’ambivalence entre un fonctionnement de gérondif ou de participe[4]


  1. Syntaxe (2 points) : étudiez les emplois du subjonctif dans le texte

 

Le système du verbe français repose sur l’opposition de trois grands modes, le mode quasi nominal (infinitif, participe présent, participe passé) qui ne distingue ni les époques ni les personnes, le mode subjonctif qui distingue les personnes mais ne connaît pas la distinction des époques, et le mode indicatif qui donne du temps l’image la plus élaborée, en distinguant trois époques avec un ensemble de cinq tiroirs. Ainsi le subjonctif apparaît comme un mode virtuel, par rapport à l’indicatif, qui correspond à une image actualisée du temps.  Dès que le procès est considéré comme virtuel ou seulement possible, le verbe est au subjonctif. Il faut noter également que le mode subjonctif apparaît comme un mode marqué par rapport à l’indicatif, statistiquement beaucoup moins présent que l’indicatif. Ici, sur les 21 verbes conjugués du passage, seulement 5 sont au subjonctif. Tous ces exemples se trouvent en proposition dépendante, pas d’exemple de subjonctif employé en proposition indépendante ou principale, ce qui signifie qu’il faut considérer de façon précise le type de dépendance pour expliciter le choix du subjonctif qui implique une vision inachevée du temps, incomplètement actualisée.  

 

Relevé des occurrences complet avec identification des formes verbales 


(1)   Font si grant duel com se la reïne fust leur mere → subjonctif imparfait P3 verbe estre

(2)   Li rois commande que l’en li amaint avant le reïne → subjonctif présent P3 verbe amener

(3)   Si estoit si bele dame et si avenanz qu’en tout le monde ne trovast l’en si bele ne si avenant de son aage → subjonctif imparfait P3 du verbe trover

(4)   Einz commande que l’en l’ost de devant lui et que l’en en face ce que la cort esgarde par le jugement. → subjonctif présent P3 des verbes oster et faire.

 

Dans tous les cas, il s’agit d’un emploi en subordonnée, qui relève de trois types :

-        Subordonnées conjonctives complétives dépendant d’un verbe jussif, ici commander

-        Subordonnée comparative hypothétique introduite par com se 

-        Subordonnée consécutive avec une notion d’intensité si… que 

 

 

  1. En subordonnée complétive 

 

Il s’agit des subjonctifs présents des exemples (2) et (4) : amaint, ost et face. Dans les deux cas, le verbe de la principale est un verbe jussif, commander, à la P3 du présent de l’indicatif. Le mode virtuel est de rigueur en AF comme en FM dans les complétives dépendant de verbe exprimant l’idée d’ordre et de commandement et le choix du tiroir, le subjonctif présent, orienté vers le futur, est lié au tiroir présent de la principale. 

 

  1. En subordonnée circonstancielle 

 

2.1Dans l’exemple (1), le subjonctif imparfait fust apparaît dans une subordonnée comparative hypothétique introduite par com se et annoncé par le corrélatif si. Le mode subjonctif s’explique par la visée hypothétique, qui relève du possible. Le tiroir sélectionné, l’imparfait du subjonctif, se justifie par la valeur d’irréel du passé. Le FM utilise dans la proposition introduite par si le plus-que-parfait de l’indicatif, avec cette même valeur (v. traduction).

 

2.2Dans l’exemple (3), le subjonctif imparfait trovast est utilisé dans une subordonnée consécutive corrélative introduite par que, corrélé à l’adverbe d’intensité si. Le mode subjonctif est utilisé, de préférence au mode indicatif, qui est le mode habituel des consécutives, car la conséquence est niée. L’imparfait du subjonctif est lié à la « concordance des temps », car le verbe de la principale est à l’imparfait de l’indicatif, estoit. En FM, la valeur d’irréel du passé est rendue par le conditionnel passé (v. traduction). 


QUESTION B – ETUDE SYNCHRONIQUE DU TEXTE DE FRANÇAIS MODERNE ET CONTEMPORAIN

 

1. Étudiez, du point de vue phonique et graphique, les marques du genre et du nombre dans le vers 1.

 

Pour de plus amples renseignements sur la nature et la conduite de cette question, on se reportera aux rapports du jury des années 2011 et 2012. Contentons-nous de rappeler ici que l’enjeu de cette partie de l’épreuve de langue est pour le candidat de faire preuve tant de sa connaissance des règles orthographiques en vigueur dans notre langue et de la morphologie de cette dernière, que de la maîtrise raisonnée des outils et concepts propres à la morphologie, cette dernière permettant de juger de la distance analytique dont doit être capable un futur enseignant de secondaire vis-àvis de l’objet linguistique. 

Cette question demande donc un traitement informé, et requiert de la part du candidat à la fois de l’organisation dans la présentation de ses analyses, et une maîtrise des catégories de base de la morphologie lexicale sur lesquelles le développement doit s’appuyer, telles que les notions de morphème et de phonème, morphème grammatical et lexical, morphogramme et phonogramme, préfixe et suffixe.  

Par ailleurs, le jury a eu l’occasion de constater cette année un net progrès dans le traitement de cette question par les candidats, dont on peut se réjouir ; c’est donc que l’épreuve a été comprise par les préparateurs comme par une bonne partie des candidats dans sa méthode comme dans son objectif. Les copies ont ainsi souvent fait preuve de connaissances, inscrites dans des développements organisés et parfois bien menés, la transcription phonétique étant largement mobilisée, souvent maîtrisée par les candidats. Cette question restant présente dans l’épreuve à partir de 2014, nous ne pouvons qu’espérer que cette dynamique d’amélioration se confirme dans les prochaines sessions du concours.

 

Introduction : 

 

On attend du candidat (voir rapport 2012) que l’introduction s’ouvre sur une brève définition des notions permettant de traiter la question. On rappellera ainsi que le genre (qui repose sur l’opposition masculin/féminin) et le nombre (opposition singulier/pluriel) sont marqués par des morphèmes (définis comme plus petites unités de signification) grammaticaux.

Ils sont graphiquement réalisés par des morphogrammes grammaticaux,

-     les « morphogrammes » étant définis comme « marques finales écrites, qui ne sont pas nécessairement prononcées » ;

-     les « morphogrammes grammaticaux » comme « indicateurs de catégories grammaticales »[5].

 

Si les marques de genre et de nombre peuvent affecter diverses parties du discours (comme l’adjectif, le nom, le verbe), elles ne touchent dans le vers 1 que les catégories de l’adjectif et du nom. Au sein de ces marques, on distingue celles qui relèvent de l’oral (« marques orales » du genre et du nombre, qui sont donc réalisées à l’oral, le morphogramme étant alors un phonogramme), de celles qui ne concernent que l’écrit (« marques écrites » du genre et du nombre).

La question exige donc l’articulation de trois types de données : (i) les marques de genre et de nombre, (ii) les marques écrites et orales, (iii) les catégories sur lesquelles portent ces marques (nom et adjectif).

Le jury a accepté toutes les organisations possibles de ces données.

Cependant, deux modes d’organisation paraissent à privilégier pour traiter la question : 

-     un plan articulé à partir de l’opposition entre les différents types de marque ; c’est celui-ci qui doit être privilégié du fait de l’intitulé, qui explicite l’opposition des points de vue phonique et graphique ; c’est donc celui que l’on a choisi dans le développement qui suit.

-     un autre plan, moins appelé par la question, mais tout de même acceptable, procèderait en distinguant les différentes parties du discours en cause dans le corpus (marques du nom/marques de l’adjectif).

 

Remarque : la transcription phonétique, nécessaire et attendue, peut être effectuée dans quelque alphabet phonétique que ce soit (API ou système Bourciez, alphabet des romanistes).

 

1. Le genre et le nombre sont marqués à l’oral et à l’écrit

 

  1. Marques du genre :

a.1.  Marques du genre du nom :

Le nom tient son genre de lui-même. Ce genre est ainsi lexical, arbitraire la plupart du temps (on pourra cependant citer l’exception des noms animés, pour lesquels le genre correspond au sexe du référent). Pour autant, cet arbitraire est compensé par la prédictibilité affectant la relation entre suffixe et genre. Ainsi,  

  • bâtiment

Le suffixe –ment [mã] de ce nom est un des principaux suffixes assurant la dérivation du verbe en nom (avec –ation et –age. Le morphème suffixal –ment inscrit le nom « bâtiment » dans un paradigme masculin.

  • structure

De son côté, « structure » est un mot simple, mais sa finale –ure  [yr] le rapproche du paradigme des noms suffixés en –ure, suffixe propre à assurer la dérivation du verbe en nom féminin (voir blesser/blessure, moisir/moisissure).

 

a.2.  Marques du genre de l’adjectif :

Le genre de l’adjectif est déterminé contextuellement par le genre du nom auquel il se rapporte, et sur lequel il s’accorde. Parmi les adjectifs ayant pour support le nom « bâtiments » masculin :

  • beau [bo] : l’adjectif répond à une « variation complexe » (GMF p. 360). Sa forme signale à l’oral le genre masculin, contrairement à la forme de l’adjectif que l’on trouve devant initiale vocalique « bel » [bεl]. 

 

  1. Marques du nombre :

b.1.  Marques du nombre du nom :

Pourbâtiments, on peut noter que le pluriel serait marqué par un [z] si le nom se trouvait devant initiale vocalique, mais compte tenu de l’initiale consonantique suivante, il n’y a pas de marque orale du pluriel ici.


b.2.  Marques du nombre de l’adjectif :

Comme son genre, le nombre de l’adjectif est déterminé contextuellement par le nombre de son support. Du fait que le nom est employé au pluriel, l’adjectif s’accorde au pluriel avec son support.

« Beaux » et « grands », étant épithètes de « bâtiments », prennent des marques de pluriel. Mais seule la marque de pluriel de « beaux » est un morphème à part entière :

  • Beaux  [boze] (avec initiale vocalique suivante) :  le [z] final est ici morphogramme et phonogramme, du fait de la liaison pratiquée devant l’initiale vocalique.

Remarque : on pouvait commenter la graphie de pluriel –x, conforme à celle de tous les adjectifs masculins en –eau (cf. nouveaux), de même que la plupart des adjectifs de la série en –al (brutal/brutaux, loyal/loyaux). 

 

2. Marques écrites du genre et du nombre (morphogrammes)

 

La distinction masculin/féminin et singulier/pluriel peut par ailleurs n’être marquée qu’à l’écrit.

  1. Marque du genre :
    • grands : [grã]

-marque zéro propre au genre masculin.

-Selon N. Catach (L’orthographe française, p. 208, 209, 211), le  d constitue une marque graphique de rappel du masculin, ayant le statut de morphogramme lexical. Ceci justifie que d’un point de vue pédagogique, on apprenne d’abord aux élèves  la forme féminine grande, la graphie du masculin pouvant alors en être aisément déduite. Voir N. Catach, p. 212.

  • éternelle

La marque de l’accord en genre est le –e final. La présence de ce dernier implique le redoublement de la consonne finale –l de l’adjectif (voir cruel/cruelle, nul/nulle), sans modification des graphèmes voisins. Normalement, cette marque –e est un simple morphogramme, qui n’affecte que l’écrit. Mais ici, du fait de la structure métrique du vers, le –e acquiert le statut de marque orale.

 

  1. Marques du nombre :

b.1. du nom :

  • bâtiments : Contrairement à son genre, le nombre du nom est contextuel. La marque de pluriel est ici –s. Ce –s est ici un simple morphogramme, propre à marquer le nombre seulement à l’écrit. b.2. de l’adjectif :
  • grands : la marque de pluriel –s est ici simple morphogramme, car l’adjectif est placé devant une initiale consonantique.

 

 

B.2. Lexicologie

 

Comme la question de lexicologie n’a pas connu de changement lors la réforme des épreuves du CAPES externe de Lettres modernes, la consultation des rapports des années antérieures est toujours vivement recommandée, comme l’est celle des rapports qui l’ont suivie. Cette présentation générale se contente de reprendre les grandes lignes de celle de l’an passé avec quelques rappels sur les objectifs de l’exercice et sur la méthode. Les candidats doivent faire preuve de leur compétence lexicologique en fournissant plusieurs types d’informations à propos des mots qui leur sont proposés. Il leur faut mobiliser les connaissances générales de morphologie et de sémantique lexicales acquises durant leurs études et montrer leur aptitude à discerner le sens précis que ces mots prennent dans le contexte où ils sont employés. Notons qu’à partir de la session 2014, ces connaissances générales pourront être évaluées par le biais d’une question de synthèse, portant sur les grandes catégories de la morphologie ou de la sémantiques lexicales, à partir de plusieurs mots, ou de quelques lignes du texte (exemples : étudiez la dérivation dans telle ligne, l’antonymie dans tel paragraphe, étudiez telle et telle lexie sous l’angle morphologique uniquement)… La possibilité d’interroger sur des lexies isolées, comme c’était le cas jusqu’ici, reste toutefois ouverte.

 

Après des informations sur l’identité du mot (partie du discours et catégories grammaticales) et sa fonction grammaticale dans la phrase, la partie morphologique est consacrée à l’analyse en morphèmes (pour les mots complexes construits), en morphèmes et formants (pour les mots complexes non construits), les mots simples étant inanalysables. L’analyse du sens du mot en langue découle de cette analyse en morphèmes pour les mots complexes construits, mais au cours du temps beaucoup de mots voient leur sens s’infléchir et devenir complexes non construits (le sens n’est plus strictement compositionnel), avec ou sans polysémie. Les diverses acceptions doivent être données, en tenant compte de l’époque du texte pour éviter des anachronismes. Les mots de la même famille dérivationnelle peuvent être utilisés pour préciser les différentes acceptions. Enfin, du fait de son cotexte particulier dans l’emploi à analyser, le sens du mot peut présenter une singularité par rapport au « sens habituel ». Les candidats sont invités à examiner les tensions qui peuvent se manifester entre le sens en langue et le sens en contexte, en particulier avec les liens qui peuvent se tisser avec d’autres mots de l’extrait (combinatoire particulière, répétition du même mot, présence de mots apparentés morphologiquement, présence de synonymes, d’antonymes, appartenance à un champ notionnel saillant dans l’extrait, etc.).

 

OUVRAGES (1 point)

 

Ouvrages est un nom masculin employé au pluriel dans un groupe prépositionnel dont le point d’incidence peut poser problème. On peut analyser le groupe d'ouvrages divers comme complément de l’adjectif superbes, coordonné à matières, ou éventuellement comme complément du nom bâtiments, coordonné à d’éternelle structure ; mais il paraît plus satisfaisant d’envisager d’ouvrages comme complément antéposé de l’adjectif divers, dans une construction syntaxique en chiasme. Ces diverses analyses ont été acceptées par le jury, qui a valorisé les efforts de justification et de discussion.

Le mot comporte le suffixe -age servant à former des noms masculins, sur une base verbale ou nominale. Le radical ouvr- est une variante de œuvr- que l’on trouve attestée dans d’autres mots dérivés comme ouvrable, ouvragé, ouvrier, ouvroir… Ce radical - qu’il ne faut pas confondre avec ouvr- de ouvrir - vient du latin opera « activité, travail » lui-même apparenté à opus, operis « œuvre, travail ». L’idée de réalisation concrète d’objets (au sens large) fabriqués par l’activité humaine fonde l’unité sémantique des mots de cette famille. 

Nom d’action (avoir de l’ouvrage, avoir le cœur à l’ouvrage…), il s’emploie aussi pour dénommer les résultats de l’action, dans les domaines très divers des activités humaines : objets réalisés par des artisans (ouvrage de ferronnerie, d’ébénisterie…), tricot (ouvrage féminin, panier à ouvrage), livre (un ouvrage en plusieurs tomes), certains types de constructions en particulier les ouvrages d’art : ponts, viaducs… Dans le poème, le terme renvoie aux réalisations architecturales variées mises en œuvre dans la construction des « beaux et grands bâtiments » : les architectes ont su exploiter au mieux et de différentes façons des matériaux nobles (« superbes de matière ») pour procurer un plaisir esthétique. On peut penser aussi à tous les ornements qui structurent et embellissent les façades : colonnes, pilastres, niches, statues, etc. L’adjectif ouvragé « travaillé avec finesse » correspond à l’acception de ouvrage dans le sonnet, mais appliqué à des bâtiments et pas à de petits objets comme c’est souvent le cas. Mais l’imprécision du terme, générique, laisse au lecteur le choix d’imaginer les formes « diverses » que prennent ces ouvrages comme résultats de l’activité humaine artistique qui charment la vue. Les « miracles de l’art » au vers 4 font écho aux bâtiments et à la mise en œuvre des matériaux qui surpassent les beautés naturelles.

 

HUMEUR (1 point)

 

Humeur est un nom féminin employé au singulier. Il est tête du GN sujet du GV est chagrine. Sans être en synchronie du français (classique et contemporain) un mot analysable comme un mot construit par suffixation, il peut néanmoins être analysé par certains en deux formants, un suffixe nominal (formant des féminins) -eur et un radical hum- que l’on trouve dans humide (et ses dérivés). L’emprunt en retour à l’anglais humour de humeur (et ses dérivés) est postérieur au XVIIe siècle, et le sémantisme a tellement évolué que le lien avec la famille étymologique de hum- « liquide » est rompu. 

L’humeur est en effet d’abord un écoulement de liquide secrété par le corps. Dans les conceptions médicales du XVIIe siècle héritées de l’Antiquité, les caractères humains étaient classés en quatre grands types selon les humeurs qui circulaient dans le corps et qui les gouvernaient. Elles étaient différentes selon l’organe qui les secrétait ou les véhiculait (bile / bilieux ; bile noire / atrabilaire - mélancolique ; sang / sanguin ; lymphe / lymphatique). De caractère permanent, l’humeur devient aussi l’état d’esprit dans lequel on se trouve à tel ou tel moment en accord avec les circonstances : on est de bonne ou de mauvaise humeur. Quand le mot humeur n’est pas qualifié, il a une acception dysphorique (mouvement d’humeur).

Dans le sonnet, l’humeur du poète est qualifiée, elle est « chagrine », ce qui signifie que son état d’esprit est, au moment de l’énonciation, en proie à la tristesse du fait de l’absence de l’objet admiré et aimé, Caliste (vicomtesse d’Auchy), qui le rend insensible à toutes les autres beautés qu’il a sous les yeux. Sa présence changerait l’état d’esprit et le point de vue du poète.

 

B.3. Morphosyntaxe (3 points) : étudiez les groupes prépositionnels dans les deux quatrains.

 

I. le sujet : attendus, enjeux, traitement par les candidats


Le sujet invitait les candidats à étudier « les groupes prépositionnels » et non « les prépositions » des deux quatrains. Ces deux intitulés distincts supposent deux approches qui s’opposent d’un point de vue théorique et historique : une approche traditionnelle et une approche issue des linguistiques structurelle et distributionnelle. Dans la première, la préposition est conçue comme un mot de relation, une ligature sans fonction propre entre deux mots. Dans la seconde, plus récente, la préposition est conçue dans une relation de solidarité avec son régime, solidarité qui peut être mise en valeur par des tests substitution/effacement :  le chat [de la voisine] / le chat [gris] / le chat [que je connais].

Ces tests permettent de déduire le fait que le groupe prépositionnel constitue une unité syntaxique à part entière, que l’on pourra nommer syntagme[6] prépositionnel. Rappelons qu’une telle conception du syntagme prépositionnel, et en particulier de la préposition comme « tête » du syntagme prépositionnel, a pu être controversée[7].

 

Le choix de l’intitulé du sujet était guidé par le souci de voir privilégier par les candidats une analyse de la fonction de ces groupes prépositionnels. On n’exigeait des candidats ni la mobilisation des notions de « syntagme » ou de « tête », ni la connaissance du débat théorique que l’on vient de relater. C’est d’ailleurs pourquoi le terme de « groupe » prépositionnel avait ainsi été préféré à celui de « syntagme », afin de délester le sujet de toute dimension polémique. La connaissance théorique précise des enjeux de la question a cependant été bonifiée par le jury. 

S’il est certes ennuyeux que la différence entre ces deux entrées dans le sujet ait été presque totalement ignorée par les candidats, on s’émouvra bien davantage d’erreurs beaucoup plus graves, dont celles qui touchent à l’identification des classes grammaticales, et en particulier :

-     de la confusion entre l’article indéfini pluriel et la forme amalgame [préposition + article défini pluriel] : ainsi, au vers 6, dans « des fleurs » et « des ombrages verts », des est à analyser comme article indéfini pluriel…

-     de la confusion entre la préposition de et le de indice d’infinitif : ainsi, au vers 8, la forme d’ ne peut être analysée comme une préposition, car « d’en effacer jamais l’agréable peinture » a pour fonction COD du transitif direct « défend ».

-     de la non identification de certaines occurrences, telles que les formes amalgamant la préposition à et l’article défini (« aux miracles de l’art » (v. 4) / « aux hivers » (v. 8)), ou la préposition « sans » (v. 7).

 

Enfin, deux autres graves défauts sont à souligner : nombre de copies ont peiné à identifier les fonctions des groupes prépositionnels, faute d’avoir vu à quoi se rapportaient ces groupes, de quoi ils dépendaient, en particulier dans les cas d’inversion due à la nature versifiée du texte ; ce défaut va de pair avec celui qui tient dans l’impossibilité de clairement borner les groupes prépositionnels, de déterminer leur début et leur fin. Or, c’était là le noyau de la question : déterminer la fonction des groupes prépositionnels, c’est être capable de saisir les relations de dépendance et d’enchâssement impliquées par ces groupes. 

Rappelons ici au candidat au concours que l’une des principales tâches du professeur de français de secondaire, et en particulier de collège, est de permettre à ses élèves de comprendre et maîtriser leur langue dans son organisation logique. Or, comment y parvenir sans soi-même, futur enseignant, maîtriser cette organisation, et être capable d’en rendre compte dans le cadre du concours ?

C’est donc cette connaissance intime des structures de la langue que cette épreuve de morphosyntaxe a pour fin de juger, et c’est à cette fin principale qu’elle est construite.

 

II. Corrigé : 

 

a. Attendus de l’introduction :

On attendait des candidats :

  1. une définition de la préposition comme partie du discours caractérisée par son invariabilité, sa transitivité, sa capacité à introduire des constituants non propositionnels (ce qui la distingue à la fois de l’adverbe et de la conjonction) ou/et comme mot-tête d’un groupe ou syntagme prépositionnel ; 
  2. une définition du groupe prépositionnel comme unité syntaxique introduite par une préposition, dotée d’une fonction. 
  3. une spécification du critère déterminant la fonction du groupe prépositionnel.

Ainsi, les fonctions variées du GP sont déterminées selon 

-     la nature du premier des deux « mots » ou groupes de mots qu’elle met en relation (conception traditionnelle)

-     ou la nature du terme dont dépend le groupe prépositionnel : constituant (adjectif, nom), verbe ou proposition toute entière.

 

b. Développement :

  1. Méthodologiquement, on attend des candidats qu’ils donnent : les limites des GP ; l’élément auquel le GP est incident  (constituant ou phrase/proposition) ; la fonction du GP ; l’analyse du syntagme « régime » de la préposition (exclusivement GN dans le texte).
  2. Deux plans étaient acceptables, bien que le premier soit de loin préférable : - un plan fonctionnel : selon l’incidence du GP.

- un plan indexé sur les différentes prépositions présentes dans le texte.

 

1. GP incident à un constituant

 

  1. à un GN :

occurrence 1 (v.1) : « d’éternelle structure » :

Attendu : Fonction : complément du GN « beaux et grands bâtiments ».

Commentaires supplémentaires (bonifié) : On pouvait ici commenter le sens de la préposition « de », préposition à sémantisme flou, exprimant ici une relation de caractérisation. On pouvait également remarquer, d’un point de vue cette fois-ci morphologique, la forme élidée devant voyelle, du fait de l’antéposition de l’adjectif. occurrence 2 (v. 4) : « de l’art » :

Fonction : complément du nom « miracles » (ou du GN « les miracles »).

 

  1. à un adjectif : occurrence 3  (v. 2) : « de matière » :

Attendu : Complément de l’adjectif « superbes ».

Commentaire supplémentaire : Valeur sémantique : indique la provenance, parasynonyme de « par ».

 

2. GP incident à un verbe :

 

a. Au verbe être :

occurrence 4 (v. 3) : « en l’univers » :

Attendus : deux analyses sont acceptables, selon le sens que l’on donne au verbe être :

-soit il a son sens plein, et est alors parasynonyme d’exister. Dans ce cas, on analysera le GP « en l’univers » comme complément circonstanciel intraprédicatif (ce qui explique la possibilité de le supprimer).

-soit il est un parasynonyme de se trouver (sens légèrement subduit par rapport au précédent). Il peut alors régir un complément locatif[8]. On a accepté aussi l’analyse comme attribut. Toute justification ou discussion a ici été bonifiée.

Commentaire supplémentaire : En + article défini l’ : il s’agit d’un tour propre à la langue classique ; en est en effet un parasynonyme de dans en FM, mais son emploi aujourd’hui exclut la possibilité d’être cumulé à l’article.

 

b. Verbes à double complémentation : occurrence 5 (v. 7-8) : « défend aux hivers d’en effacer jamais l’agréable peinture » :

-  aux hivers : Complément d’objet second de « défend ».

-  « d’en effacer jamais l’agréable peinture » était ici COD, et ne pouvait être tenu pour un groupe prépositionnel. L’identification de l’indice d’infinitif, son exclusion de l’étude, et toute explicitation de sa distinction d’avec la préposition (fondée sur le test de substitution) était ici bonifiée.

 

c. Avec faire + inf. (périphrase factitive/agentive) :

occurrence 6 (v. 4) : « aux miracles de l’art »

-     Complément indirect de « fait céder » (plus exactement complément d’objet second).

L’analyse du GP comme COI de « céder » seulement était acceptée.

-     Place du complément : antéposition au verbe ; on pouvait ici formuler l’hypothèse selon laquelle cette antéposition était due à la contrainte prosodique de la rime.

Commentaire supplémentaire : Analyse de faire comme opérateur de progression actantielle, propre à assurer l’ajout d’un actant à la valence verbale. (X cède à Y à Z fait céder X à Y) ; cette périphrase fait de « la nature » un CD, et du GP « aux miracles de l’art » un CO2 (au lieu d’un COI).

 

3. Incidences ambiguës ou problématiques

 

Le texte n’était pas sans présenter quelques cas où l’incidence pouvait poser problème.

  1. Ambiguïté d’incidence : 

a.1. à l’adjectif/au nom

occurrence 7 (v. 2) : « d’ouvrages (divers) » :

3 analyses étaient ici possibles :

(1) « d’ouvrages » est incident à l’adjectif « divers »

auquel il est antéposé. On peut alors s’appuyer sur un argument d’identification syntaxique et métrique : l’alexandrin répond à une construction syntaxique en chiasme, les deux hémistiches étant ainsi symétriques : [ADJ-GP//GP-ADJ].

-  « d’ouvrages » régit l’adjectif « divers » qui lui est épithète : le GP « d’ouvrages divers » peut être alors soit

(2) incident au GN « beaux et grands bâtiments »

On arguera ici du parallélisme syntaxique existant avec le GP « d’éternelle structure », la conjonction « et » coordonnant alors les trois compléments déterminatifs du GN « beaux et grands bâtiments ».

(3) incident à l’adjectif « superbes », « et » coordonnant alors le GP « d’ouvrages divers » avec « de matière ».

L’ambiguïté du tour donnait lieu à une notation en bonus pour cette occurrence.

 

a.2. à la proposition/au verbe : 

occurrence 8  (v. 5) : « dans votre clôture » :

L’occurrence touche ici à la frontière poreuse entre complément circonstanciel (entendu comme périphérique) et COI. Ainsi, les deux analyses paraissent ici acceptables, même si elles sont loin d’être équivalentes. Le GP « dans votre clôture » peut être tenu pour :

-  incident à toute la proposition subordonnée relative « qui avez toujours des fleurs, et des ombrages verts ». Il s’agit donc d’un complément périphérique : il est déplaçable dans les limites de cette subordonnée, et supprimable.

Le GP est analysable comme complément circonstanciel de la proposition entière.

-  incident à « avez » :  l’antéposition, qui, en contexte de prose, exclurait la possibilité d’inscrire le GP dans la valence du verbe, est autorisée ici du fait du cadre métrique dans lequel s’inscrit le poème ; en conséquence, elle perd de son poids argumentatif dans l’identification du GP comme complément périphérique. 

On peut ainsi arguer d’un ordre prosaïque préférentiel dans lequel le GP serait après les deux COD de « avez » (qui avez toujours des fleurs, et des ombrages verts dans votre clôture). Le GP serait dans cette perspective analysable comme circonstant intraprédicatif (ou COI). Toute discussion argumentée sur cette occurrence a donné lieu à un bonus.

 

b. Ambiguïté de « sans quelque démon »/ « non sans quelque démon » :

occurrence 9 (v. 7) :

  1. le GP complet est « sans quelque démon qui défend aux hivers d’en effacer jamais l’agréable peinture », qui intègre la relative épithète de « démon ».
  2. Se posait ici le problème de l’identification de la préposition qui introduit le syntagme : s’agit-il de « sans » ou de « non sans » ?

-    On peut considérer que non équivaut ici à « qui n’êtes pas / qui ne sont pas » (voir infra pour ces deux solutions) : « sans » est alors analysé comme préposition fonctionnant seule.

-    Mais on peut aussi considérer que « non » est la négation de la préposition

« sans » (« non » constituant la forme de la négation de divers constituants) ; il est à

intégrer au syntagme prépositionnel. On justifiera l’inclusion de « non » à la préposition introduisant le GP par les arguments suivants :

-    par analogie avec conjonction de subordination « non que », en mobilisant les mêmes arguments.

-    à partir du critère de substitution paradigmatique : non sans/avec (même si sémantiquement ils ne sont pas tout à fait équivalents).

Ces deux réponses étaient acceptées, un bonus étant accordé aux candidats justifiant leur analyse, bonus supérieur pour ceux qui rendaient compte de l’ambiguïté possible dans l’analyse de ce GP.

3. problème de l’incidence du GP :

Là encore, 3 possibilités d’analyse s’offraient au candidat :

- le GP pouvait être tenu pour incident au GN précédent, « des ombrages verts » ; - ou pour incident au GN initial et principal « Beau parc, et beaux jardins ».

Dans ces deux analyses, il joue le rôle de complément du GN auquel il est incident. -Mais on pouvait aussi l’analyser comme complément circonstanciel de la relative « qui dans votre clôture avez toujours des fleurs, et des ombrages verts ».

Cette multiplicité de solutions est à mettre sur le compte de la spécificité des constructions détachées qui, à l’époque classique, autorisaient des relations de dépendance syntaxiques parfois moins strictes qu’aujourd’hui : le GP paraît ici, plus qu’à rattacher syntaxiquement à tel ou tel de ces supports, à « rattacher à un actant saillant » (N. Fournier, Grammaire du français classique, p. 295) qui est le thème de l’énoncé. Il serait donc ici à rattacher à « beau parc et beaux jardins », dans une analyse menée davantage en termes cognitifs et thématiques qu’à proprement parler syntaxiques[9].

 

4. Cas-limite :

Le pronom adverbial « en » (v. 8) : pronominalisant un GP en [de + GN], il est incident au GN « l’agréable peinture ». Le GN qu’il pronominalise peut être diversement identifié : soit il s’agit du GN thème « Beau parc, beaux jardins », soit de « (des fleurs et) des ombrages verts ». Du fait de son incidence, on pourra l’intégrer dans la section consacrée aux GP incidents à des GN.

Ainsi, l’essentiel des points attribués l’étaient à l’analyse syntaxique et fonctionnelle du corpus. Toute remarque morphologique ou sémantique a été par ailleurs bonifiée, notamment l’étude des articles contractés, de l’article zéro dans les GP « d’éternelle structure, de matière, d’ouvrage », les valeurs sémantiques des prépositions (des plus « incolores » aux plus « colorées ».


CETUDE STYLISTIQUE DU TEXTE DE FRANÇAIS MODERNE OU CONTEMPORAIN

 

Remarques générales et éléments de problématisation


Un texte poétique n’avait pas été proposé au concours depuis la session 2007. Le sujet n’avait donc pas de quoi surprendre, non plus que le choix d’un texte d’Ancien Régime, les XIXe et XXe siècle ayant été soumis à la sagacité des candidats des sessions 2011 (J.-K. Huymans) et 2012 (M.  Duras). Le choix d’un sonnet – donc d’un texte court − pouvait paraître en revanche moins attendu. Mais la brièveté de la forme laissait précisément aux candidats l’opportunité de prendre le temps d’être attentif aux détails du texte, et ce dans le cadre d’une épreuve dont le jury a conscience qu’elle constitue à certains égards une épreuve de rapidité : sur les 5h dont disposent les candidats, rappelons qu’il est souhaitable qu’ils accordent 1h30 à la question de stylistique. Si – à compter de la session 2014 − la nouvelle épreuve d’étude grammaticale se verra rallonger d’une heure (soit 6h en tout, au même titre que la composition française), rappelons qu’une nouvelle question à orientation didactique viendra s’ajouter à la partie d’histoire de la langue et à la partie d’étude synchronique d’un texte de français moderne ou contemporaine. Le temps que les candidats devront consacrer à la stylistique sera donc sensiblement équivalent à ce qu’il était jusqu’ici. Le format de l’épreuve nécessite donc que les candidats soient aptes à activer rapidement un certain nombre de réflexes intellectuels et mobilisent des outils d’analyse sans qu’il soit nécessaire d’y consacrer trop de temps. Ainsi, le jury pouvait-il s’attendre à ce que les candidats se livrent aisément et avec célérité aux repérages formels que requiert l’étude d’un poème en général et d’un sonnet en particulier – quel qu’il soit. Or il faut dire que le jury a été stupéfait du nombre non négligeable de copies qui ignoraient la facture poétique du texte. Il est arrivé trop souvent de ne jamais lire sous la plume des candidats les mots « rimes », « rythme », « mètre », « quatrains », « tercets », etc, ou de voir totalement passer sous silence la structure du sonnet (trop de candidats manifestent une ignorance de ce qu’est la charnière ou la volta d’un sonnet, ainsi que sa chute – ou pointe)ou encore l’analyse prosodique des vers, pourtant essentielle. Il semble qu’il faille ici rappeler qu’un texte en vers ne s’étudie pas comme un texte en prose…

 

La piste d’étude proposée par le libellé du sujet − dont on rappelle que les candidats se doivent de la traiter sans qu’ils soient tenus de se limiter exclusivement à elle − était tout à fait classique mais nécessitait un traitement précis qui ne s’en tienne pas à quelques généralités convenues et plus ou moins maîtrisées sur la notion de lyrisme. On rappellera tout d’abord qu’un texte ne saurait être détaché de son contexte d’écriture, et que des connaissances en matière d’histoire littéraire ne sont pas superflues pour l’étude stylistique, loin s’en faut : que les candidats se persuadent bien que si une étude stylistique n’est ni un commentaire composé ni une explication de texte, elle requiert – comme toute étude textuelle − d’être nourrie d’une approche contextuelle.  Si le jury n’a pas sanctionné plus que de raison les copies n’ayant dit par exemple dit mot du contexte dans lequel s’inscrit la réforme malherbienne de la langue, il a généreusement bonifié celles qui ont su enrichir leur étude d’éléments de stylistique historique, particulièrement bienvenus pour problématiser la notion d’ « énonciation lyrique » au regard de la période à laquelle écrit Malherbe. La très grande majorité des copies a spontanément – et de façon attendue − associé la notion de lyrisme à l’expression de sentiments personnels et à la subjectivité. Or rappelons qu’une telle définition est anachronique puisqu’avant la fin du XVIIIe siècle, ce qui serait plus juste d’appeler non pas « le lyrisme » (le substantif n’étant pas attesté) mais la poésie « lyrique » n’est jamais associé à l’expression personnelle. L’adjectif « lyrique » reste encore intimement lié à ses origines musicales (dans un emploi relationnel : est lyrique ce qui est relatif à la « lyre ») tandis que la poésie lyrique est pensée au regard de ses modèles antiques (la lyrique gréco-latine) et oratoires (le genre épidictique). Aussi se définit-elle d’abord et avant tout comme une poésie d’éloge et de célébration adoptant généralement les élans du style élevé, comme l’affirme Ronsard au siècle précédent, dans la préface de ses Odes de 1550 : « c’est le vrai but d’un poète lyrique de louer jusques à l’extrémité celui qu’il entreprend de louer ». Cela n’exclut pas l’épanchement intime et l’effusion personnelle (ou la production d’une « illusion de l’intime ») mais sans que ce soit là des éléments définitoires du genre selon les critères de l’époque. 

Ceci étant rappelé, il est évident que le jury n’a aucunement sanctionné les candidats qui avaient ignoré cette dimension historique pour partir exclusivement de la définition moderne du lyrisme : bien qu’anachronique, celle-ci reste malgré tout opératoire pour l’étude d’un poème d’ancien régime, et l’on a par exemple particulièrement apprécié tel candidat qui avait problématisé son étude en examinant «  les marques de la subjectivité et du lyrisme »  pourmettre en évidence « la manière dont les thèmes de l’art et de la nature sont employés comme prétexte à l’élaboration du sentiment amoureux et en particulier de la plainte élégiaque » . De fait, le sonnet de Malherbe fait partie de ses sonnets amoureux[10], et le texte aboutissant à l’expression d’une plainte amoureuse, les candidats pouvaient légitimement analyser les marques formelles d’un certain lyrisme personnel. Les copies les plus pertinentes ont cependant remarqué que le sonnet de Malherbe était bien loin des élans lyriques des poètes amoureux du XVIe siècle que les candidats ont sans nul doute plus fréquemment rencontrés durant leur cursus. En outre, si le sonnet aboutit à une prise de parole explicite du sujet lyrique et introduit alors le thème de l’absence amoureuse, c’est au terme d’une longue louange des « miracles de l’art ». De fait, une étude attentive du texte devait logiquement amener les candidats à revenir à l’essence même du « lyrisme » dans la mesure où l’éloge (des lieux, du Roi, de Caliste) y occupe une place centrale, l’enjeu principal étant alors d’examiner la façon dont s’imbriquent la célébration explicite des œuvres de l’art et la célébration implicite de l’être aimé au sein du moule formel et codifié du sonnet classique. Si ce sonnet développe en outre le topos attendu de l’absence de la femme aimée, la maîtrise de la douleur d’amour passe par une remarquable maîtrise formelle, que certains candidats ont su rattacher à l’esthétique malherbienne. De fait, l’expression lyrique donne lieu à la production d’une émotion contenue, la douleur étant, in fine, apprivoisée par l’acte même de sa profération. Ajoutons à cela ce que certains candidats ont su percevoir avec beaucoup de justesse : l’éloge implicite de l’art classique (à travers la célébration de l’architecture et de l’horticulture), aboutissant à l’éloge implicite des pouvoirs de la poésie et de sa perfection même (soit la réflexivité du poème lyrique).

 

Il s’agissait donc de mettre en évidence la façon dont ce sonnet d’adresse combinait les procédés formels du poème épidictique ou démonstratif, du poème amoureux et du poème argumentatif, tout ceci au regard du libellé précis du sujet dont on attend qu’il soit défini et analysé dans l’introduction du commentaire, ce que bien peu de candidats prennent le soin de faire. Le jury s’étonne même que certaines copies n’aient que trop peu pris en compte la piste imposée, voire l’aient totalement ignoré.

Il ne s’agissait donc pas d’étudier le « lyrisme » mais bien l’« énonciation lyrique », ce qui supposait d’être attentif :

  • aux traces laissées par l’énonciateur dans son énoncé
  • aux marques de l’interlocution qui, dans le cadre particulier de ce sonnet, doivent servir un examen des modalités et des formes du discours lyrique conçu comme :

-  un discours adressé dont il fallait interroger les visées 

-  une poésie orale et vocale dont on pouvait interroger les formes et les effets

-  une poésie ressortissant au lyrisme amoureux et reposant sur un éloge indirect de la dame, d’où son appartenance au genre épidictique, et plus précisément encomiastique.

 

 

Les postes d’analyse stylistique

 

Plutôt qu’un devoir-type rédigé − dont la forme et la longueur peuvent parfois décourager les candidats − on fait le choix de proposer ici une liste commentée des postes stylistiques attendus.

 

  • L’organisation énonciative du texte

 

Le jury se réjouit de constater que l’étude de l’énonciation est devenue familière aux candidats, qui ont souvent le réflexe de s’y attarder. On attendait ici un repérage du système des pronoms et des temps et une analyse claire du système d’interlocution menant idéalement à souligner la dimension fondamentalement pragmatique du discours lyrique. 

  • Comme indiqué plus haut, ce poème prend la forme d’un discoursproféré par un « je » et dirigé vers un ou plusieurs allocutaires dont il s’agissait examiner les modalités d’inscription dans le texte. Le système énonciatif de l’interlocution dessine la figure macrostructurale de l’apostrophe oratoire (adresse à un interlocuteur fictif, absent ou, comme ici, inanimé), typique de la poésie lyrique et amoureuse.
  • Le régime de discours repose d’abord sur la figure de l’adresse qui structure l’ensemble du texte et l’emploi du présent étendu ou de caractérisation
  • Cette structure d’adresse inscrit la présence d’abord oblique du locuteur (le « sujet » lyrique), lequel se manifeste à travers la figure de l’apostrophe et l’emploi de la P5 (v. 5 et 10), et qui n’apparaît explicitement qu’au vers 11 sous la forme des déterminants possessifs puis du pronom personnel au vers 14, redoublé par la structure de dislocation ouvrant le vers sur la forme tonique et accentuée du pronom (qui prend appui sur le coordonnant « et », lequel revêt nettement la fonction de tremplin rythmique). Si les occurrences de la P1 sont peu nombreuses, elles apparaissent donc en des lieux hautement stratégiques du sonnet, à savoir au niveau de la volta puis de la chute : l’ensemble du texte s’organise donc bien autour du sujet lyrique, épicentre du sonnet et, par ailleurs, foyer de perception (on relèvera à cet égard la présence du verbe voir au vers 14).
  • la mise en scène des allocutaires successifs :

-        les apostrophes en ouverture de Q1, Q2 et T2 sous la forme de syntagmes nominaux non déterminés et identifiés dans la situation d’énonciation poétique, et systématiquement pourvus d’expansions : les œuvres de l’architecture (Q1) puis de l’horticulture (Q2), T2 opérant une synthèse (hypéronyme « Lieux ») avant la démultiplication finale au vers 10. Les apostrophes installent en creux la présence vocale du sujet lyrique mais aussi, via la mise en place d’une topographie, sa situation spatiale : elles renvoient aussi bien aux destinataires du discours qu’à l’ici de l’énonciation.

-        la distribution de la P5 dans le corps du sonnet : d’abord sous forme du déterminant possessif comme relevé supra puis sous la forme du pronom personnel dans T2, trois fois répété dans l’espace resserré de seulement deux vers : la force illocutoire du discours repose ici sur l’effet conjugué de la répétition et de la concentration.

-        le statut de la P3 méritait d’être interrogé pour souligner cette adresse surprenante à des inanimés, là où le discours lyrique amoureux s’adresse généralement à l’être aimé. D’où l’adresse indirecte : de délocutés, la dame autant que le Roi dans Q1 peuvent être perçus comme les allocutaires principaux. 


  • L’organisation lexicale du texte

 

On attendait de l’étude lexicale qu’elle serve principalement :

-        à analyser les différents marqueurs de la subjectivité aussi bien dans l’éloge que dans l’expression retenue de la plainte amoureuse

-        à mettre en évidence la progression thématique du sonnet et les systèmes d’opposition qui le structurent.

 

  • la qualification adjectivale et le réseau substantival au service de l’éloge (Q1, Q2, T1). On pouvait attendre l’examen des points suivants : 

-        les adjectifs évaluatifs axiologiques (« beaux, superbes, digne, agréables, aimables »…) et non axiologiques (« grands »). Ce réseau adjectival euphorique fonde le discours épidictique, également porté par l’apostrophe lyrique.  

-        Il faut noter la simplicité du vocabulaire, le choix de la répétition plutôt que de la variété (anaphore et polyptote beau/beaux, polyptote ayez/ayez/avez en T2, répétition vois v. 14…). De même, on reste dans la généralité avec les substantifs « matière » et « ouvrages » : aucun luxe de détails, les bâtiments sont perçus dans leur globalité.

-        à quoi s’ajoute la rareté des tropes : on relève, outre la métonymie quasi lexicalisée de « cœur », les métaphores « peinture » et « démon », et « ombrages verts » qui peut être interprété comme métonymie (contiguïté de l’ombre avec les arbres verts) ou métalepse (arbres verts comme cause de l’ombre) ou encore comme hypallage. Dans tous les cas, se manifestent ici une clarté et épure stylistiques typiquement malherbiennes.

-        la simplicité n’amenuise pas la force de l’éloge. On relèvera à cet égard les substantifs évaluatifs à valeur hyperbolique (« miracles », « appas » ; superlatif « le plus digne ») et la détermination intensive « tant de ». La mélioration est aussi sensible dans les deux métaphores : « peinture » transforme le paysage en tableau, en ouvrage d’art (ce qu’il était déjà) – « démon » (sens premier : génie) rejoint l’hyperbole « miracles » : le tableau est si beau qu’il ne semble pas œuvre humaine.

-        l’isotopie temporelle (« éternelle », « hivers », « jamais », « toujours ») sert la négation du cycle temporel et signe la victoire de l’homme sur la nature.

 

  • La progression et les oppositions lexicales

-        à l’isotopie architecturale (« bâtiment », « structure », « ouvrages », « art ») succède l’isotopie du jardin (« parc », « jardin », « clôture », « fleurs », « ombrages », « verts »). Il s’agit d’associer le tout et les parties, le global et le détail, l’espace ouvert et l’espace clos. Le jury a apprécié les analyses en terme de relation partie / tout (c’est-à-dire méronyme / holonyme).  

-        L’éloge est fondé sur l’antithèse art/ nature qui parcourt le texte, avec l’idéal de maîtrise (« fait céder », « défend ») propre au classicisme. Cette opposition est remarquablement synthétisée au vers 4, l’antithèse étant renforcée par l’effet de symétrie, les substantifs « art » et « nature » étant tous deux placés en fin d’hémistiche, sous l’accent. L’antithèse se répercute sur l’axe non plus seulement syntagmatique mais aussi paradigmatique, à la faveur des associations des mots à la rime : « structure », « nature », « clôture », « peinture » : les œuvres de l’homme dominent clairement la nature.

-        Au lexique évaluatif euphorique s’oppose le lexique affectif dysphorique du vers 11 (« chagrine », « triste ») qui ouvre la plainte amoureuse du dernier tercet. 

-        Le sonnet s’organise autour d’une opposition entre une isotopie spatiale concrète et une isotopie sentimentale abstraite (humeur, chagrine, triste) : le mouvement général du poème fait passer de l’extérieur à l’intérieur, du paysage de l’art au paysage intime, brossé dans l’espace condensé d’un seul vers là où l’éloge de la topographie se déployait sur dix vers. Le contraste sert la pointe argumentative fondée sur le paradoxe (voir infra) mais on notera aussi la forte cohérence textuelle : de même que les lieux étaient présentés en leurs différents éléments constitutifs, de même le sujet lyrique se dissémine-t-il en ses divers attributs selon un partage entre l’intériorité (« humeur ») et l’extériorité (« visage »). Par ailleurs, le passage du paysage extérieur au paysage intérieur se fait sans heurts : l’évocation des réalités végétales à la suite des réalités architecturales introduit le topos du locus amoenus (travaillé par la main de l’homme) et coïncide avec l’irruption du lexique galant dans T1 (« cœurs », « aimables », « désirs », « plaisirs »).

 

  • L’organisation prosodique, rythmique et musicale du texte

Si le jury n’attend pas des candidats qu’ils soient spécialistes de prosodie, il ne semble pas excessif d’attendre d’eux qu’ils en connaissent les bases de façon à réfléchir aux formes codifiées du lyrisme poétique : l’énonciation lyrique, qui met en jeu la dimension vocale du poème, implique une attention particulière à sa facture rythmique et à sa texture musicale.  Aussi s’agissait-il d’être attentif :

-        au lyrisme musical 

-        à la cohérence et la mise en ordre formelles produites tant par l’euphonie (sonore et rythmique) que par la parfaite adéquation du mètre et de la syntaxe.

-        à la maîtrise formelle comme fondement d’un lyrisme contenu préférant la rétention à l’effusion, gage d’une victoire du travail poétique sur le désordre amoureux. 


  • On attendait au minimum une juste description de la forme du sonnet malherbien comme un sonnet :

-        en alexandrins

-        constitué de deux quatrains et de deux tercets

-        avec une stricte alternance de rimes féminines et masculines

-        le schéma rimique montre que l’on a affaire à un sonnet dit « Peletier » (ABBA-ABBA-CC-DEDE). On ne sanctionnera pas les candidats qui ignoreraient cette appellation mais on peut exiger d’eux qu’ils soient capables d’identifier la succession des quatrains à rimes embrassées, du distique à rimes plates et du quatrain à rimes croisées. Autrement dit, la maîtrise formelle de Malherbe se reconnaît dans le choix qu’il fait de la forme la plus contraignante du sonnet, celle qui manie les trois types de rimes.

 

  • Une étude plus attentive du schéma rimique devait permettre aux bons candidats de mettre en valeur les procédés d’enrichissement de la rime et, partant, tous les phénomènes qui concourent à la production d’un lyrisme musical et d’un réseau sémantique et sonore qui assure la très forte cohésion du poème et en font une chambre d’écho :

-        les rimes sont toutes riches à l’exception de la rime E (cependant redoublée, voir infra)

-        l’alternance des rimes n’empêche pas les effets de rappels : les rimes A, B et C sont liées par l’allitération en [r] ; les rimes C et D sont liées par l’assonance en [i] ; les rimes de T1 sont liées par l’inversion sonore [ir] / [ri] : « désirs, plaisir » / « triste »

-        bien que la rime E soit juste suffisante, elle est enrichie par l’allitération en [v] et l’assonance en [a], cette dernière étant en outre disséminée dans l’ensemble du sonnet (bâtiments, matière, ouvrages, roi, soit, miracles, art, parcs, jardins, etc.)

-        les effets d’homophonies finales sont encore renforcés par les homéotéleutes « agréable »/ « aimable », et « ouvrages » / « ombrages » / « visages », les léxèmes concernés étant en outre à chaque fois à la même position dans le vers.

-        À cela s’ajoutent les très nombreux effets sonores que l’on peut relever à l’échelle du sonnet en son entier (cf par exemple l’assonance généralisée en [a] relevée supra) ou dans l’espace clos d’un seul vers. S’il n’était pas difficile pour les candidats de relever assonances et allitérations, le jury a particulièrement apprécié les copies capables de prêter attention à la structure sonore d’un vers en particulier pour en montrer l’euphonie, par exemple :

v.1 « Beaux et grands bâtiments d’éternelle structure » → densité et cohésion sonore de chacun des deux hémistiches : H1 = allitération en [b] à l’initiale, assonance en [ã], le substantif « bâtiments » réalisant la synthèse sonore des deux adjectifs qui précèdent ; H2 = retour des dentales [d] et [t] et allitération en [r].

- l’harmonie sonore est encore assurée par l’amplitude rythmique produite par l’anaphore de « beau » et les nombreuses structures binaires tant au niveau d’un hémistiche ou que d’un vers entier : on relèvera à cet égard le rôle de la coordination, l’énergie du chiasme du v.2 (l’analyse étant cependant ambiguë, cf la question de morphosyntaxe) et la régularité de la césure à l’hémistiche distribuant harmonieusement les unités syntaxiques, cf infra

  • L’analyse proprement métrique – rappelons-le avec insistance − constitue un attendu minimal d’un commentaire stylistique d’un texte en vers : sans que l’on exige des analyses développées, il fallait au moins que les candidats, à un moment ou à un autre, s’essayent à une analyse rythmique de tel ou tel vers remarquable. Par exemple :

v. 4 : « Aux mira/cles de l’art // fait céder / la nature » :  sur un tel vers, il s’agissait d’identifier le rythme du tétramètre (3/3//3/3) en plaçant correctement les coupes, les accents pour ensuite procéder au décompte syllabique. 

  • La question de la concordance mètre/syntaxe : l’essentiel était de mettre en évidence l’équilibre et l’harmonie de l’ensemble, que ne troublent pas les quelques phénomènes de discordance, peu marqués, que l’on peut relever (le jury a été sensible aux copies qui avait identifié et commenté tel cas d’enjambements – voire de concordances différées - aux vers 5-6 et 7-8, ou encore l’enjambement strophique entre T1 et T2) :

-        si le sonnet est constitué d’une seule phrase, la ponctuation en fin de strophe en distingue nettement les différentes unités. S’il y a enjambement strophique entre T1 et T2, le débordement de la syntaxe hors du cadre strophique est atténué par la ponctuation forte (les deux points).

-        on attendait des remarques sur la parfaite adéquation entre les frontières strophiques et les frontières syntaxiques (pour le détail de l’organisation syntaxique du sonnet voir infra). Il faut en outre noter l’absence totale de rejets externes ou internes. De fait, la concordance mètre/syntaxe s’observe à l’échelle du vers puisque les segments syntaxiques et sémantiques se répartissent toujours harmonieusement de part et d’autre de la césure, chaque hémistiche formant ainsi une unité.  


  • L’organisation syntaxique et le mouvement argumentatif 


L’analyse de la structure prosodique du sonnet menée supra se devait d’être en étroite corrélation avec l’examen de son organisation logique et syntaxique. 

 

  • Il s’agit de mettre en évidence la rigueur de sa construction grammaticale pour en préciser  l’orientation argumentative. Sur ce point, on pouvait repérer : 

-        la structure asymétrique du sonnet, constitué d’une seule phrase, sur une cadence mineure : nous avons affaire à une période constituée d’une longue protase (Q1, Q2, T1) suivie d’une courte apodose (T2).

-        l’effet de suspens ainsi produit, mettant en valeur la volta et préparant efficacement la pointe finale.

-        la logique argumentative : celle d’un raisonnement a fortiori fondé en outre sur le renversement et le paradoxe = l’inefficience des beautés célébrées, destituées et frappées d’invisibilité dans la pointe finale (« je ne vois rien »), en totale contradiction avec les expansions descriptives des trois première strophes. 

 

  • Les meilleures copies ont été sensibles aux faits suivants :

-        le patron syntaxique général du sonnet :

Q1 : apostrophes + expansion

Q2 : apostrophes + expansion

T1 : apostrophes + expansion ; subordonnée en « si »

T2 : proposition principale + propositions coordonnées accompagnées de leurs subordonnées

-        La cadence mineure et la structure dilatoire mettent en valeur le concetto final. Le point de bascule est situé entre les deux tercets, l’effet d’attente et de surprise étant renforcé par l’enjambement strophique entre T1 et T2 qui dissocie la subordonnée (« si… ») de sa principale (« ce n’est point… »). La volta est donc préparée dès le vers 10, qui amorce le mouvement argumentatif à la faveur de la subordonnée : le fait que celle-ci commence en milieu de vers est remarquable, elle souligne le contraste et confère au distique à rimes plates son plein rôle de pivot du sonnet.

-        Remarquons que le si » n’est pas hypothétique : dans ce type de tournure où la subordonnée est reprise par un anaphorique (« ce »), dans un énoncé proche de la dislocation, la subordonnée en si thématise le contenu propositionnel (qui contient un présupposé), et la principale donne une cause (ici une cause inopérante). Le renversement est d’autant plus inattendu que Q1, Q2 et T1 donnent lieu à un éloge hyperbolique des perfections du paysage, ce mouvement ascendant se heurtant in fine à leur inefficience. L’effet de surprise et de contraste est encore renforcé aussi bien par la fréquence des tournures négatives dans T2, qui font suite à des strophes majoritairement affirmatives, que par l’adversatif « mais » suivi de la relative concessive « quoi que vous ayez » : le relatif indéfini reprend l’ensemble des éléments de l’éloge pour les annuler soudainement.

 

Plusieurs plans étaient possibles, et de fait, le jury en a accepté plusieurs, pourvu qu’ils soient cohérents et en conformité aussi bien avec le cadre imposé par le libellé du sujet qu’avec les codes de l’exercice. Pour un rappel des principes méthodologiques de base dont la méconnaissance est systématiquement pénalisée, on ne peut que renvoyer au rapport 2011 mais rappelons qu’un commentaire stylistique n’est pas un commentaire composé : le principe de l’exercice consiste à partir de l’observation et de l’analyse de faits formels pour aboutir à une interprétation (et non l’inverse). Le jury évalue les compétences techniques des candidats autant que leur sensibilité et leur attention au texte, lesquelles doivent manifester une compréhension de ses enjeux. On conseillera aux candidats d’éviter de rédiger entièrement leur commentaire (l’expérience montre que la tentation du commentaire composé n’est alors pas loin…) et on rappellera qu’ils doivent impérativement indiquer le titre des parties et sous-parties du commentaire, lesquelles doivent montrer en elles-mêmes que la démarche stylistique est comprise. Il ne s’agit pas pour autant de rédiger dans un style télégraphique – le jury ne saurait se contenter d’une succession de phrases nominales et encore moins d’une liste de mots-clés qui réduirait l’étude à un relevé sec de faits de style dépourvu de toute analyse, et qui, de fait, ferait fi de toute ambition interprétative. La lecture de certaines copies laisse à croire que, pour certains candidats, serait ‘stylistique’ un commentaire saturé d’un jargon technique plus ou moins maîtrisé. La maîtrise de la terminologie comme garante de la précision analytique est une chose, la cécité aux enjeux du texte camouflée sous un habillage technique en est une autre. Pour se tenir à distance de ces écueils, chaque sous-partie devrait ainsi contenir : un relevé de formes concourant à un effet / une identification précise de ces formes / et un commentaire permettant d’identifier leurs enjeux interprétatifs.

Précisons enfin que le jury sait fait la part entre ce qu’il considère comme des attendus tout à fait incontournables et les éléments d’analyse dont il ne sanctionne pas l’absence mais dont il sait généreusement valoriser la présence : comme dans tout concours, l’évaluation s’appuie certes sur des attentes pré-définies mais aussi sur une comparaison des copies. Aussi n’hésite-t-on pas à gratifier celles qui se détachent nettement des autres, que ce soit par la précision et la finesse des analyses, leur degré de précision technique, les compétences interprétatives des candidats ou leur capacité à tirer parti d’une contextualisation historique et esthétique du texte pour en examiner les particularités stylistiques. Sans même aller jusque là, nombre de candidats ont su manifester une véritable intelligence du texte, liée à une vraie capacité d’observation dont témoignaient un relevé et un commentaire pertinents des faits de style dominants. On ne peut qu’encourager les futurs candidats dans cette voie.  

 


[1] cendal : « étoffe de soie ».          

[2] esgarder :« décider, fixer ».      

[3] Voir la mise au point à ce sujet dans N. Fournier, Grammaire du français classique, p. 299-303. « Au XVIe et au début du XVIIe siècle, le participe peut être variable en genre et en nombre et s’accorder avec son support nominal ; son paradigme comporte ainsi des formes en -ant, -ans, héritées du latin, et les formes féminines analogiques du moyen français en -ante, antes. La situation va notablement évoluer au cours du XVIIe siècle, dans le sens d’une restriction morphologique et d’une progression vers l’invariabilité. Si le participe reste variable en nombre et si la forme -ants demeure très usuelle, la variation en genre est en forte régression dès la première moitié du XVIIe siècle… ».

[4] Ibid., p. 292-293.

[5] Définition de N. Catach, L’Orthographe française, p. 205 : « désinences graphiques supplémentaires qui s’ajoutent accessoirement aux mots selon les rencontres des parties du discours (marques de genre et de nombre, flexions verbales) ».

[6] Le syntagme est ainsi défini comme une séquence de mots formant une unité syntaxique établie à partir de 3 principes propres à la grammaire transformationnelle et distributionnelle : substitution, effacement, déplacement (voir GMF, p. 110-111.)

[7] Voir par exemple Bonnard, GLLF, qui souligne le fait que la catégorie de « syntagme prépositionnel », faite sur le modèle de celles de syntagme nominal et verbal, laisse accroire que préposition, nom et verbe jouent le même rôle au sein de ces syntagmes. 

[8] Voir N. Fournier, Grammaire du français classique, p. 49 : « le locatif est un complément du verbe être, prépositionnel (ce qui l’oppose à l’attribut) et essentiel (= non suppressible, ce qui l’oppose au circonstant), qui dénote une localisation spatio-temporelle ou notionnelle du sujet : Paul est à Paris, en Italie, en colère.

[9] Voir aussi Fournier, p. 306 (citant Le Goffic) : « Tout se passe comme si le syntagme détaché renvoyait davantage au contexte antérieur, à un topique déjà exprimé, qu’à la structure même de la phrase dans laquelle il se trouve lui-même placé. »

[10] Précisons que le texte proposé aux candidats provient d’une édition des Œuvres de Malherbe publiée en 1630 mais que notre sonnet fut publié dès 1608. Le roi dont le poète fait indirectement l’éloge est donc Henri IV et non pas Louis XIII, et encore moins Louis XIV comme l’ont affirmé certains candidats.