Épreuve de l’option « lettres modernes » :

étude grammaticale de textes de langue française

 

Rapport présenté par Sylvie Bazin, Michel Gailliard, Laetitia Gonon, Cécile Rochelois et Mathilde Vallespir

 

La seconde épreuve écrite d’admissibilité intitulée « étude grammaticale de textes de langue française » est propre à l’option B Lettres modernes et définie par l’arrêté du 19 avril 2013, paru au JO du 27 avril 2013, dont on rappellera ici les termes :

 

« L'épreuve permet d’évaluer les compétences en grammaire scolaire des candidats. Elle prend appui sur un dossier comportant au moins deux textes de langue française d’époques différentes (dont un de français médiéval) et un ou plusieurs documents caractérisant une situation d’enseignement et destiné(s) à servir d’appui à une mise en situation professionnelle des connaissances. Elle mobilise des compétences d’histoire de la langue, de français moderne ou contemporain et de stylistique.

L’épreuve se déroule en deux temps :

a)               le premier, noté sur 15 points, consiste en une étude grammaticale des textes du dossier, organisée en trois séries de questions : 1. histoire de la langue, 2. étude synchronique du texte de français moderne ou contemporain, 3. étude stylistique.

b)              le second, noté sur 5 points, invite le candidat à mobiliser ses connaissances grammaticales dans une perspective d’enseignement, en les inscrivant dans le cadre des programmes de collège et de lycée et en prenant appui sur les documents du dossier. Une question précisant le point de langue à traiter et le niveau d’enseignement oriente la réflexion pédagogique du candidat.

Durée : six heures ; coefficient : 1 »

 

Tout en s’inscrivant dans la continuité de la précédente, la nouvelle maquette du Capes de Lettres remodèle la seconde épreuve écrite à destination des candidats option Modernes d’une part en l’harmonisant avec le format de la première épreuve écrite, d’autre part en l’enrichissant d’une nouvelle question.

Comme la première épreuve écrite de composition française, cette seconde épreuve dure désormais 6 heures (et non plus 5 heures) et bénéficie du même poids dans l’admissibilité (coefficient 1). Le sujet se présente sous la forme d’un dossier : comme lors des sessions antérieures, un premier texte (Texte I) sert de support à une première série de questions en « Histoire de la langue » ; un second texte (Texte II) donne lieu d’une part à une « Etude synchronique du texte de français moderne ou contemporain » et d’autre part à une « Etude stylistique ». Enfin, et c’est cette fois la nouveauté du Capes 2014, « un ou plusieurs documents caractérisant une situation d’enseignement et destiné(s) à servir d’appui à une mise en situation professionnelle des connaissances » sont désormais constitutifs du dossier, et sont le support de la dernière et nouvelle question constituant le « second temps » de l’épreuve, et visant à une mise en perspective des savoirs grammaticaux.

Cette redéfinition de l’épreuve s’accompagne d’un remaniement du barème : chacune des quatre sous-parties de l’épreuve est affectée du même nombre de points (5 points). On ne saurait trop attirer l’attention des candidats sur ce fait qui devrait leur donner une première indication sur la gestion du temps limité de l’épreuve et l’importance, égale, à accorder respectivement à chacun des moments de l’épreuve. L’expérience montre que les meilleures copies sont celles qui ne font d’impasse sur aucune des questions : il ne faut donc sacrifier aucune au profit d’une ou plusieurs autres – dans la préparation au concours comme le jour de l’épreuve. Est-il nécessaire de rappeler que les candidats sont évalués globalement sur une épreuve qui constitue un tout, et qu’ils doivent montrer au jury qu’ils maîtrisent un certain nombre de compétences variées en langue française : c’est l’ensemble de ces compétences que les différentes questions permettent de tester et que l’on peut légitimement attendre d’un futur enseignant de français.

L’objet du présent rapport, au-delà de dresser un bilan de cette nouvelle épreuve lors de la session 2014, est donc d’en préciser l’esprit et les finalités, en particulier pour la dernière question, afin que les futurs candidats et leurs préparateurs soient armés pour aborder les prochaines sessions.

 

Devant lui vint la fille au roi Charlon.

Bien fu vestue d’un hermin pelison

Et par desore d’un vermoil syglaton.

Ou voit le conte, si l’a mis a raison :

« Sire, dist ele, je n’aimme se voz non.

En vostre lit une nuit me semoing,

Trestout mon cors voz metrai a bandon. »

Dist li cuens : « Damme, ci a grant mesprison. 

Ja voz demande li fors rois d’Arragon

Et d’Espolice Girars li fiuls Othon,

Qui mainne an ost plus de mil compaingnons.

la fille du roi Charles vint à sa rencontre.

Elle était bien vêtue d’une pelisse d’hermine

au-dessus d’un long manteau de soie rouge.

Lorsqu’elle vit le comte, elle s’adressa à lui :

« Seigneur, dit-elle, je n’aime que vous.

Je m’inviterai une nuit dans votre lit,

et je me donnerai totalement à vous. »

Le comte dit : « Madame, voici des propos blâmables.

Le puissant roi d’Aragon vous a déjà demandée en mariage,

ainsi que Girard d’Espolice, le fils d’Othon, 

qui conduit à la guerre plus de mille compagnons.

 

Commentaires

Le jury a apprécié les efforts pour fournir une traduction juste, pour rendre compte avec clarté du sens du texte, en tenant compte de sa construction syntaxique. L’incapacité à repérer les structures de base de l’ancien français a été pénalisée, en particulier les confusions causées par l’identification erronée d’un cas, d’un temps ou d’une personne verbale.

Avant de prendre le sens restreint de « faire descendre par le gosier », le verbe avaler signifiait « descendre, dévaler ». Le mélange du passé et du présent est caractéristique de l’emploi des temps en ancien français. En français moderne, il convient de choisir, l’essentiel étant d’harmoniser. La locution par desore de signifie « au-dessus de ». L’adverbe ou, placé devant le verbe veoir, introduit une proposition subordonnée de temps et exprime la concomitance du début des deux procès (veoir et metre a raison) ; cet emploi est caractéristique de la chanson de geste. L’adverbe si marque le début de la principale. Syglaton faisait l’objet d’une note. Lorsque la traduction d’une expression ou d’un vers figure en note, le candidat doit en tenir compte, en la reprenant telle quelle ou en l’adaptant légèrement. Le verbe semondre était ici conjugué à la première personne du présent de l’indicatif. On pouvait conserver ce temps ou rendre l’intention exprimée par la demoiselle par un futur. Se vos non est une tournure exceptive qui exclut l’élément encadré par se et non. L’expression metre a bandon, conjuguée ici à la première personne du futur a le sens de « livrer, abandonner » et mon cors ne renvoie pas au corps au sens moderne, mais à toute la personne. Li cuens est une forme de cas sujet singulier (le conte au cas régime singulier). La construction impersonnelle ci a, (littéralement « il y a ici ») pouvait être rendue par le présentatif « voici ». L’expression li fors rois d’Arragon, au cas sujet singulier, est le sujet postposé du verbe demande. Le substantif ost désigne couramment l’armée et en ost pouvait donc être traduit par « en campagne, à la guerre ».

 

La question de lexicologie associée à la traduction n’appelle pas nécessairement le développement d’une fiche lexicale complète. La capacité de sélectionner les informations les plus intéressantes est appréciée. Il suffisait ici de donner le sens de raison dans le texte, de signaler son origine et sa richesse sémantique, et d’indiquer que la locution verbale metre a raison a disparu, alors que subsiste le dérivé arraisonner, dans un sens technique.

Proposition de corrigé

Substantif féminin issu du latin ratione, raison était au Moyen Âge un terme d’une grande richesse sémantique, renvoyant à la fois aux notions de calcul, proportion, mesure et à celle de raisonnement et de logique. Son spectre sémantiques’enrichit au IIIe siècle, lorsque raison prend le sens de « discours » (champ sémantique de l’énonciation) et au VIe siècle, dans le domaine juridique, celui de « débat ».

On peut retenir quatre sens principaux qui témoignent de la remarquable polysémie de raison en ancien français :

  1. Le sens de « compte », apparu au XIIe siècle, se rencontre dans l’expression livre de raison pour désigner un livre de compte. On retrouve ce sens aujourd’hui à travers l’emprunt ratio.
  2. Le sens de « parole, discours », qui a influencé l’évolution du verbe raisnier (< rationare), « parler (avec quelqu’un) » et de ses dérivés. Aresnier (< *adrationare), refait en araisoner sur la base forte du verbe (présente à la B2 du présent de l’indicatif), signifie « adresser la parole à quelqu’un ». Quant au verbe deraisnier, également refait en déraisonner, comme son préfixe dé- marque le renforcement, la perfectibilité de l’action, il prend le sens de « expliquer, raconter ». Deraisnement, dérivé par suffixation de deraisnier, possède le sens de « discours, sermon ».
  3. Le sens de « justification, argument » est à l’origine de l’acception juridique du verbe deresnier/desrainier (« défendre en justice, revendiquer »).
  4. Comme dans la locution moderne avoir raison, le terme indique enfin la conformité avec une norme de vérité, la faculté de juger, le discernement ou la pensée. Le verbe desraisonner qui est employé à partir du XIIIe siècle avec le sens de « s’éloigner de la raison » est un dérivé du substantif desraison (« folie »), formé sur raison avec le préfixe privatif des-.

 

Dans le vers Si l’a mis a raison, metre a raison signifie « adresser la parole à quelqu’un, interpeller quelqu’un ». Cette expression n’est pas seule représentante du champ sémantique de la parole dans le passage : on pouvait noter la répétition de dire dans les incises et l’emploi de mesprison pour désigner des propos blâmables. La locution verbale metre a raison correspond au verbe dérivé arraisoner.

 

Après la période médiévale, les sens intellectuels (« explication, argument, faculté intellectuelle, proportion, rapport ») se sont maintenus et développés (d’où les expressions à plus forte raison, en raison de, en raison inverse). Les autres sens (énonciatif et juridique) ont disparu à partir du XIIIe siècle. Le dérivé arraisonner est resté uniquement dans le domaine maritime, dans le sens technique d’« inspecter un navire », « procéder à une visite d’un navire, « vérifier sa nationalité, sa provenance, sa destination, son chargement et particulièrement, en temps de paix, le nombre de passagers et l'état sanitaire du bord; en temps de guerre, même opération au large par un navire de guerre » (TLFi).

 

  1. Morphologie (1,5 point)

Donnez en ancien français les paradigmes complets correspondant à voit (vers 5) et doi (vers 20). Expliquez leur formation et leur évolution jusqu’au français moderne, du point de vue graphique et phonique.

Cette question permettait d’abord aux candidats de montrer leur connaissance des formes de l’ancien français en conjuguant deux verbes très courants au présent de l’indicatif. Une étude diachronique était également attendue et devait s’appuyer, comme le soulignait l’expression « d’un point de vue phonique et graphique », sur une analyse historique de la prononciation et des graphies de l’ancien français et du français moderne. La réflexion sur ces évolutions phoniques et graphiques était en effet indispensable pour étudier avec précision la formation du présent de l’indicatif et ses particularités dans la langue moderne. Le terme paradigme invitait les candidats à prendre en considération l’ensemble des personnes, et non pas seulement la personne présente dans le texte. Le jury a valorisé les réponses organisées et la précision des explications historiques à partir du latin.

Certains des éléments de réponse qui suivent étaient exigés en priorité, en particulier l’étude de l’alternance de bases commune à devoir et veoir en ancien français. L’ignorance de la base faible ve-, présente aux P4 (veons)et P5 (veez de l’indicatif présent), ainsi qu’à l’infinitif, était évidemment préjudiciable. Il était important de souligner que le verbe devoir a échappé à l’alignement sur la base forte, qui a eu lieu dans le cas de voir. On attendait aussi de futurs professeurs de lettres qu’ils sachent expliquer pourquoi le digramme -oi- se prononce aujourd’hui [wa], en mettant en relation cette graphie conservatrice avec l'évolution de la voyelle tonique depuis le latin ou au moins avec l’évolution phonétique de la diphtongue depuis le XIIe siècle.

Proposition de corrigé Introduction :

Les deux formes proposées sont conjuguées au présent de l’indicatif, à la troisième personne pour voit et à la première pour doi. La conjugaison française du présent est directement héritée du latin. Or la plupart des verbes latins présentent une opposition entre des formes fortes (accentuées sur la base) aux P1, 2, 3 et 6 et des formes faibles (accentuées sur la désinence) aux P4 et 5. La grande majorité des verbes français présentent la même structure accentuelle : quatre personnes fortes et deux personnes faibles. Comme l’évolution phonétique des voyelles est différente selon qu’elles sont ou non sous l’accent, cette opposition explique qu’en ancien français, de nombreux verbes se conjuguent sur deux bases distinctes, parfois même trois si la P1 est anomale. Au Moyen Âge, les verbes veoir et devoir font partie des verbes à deux bases au présent de l’indicatif. Cette alternance s’est maintenue pour devoir alors que le paradigme moderne de voir permet de constater qu’une uniformisation s’est produite.

 

Paradigmes :

veoir au présent de l’indicatif                    devoir au présent de l’indicatif

voi                                                                      doi

voiz/ vois    dois voit     doit veons     devons

veez/ veés                                                        devez/ devés voient                                               doivent

Pour certaines désinences, on rencontre différentes graphies (voiz/vois, veez/veés). Ces variantes ont toutes été acceptées.

        •    La formation

les bases des deux verbes

L’opposition entre une base atone aux P4 et 5 et une base tonique aux P1, 3 et 6 remonte aux paradigmes des verbes videre et debere, quiappartiennent à la deuxième conjugaison : 

vídeo, vídes, vídet, vidémus, vidétis, vídent débeo, débes, débet, debémus, debétis, débent

Dès le latin classique, l’accent est mobile : il se situe sur la voyelle du radical aux P1, 2, 3 et 6 et sur le [E] de la désinence personnelle aux P4 et 5.

L’évolution phonétique de la base tonique a conduit dans les formes fortes des deux verbes à l’apparition du digramme oi. Aux P2, 3 et 6, les voyelles toniques ï de vídet et E de débet, qui aboutissent toutes deux à la voyelle accentuée [É] au moment du bouleversement vocalique, ont subi au VIe siècle une diphtongaison spontanée française qui a produit la diphtongue [Éî]. Le cas de la P1 est différent dans la mesure où la diphtongaison de [É] a été entravée : dans vídeo et débeo, [ë] en hiatus s’est fermé en [y] dès le latin classique et a assimilé les consonnes [d] et [b] qui le précédaient. Lorsque le phonème palatal [yy] ainsi produit se simplifie et se vocalise en ] au VIIe

siècle, une diphtongue de coalescence [Éî] se forme.

La suite de l’évolution de la diphtongue [Éî] est semblable pour toutes les formes toniques. Au début du XIIe siècle, une différenciation donne [Œî] : le premier élément s’est distingué du second en se vélarisant et en s’ouvrant. L’évolution de la diphtongue se poursuit dans le courant du XIIe siècle par une assimilation réciproque d’aperture. Alors que le premier élément se ferme, le second s’ouvre, ce qui aboutit à [ùê]. Au moment où les diphtongues se simplifient, dans le courant du XIIIe siècle, l’accent bascule sur le deuxième élément plus ouvert et le second, désaccentué, se ferme en [w]. Cette semi-consonne exerce une influence ouvrante sur la voyelle qui suit, ce qui aboutit à [] puis []. Le digramme oi, commun à toutes les formes fortes des présents de l’indicatif de veoir et

devoir, est donc une graphie conservatrice,qui note la prononciation du début du XIIe siècle.

La voyelle initiale atone libre [ê] des formes faibles s’est en revanche affaiblie au XIe siècle en [é] central, noté par la lettre e dans les bases atones ve- et dev-.

 

Des informations complémentaires concernant l’évolution phonétique des bases à partir du latin pouvaient être apportées : 

-        pour le paradigme de veoir, le renforcement de [w] initial en [v], accompli dès le IIIe siècle, et

la spirantisation de [d] en position intervocalique, suivie de son effacement entre le IXe et le XIesiècle.

-        pour les formes de P4, 5 et 6 de devoir, la spirantisation de [b] en position intervocalique,

puis son renforcement en [v] en entourage palatal au IIIe siècle.

 

les désinences

Aux trois personnes du singulier, la voyelle finale s’amuït, laissant place à une désinence zéro à la P1, aux marques personnelles -s à la P2 et -t à la P3. La présence du graphème -z comme marque de P2 dans voiz correspond à la notation de l’affriquée [ts], son produit par la rencontre de la dentale intervocalique spirantisée [D] avec [s] désinentiel au moment de l’amuïssement de la voyelle finale (VIIesiècle). La simplification de cette affriquée est notée par la graphie concurrente vois.

Les désinences -ons et -ez ne résultent pas d’une évolution phonétique régulière de -émus et

-étis, mais d’une analogie avec les désinences de présent de l’indicatif des verbes du premier groupe. La graphie -és est également possible pour la désinence de P5 dans la mesure où l’affriquée notée par le graphème -z a tendance à se simplifier. À la P6, le maintien d’une voyelle d’appui [é]en position finale permet la conservation de -nt, d’abord dans la prononciation puis seulement dans la graphie.

 

        •    L’évolution de l’ancien français au français moderne

  les bases

Les fréquentes alternances entre bases fortes et bases faibles tendent à se raréfier à partir de 1300. Dans le cas de veoir, la base atone ve- s’est alignée sur la base tonique. Attestées dès le XIIIesiècle, les formes voions et voiez deviennent courantes à partir du XIVe siècle. Cette extension du radical fort touche les autres formes faibles du verbe, au participe présent et à l’imparfait.

Le recours aux graphies concurrentes voyons et voyez en moyen français peuvent s’expliquer par le développement d’un [y] de transition pour éviter un hiatus et par l’influence du subjonctif présent. La variante graphique voy se trouve aussi souvent à la P1, de même que doy.

Devoir fait partie des quelques verbes qui échappent à l’uniformisation (comme pouvoir, savoir ou vouloir) : il conserve ses deux bases doi(v)- et dev- en français moderne.

 

  les désinences

Lorsque les consonnes finales s’effacent de la prononciation, -s à la P2 et -t à la P3 deviennent des morphogrammes. Il en va de même au pluriel des graphies -z et -nt caractéristiques de la P5 et de la P6.

On observe en moyen français une tendance à ajouter le graphème -s à la P1 des verbes n’appartenant pas au premier groupe. Ce phénomène peut s’expliquer de plusieurs manières : par analogie avec la P2, ce qui permet d’opposer la désinence -t de la P3 au -s des P1 et 2, ou par analogie des conjugaisons qui étaient dotées de cette finale pour des raisons phonétiques depuis l’origine, comme puis ou les verbes du deuxième groupe.

Les formes à radical vocalique résistent plus longtemps à cette extension du -s et l’on rencontre encore au XVIIe siècle les graphies voy et doy. La lettre y était sans doute alors sentie comme un morphème de personne, ce qui a retardé l’apparition du -s analogique.

 

3- Syntaxe (1,5 point)

Étudiez les constructions la fille au roi Charlon (vers 2), li fiuls Othon (vers 11) et l’or de cest mont (vers 13 et 17).

 

Le sujet demandait aux candidats d’analyser les trois constructions dont dispose la langue médiévale pour la fonction de complément de nom (ou complément déterminatif) lorsqu’un groupe nominal GN2 est complément déterminatif d’un autre groupe nominal GN1 :

-        la construction directe, sans préposition (appelée parfois “cas régime absolu” car le GN2 est toujours au cas régime)

-        la construction prépositionnelle, soit avec la préposition a soitavec la préposition de suivie d’un substantif au cas régime.

Le jury a valorisé les copies qui, en plus d’une description exacte de ces trois constructions et des critères qui orientent le choix de l’une ou l’autre, proposaient une mise en perspective historique.

 

Proposition de corrigé

En latin classique, un cas spécifique, le génitif, permet d’exprimer la notion d’appartenance et la fonction de complément du nom : regis domus. Conformément à la tendance du latin qui privilégie “la ramification à gauche”, l’ordre est déterminant - déterminé (GN2 - GN1). Dans l’emploi attributif, le génitif entre en concurrence avec le datif : haec domus patris mei est / est patri meo domus. Par analogie avec cette construction, le datif concurrence le génitif en latin parlé pour l’expression du complément déterminatif et en bas-latin, deux autres constructions viennent concurrencer le génitif et sont à l’origine des constructions prépositionnelles françaises : ad + accusatif et de (origine / provenance) + ablatif. 

 

1- La construction sans préposition : GN1ØGN2

Appelée aussigroupe binominal non prépositionnel, c’est celle que l’on a dans li fiuls Othon

(v. 11) et on observe que Othon est la forme de cas régime (CS = Othes, comme Charles / Charlon, au v. 2).

Cette première construction est considérée comme la plus marquée car elle obéit à des contraintes précises, essentiellement d’ordre sémantique, que l’on peut regrouper ainsi :

1.1 La relation GN1 - GN2 doit exprimer un rapport de possession, qui peut être de parenté ou d’alliance, ou un rapport d’appartenance au sens étroit (partie du corps ou propriété matérielle) ou au sens large (abstrait) : la besoingne le roi. Cette relation doit aller du GN2 au GN1 : si on construit une phrase verbale personnelle avec les deux GN, le GN2 devient sujet : li fiuls Othon Othon a un fils. 

1.2 Le GN2 doit :

-  référer à un être humain ou à Dieu : la cort le roi, l’ostel Dieu ;

-  être déterminé, nom propre (référent unique) comme ici Othon ou nom commun précédé d’un déterminant défini ou possessif qui restreint l’extensité du référent à 1 (le, lor, vostre, son) : l’ostel vostre baron mais on dira filz a baron

-  être au singulier (pas d’occurrence de GN2 au pluriel), en revanche le GN1 peut être au pluriel ;  - renvoyer à un référent d’un rang social ou religieux élevé quand il ne s’agit pas d’un terme de parenté : l’ostel le roi, l’ostel son pere mais l’ostel au vilain.

 

1.3 L’ordre est toujours déterminé - déterminant (GN1 - GN2) conformément à la tendance du français à préférer la “ramification à droite”, excepté pour Dieu ou autrui : la Dieu merci, l’autrui avoir.

 

  1. La construction GN1 a GN2

On la rencontre dans le tour la fille au roi Charlon (v. 2) ; c’est le tour utilisé avec un GN2 animé humain, soit lorsque les conditions d’emploi du “cas régime absolu” ne sont pas remplies (GN2 indéterminé, pluriel ou référent marquant une situation sociale manquant de prestige : la vache au prestre), soit à la place de la construction non propositionnelle alors même que les conditions d’emploi de celle-ci sont remplies : on pourrait avoir ici la fille le roi Charlon.

 

  1. La construction GN1 de GN2

C’est la construction employée pour l’or de cest mont (v.13 et 17). 

Cette construction est courante avec un GN2 animé non humain (le cri del chien), avec un GN inanimé (mont ici), notamment un nom propre de lieu avec la valeur d’origine de la préposition de (le roiaume de Logres).

Elle apparaît également, avec un GN2 désignant un animé humain, lorsque les conditions d’emploi du tour non prépositionnel ne sont pas respectées, en particulier lorsque le GN2 est indéterminé ou au pluriel. Néanmoins, on la rencontre aussi alors que le tour non prépositionnel est possible : la chambre de la reïne concurrence la chambre la reïne et on trouve dès la Chanson de Roland le tour por la mort de Rollant.

 

Conclusion

Le tour sans préposition disparaît en MF, laissant quelques traces dans les noms de lieu (la ruedénommée de la ville l’évêque ou Pont-l’Evêque)ou dans quelques noms communs lexicalisés (hôtelDieu, Dieu merci ou Fête-Dieu). Le tour avec à est encore vivant dans la langue parlée populaire (la bagnole à mon voisin, la tête à Toto). C’est la construction avec de qui l’a emporté au XVIIe siècle, les grammairiens jugeant vulgaire et bas l’emploi de la préposition à (mais Ronsard écrit encore la fille au roy d’Asie). Cette construction avec de était la plus fréquente en AF et en MF puisqu’elle était utilisée chaque fois que le GN2 était porteur du sème inanimé.


Étude synchronique du texte de français moderne ou contemporain (5 points)

 

1. Orthographe (1,5 point) : étudiez la lettre s dans : certaines choses (l. 15), pourrais (l. 15), suis obligée (l. 19).

Intitulée depuis trois ans « Orthographe et morphologie », cette question apparaissait dans le sujet ordinaire de cette année sous la seule mention « Orthographe ». Cette variation de l’énoncé invite à envisager, pour les prochaines sessions, la possibilité de consignes orientant la réflexion uniquement sur la morphologie, uniquement sur l’orthographe comme c’était le cas cette année, ou bien liant les deux aspects, comme lors des années antérieures.

Les attendus cependant restent les mêmes : on se reportera donc aux rapports de 2011 et 2012. Rappelons simplement ici que l’orthographe et la morphologie lexicale sont primordiales pour l’apprentissage du français, de même que la maîtrise des outils et des systèmes permettant d’appréhender et d’étudier ces questions. Ainsi on continuera à exiger des candidats qu’ils maîtrisent les notions de phonogramme et morphogramme (voir le rapport de 2013, ainsi que l’ouvrage de référence sur cette question : Nina Catach, L’Orthographe française).

L’exercice doit prendre la forme d’une étude organisée reposant sur une perspective comparative, et ce à double titre : entre les formes orales et écrites, et entre les occurrences elles-mêmes. Font donc partie des attendus la transcription phonétique des occurrences soumises à l’étude (soit en API, soit en alphabet des romanistes), transcription trop souvent oubliée, ainsi qu’un développement synthétique et ordonné, précédé d’une brève introduction. Notons que la précision de la terminologie et des analyses compte bien davantage que la longueur des réflexions, parfois oiseuses chez certains candidats. Ont été ainsi pénalisées les copies qui ne présentaient aucune transcription phonétique ou listaient les remarques sur chaque occurrence sans adopter de perspective comparative.

Le jury a constaté que ces différents attendus étaient souvent bien connus des candidats, ce qui s’est traduit dans les copies par des développements satisfaisants, voire remarquables. Il y a donc lieu de se réjouir de la confirmation d’une dynamique d’amélioration notée l’an passé, et de souligner combien une préparation et un entraînement réguliers à cette question permettent d’en tirer, comme cette année, des réponses de grande qualité.

 

Il s’agissait d’étudier la lettre s dans certaines choses [sɛRtɛn(")ʃoz], pourrais [puRɛ] et suis obligée [sɥizobliʒe].

L’introduction pouvait faire ressortir la spécificité de la lettre s, graphème (unité minimale graphique) marquant le pluriel, et qui se caractérise à la fois par sa fréquence (en particulier en finale de mot : morphogramme grammatical) et par sa polyvalence. Il peut correspondre uniquement à la réalisation d’un phonème (s est alors un phonogramme, 1ère partie) ; mais il peut aussi ne pas se prononcer (sauf en cas de liaison) lorsqu’il est la marque finale de la flexion ou de la famille dérivationnelle (s est alors un morphogramme, 2e partie).

Le jury a accepté d’autres plans, pour autant qu’ils témoignent d’une perspective comparative, par exemple en opposant les réalisations phonétiques du s à son caractère uniquement graphique.

 

  1. La lettre s comme phonogramme

Le graphème s présente comme phonogramme deux réalisations phoniques possibles :

1.1.  Le s à l’initiale

Dans suis (indicatif présent P1 de être), le s à l’initiale se prononce [s], sa valeur de base.

1.2.  Le s intervocalique

C’est le cas du premier s dans choses : entre deux voyelles, le graphème s prend sa valeur de position [z] (casier, bise, etc.) : celle-ci est conditionnée par sa place dans le mot. On pouvait faire valoir que ce s intervocalique était étymologique (chose venant de causa en latin). 

Remarquons qu’à l’intervocalique, le digramme (graphème complexe) ss peut transcrire le son [s].

 

  1. La lettre s comme morphogramme grammatical

Le morphogramme apporte une autre information que le son associé au graphème. On distingue le morphogramme lexical (par exemple le s dans bas > basse, bassesse) du morphogramme grammatical (celui qui marque le genre, le nombre, la personne) : seul ce dernier cas est ici représenté.

2.1.  Le s marque du pluriel

C’est le pluriel régulier des déterminants, noms, adjectifs et de certains pronoms : pour le déterminant indéfini certaines, le –e est la marque de l’accord au féminin (genre), le –s la marque de l’accord au pluriel (nombre). Ce morphogramme grammatical –s ne se prononce pas devant consonne, donc ni à la fin de certaines ni à la fin de choses (valeur zéro : lettre muette).

2.2.  Le –s dans la désinence verbale

–   Dans pourrais, le –s est le morphogramme grammatical de la P1 et de la P2, identiques au conditionnel présent. Si le –s ne se prononce pas en français moderne (il est purement graphique, sauf en cas de liaison), en revanche il permet de différencier, à l’écrit, la P1 du futur et celle du conditionnel présent. Il influe également, dans un oral châtié, sur la prononciation du phonème qui précède : on oppose  le futur pourrai [puRe] au conditionnel présent pourrais [puRɛ] (même distinction pour le passé simple et l’imparfait à la P1 des verbes du 1er groupe : chantai / chantais). Dans ce cas on pourra parler de valeur diacritique ou auxiliaire du s (il influe sur la prononciation de –ai).

–   Dans suis, le –s final appartient à la désinence de la P1 de ce verbe irrégulier (je descends, je cours…) ; on pouvait noter que ce s apparaît en ancien français par analogie avec la P2. Il se réalise phoniquement en finale de mot devant voyelle, à l’intérieur du groupe verbal (auxiliaire et participe passé, présent de l’indicatif passif) ; ce s de liaison a toujours la valeur de position [z].

Dans la mesure où il se prononce, ce morphogramme a ici également la valeur d’un phonogramme ; on peut appeler ce s morphogramme « clignotant », car il est tantôt prononcé, tantôt muet. Le jury a également valorisé l’analyse de ce suis comme logogramme grammatical (permettant la distinction graphique des homophones) puisque la forme verbale suis se distingue à l’écrit de suit ou suie.

 

 

2. Lexicologie (1 point) : étudiez, du point de vue morphologique uniquement, les mots maladroit (l. 31) et dénouement (l. 32).

 

La question de lexicologie cette année portait uniquement sur la morphologie, et non sur une étude de mot complète, impliquant morphologie et sémantique lexicales, comme c’est depuis longtemps l’usage au CAPES ; c’était là l’une des possibilités ouvertes par le précédent rapport. Certains candidats cependant, sans tenir compte de l’énoncé, ont procédé à une étude traditionnelle (morphologique et sémantique) des mots soumis à l’étude ; rappelons simplement combien la lecture et la compréhension des consignes importent pour de futurs enseignants qui doivent maîtriser des connaissances et des méthodes acquises durant leurs études, mais aussi être capables d’analyse et de recul critique sur les sujets et les situations auxquels ils sont confrontés.

Pour autant, il ne faudra pas délaisser dans les années à venir l’étude de la sémantique lexicale : comme dans le cas du premier exercice, les intitulés des prochaines sessions pourront inviter à adopter un point de vue restreint à la morphologie ou, éventuellement, à la sémantique, ou encore un point de vue global alliant les deux perspectives (en distinguant toujours, pour la sémantique lexicale, sens en langue et sens en cotexte). Rappelons également, comme l’annonçait le rapport 2013, que les connaissances des candidats pourront être évaluées sur une question de synthèse (par exemple, étudiez la dérivation à telle ligne, l’antonymie dans tel passage, les mots construits dans telle expression). La compétence lexicologique attendue reste ainsi identique à celle des sessions antérieures, et on se reportera toujours avec profit aux rapports qui en rendent compte.

Du point de vue morphologique uniquement, l’étude implique bien entendu des informations sur l’identité du mot (catégorie grammaticale) et sa fonction dans la phrase, puis s’intéresse à l’analyse en morphèmes (pour les mots complexes construits), et en morphèmes et formants / pseudo-morphèmes (pour les mots complexes non construits : le sens alors n’est plus strictement compositionnel) – les mots simples étant inanalysables. Attention : le morphème se définissant comme « unité minimale de sens », l’analyse morphologique ne peut faire l’économie de remarques sur le sens de ces unités et sur ce qu’on appelle justement le « sens construit ». On attendait cette année une identification et une justification précises de la formation des mots construits.

 

MALADROIT, L.31 (0,5 point)

Maladroit [maladRwa] est ici un substantif masculin singulier, actualisé par l’article indéfini « un » avec lequel il forme un GN, attribut du sujet « Mon frère ».

C’est un mot complexe construit : il est formé par composition de l’adverbe mal et de l’adjectif adroit, adroite. La marque de la composition est ici la soudure graphique (le tiret apparaît dans mal-être ou mal-aimé par exemple, deux autres mots composés avec mal). L’adjectif maladroit devient un substantif par conversion ou dérivation impropre : il est en emploi nominal dans le texte. Notons qu’il existe un dérivé adverbial, maladroitement.

Alors même que le mot maladroit est un cas prototypique de composition, trop de candidats en ont fait simplement un mot construit par dérivation préfixale, sans justifier cette proposition. On estime en effet qu’il s’agit d’une composition dans la mesure où mal est un morphème libre ; en revanche dé- ou in- sont plutôt des morphèmes liés qui n’ont pas la même autonomie. Le jury a valorisé la problématisation entre composition et préfixation à partir de ce cas, mais a noté des confusions importantes sur ces phénomènes de formation lexicale : il est tout à fait contradictoire par exemple de parler de « mot composé formé par dérivation affixale ». Les candidats sont tenus de connaître ces termes, mais également de savoir en user avec rigueur et pertinence.

Le jury attendait pour finir un commentaire sur l’adverbe mal, productif de mots composés ; il inverse le sens du mot qu’il précède, sur le même modèle que malheureux, malappris, malpropre, malvenu, etc. Il est souvent rapproché pour cette raison des préfixes à valeur négative ou privative in-, dé-, mé-. On a valorisé le cas échéant les remarques sur adroit, dérivé préfixal anciende droit (du latin classique directus).

 

DENOUEMENT, L.32 (0,5 point)

Le substantif masculin dénouement [denumã] est ici utilisé au singulier ; il est actualisé par le déterminant exclamatif « quel » et forme avec lui une phrase nominale exclamative.

C’est un mot complexe construit par dérivation affixale cumulative : le verbe nouer donne par dérivation préfixale dénouer ; le préfixe dé- (du latin dis-) exprime la privation, la négation, ou l’état / l’action contraire. Le verbe dénouer donne dénouement par dérivation suffixale : le suffixe nominalisant –(e)ment permet ainsi de changer de catégorie grammaticale ; il forme des noms abstraits d’action (comme débarquer > débarquement, manier > maniement), désignant l’action dénotée par le verbe, ou le résultat de cette action (d’où le sens construit de dénouement « action de dénouer » / « résultat de cette action » ; le substantif masculin nouement est d’un emploi rare). Certains candidats ont confondu ce suffixe nominalisant avec le suffixe formateur d’adverbes -ment alors même que le mot soumis à l’étude n’était pas un adverbe. Rappelons donc que le suffixe nominalisateur (e)ment que l’on trouve dans dénouement vient du suffixe latin -(a)mentum, tandis que le suffixe adverbial -ment est, lui, issu de l’ablatif latin mente.

Le jury a valorisé les considérations sur nouer, du latin nodare, lui-même dérivé de nodus qui a donné nœud, appartenant à la même famille. Notons également que le deuxième e de dénouement reste muet : on a ainsi pu écrire dénoûment.

 

 

3. Morphosyntaxe (2,5 points) : étudiez les propositions subordonnées depuis « Vous avez bien peur » (l. 23) jusqu’à « m’arrête » (l. 33).

 

 La question de morphosyntaxe n’a pas changé avec les nouvelles épreuves, et on renverra donc aux rapports précédents, qui en explicitent les attendus. Insistons ici sur l’importance de la définition de la notion dans l’introduction, et sur les éventuels problèmes que pose la délimitation du sujet. Celui de cette année était des plus classiques : l’étude des propositions subordonnées est, à l’écrit comme à l’oral du concours, une question incontournable, inscrite aux programmes de l’enseignement secondaire dès la classe de 5e. Le jury a pourtant rencontré, dans certaines copies ne parvenant pas à identifier les différentes classes de subordonnées, des confusions rédhibitoires ; il est à ce titre regrettable de ne pas faire preuve d’un savoir que l’on prétend enseigner, et l’on ne répétera jamais assez combien il importe de bien fixer des critères pertinents et précis pour l’analyse grammaticale.

 Il n’est pas non plus possible de se contenter, pour cette question, d’un simple relevé non commenté des occurrences, qui a été systématiquement pénalisé : le jury a en effet noté le caractère souvent incomplet des études et a pénalisé de même les études linéaires ou insuffisamment organisées. Il a valorisé en revanche les copies s’efforçant de justifier leurs analyses par différents tests, ainsi que les efforts pour discuter, nuancer ou préciser l’étude des occurrences. Le jury a également apprécié certains commentaires sur le mode employé dans la proposition subordonnée.

Le nombre d’occurrences dans le texte était assez restreint : on pouvait analyser dix cas, dont un à discuter. La difficulté de la question, très canonique comme on l’a dit, venait justement d’emplois parfois peu canoniques de subordonnées complétives et relatives dans l’extrait : leur identification cependant ne posait pas de problème majeur.

Le plan que nous proposons distingue, comme l’ont fait de très nombreux candidats, les subordonnées complétives, relatives et circonstancielles; d’autres plans ont été acceptés, pour autant qu’ils justifient clairement et de façon pertinente leur classification.

 

La subordination est l’une des propriétés syntaxiques de la phrase complexe, c’est-à-dire de la phrase qui comporte plus d’une proposition. Contrairement à la juxtaposition et à la coordination qui relient des propositions mises sur le même plan syntaxique, la subordination établit un rapport asymétrique de hiérarchie entre une proposition principale (ou régissante, ou matrice) et une proposition subordonnée (ou régie, ou enchâssée) qui dépend de la première. La proposition subordonnée est donc incluse dans la phrase complexe, au sein de laquelle elle joue le rôle d’un constituant. On notera que ces définitions, attendues, doivent aussi être intimement comprises dans leurs implications pour l’analyse.

La nature, voire la fonction, du mot subordonnant (s’il existe) qui introduit la proposition subordonnée (ou sous-phrase chez Le Goffic) détermine la nature et le fonctionnement de cette même proposition : cette dimension a trop souvent été omise, de même que la fonction grammaticale des subordonnées dans la phrase complexe.

 

  1. Les propositions subordonnées complétives

                  1.1. Les complétives conjonctives pures

Elles sont introduites par que conjonction de subordination, qui n’a pas de fonction syntaxique : il permet seulement l’enchâssement et la démarcation (on parle aussi de que nominalisateur : la proposition qu’il introduit est apte à fonctionner comme un GN dans la phrase).

–   La subordonnée complétive « que je ne change d’avis » (l. 23) est COIde la locution verbale avoir peur. La construction indirecte de la subordonnée est manifeste dans la pronominalisation : j’en ai peur ; elle peut commuter avec un groupe nominal prépositionnel de même fonction : avoir peur du changement.La locution verbale avoir peur (où avoir est verbe support) entraîne, du fait de son sémantisme (comme craindre), l’emploi du subjonctif dans la subordonnée.

–   La complétive « qu’il revient » (l. 32) est la suite d’une forme impersonnelle, « il me semble ». Dans ce type de construction, le verbe de la complétive est généralement au subjonctif ; ici la présence du complément indirect (« me »)du verbe de la principale entraîne de préférence l’indicatif.

–   La complétive « qu’il partît » dans « Il serait pourtant bien singulier qu’il partît » (l. 29) forme le constituant postverbal de la construction impersonnelle attributive il est singulier. Cette construction peut être dérivée d’une construction personnelle où la subordonnée occuperait alors la fonction sujet : Qu’il partît serait pourtant bien singulier (d’où, en grammaire traditionnelle, l’appellation « sujet réel », vs celle de « sujet apparent » attribuée au il impersonnel : il jaillissait du pétrole / du pétrole jaillissait) ;on parle aussi, en grammaire moderne, d’extraposition ou de sujet extraposé. Le mode le plus fréquent dans cette constructionest le subjonctif, appelé par l’adjectif appréciatif qui caractérise la subordonnée.

                  1.2. Une interrogative indirecte

–   « si je tourne la tête » (l. 28) est COD du verbe « il regarde ». C’est une subordonnée interrogative indirecte qui exprime l’interrogation totale et laisse la question ouverte (la conjonction de subordination si est alors « l’équivalent interrogatif de que », ajoutant aux propriétés de celui-ci l’indication du caractère interrogatif de la subordonnée, Grammaire méthodique du français 2009, p.788) ; on peut l’appeler percontative (Le Goffic 1994, §23 et §187). Attention à une confusion trop fréquente chez les candidats, qui tendent à faire de tout si l’introducteur d’une hypothèse : plusieurs ont ainsi classé cette subordonnée dans les circonstancielles hypothétiques, confondant deux emplois ; dans notre cas la subordonnée est un COD régulier du verbe de la principale, dans le second cas ce serait un complément circonstanciel.

 

2. Les propositions subordonnées relatives

Aucune des deux relatives de l’extrait n’était une relative adjective canonique, et ces occurrences méritaient des commentaires précis. On regrette plus largement que les fonctions du pronom relatif aient été si peu évoquées.

–   « tout ce que j’ai fait » (l. 29) est une subordonnée relative périphrastique, introduite par la locution pronominale (tout) ce que ; elle peut commuter avec un GN ou un pronom et formeavec la préposition après un circonstant. On considérera soit ce que comme une locution pronominale (pronom complexe, ou pronom décumulatif) ; soit que le pronom démonstratif ce autonomeest l’antécédent, au référent flou (il est généralisant et non anaphorique), d’un pronom relatif qu’, COD du verbe ai fait

–   « qui est fini » (l. 29-30) : le présentatif voilà est suivi d’unesubordonnée relative substantiveindéfinie, qui est complément du présentatif ; ici qui désigne un inanimé (la GMF donne l’exemple Voilà qui est intéressant, pour faire pendant à Voilà de quoi il est capable, 2014, p. 817). Cette proposition est introduite par le pronom relatif qui sans antécédent, à valeur indéfinie, et sujet du verbe est fini. Mais, pour aller plus loin, si l’on considère que les relatives substantives commençant par qui (ou relatives intégratives pronominales en qui chez Le Goffic) se limitent à des survivances (dans des emplois figés du type Qui dort dîne), on pourrait s’interroger sur la syntaxe du présentatif et le fonctionnement de cette relative : voilà peut en effet se construire avec un objet et un attribut de l’objet, sur le modèle de Voilà Paul qui arrive / Le voilà qui arrive. La relative pourrait ainsi être prédicative, et le COD de voilà serait implicite : Voilà [tout ceci] qui est fini.

 

  1. Les propositions subordonnées circonstancielles

3.1. Circonstancielles décrivant une situation

–   « afin qu’il m’arrête » (l. 33) est une subordonnée circonstancielle de but (ou finale) ; elle est introduite par la locution conjonctive afin que, qui donne sa coloration circonstancielle à la proposition et impose l’emploi du subjonctif dans la subordonnée. On peut déplacer et supprimer cette subordonnée : elle assume typiquement la fonction de circonstant, complément de phrase.

–   « S’il part » (l. 27) est une subordonnée circonstancielle hypothétique (fonction circonstant), introduite par la conjonction de subordination si. Le présent de l’indicatif, suivi du futur dans l’une des principales, traduit un potentiel (un événement envisagé comme possible ou probable).

3.2. Système corrélatif comparatif

Dans la phrase « Je n’ai pas tant de pouvoir sur lui que je le croyais » (l. 30), la subordonnée circonstancielle comparative (comparaison d’égalité niée) est introduite par la conjonction de subordination que (ou, pour Le Goffic, emploi intégratif de l’adverbe que : §286) et appelée par le déterminant quantificateur tant de. Le jury attendait l’explication de la corrélation conjonctive.

Cette subordonnée ne peut donc pas être déplacée et elle est toujours postposée, comme toutes les subordonnées construites en corrélation : à ce titre elle ne vérifie pas les propriétés prototypiques du circonstant. On a valorisé les copies interrogeant la fonction de la subordonnée, circonstant de comparaison (donc constituant de phrase, voir Le Goffic §286), ou complément du comparatif (donc constituant secondaire, voir GMF 2014, p. 624).

 

4. Le cas de la proposition infinitive

Le traitement des infinitifs peut être interrogé : la GMF classe en effet dans les complétives les groupes infinitifs, établissant une mise en relation de ces syntagmes dont la tête est un infinitif avec une structure conjonctive, quand ces groupes infinitifs assument les mêmes fonctions que les autres complétives (2014, p. 829-831).

Le jury a valorisé les réflexions pertinentes qui accompagnaient l’étude de la didascalie « Elle le regarde aller » (l. 27-28) rapportée à une « proposition infinitive ». En effet le verbe de perception regarde est suivi d’un infinitif construit directement, aller, pourvu d’un contrôleur autonome le (pronom personnel de forme complément), distinct du sujet du verbe recteur (elle regarde) : ce sont les conditions requises en grammaire traditionnelle pour identifier une proposition subordonnée infinitive, assumant globalement la fonction COD du verbe regarder. Dans ce cas, la subordination est marquée par le seul mode du verbe, en l’absence de tout mot subordonnant.

Deux remarques cependant : d’une part cette occurrence n’est pas tout à fait canonique, dans la mesure où la grammaire traditionnelle justifie généralement l’identification d’une proposition infinitive par la possibilité d’une substitution avec une complétive conjonctive en que (je vois les enfants courir > je vois que les enfants courent), ici impossible (*Elle regarde qu’il va). D’autre part l’appellation de « proposition infinitive » est discutée (GMF 2014, p. 832-833 ; Le Goffic en fait une construction à deux compléments directs, qu’il rapproche de la construction objet – attribut de l’objet : §192).

 

Étude stylistique du texte de français moderne ou contemporain (5 points)

« Vous ferez une étude stylistique du texte en insistant sur l’implicite et l’enchaînement des répliques ».

 

L’intitulé comme les attendus de l’étude stylistique restent inchangés dans cette nouvelle épreuve écrite : les candidats sont donc invités à se reporter avec profit aux rapports des années précédentes, en particulier concernant la méthodologie. La modification du barème masque en réalité la continuité de la place accordée à la stylistique au sein de cette épreuve : comme dans sa version précédente, la gestion du temps est essentielle et il importe de consacrer au moins une heure et demie au traitement de cette question.

L’étude stylistique du Texte II portait cette année sur l’avant-dernière scène (acte III, scène 8) de la pièce de Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard, texte qui a paru connu de la majorité des candidats. Si les enjeux du texte ont été assez globalement compris, c’est l’analyse de ses ressorts linguistiques qui était attendue ici. L’objet de l’étude stylistique est en effet de proposer une analyse précise et technique de l’extrait, guidée par l’intitulé de la question et orientée selon une interprétation du texte qui prenne en compte ses déterminations diverses (essentiellement génériques, typologiques et situationnelles, plus largement historiques et esthétiques) – l’orientation interprétative étant elle-même largement induite par la question posée. La problématique proposée dans l’introduction du commentaire a pour vocation d’expliciter l’articulation existant entre ces différents aspects (analytiques et interprétatifs).

 

Éléments de problématisation

 

La question posée donnait comme entrée à privilégier (comme le suggère « en insistant sur ») un élément portant sur le contenu du discours : « l’implicite », et un autre sur la forme dialogale[1] du texte : « l’enchaînement des répliques », double entrée par laquelle on invitait le candidat à réfléchir au détail de la facture du texte. Cette question impliquait donc un traitement pragmatique et technique de la scène (et non psychologique), engageant une forme propre au genre théâtral, et même visant le genre dans sa spécificité pragmatique.

 

L’implicite

Si la notion a paru dérouter certains candidats, il n’est pas inutile de rappeler qu’elle figure en toutes lettres dans les programmes d’enseignement du secondaire, en 3ème dans le cadre de l’initiation à la grammaire de l’énonciation ainsi (JO du 28.08.2008) ; et à nouveau en 1re dans le cadre de l’étude de la langue au lycée (« au niveau du discours, la réflexion sur les situations d’énonciation, sur la modalisation et sur la dimension pragmatique est développée, dans le but de favoriser la compréhension de l’implicite, des enjeux et des interactions dans toute forme de communication », JO du 28.08.2010) ; elle est aussi recensée dans la Terminologie grammaticale de 1997. Du reste, nombre de copies ont manifesté au contraire une connaissance, certes plus ou moins fine et maîtrisée, de la notion et des définitions que l’on rappellera ci-dessous.

 

La question appelait en effet la définition de l’implicite, théorisé par C. Kerbrat-Orecchioni (L’implicite, Paris, Colin, 1986) :

  1. L’implicite est à opposer à l’explicite : si parler explicitement suppose « dire quelque chose » [« to tell something »], parler implicitement, c’est « faire penser quelque chose à quelqu’un » [« to get someone to think something »] (Grice, cité par C. Kerbrat-Orecchioni, op. cit., p. 21).
  2. Au-delà, la sphère de l’implicite suppose la distinction entre présupposés et sous-entendus : – Le présupposé est linguistiquement déterminé : « Nous considérons comme présupposées toutes les informations qui, sans être ouvertement posées (i.e. sans constituer en principe le véritable objet du message à transmettre), sont cependant automatiquement entraînées par la formulation de l’énoncé, dans lequel elles se trouvent intrinsèquement inscrites, quelle que soit la spécificité du cadre énonciatif » (op. cit., p. 25).

– Il s’oppose au sous-entendu, de son côté contextuellement déterminé, et non pas linguistiquement. Ainsi, la classe des sous-entendus « englobe toutes les informations qui sont susceptibles d’être véhiculées par un énoncé donné mais dont l’actualisation reste tributaire de certaines particularités du contexte énonciatif » (op. cit., p. 39).

c. L’implicite, contrairement à l’explicite, qui suppose que l’on accède directement à l’information véhiculée par le message, implique un « calcul » interprétatif, c’est-à-dire la fabrication d’inférences pour parvenir à la signification du message. Il prend la forme de ce que C. Kerbrat-Orecchioni appelle les « tropes » illocutoires, implicitatifs, présuppositionnels et mettant en cause un sous-entendu, (voir op. cit., p. 107 et suite), i.e. des actes de langage indirects.

Ceci suppose donc de bien distinguer les différents types d’actes réalisés par le langage, actes locutoires, illocutoires et perlocutoires (voir par exemple GMF 2009, p. 983-984).

 

Concernant l’implicite, l’objet de l’investigation était donc de déterminer ce qui relevait de cette sphère dans le dialogue de l’extrait, de l’analyser et d’en décrire le fonctionnement. Il s’agissait donc de décrire les ressorts de cette interaction verbale, d’identifier les tropes illocutoires qu’il comporte, et de les analyser, en s’appuyant pour ce faire sur la succession des répliques, qui permettait de saisir la scène dans sa dynamique.

 

Réflexion problématique sur le passage

L’orientation pragmatique de la question invitait le candidat à partir d’une caractérisation de la situation en termes énonciatifs, fondée sur la caractérisation du théâtre comme double énonciation.

Le chapeau introductif (lequel devait aider les candidats à dégager la problématique de la scène) peut être reformulé dans cette perspective. Ainsi, du fait de la caractérisation de l’énonciation théâtrale comme « double énonciation », qui suppose que le discours théâtral admet une double adresse (l’acteur s’adressant au public, quand le personnage s’adresse à d’autres personnages), la situation de la scène peut être reformulée en termes de décalage entre les savoirs ou « compétences encyclopédiques » (L’Implicite, p. 162) des deux personnages en scène. Silvia en sait plus que Dorante, celui-ci lui ayant avoué son identité (voir II, 12 : « C’est moi qui suis Dorante ») ; elle dispose donc des mêmes connaissances que les spectateurs. Au contraire, Dorante en sait moins que Silvia et que le spectateur, Silvia ayant décidé de poursuivre le jeu (voir II, 12 : « Cachons-lui qui je suis… »). Ce décalage est à l’origine de la saveur de la scène pour le spectateur. Il ménage ainsi des effets de connivence entre Silvia et ce dernier, cette connivence se manifestant par les apartés, prêtés seulement à Silvia dans cette scène (voir l. 3 : « ce n’est pas là mon compte » et la fin de l’extrait, l. 26 à 34).

Une telle dissymétrie entre le savoir des personnages, associée aux conventions sociales, donne lieu à un réglage différent de la parole de chacun des personnages en scène. Que Dorante prenne Silvia pour Lisette, et donc pour une servante, induit l’impossibilité d’avouer sa flamme à cette dernière, cette inclination étant socialement inconvenante et ne pouvant donner lieu qu’à une mésalliance. Il ne peut donc lui avouer ses sentiments, et s’il souhaite le faire, cet aveu ne peut prendre qu’une forme détournée. La dimension indirecte de l’aveu de Dorante est ainsi programmée par la situation pragmatique du dialogue. Au contraire, de son côté, Silvia connaissant leur adéquation sociale, souhaite cet aveu ; mais son identité de femme (et son orgueil, élément psychologique déterminé par son sexe et sa situation sociale) lui interdit de s’y livrer elle-même.

 

Dans ce cadre, l’enjeu de la scène – présenté dans la dernière phrase du chapeau introductif : « Silvia tente alors de le contraindre à se déclarer sans révéler sa propre identité » –, suppose une forte tension pragmatique. Celle-ci induit une tension dramatique qui est ici à son comble : la scène se situe en effet à la fin de la pièce (c’est l’avant-dernière scène du dernier acte), et l’aveu des sentiments de Dorante ou son départ conditionnent la fin de la pièce, vouée ainsi à se solder soit par la réunion des amants, soit par leur séparation. On notera que genre comique réduit toutefois ce suspens en programmant une fin heureuse, qui n’arrivera cependant qu’à la toute fin de la pièce, amenée par la fin de cette scène 8, qui se clôt sur la réplique de Silvia : « Que d’amour ! ».

Cette tension tient ainsi pour une grande part dans la non-concordance entre le sens donné par un personnage à son discours et le sens tel qu’il est reçu par son allocutaire : cette nonconcordance donne lieu au qui pro quo conversationnel qui mine l’échange verbal.

Cette situation pragmatique détermine à son tour la dimension kinésique/proxémique du passage : les mouvements de rapprochement et d’éloignement des personnages sur scène dépendent de l’efficacité ou non de la stratégie de Silvia en particulier (l. 25 : « Il s’en va » : le mouvement de Dorante signe l’échec de la tentative de Silvia de faire avouer à Dorante son amour, comme le souligne l’exclamation « Quel dénouement ! » (l. 32) : la pièce de Silvia s’achève mal), avant le retournement final : « il me semble qu’il revient »).

 

Étaient donc attendues, pour l’introduction et la problématique guidant l’étude :

–          d’une part, une définition des notions du sujet, en particulier de l’implicite, ainsi qu’une articulation problématisée entre implicite et enchaînement des répliques (par exemple à partir de la notion de progression ou de dynamique, du couple fonctionnement / dysfonctionnement de l’échange verbal, de la dissymétrie du rapport entre les deux partenaires de l’échange, des stratégies discursives des personnages…). Le jury a donc pénalisé l’absence d’effort de définition, l’oubli d’une des notions ainsi que l’absence d’articulation entre les deux. Il a en revanche valorisé toute définition précise, en particulier la référence maîtrisée à Kerbrat-Orecchioni (ou à Ubersfeld), voire à Grice, cette dernière pouvant être appelée dans ce cadre (par la mention des maximes conversationnelles et de leur respect ou transgression dans le dialogue) ; ainsi que l’utilisation avertie de la distinction entre présupposés et sous-entendus, ou encore de la théorie des actes de langage.

–          d’autre part, une prise en compte de l’appartenance du texte au genre théâtral, qui appelait la mobilisation de la notion de double énonciation, la prise en compte des décalages de savoir et de la connivence avec le spectateur, et plus globalement la prise en compte de l’effet produit sur le spectateur.On était en droit d’attendre également l’utilisation pertinente des termes techniques liés au genre, et donc la prise en compte de la dimension dramaturgique du texte, à travers la mention et l’analyse des jeux de scène, didascalies, apartés, liés à la fois au genre théâtral et à la question de l’implicite.


Éléments d’analyse

 

Le corps du commentaire stylistique doit consister en une analyse détaillée, appuyée sur des connaissances théoriques et sur des outils techniques, et ciblée sur la question posée dans l’intitulé du sujet. Celui-ci, bien que non limitatif, dessine tout de même un contour dont il est nécessaire de tenir compte, sous peine de verser dans le hors-sujet. Il reste cependant possible, pour le commentaire, de s’ouvrir à d’autres aspects du texte à partir de ceux-là.

L’analyse se doit également d’être organisée, c’est-à-dire hiérarchisée. Ainsi, la question posée sur le texte sollicite l’étude d’un faisceau de faits linguistiques, au sein duquel certains sont très directement appelés (comme les actes de langage indirects, l’ironie, et donc l’étude des modalités d’énonciation, en particulier l’injonction et l’interrogation), quand d’autres le sont également, mais de manière moins immédiate : c’est le cas par exemple pour la négation, à laquelle beaucoup de candidats on très justement pensé, ou pour la présence des indéfinis, qui entrent également dans la stratégie de désignation détournée des personnages. En revanche, certains éléments d’analyse paraissent beaucoup moins nécessaires, voire vraiment éloignés du sujet : ainsi, il paraît ici malvenu de consacrer une partie entière du commentaire à l’étude de la ponctuation du texte ou au rythme des répliques en en décomptant les syllabes. Ces éléments, s’ils peuvent s’avérer pertinents quand ils sont mobilisés en cours de partie (on ne sous-estimera évidemment pas, par exemple, l’importance de la ponctuation dans la réplique finale de Silvia), ne peuvent constituer une piste globale d’investigation, sous peine de produire un commentaire décentré par rapport au texte et à la question posée.

Parmi les éléments ou postes d’observation principalement attendus du fait du centrage problématique et des éléments de détermination propres à l’extrait donné, on pouvait compter, à des titres divers :

-                   la caractérisation précise de la situation d’échange (et donc de la parole des personnages),

-                   la dynamique de l’échange, et les stratégies discursives des personnages,

-                   les modalités d’énonciation / actes de langage et enchaînement des répliques

-                   l’identification de procédés d’enchaînement des répliques (lexical / syntaxique / pragmatique)

-                   le rôle des connecteurs ; de la modalisation ; des indéfinis ; de la négation - les figures et le jeu de double entente : atténuations, ironie (antiphrase).

On rappellera également que sont pénalisés, comme ne correspondant pas aux normes de l’exercice du commentaire stylistique : les commentaires littéraires ne s’appuyant pas sur les ressorts linguistiques du texte et à l’inverse, les listes descriptives non interprétatives ; les études linéaires ; les études non rédigées ou en style télégraphique. Il va de soi que les fauxsens et erreurs d’interprétation sur le passage engageant l’ensemble du commentaire, heureusement rares, sont également pénalisés.

 

On attendait donc d’abord des candidats qu’ils proposent une analyse des formes de l’implicite, évaluées à partir de l’échange dialogal, également de ses effetsdans la relation d’interaction entre les personnages, enfin de ses visées (dans l’échange représenté : susciter l’aveu de Dorante au niveau de la situation représentée, en même temps que le différer, au niveau de la représentation, cette fois-ci pour le spectateur). On propose ci-dessous un certain nombre d’analyses organisées selon un plan progressif, dans la lignée de la problématique évoquée : les bonnes et les meilleures copies ont du reste montré leur capacité à conduire des analyses de détail témoignant d’une compréhension fine des enjeux du passage dans la perspective qui leur était demandée.

 

  1. Les différentes formes de l’implicite

 

                  1.1. Implicite et actes de langage indirects : les injonctions indirectes

L’extrait présente plusieurs répliques où acte locutoire et illocutoire ne concordent pas. La plupart du temps, ce sont des injonctions indirectes qui sont exprimées, d’un point de vue locutoire, par des modalités variables, qu’il s’agisse d’assertion ou d’interrogation. La valeur injonctive des actes de langage, étant plus ou moins affirmée, varie selon les occurrences.

 

                  C’est ainsi le cas dans les répliques de Silvia :

–          l. 9 : « je ne sais pas vos raisons » : la valeur illocutoire de l’énoncé est ici placée dans le présupposé de celui-ci, ce présupposé (du fait de la nature causale de la subordonnée « Comme je ne sais pas vos raisons ») devenant l’objet du message. Au-delà, cet énoncé a luimême une valeur d’acte de langage indirect : Silvia cherche ainsi à inciter Dorante à lui révéler ces « raisons ». Cette phrase assertive a ainsi valeur d’injonction (≈ dites-moi vos raisons).

–          l.10 : « ce n’est pas à moi de vous les demander » : la focalisation du pronom tonique disjoint « moi » (le tour emphatique équivaut ici à ce n’est pas moi qui dois vous les demander, le relatif disparaissant du fait de la forme infinitive), affectée de négation, induit contextuellement l’assertion contraire : c’est à vous de me les dire, elle-même à valeur dérivée (c’est à X de… exprime la nécessité et a une valeur proche de l’injonction dites-les moi).

 

                  Dans les répliques de Dorante :

–          l. 11 : « il vous est aisé de les soupçonner, Lisette » : la réplique suppose une visée illocutoire incitative (≈ devinez-les).

–          l 14 : « Ne voyez-vous que cela ? » : l’interrogation peut être interprétée comme acte de langage direct, comme la réponse de Silvia le laisse entendre, bien qu’elle ne prenne pas la forme d’une réponse canonique opérée par oui ou non. Mais le fait qu’il s’agisse ici d’une interro-négation exceptive infléchit la réponse d’un point de vue logique, supposant une réponse négative avec ouverture à d’autres possibles. L’inflexion illocutoire est ici donnée par la langue (il s’agit d’un implicite présuppositionnel) : l’énoncé prend une valeur indirecte d’acte d’assertion négative (≈ il n’y a pas que cela), voire, au-delà, d’injonction indirecte, l’énoncé constituant une incitation à deviner ses sentiments.

–          l. 17-18 et 20-21 : « car vous n’auriez rien d’obligeant à me dire » / « et l’explication ne me serait pas favorable » : de manière plus discrète, sous les actes de langage directs, on peut ici penser que Dorante a une visée (perlocutoire) : en prononçant ces affirmations, il s’agit de pousser Silvia à l’en détromper.

 

                  1.2. Implicite et sous-entendu : les énoncés à double entente

La dimension implicite des énoncés est ici envisagée sous l’angle de la différence de sens qu’ils peuvent prendre selon le savoir dont dispose leur producteur et leurs destinataires. Cette « double entente » des énoncés suppose donc que l’implicite qui leur est prêté diffère selon les actants et le savoir dont ils disposent, la valeur de l’énoncé n’étant pas forcément celle qu’a programmée son producteur. C’est ici la question du référent désigné par l’énoncé qui se pose (voir C. Kerbrat-Orecchioni, L’Implicite, p. 322-323), référent qui peut donc varier pour un même énoncé.

 

–          l. 2, « un billet qui instruira Monsieur Orgon de tout » : l’usage du pronom indéfini désignant la totalité globalisante « tout » suppose un jeu sur l’implicite présent dans l’énoncé de Dorante. Pour Dorante, ce « tout » désigne l’ensemble de ce qu’il prend pour la réalité (son déguisement, l’amour pour celle qu’il prend pour Lisette et le dégoût pour celle qu’il prend pour Silvia). Pour Silvia comme pour le spectateur au contraire, ce « tout » n’est que partie, Dorante n’étant pas au courant de toute la réalité. Cette non-concordance correspond à ce que l’on désigne souvent au théâtre sous le terme d’« ironie tragique », définie comme décalage entre les connaissances du personnage et celles du spectateur ; contrairement à ses effets dans la tragédie, elle est source ici de comique, conformément à son inscription générique.

–          l. 2, « je vais partir incognito » : l’emploi autonymique de « incognito », marqué par les italiques (c’est un emprunt à l’italien dans lequel on peut voir également une référence à la commedia dell’arte et à ses jeux de déguisements), relève de cette double entente : Dorante croit que seule Silvia connaît sa véritable identité, et qu’Orgon en particulier l’ignore, quand ce dernier est en réalité le premier à en avoir été informé (voir I, sc. 1), et qu’il la connaît depuis le début de la pièce.

–          Enfin, la mention du « secret », l. 20 (« gardez-moi le secret jusqu’à mon départ ») prend une double valeur : pour Dorante, il s’agit de taire l’amour de Lisette/Silvia pour Mario, ou le désamour de celle-ci pour Dorante. Pour le spectateur et Silvia, le terme prend une valeur ironique, en désignant le « secret » que Silvia maintient concernant son identité.

 

                  1.3. De la double-entente au qui pro quo conversationnel

Les deux personnages se trouvent donc en situation de malentendu, dont les spectateurs sont les témoins.

Deux des répliques de Dorante s’inscrivent comme suite syntaxique des répliques de Silvia, l.17-18 (« Ni le courage d’en parler (…) ») et l.20-21 (« et l’explication ne me serait pas favorable ») : les deux conjonctions de coordination « Ni » et « et » sont propres à compléter les phrases de Silvia des répliques précédentes. Ici, l’implicite visé est plutôt celui du sous-entendu, la dimension implicite du dire étant liée à la situation sous-jacente.

Mais partant du fait que Dorante croit Silvia éprise de Mario (il s’agit du sous-entendu contextuel propre au savoir de Dorante), les répliques de ce personnage témoignent de son incompréhension des répliques de Silvia :

–          l. 17 : « car vous n’auriez rien d’obligeant à me dire » : le groupe pronominal « rien d’obligeant » désigne, via la négation, le fait que Silvia aime ailleurs (Mario) – c’est donc le sous-entendu que Dorante prête abusivement au discours de Silvia, ce que sait le spectateur. – l. 19 : « prenez garde, je crois que vous ne m’entendez pas ». Silvia souhaite inviter Dorante à revenir sur son interprétation (erronée) de sa réplique des lignes 15-16, ce que souligne ensuite l’enchaînement lexical et rhétorique sur « obligeant / obligée ».

–          l. 20-21 : la réplique exprime à nouveau le qui pro quo dans lequel Dorante s’enfonce, puisqu’il continue d’interpréter la réplique de Silvia à partir du sous-entendu selon lequel Lisette/Silvia est éprise de Mario.

–          l.22 : « Quoi, sérieusement, vous partez ? ». L’interrogation équivaut ici à une injonction indirecte, mais négative pour Silvia dans sa visée illocutoire (ne partez pas), quand cette valeur logique s’inverse dans l’interprétation que fait Dorante de l’énoncé, comme la réplique suivante le souligne (partez).

–          l. 23 : « Vous avez bien peur que je ne change d’avis ». On peut entendre ici une assertion indirecte, passant par une autre assertion, signifiant vous souhaitez que je m’en aille. On peut penser que d’un point de vue perlocutoire, Dorante cherche à contraindre Silvia à dire le contraire. Cette réplique motive la réplique suivante de Silvia :

–          l. 24 : « Que vous êtes aimable d’être si bien au fait » : cette réplique est ironique. C’est une antiphrase, qui porte sur le présupposé de l’énoncé (« d’être si bien au fait ») et fustige l’erreur d’interprétation de Dorante qui en constitue la cible. L’assertion sous-jacente suggère vous n’avez rien compris à mes sentiments.

Or, Dorante prend au premier degré cet énoncé, sans en percevoir l’ironie, ou bien l’entend comme ironique, ironie dont il serait la cible, mais en entendant ici une confirmation de sa réplique précédente. L’ironie porterait selon lui sur la première partie de l’énoncé (« que vous êtes aimable ») : c’est son amabilité au sens premier (le fait qu’il soit digne d’être aimé d’elle) qu’il croit ici niée par Silvia, ce qui justifie la réplique suivante (« Cela est bien naïf[2] »).

 

Ces qui pro quo pragmatiques constituent les moments de tension maximale entre les deux personnages, l’interaction étant sur le point de s’interrompre à deux reprises, comme en témoignent les prises de congé de Dorante (« Adieu, Lisette », l. 17-18), et « Adieu » (l. 25).

 

2. Différer le dire

 

Ces formes variées d’implicite sont à inscrire plus largement dans une stratégie des personnages qui consiste à différer leur aveu, et ce pour des raisons différentes (Silvia pour pousser Dorante à avouer ses sentiments sans dévoiler son identité, Dorante pour ne pas avouer les sentiments qu’il éprouve pour celle qu’il prend pour Lisette alors qu’il la croit éprise de Mario et courtisée par lui).

On pourra distinguer plusieurs stratégies visant à différer le dire :

 

2.1.  Les couples question / réponse : la non réponse aux questions l. 4, l. 14, l. 22

Dans ces trois cas d’interrogation totale avec inversion (l. 4 et 14) et sans inversion (l. 22), la réponse attendue serait un prophrase (non/si pour l.4, non/oui l. 14 et 22). Or, ce n’est jamais le cas, ce qui implique une dérobade des deux personnages dans chacune de ces situations, permettant de ne pas répondre de son point de vue ou de son attitude.

 

2.2.  La désignation détournée et floue du sentiment amoureux

On soulignera ici l’usage des indéfinis (pronoms « tout » l. 2, « rien d’obligeant » l. 17, et déterminants : « d’autres raisons » l. 7 et « certaines choses » l. 15) à cet effet, qui permettent aux personnages de ne pas désigner clairement ce dont ils parlent, et donc de ne pas avouer leurs sentiments. En particulier l.15, « certaines choses » : l’indéfini est ici associé à l’hypéronyme « choses » désignant préférentiellement des entités matérielles quand il s’agit ici de désigner une entité abstraite psychologique, et à l’emploi du pluriel (au lieu du singulier) venant encore accroître le flou propre à la désignation du sentiment amoureux.

 

2.3.  Pour Silvia, une euphémisation générale :

–          l. 5 / l.12 : « mais », connecteur adversatif, porte ici non sur le contenu de l’énoncé mais sur le dire, et implique une relation floue à ce qui précède ; « Pas trop » l.5 vient atténuer une réponse négative (Silvia ne souhaitant nullement le départ de Dorante).

–          l. 12-13 : « par exemple » est ici une forme d’atténuation, faisant passer la cause du départ pour une possibilité parmi d’autres.

Cette euphémisation passe par un procédé largement utilisé par le personnage de Silvia : la modalisation :

–          l. 12 « je pense que » : cette modalisation suppose que Silvia assume la subjectivité de son point de vue, et en souligne par là la relativité. L’argument invoqué par Silvia ne fait du reste que répéter l’argument de Dorante propre à justifier son départ (ce qui induit ce dernier à poser la question qui suit). Silvia souligne ainsi le fait qu’elle n’a pas compris les sentiments amoureux qu’éprouve Dorante à son égard. D’un point de vue perlocutoire, c’est une façon de le pousser à expliciter ces derniers.

–          l. 15-16 : « je pourrais supposer ». L’emploi de pouvoir exprime une possibilité que l’usage du conditionnel repousse dans le potentiel, et éloigne donc de l’actualité l’interprétation proposée par Silvia, ce que confirme la fin de la phrase et l’emploi de l’adversatif « mais ». D’un point de vue perlocutoire, il s’agit encore de pousser Dorante à lui révéler sa flamme. On pourrait mener le même type d’analyse pour « je crois que » (l. 19).

 

De telles stratégies impliquent, du point de vue du spectacle, de différer cet aveu dans le temps, et de maintenir ainsi la tension dramatique.

 

3. Mise en œuvre d’une sémiologie des personnages : interpréter/mésinterpréter

 

On pouvait enfin mettre en valeur le fait qu’une telle stratégie de la part des personnages de dire sans dire, de maintenir dans l’implicite la révélation de leurs sentiments engendre la nécessité pour les personnages de mettre en œuvre toute une sémiologie de l’autre, portant tant sur les attitudes que sur la parole.

 

                  3.1. Sémiologie des attitudes

Cette sémiologie implique à la fois une dimension descriptive et interprétative.

 

–          sémiologie descriptive : voir l. 27 à 34 (« Il s’arrête pourtant ; il rêve ; il regarde si je tourne la tête […] il s’en va […] Dorante reparaît pourtant ; il me semble qu’il revient. »).

Cette description donne lieu à ce que l’on a l’habitude de nommer « didascalies internes », propres à permettre de connaître les mouvements de Dorante en même temps que de sentir l’acuité de l’attention de Silvia pour ceux-ci.

Ces descriptions sont ponctuées de commentaires (« je ne saurais le rappeler, moi…Il serait pourtant bien singulier qu’il partît, après tout ce que j’ai fait !...Ah ! voilà qui est fini […] je n’ai pas tant de pouvoir sur lui que je le croyais… »). La différence du statut de ces éléments commentatifs (expression de ses sentiments, de son incrédulité, de sa crainte, de l’accusation de son frère, constat de l’échec de son entreprise, projet de l’action à mener) constitue un indice de l’état psychologique de tension du personnage.

L’alternance entre description et interprétation permet ainsi d’entrer dans la logique sémiotique (et psychologique) du personnage, et de souligner le caractère indu de ses interprétations, qui fait ainsi valoir le trouble de sa raison par ses sentiments.

 

–          sémiologie interprétative : l. 4, « N’approuvez-vous pas mon idée ? ». La question de Dorante est ici engendrée non par la parole de Silvia mais par son attitude ; la réplique qui précède est en effet un aparté, et n’a pu donc être entendue par Dorante.

 

                  3.2. Sémiologie du discours

On inscrirait ici les commentaires méta-discursifs, portant sur la parole de l’allocutaire, par exemple dans ces deux répliques sur le mot :

–          l. 3 « Partir ! ce n’est pas là mon compte », où le verbe est utilisé en mention (citation de la réplique précédente de Dorante, l. 1, « je vais partir incognito ») ;

–          l. 22 : « vous partez ? », reprenant « départ » (l. 21) de la réplique de Dorante.

Cette sémiologie peut prendre une dimension critique, et porter sur l’interprétation de ses propres propos par l’allocutaire (voir la réplique de Silvia, l. 19).

Elle peut aussi porter sur un discours virtuel, comme dans la réplique de Dorante, l. 17, « Vous n’auriez rien d’obligeant à me dire », où la virtualité est marquée par l’usage du conditionnel. On pourrait également mentionner toutes les erreurs d’interprétation de Dorante dans ses répliques des l.17-18 et 20-21. 

 

 

En conclusion, on pouvait attendre du candidat :

-    Une remise en perspective du passage par rapport à la dynamique de la pièce, ce passage constituant un sommet de la tension dramatique. Cette haute tension dramatique a pour ressort principal l’effort du maintien de l’implicite par les personnages, marqué d’un point de vue kinésique par la menace de fin de l’interlocution, annoncée par les prises de congé répétées de Dorante. Cette situation est cependant retournée dans la fin du passage, où le départ feint de Silvia engendre la prière finale de Dorante (l. 35 : « Restez, je vous en prie »).

-    La perception de l’importance de la dimension réflexive de la scène, très fréquente chez Marivaux, qui prend ici la forme d’une réflexivité portant sur les composantes du théâtre et s’appuyant également sur la référence au genre théâtral même : au titre, marqué par ce genre (le Jeu) répond la mention dans le passage d’un « dénouement » (l. 32) qui se trouve luimême différé, comme l’auto-injonction de Silvia dans son dernier aparté, qui exprime la suite du jeu (« Feignons de sortir »), le signale.

 

Les formes de l’implicite et leurs effets étant très variées dans l’extrait proposé, la description de détail en était d’autant délicate pour les candidats, mais aussi d’autant plus propre à mettre en valeur tant leur finesse analytique que leur sensibilité littéraire, que le jury a toujours à cœur de valoriser. En conséquence, les meilleures copies furent celles qui ont proposé une claire problématisation, qui ont su mener des analyses appuyées sur une description linguistique informée et précise du texte, et qui ont ainsi mis en évidence le fonctionnement de la tension dramatique inhérente au passage. Ont ainsi été valorisées la maîtrise des notions attendues, l’efficacité du plan d’analyse retenu, la connaissance du théâtre de Marivaux et/ou de la pièce ainsi que toute analyse fine et témoignant d’une bonne perception des enjeux de la part des candidats.

 

Question (5 points) : mise en perspective des savoirs grammaticaux.

 

Dans la perspective de l’enseignement de la grammaire au collège, vous présenterez une réflexion pédagogique sur les propositions subordonnées relatives. Vous pourrez vous appuyer sur la question 3 de l’étude synchronique du texte de français moderne, et sur les exercices de votre choix dans le document ci-dessous.


Présentation d’ensemble de la question

 

Notée sur 5 points, cette question, qui était posée pour la première fois au concours, constitue le « second temps » de l’épreuve écrite de langue française. Pour aider le candidat à bien comprendre quelle est sa spécificité, on peut la mettre en perspective dans la succession des quatre moments du concours où il lui est demandé de tirer parti de ses compétences en  grammaire :

— Le premier temps de l’épreuve écrite, noté au total sur 15 points, s’articule sur les deux textes proposés, ancien français et français moderne, et fait porter le questionnement sur certains domaines traditionnels de la linguistique : cette année, morphologie, syntaxe et lexicologie, pour le texte I ; orthographe, lexicologie et morphosyntaxe pour le texte II. À ce stade, il n’est pas question de l’enseignement de la langue au collège ou au lycée. Il s’agit simplement pour le jury d’évaluer les connaissances grammaticales des candidats.

— Le second temps de l’épreuve écrite demande au candidat, sur une question donnée – la relative, cette année –, posée à partir d’un dossier comportant, outre les textes I et II, un document pédagogique, de « mobiliser ses connaissances dans une perspective d’enseignement » Il s’agit donc bien d’introduire ici une réflexion de nature pédagogique sur fond d’une question par ailleurs tout à fait traditionnelle.

— La première épreuve orale, dite « Mise en situation professionnelle », place le candidat dans une situation comparable à la précédente ; pour l’essentiel, il s’agit toujours d’articuler le traitement d’une question de grammaire sur une situation pédagogique.

— Enfin, dans la seconde épreuve orale, dite « Analyse d’une situation professionnelle », le candidat choisissant l’option « Littérature et langue françaises » doit aller encore plus loin dans la mise en œuvre de ses compétences grammaticales et indique très précisément comment il pense pouvoir intégrer une séance d’étude de la langue dans une séquence dont les matériaux lui sont proposés.

Ce résumé montre que ce second temps de l’épreuve écrite se situe à mi-chemin entre le traitement purement disciplinaire d’une question (premier temps sur 15 points) et la mise en œuvre dans des conditions très clairement professionnelles d’une question de grammaire dans une séquence d’enseignement, qui sera de mise lors de la seconde épreuve orale (Analyse d’une situation professionnelle). Dans cette question, il s’agira donc de faire de la grammaire, d’exposer des connaissances, d’indiquer des principes d’analyse, de faire la preuve d’un savoir en linguistique diachronique et/ou synchronique, tout en indiquant avec méthode et clarté comment ce savoir pourrait se transformer en contenu « enseignable » dans les classes des lycées et collèges. Durant ce temps d’épreuve, en un mot, le candidat devra montrer qu’il est capable de concevoir un enseignement de la langue simple, clair et adapté à de jeunes élèves, qui reste pleinement articulé à un savoir et à des méthodes de type universitaire.

 

Rappelons le libellé exact de la question posée cette année :

Dans la perspective de l’enseignement de la grammaire au collège, vous présenterez une réflexion pédagogique sur les propositions subordonnées relatives. Vous pourrez vous appuyer sur la question 3 de l’étude synchronique du texte de français moderne, et sur les exercices de votre choix dans le document ci-dessous.

 

Si l’on veut traiter la question en tenant compte de ses spécificités, on posera qu’elle contient trois implications :

1° – une connaissance exacte de ce qu’est en grammaire une proposition subordonnée relative. Les années passées à l’université pour étudier la linguistique, les révisions, les fiches, les devoirs d’entraînement auxquels tout candidat est rompu sont ici précieux. En particulier, s’agissant d’orienter ce savoir vers une réflexion pédagogique, on aura intérêt à s’entraîner tout au long de l’année à effectuer rapidement des synthèses claires, complètes et déjà tournées vers l’analyse opératoire d’énoncés.

2° – une bonne connaissance des programmes. Il paraît irréaliste de s’engager dans une réflexion mettant en jeu l’enseignement des relatives au collège sans rien savoir de la manière dont, très concrètement, les professeurs en poste à ce niveau ont l’habitude d’envisager les choses. La première source de connaissances se trouve donc ici contenue dans les programmes officiels et le candidat devra se familiariser avec les textes en vigueur. Indiquons que les programmes des collèges et des lycées sont aisément accessibles dans leur version complète sur les sites ministériels (www.education.gouv.fr et eduscol.education.fr).

On verra plus loin que si la connaissance des programmes de grammaire est indispensable, il ne s’agit en aucun cas d’en faire un usage restreint et factuel en se contentant d’indiquer en quelle classe on étudie telle question. Une clé importante de réussite est ici de pouvoir situer la question particulière qui fait l’objet de l’épreuve dans une progression générale, que les quatre années de collège proposent au jeune élève, ce qui amène notamment à s’interroger sur les présupposés qui sont invariablement contenus dans une question de grammaire dès lors qu’on la prend pour un objet d’apprentissage.

3° – Enfin, la particularité de ce second temps, par rapport aux questions posées séparément sur les seuls textes I et II durant le premier temps de l’épreuve, est qu’on y dispose également d’un document de « mise en situation professionnelle ». Il s’agissait essentiellement cette année d’une série d’exercices empruntés à quelques manuels courants de collège. Là encore, le candidat devra comprendre que ce matériel pédagogique lui est avant tout donné pour qu’il indique comment il le mettrait en perspective compte tenu des conclusions auxquelles l’ont amené aussi bien l’exposé de ses connaissances linguistiques que les éléments de la réflexion pédagogique qu’il aura pu ordonner à partir de sa connaissance des programmes. Une visée critique n’est pas exclue à ce stade de la prise en main du dossier, mais il ne s’agira pas pour autant de se borner à indiquer sans autre explication quels exercices on retiendra ou dans quel ordre on les proposera aux élèves. 

En outre, un lien est fait avec l’une ou l’autre des questions (texte I et/ou II) proposées durant le premier temps d’épreuve : il est donc attendu qu’on l’intègre à la réponse, en s’emparant par exemple d’une occurrence pour en faire apparaître les particularités d’un point de vue théorique ou pédagogique.

 

Ces principes généraux vont à présent être développés. On ne propose pas dans ce qui suit un corrigé-type mais des éléments qui tentent de faire le tour des trois points annoncés cidessus et dont on peut penser qu’ils sont des matériaux adéquats pour une réponse correcte.

 

La proposition subordonnée relative dans les programmes du collège : essai de synthèse.

 

Une remarque préalable s’impose concernant la terminologie utilisée. Si les rapports précédents ont tous insisté sur la nécessité pour les candidats d’adopter une terminologie exacte grammaticalement et d’en faire un usage cohérent, il convient d’ajouter pour la présente question l’utilité de connaître la terminologie grammaticale en vigueur dans les classes des lycées et collèges, qu’il sera bon de consulter régulièrement durant la préparation (Terminologie grammaticale, Paris, CNDP, 1997, rééd. 1998, disponible en ligne). On évitera là aussi tout fétichisme du « bon » terme et l’on se souviendra qu’en grammaire l’explication correcte et logique d’une construction en dit souvent bien plus long qu’un terme technique, fût-il savant.

Si l’on regarde à présent comment la proposition subordonnée relative se trouve présentée dans les programmes du collège (Programmes de l’enseignement de français, arrêté du 8 juillet 2008, paru dans le Bulletin Officiel spécial n° 6 du 28 août 2008), on constate d’abord que la classe de cinquième est celle où la question est étudiée avec le plus de visibilité. Dans le texte même du programme, il est remarquable qu’on la trouve mentionnée dans trois rubriques différentes. Tout d’abord, dans le premier ensemble de questions portant sur « l’analyse de la phrase », on a une entrée opposant subordonnée relative et subordonnée conjonctive, qu’il s’agit pour les élèves de distinguer en se fondant sur le fait que le subordonnant a (dans le cas de la relative) ou n’a pas (dans le cas de la conjonctive) de fonction syntaxique. Dans un second temps, c’est également en 5e que se trouve étudié le pronom relatif dans la rubrique des « classes de mots », seuls les pronoms personnels, possessifs et démonstratifs ayant été vus en 6e. Enfin, la relative est également impliquée dans une troisième rubrique, celle des « fonctions grammaticales », dont une partie importante est l’étude du groupe nominal et de ses différentes expansions. Notons que, par la suite, en 4e et en 3e,  la relative ne sera plus expressément mentionnée comme entrée de programme. Il sera évidemment possible de la remettre en jeu dans l’enseignement de la langue, mais en tant que support d’autres questions, comme par exemple :

— l’apposition en 4e, pour laquelle on pourra revenir à une opposition entre relative déterminative (épithète liée) et explicative (épithète détachée ou apposée) ;

— l’attribut du COD, en 3e, que le professeur pourra illustrer s’il souhaite le faire à l’aide des relatives attributs, du type Voilà Pierre qui arrive, ou Je vois Pierre qui rentre ;

— en 3e également, le subjonctif, qui permet de revenir sur les cas bien délimités dans les grammaires de « relatives au subjonctif » ;

— d’autres questions, toujours en 3e, telles que les reprises anaphoriques, qui permettraient de revoir le fonctionnement du pronom relatif, voire l’emphase, dans sa variante par extraction dans des tours comme C’est Pierre qui arrive où la discussion est ouverte de savoir si l’on a ou non affaire à une « vraie » relative (voir par exemple Le Goffic 1994).

 

En termes purement grammaticaux, on peut donc dire que la relative existe dans les programmes sous trois aspects différents et complémentaires :

— Du point de vue de la syntaxe, elle apparaît dans l’analyse de la phrase complexe, dont la classe de 6e ne propose qu’une initiation destinée à percevoir intuitivement ce qu’est une phrase à « plusieurs noyaux verbaux ». L’année suivante, la relative s’impose comme la première construction de phrase subordonnée que le programme se donne pour ambition de décrire. Contrairement à ce que beaucoup de copies ont affirmé, elle n’est pas « approfondie » par la suite : en 4e et en 3e, c’est la subordonnée circonstancielle qui s’imposera comme construction typique de la subordination et sera détaillée dans les différentes entrées de la grammaire traditionnelle, jusqu’aux systèmes hypothétiques au programme de la 3e.

— Du point de vue de la morphosyntaxe, c’est, toujours en classe de 5e, l’étude du pronom relatif qui sous-tend l’analyse de la proposition. Sans une étude précise de cette catégorie grammaticale, complexe parce qu’elle marque le cas, la différence entre un que relatif et un que complétif ne peut apparaître clairement et l’étude de la relative en tant que proposition dans le cadre de la phrase complexe s’avère très difficile.

— Du point de vue fonctionnel, la relative avec antécédent constitue une expansion du nom ; l’étude du groupe nominal étendu prend le relais de la seule description du groupe sujet faite en 6e. Cette approche de la relative est constante et prend même le dessus dans certains manuels, qui tendent à réduire purement et simplement la catégorie entière à la seule relative adjective. Symptomatiquement, cela s’accompagne le plus souvent d’une quasi-absence de la relative substantive, aussi bien dans les passages de leçons que dans les exercices. Il peut très bien arriver qu’un manuel définisse génériquement la relative, au début de la première leçon qui lui est consacrée, en la réduisant à sa fonction de complément (ou d’expansion) du nom. Le dossier fourni reflétait d’ailleurs assez largement cette tendance notamment par la quasiabsence des relatives substantives (voir plus loin).

 

La cohérence des programmes apparaît donc à la faveur de cette rapide synthèse : la relative se présente comme une occasion pour le professeur de Lettres d’initier de jeunes élèves aux différents niveaux de l’analyse grammaticale. Loin d’être une question isolée, elle s’impose comme une construction d’une grande richesse du point de vue pédagogique, notamment par les différentes approches qu’elle admet et par le grand nombre de questions connexes qu’elle contient. Cela implique qu’une leçon sur la question puisse à bon droit se présenter comme un petit parcours grammatical à part entière, à même de mettre en place et de faire exercer un assez grand nombre de compétences grammaticales. Posons que cela implique alors que des choix soient faits par le professeur, appuyés sur des objectifs et une réflexion scientifique préalable, qu’il conduira en se fiant avant tout à sa propre connaissance de la langue, telle qu’il aura pu l’acquérir durant ses années d’étude. On peut donc donner comme conseil aux candidats des sessions à venir de ne pas se contenter de consulter les programmes des collèges et lycées mais de les travailler pour s’exercer à en faire clairement apparaître la logique, en vue de donner plus d’assise à leur futur enseignement de la grammaire.

 

La proposition subordonnée relative comme catégorie linguistique : exposé de synthèse et problématique.

 

Si l’on passe à présent à la description habituelle de la relative telle qu’elle peut être donnée dans les grammaires utilisées couramment à l’université, indépendamment de toute préoccupation pédagogique, on trouve un assez grand nombre d’éléments :

  • une définition « traditionnelle » de la relative comme une proposition, construite autour d’un noyau verbal conjugué, introduite par un pronom relatif, pourvu ou non d’un antécédent ; • une étude du pronom relatif et de ses propriétés syntaxiques (il joue le rôle de subordonnant dans une phrase contenant une relative), morphosyntaxiques (il change de forme selon sa fonction, laquelle est à déterminer) et sémantiques ou référentielles (il est anaphorique d’un antécédent lorsque celui-ci existe, et peut ou non entrer avec lui dans une relation de détermination : relatives « déterminatives » et « explicatives ») ;
  • une typologie des relatives distinguant les adjectives (avec antécédent) et les substantives (sans antécédent) ; parmi ces dernières on distingue habituellement les périphrastiques et les indéfinies ;
  • une identification de la fonction des relatives : fonctions adjectivales (épithète liée, détachée ou attribut) ou fonctions nominales (toutes les fonctions du nom dans le cas des relatives substantives) ;
  • une distinction, pour les relatives adjectives, de leur portée sémantique avec l’opposition entre déterminatives et explicatives ;
  • une explication des modes utilisés dans la subordonnée, l’indicatif étant le mode non marqué, auquel s’opposent les emplois, beaucoup plus rares, du subjonctif et de l’infinitif.

 

Une impression d’arbitraire se dégage de cette liste, volontairement non hiérarchisée, de propriétés ou de caractéristiques diverses, se recoupant parfois assez largement, dont on voit qu’elles résultent de types d’analyse différents, et qui constituent à elles toutes ce qu’un candidat doit savoir sur la relative. Ces éléments sont du reste disponibles dans les sources documentaires qui sont les mêmes que celles que rappellent année après année les rapports successifs de cette épreuve grammaticale ; ils ne seront pas repris ici.

Orienter ces éléments et y dégager une cohérence, dans une perspective d’enseignement, revient dans un premier temps à renoncer à toute approche linéaire de la question : on n’aura pas « fait » la relative, quand on se sera contenté de présenter successivement quelques-uns des points précédents, en combinant plus ou moins adroitement explications théoriques et exercices d’application. Il faut avant cela organiser autour d’une problématique les très nombreuses analyses et activités qu’il serait possible de proposer dans une classe de collège sur la question posée. Un tel fil conducteur est à chercher dans l’une et l’autre des deux séries de « savoirs » recensés ci-dessus. En effet, dans l’ordre de la grammaire scolaire, l’examen des programmes a montré que la relative est contenue dans deux lignées distinctes :

— en tant que proposition, elle oriente l’élève vers l’analyse de la proposition subordonnée ;

—  en tant que groupe fonctionnel, elle s’impose comme un constituant de phrase qui se définit par l’épreuve de la commutation : une proposition subordonnée relative commute soit avec un nom, soit avec un adjectif et cela permet de la distinguer radicalement d’une circonstancielle, par exemple, qui pourra localement commuter avec un adverbe.

La complémentarité de ces deux ordres de fait n’est pas toujours apparente. On dira d’une part que la relative adjective « complète l’antécédent », ou en est l’épithète, ce qui s’appuie sur le fait que, en tant que constituant de phrase, elle dépend d’un nom ; mais cela n’empêche pas qu’on la décrive aussi bien, parfois dans la même page d’un manuel ou dans la même leçon, comme une proposition qui dépend cette fois-ci d’une principale. Bien entendu, les deux descriptions sont justes, mais elles ne se situent évidemment pas au même niveau d’analyse. C’est précisément un tel discernement critique qui est de mise lorsqu’il s’agit d’étudier les éléments du dossier pédagogique qui sont donnés au candidat avec la question.


Étude du dossier pédagogique


Ce dossier, conformément à ce qu’indiquait la note de commentaire déjà citée ci-dessus, était constitué cette année :

— de la question 3 du sujet de français moderne (texte II). Il était donc demandé aux candidats de s’appuyer sur l’étude des subordonnées qu’il avait effectuée sur le texte de

Marivaux ; 

— d’une série de sept exercices de grammaire, cinq extraits de manuels de 5e, deux empruntés à des manuels de 3e.

 

Indiquons d’emblée qu’une première cause d’échec observée a été de se limiter à une critique en elle-même et pour elle-même des exercices, sans pour autant que les jugements affirmés se rattachent à une problématique pédagogique et dépassent le stade du simple constat. On a ainsi trouvé des copies abondant en commentaires pointillistes de chaque exercice, comme s’il s’agissait de se prononcer sur leurs mérites respectifs. Il paraît réaliste qu’un futur professeur soit déjà conscient que, sur le très grand nombre d’exercices de grammaire que propose en moyenne un manuel, certains puissent être plus ou moins bien élaborés ou même que leur utilité pédagogique soit parfois contestable ; mais là n’est pas la question. De la même manière, précisons qu’il n’est pas attendu du candidat qu’il se lance dans la construction en bonne et due forme d’une séquence, ni qu’il indique avec le plus grand réalisme et dans le détail ce qu’il fera faire à ses élèves, le travail qui sera donné à la maison, etc. Ce genre de didactisme n’est pas de mise dans le traitement de la question : il s’agit bien plutôt de montrer que l’on est à même d’établir le plus grand nombre possible de liens pertinents et grammaticalement exacts entre les diverses pièces du dossier et les éléments de la réflexion pédagogique qui aura été développée.

Globalement, tout d’abord, les exercices doivent faire l’objet d’une véritable réflexion, c’est-à-dire d’une analyse qui les caractérise et indique à quel type ils se rattachent, quelle est l’activité attendue de l’élève : concrètement, ce que l’énoncé cherche à lui faire faire. Un exercice de manipulation, par exemple, n’est pas semblable à un exercice d’identification et les deux ne pourront être utilisés de la même manière dans un projet d’apprentissage de la notion à étudier. Il convient aussi de situer ces exercices dans une démarche d’enseignement et de dire sur quel(s) prérequis s’établit tel ou tel d’entre eux, quels en sont les objectifs, comment et à quel moment les utiliser. Dans tous les cas, on attend que le candidat les aborde avec recul et précision, qu’il soit capable d’en indiquer l’intérêt et les limites. Enfin, on attend également que les différents exercices ne soient pas étudiés en eux-mêmes ou, encore moins, simplement passés en revue dans l’ordre où ils se présentent (ni, cela va de soi, « faits » au premier degré par les candidats…), mais que cet examen débouche, au moins pour quelquesuns, sur des indications qui les inscrivent dans un parcours d’étude qui pourrait être proposé à un élève.

 

Dans le détail, voici à présent quelques remarques sur les exercices du dossier, dont certaines au moins pouvaient aider les candidats à construire une étude raisonnée du document de mise en situation professionnelle.

Dans l’exercice A, on voit tout de suite que toutes les questions se présentent comme des tâches d’identification ; il convient donc de prévoir le cas où cette identification ne se ferait pas, en proposant deux manipulations :

–              pour établir si que a ou non une fonction, on opposera : ?un contrefort terminait à tout fuite était vaine ;

–              pour établir si la proposition a un antécédent, on opposera : leur dernière heure est arrivée à ils le redoutent (ils redoutent cela ; c’est ce qu’ils redoutent).

Dans l’exercice B, il apparaît que les deux questions ne sont pas du même ordre : la seconde peut très bien ne pas aboutir, dans le cas notamment où la fonction ne peut être désignée correctement, sans pour autant que la relative ne soit pas reconnue. Il est donc possible dans ce cas de continuer à faire travailler la construction mais en se plaçant à un degré d’abstraction moindre, soit en demandant de manipuler pour réécrire la proposition en substituant l’antécédent au pronom ; l’étiquette correcte de la fonction syntaxique pourra alors être vue en une autre occasion. Notons qu’une réflexion sur la différence entre étude de la langue par observation et manipulation et acquisition de la grammaire, au sens de l’exercice raisonné d’un métalangage, peut éventuellement être soulevée à l’occasion d’un développement de cet ordre. Par ailleurs, la phrase 6 présente une telle difficulté[3] qu’on ne peut guère l’envisager avant d’avoir introduit la question des relatives sans antécédent.

Le dossier ne comportant pas de relative attribut, l’exercice C peut servir simplement à fonder la perception de la relative comme constituant de phrase par commutation avec l’adjectif épithète. Inversement, une substitution de l’épithète par la relative est possible, par exemple en relation avec l’exercice suivant.

Comme la résolution de l’exercice D ne pose pas de problème majeur, on pourra envisager de faire travailler, une fois les phrases transformées, sur la différence entre épithète liée — On verse ensuite l’eau bouillie — et épithète détachée — Cette boisson, un peu amère, se déguste lentement : on se place ainsi dans le cadre d’une manipulation préparatoire à l’étude des relatives déterminatives et explicatives. Par ailleurs, c’est un autre aspect important du programme de 5e, on voit que cette activité se prolongerait facilement par travail d’écriture, ce qui est d’une manière générale préconisé par les programmes[4] ; sur le modèle de l’exercice, il serait en effet possible de faire trouver des phrases dans une relation de synonymie, par un principe d’amplification.

L’identification des épithètes liées et des épithètes détachées de l’exercice E prolonge l’activité précédente. On peut aussi en sens inverse demander une commutation par l’adjectif ; les exercices D et E sont alors à envisager ensemble. Le travail des significations est un autre objectif possible, en attirant l’attention sur les nuances circonstancielles des relatives détachées, comme la cause dans la foule, enchantée, s’est séparée vers minuit. Une activité d’écriture peut ici aussi trouver un point de départ sur cette relation de sens.

L’exercice F, le plus complet de tous, doit logiquement venir en dernier si le choix a été fait d’une leçon canonique partant du pronom relatif et aboutissant à la fonction des relatives. En ce qui concerne les deux occurrences de relatives sans antécédent (ce qui était faux et ce qui était vrai) il est prudent de les lier aux deux occurrences du texte support des questions du premier groupe, posées sur le texte de Marivaux : « après tout ce que j’ai fait » et « voilà qui est fini ». La première est une périphrastique pour laquelle la commutation avec un groupe nominal est facilement envisageable (après tous mes efforts) ; la seconde, substantive, peut aussi être manipulée (voilà une bonne chose). Les occurrences de l’exercice sont difficiles de par leur position détachée. La commutation avec le groupe nominal peut être considérée comme un objectif en soi, étant donné le niveau de difficulté de ces constructions. Quant aux relatives adjectives de l’exercice, elles peuvent recevoir un traitement pédagogique différent :

–   qu’assombrissait encore l’approche d’une deuxième lettre peut être opposée à que je le détestais pour servir d’application à la distinction relative / conjonctive mise en place dans les exercices A et B.

–   dans laquelle […] je le suppliai de venir nous chercher peut servir à montrer le fonctionnement des pronoms relatifs complexes, dont il s’agirait alors d’exposer synthétiquement les propriétés en vue d’en faire ressortir les difficultés d’emploi qu’ils sont susceptibles de poser à certains élèves de collège.

Enfin, l’exercice G, bien que venant en dernier, peut facilement être utilisé au début d’une série de travaux :

–   pour donner l’intuition de la construction, avant même tout apprentissage. Dans ce cas, on peut les utiliser pour l’initiation à la phrase complexe, au programme de 6e ;

–   pour faire trouver la fonction des pronoms relatifs en partant de l’observation du groupe antécédent tel qu’il figure dans chacune des deux phrases de chaque item. Là encore une telle décomposition d’une tâche globale en tâches élémentaires peut servir soit à contourner une difficulté, lorsqu’il est impossible d’attribuer sans erreur une étiquette de fonction aux groupes de la phrase, ou bien à aborder un problème plus difficile. Dans ce dernier cas, le travail sur les pronoms relatifs complexes serait bien introduit par les phrases 5 et 6 : J’ai lu un livre auquel je tiens beaucoup et L’endroit dans lequel se situe l’action est une île du Pacifique.

 

Indiquons enfin la possibilité de faire déboucher une telle étude sur l’élaboration de divers parcours, certains exercices se groupant assez facilement en vue de répondre à un apprentissage partiel.

Ainsi, pour travailler sur la fonction du pronom relatif, on pourra rassembler les exercices A, B et G ; de même, pour la distinction entre relative et conjonctive, les exercices A et F pourraient constituer un ensemble, dans une optique de révision en 4e, par exemple.

On peut également souhaiter donner, par de simples manipulations, l’intuition de la relative comme construction typique, en vue par exemple de préparer d’autres apprentissages. Les exercices G, C et D, ce dernier grâce à la commutation avec l’adjectif, conviendraient à une telle activité, possible dans ce cas dès la 6e dans le cadre de l’initiation à la phrase complexe. 

La question de la signification des relatives, via l’opposition entre déterminatives et explicatives, peut être abordée par les exercices D et E. Dans le prolongement d’un tel objectif, des travaux d’écriture sont permis par les exercices E et G.

Plusieurs autres démarches étaient possibles, que les candidats avaient tout loisir de mettre en évidence dans leur réponse. En l’espèce, seule la distinction entre relative adjective etrelative substantive posait une réelle difficulté, les exercices n’étant à l’évidence pas construits pour la faire travailler.

 

On voit finalement que l’expression de « mise en situation professionnelle » n’est pas à entendre ici au sens restreint de construction d’une séquence pédagogique. Comme l’ont montré les dernières analyses proposées, il s’agit bien plutôt de présenter de façon ordonnée ce que doit être le travail préalable à une telle activité : un examen attentif d’un matériel pédagogique que l’on doit conduire à la fois avec toute la rigueur et l’exigence scientifique possibles et une logique pédagogique qui tente d’articuler la réflexion sur ce qu’est réellement la transmission de la grammaire dans les classes. On veut par là inciter le futur professeur à poser sur les exercices et leçons de grammaire un regard scientifique et critique, afin qu’il ne soit pas tenté par la suite de s’en remettre à une batterie d’exercices, ceux-ci fussent-ils excellents, dans l’espoir que les choses s’établissent un peu d’elles-mêmes dans la conscience des élèves. Il s’agit, par ce travail préparatoire, de s’assurer une plus grande maîtrise du déroulement des apprentissages, de déjouer au mieux les impasses possibles que sont dans la pédagogie de la grammaire toutes les situations où l’on pose à un élève une question qui ne fait pas sens pour lui, cela en se demandant sans cesse, à partir de ses connaissances linguistiques, comment définir des objectifs et les mettre au mieux en rapport avec les moyens employés. L’attitude « professionnelle » que demande cette question de grammaire, pour la résumer de façon oblique, serait au fond de ne pas considérer systématiquement que la grammaire s’enseigne comme d’elle-même et qu’une batterie d’exercices, fût-elle excellente, se suffit à elle-même pour assurer une « application » de la leçon.


Terminons en commentant rapidement quelques points observés dans les copies de la session 2014. Une première satisfaction est venue de ce que très peu de candidats se sont laissé surprendre par la nouvelle question : la proportion de réponses « blanches » ou embryonnaires n’a pas été significativement supérieure à ce que l’on constate toutes sessions confondues, dans tous les domaines de l’épreuve.

En ce qui concerne le contenu, la plupart des copies ont articulé leur réponse selon un plan nettement perceptible, et l’on peut retenir qu’il s’agit là d’une condition sine qua non de réussite ; il serait tout à fait impossible de mettre en œuvre une réflexion du niveau de celle qui est demandée en se contentant d’un propos linéaire qui commenterait librement tel ou tel aspect du sujet. Ainsi, à l’inverse, plusieurs copies se sont contentées de passer en revue les différents exercices du dossier après une vague introduction, ce qui s’est avéré nettement insuffisant.

En revanche, le jury a constaté, comme il était normal, une réelle diversité quant à la nature des plans adoptés, aucun n’étant à priori meilleur qu’un autre, à une notable exception près : celui qui prétendait traiter d’abord de la relative en classe de 5e et ensuite de « l’approfondissement » de la notion en classe de 3e. L’échec de ce plan est que la proposition sur laquelle il repose est fausse : la relative n’est pas approfondie en 3e ; tout au plus trouve-ton mention d’une révision des pronoms, parmi lesquels le pronom relatif. Ce plan a pourtant assez souvent été observé, ce qui témoigne dans ce cas d’une assez grande méconnaissance des programmes, certains candidats ayant apparemment réagi sans aucun recul au fait que les exercices du dossier étaient empruntés à ces deux niveaux. On peut former des vœux pour que les conseils et indications donnés ici permettent une amélioration dès la prochaine session.

Soulignons également la faiblesse évidente des plans entièrement centrés sur un aspect partiel du sujet, par exemple ceux qui entendaient traiter en deux ou trois points la seule question des fonctions du pronom relatif. De même, rappelons qu’aucune connaissance particulière en didactique n’est exigible pour cette question, bien que rien ne soit exclu en la matière ; on pouvait par exemple choisir d’étudier dans une première partie la « transposition didactique » de la relative, à condition toutefois de savoir de quoi l’on parlait et d’indiquer méthodiquement quelles propriétés de la construction on entendait retenir pour faire de celleci un objet d’enseignement. En réalité, la seule annonce d’un plan est loin de garantir la réussite du développement, et presque tout dépend en la matière de la façon dont le candidat conduit son propos en maintenant le mieux possible le lien entre exposé morphosyntaxique et perspective d’enseignement. On peut toutefois dire que les copies qui ont cloisonné hermétiquement dans deux parties disjointes la synthèse théorique et les analyses des exercices du dossier s’exposaient plus que d’autres au risque de dévier soit vers la fiction pédagogique d’un récit de séquence développé en lui-même, soit, à l’inverse, vers une sorte de grande leçon fourre-tout traitant de tout ce qu’il était possible de dire sur la relative.

Le bon plan est donc tout simplement celui qui permet de développer une problématique pédagogique à partir des propriétés saillantes de la relative et qui atteste d’une réflexion préalable du candidat. Les développements un peu passe-partout comme ceux qui organisaient d’abord une phase d’observation et annonçaient un second temps d’établissement de règles ont donné des résultats inégaux, là encore fonction des connaissances et des qualités des analyses proposés. À côté de développements trop généraux, une copie a très bien tiré profit d’un tel plan, et a pu établir que la relative avec antécédent fonctionne comme un adjectif, résultat certes modeste au regard du savoir grammatical, mais que le cheminement suivi amenait avec rigueur comme un objectif pédagogique à atteindre, en utilisant bien les particularités de certains éléments du dossier. De même, le fait de traiter dans une première partie de la question des présupposés, ce qui revenait dans les meilleures d’entre elles à présenter la mise en jeu de la relative dans les programmes et les liens établis avec d’autres questions, a souvent débouché sur un plan d’étude intéressant, comme par exemple l’opposition entre conjonctives et relatives puis entre fonction du pronom relatif et fonction de la relative. Un tel plan, empirique, s’est sans doute imposé de lui-même après un premier temps consacré à l’étude des programmes ; il s’est avéré efficace dans la mesure où il a permis d’englober la plus grande partie des éléments de la question et de proposer, là encore, un ensemble correctement élaboré, progressif et tourné résolument vers l’enseignement de la notion.

 

Ces réussites laissent espérer que les futurs candidats au CAPES s’empareront de ces quelques indications pour améliorer les résultats d’ensemble obtenus cette année et, au-delà, qu’ils saisiront la possibilité qui leur est donnée de commencer, dès leur année de préparation, à s’intéresser à la manière dont la grammaire s’enseigne, et se dotent d’ores et déjà d’une compétence en la matière dont on ne peut que leur assurer qu’elle leur sera extrêmement précieuse dès leur première année d’enseignement et tout au long de leur carrière.

 


[1] Dialogale vs dialogique : voir C. Kerbrat, Le Discours en interaction, p. 16, où le discours dialogal est défini comme un échange verbal « entre plusieurs personnes en chair et en os », et est opposé au discoursdialogique, qui est un « discours pris en charge par un seul locuteur, mais qui convoque plusieurs voix ».

[2] L’édition Deloffre/Rubellin (Théâtre complet, Paris, Garnier, 1996, tome 1, p. 1107, note 72) signale la difficulté de cette réplique : « il faut comprendre : Voilà qui est naïf, voilà le cri du cœur ».

[3] La Grammaire méthodique du français de Riegel, Pellat et Rioul (p. 489-490) classe ce qui comme un « pronom indéfini », et situe son emploi dans les « relatives comme expression circonstancielle », particulièrement à valeur concessive… Ce n’est pas le lieu de le montrer, mais cette analyse ne va pas sans poser problème.

[4] « L’attention portée aux faits de langue a également sa place et son utilité dans le cadre des travaux de lecture et d’écriture, qui fournissent l’occasion, selon leurs perspectives propres, de renforcer la compréhension et la mise en pratique des connaissances acquises » et « « L’élève acquiert progressivement le vocabulaire grammatical qui se rapporte aux notions étudiées et mobilise ses connaissances dans des activités d’écriture. ». Le programme des lycées signale simplement à propos des compétences à acquérir en « grammaire de texte » et en « grammaire de l’énonciation » : « la mise en œuvre des connaissances grammaticales dans les activités de lecture et d'expression écrite et orale s'en trouve facilitée. ».