ÉTUDE GRAMMATICALE ET STYLISTIQUE D’UN TEXTE DE
LANGUE FRANÇAISE POSTÉRIEUR A 1500
Rapport présenté par Morgane MARZIN, Valérie RABY et Dan SAVATOVSKY[1]
Les trois domaines de savoir visés par cette épreuve – la lexicologie, la morphosyntaxe et la stylistique – requièrent une préparation solide et rigoureuse qui permette un réinvestissement rapide le jour du concours. Pour réussir, il faut avant toute chose maîtriser les méthodes de la description linguistique et connaître la terminologie grammaticale courante ; à cet égard, la fréquentation assidue des grammaires de référence se révèle indispensable. Ces grammaires doivent figurer parmi les ouvrages de base d’une bonne préparation. Nous en avons sélectionné quatre dans la bibliographie générale assortie à ce rapport, sans compter les ouvrages portant plus spécialement sur la lexicologie. De tels choix ne signifient pas que le jury pratiquerait on ne sait quelle exclusive en matière de théories linguistiques. Les titres que nous avons retenus sont simplement ceux qui reviennent le plus souvent dans les bibliographies conseillées au sein des préparations universitaires. S’agissant des attentes du jury en matière d’organisation des exercices (méthode de travail, plan, élaboration d’une problématique, etc.), les candidats peuvent s’inspirer – pour ce qui est de l’exercice stylistique notamment – des modèles d’épreuve proposés dans les nombreux manuels actuellement disponibles. C’est pourquoi nous donnons aussi une sélection de ces manuels dans la partie stylistique de la bibliographie. Enfin – c’est plus inhabituel – nous avons réservé une rubrique à quelques uns des travaux consacrés à Saint-Simon, l’auteur dont il fallait étudier une page. Les études saint-simoniennes sont très nombreuses : à côté des travaux cités dans le rapport lui-même, nous n’avons retenu que quelques références classiques. Une façon d’inciter les futurs candidats à ne pas se contenter des manuels et des grammaires, à se frotter à des travaux de recherche – fussent-ils déjà anciens, pour certains – dans la perspective d’un CAPES qui, on le sait, est amené à évoluer sous peu dans sa forme et dans ses exigences.
1. LEXICOLOGIE (2 points)
Préambule méthodologique
Rappelons d’abord la nécessité de la composition de la réponse en lexicologie. L’étude de chacun des mots devra ainsi ménager trois étapes :
- Le candidat doit s’attacher d’abord à l’analyse de la formation du mot. L’origine des deux mots à étudier cette année ne faisait pas difficulté et pouvait être correctement élucidée, même si ce n’est pas ce qu’on attend d’abord de l’exercice de lexicologie. L’explicitation des procès morpholexicologiques est en revanche clairement attendue.
Il faut ainsi classer le mot à étudier, soit parmi les mots « héréditaires », issus du latin (le fonds primitif), soit parmi les mots empruntés à d’autres langues (y compris les emprunts tardifs au latin), soit enfin parmi les mots fabriqués en français ancien ou moderne à partir des deux catégories précitées (formation indigène). Dans ce dernier cas, on attend des candidats la reconnaissance des processus de formation – ceux-ci résultant soit de la recatégorisation (transfert catégoriel, translation, conversion ou dérivation impropre ou implicite), soit de la combinaison de mots préexistants (par composition), soit de l’addition d’éléments non autonomes, les affixes (par dérivation). Il arrive que l’identification des affixes fasse problème. Ainsi, parmi les erreurs commises cette année à propos de redoublement, les correcteurs ont déploré la confusion fréquente du suffixe -ement [du latin -amentum] – dont la vitalité se mesure au nombre considérable de noms exprimant l’action ou son résultat, issus de verbes de toutes conjugaisons – avec le suffixe -ment [du latin mente, ablatif du nom mens, « esprit »].
Pour l’analyse sémantique, on procède en deux temps :
- En premier lieu, l’analyse du sens en langue porte sur le sens originel du mot et ses variations sémantiques. La mention de la famille de mots à laquelle il appartient et celle de son champ dérivationnel ne sont pas exigibles ; mais le jury n’a pas sanctionné les copies qui les ont évoquées.
- Parce que l’épreuve de lexicologie vise à une plus fine intelligence du texte, l’élucidation du sens en discours explore les sens en micro- et en macrocontexte. On invite les candidats à évoquer les faits de dénotation et de connotation et, le cas échéant, de polysémie, à penser la place du mot, à envisager ses nombre et genre, à relever les occurrences du même mot ou d'un autre mot du même champ dérivationnel ou notionnel. Une analyse syntaxique se révèle souvent nécessaire pour l’élucidation du sens en contexte étroit. C’était le cas cette année, s’agissant surtout de politiques.
Les occurrences présentaient deux origines morphologiques différentes – un mot héréditaire (redoublement), un mot emprunté (politiques) – et supposaient deux traitements sémantiques distincts. Si l’acception de redoublement ne faisait guère difficulté, celle de politiques exigeait des remarques plus développées, portant notamment sur la polysémie que ce mot présentait en contexte. L’épreuve ne prévoyant pas d’approche diachronique, les correcteurs n’ont pas sanctionné une telle approche, à condition qu’elle soit correctement informée. C’est pourquoi le corrigé propose quelques pistes en la matière.
1.1. Politiques (ligne 9)
Les plus forts de ceux-là, ou les plus politiques, les yeux fichés à terre, et reclus en des coins, méditaient profondément aux suites d’un événement si peu attendu…
Adjectif qualificatif épicène masculin pluriel, au superlatif relatif (on a accepté : syntagme ou groupe adjectival adv. + adj.). En discours, l’adjectif est en emploi substantif, sujet coordonné de « méditaient », déterminé par l’article défini les et déterminé elliptiquement par le même complément du superlatif « de ceux-là » que « les plus forts », introduit par la préposition de à valeur partitive (Riegel, Pellat, Rioul, 1994, p. 336).
On a trouvé dans certaines copies une analyse en termes d’ « adjectif substantivé » – notion s’il en est problématique. Certes la Grammaire méthodique du français, grammaire de référence, l’utilise sans précaution (ibid., p. 356) et suggère, dans une remarque, que les adjectifs « ne sont qu’exceptionnellement précédés d’un déterminant et dans des conditions particulières qui impliquent l’ellipse d’un nom ou leur transfert dans la catégorie du nom » (ibid., p. 168). Aussi a-t-on veillé à la cohérence du propos général tenu par le candidat : en tant que catégorie mineure, la classe des adjectifs « ne peut être par elle-même ni sujet ni prédicat » (Le Goffic, 1993, p. 20). On attendait à propos de l’adjectif politiques (même s’il conserve sa faculté d’être gradable) que soit clairement indiqué son transfert catégoriel (on a aussi accepté conversion ou dérivation impropre, ou dérivation non affixale).
Formation du mot, morphologie
Mot complexe non construit, l’adjectif politique est attesté chez Oresme, en 1365 [2]. Il s’agit d’un emprunt au latin politicus, -a, -um (« relatif au gouvernement des hommes »), du grec πόλις (« cité ») et πολιτικός (« de citoyen, qui concerne les citoyens, populaire, qui concerne l'État, public »)[3]. Par dérivation impropre, politique peut désigner un art, un domaine d’expertise, une discipline (la politique : la science politique, la plus noble de toutes les occupations humaines selon Aristote, au début de l'Ethique à Nicomaque) ou des agents : un politique, pour un homme politique. Certains candidats l’ont analysé comme un mot construit : le suffixe –ique [du latin –icus] est en effet très productif aujourd’hui pour former des adjectifs, notamment dans la terminologie scientifique et technique.
Remarques sémantiques
En tant qu’adjectif qualificatif, politique subit une évolution sémantique qui conduit à une acception positive : « bien versé au fait de la police administration » » (1570, Dictionnaire historique) ou« habile dans les affaires publiques », ou « qui a la faveur des concitoyens, populaire ». Il caractérise par extension de sens celui qui « sait l’art de gouverner ou qui en juge suivant les lumières acquises » (Dictionnaire universel de Furetière, 1690). Dans une acception plus marquée, politique se dit aussi « d'un homme adroit et fin, qui sçait arriver à son but, & s'accommoder au temps » (ibid.). Le mot fait alors l’objet d’un gauchissement péjoratif au XVIIe siècle (« qui s’accommode à toutes les situations, adroit »), puis d’une spécialisation-restriction d’emploi.
Sens en contexte, en discours
L’occurrence offrait un cas de polysémie. L’observation moraliste de Saint-Simon participe en effet d’une caractérisation double : elle signale une attention aux manœuvres de la Cour, aux cabales fomentées et donc aux gestes trahissant une conduite non affichée. Ainsi, enmicrocontexte, politiques recouvre l’emploi défini par le Trésor de la langue française : « qui fait preuve d’habileté, qui est avisé dans ses rapports avec autrui, en vue d’atteindre un certain but ». Mais on admettra aussi le recours à une autre acception donnée par ce dictionnaire : « tourné vers les affaires de l'État et leur conduite ». Le mot procède de plus de l’établissement d’une hiérarchie comparative assortie d’une marque du haut degré par le superlatif.
Enmacrocontexte, l’usage de l’adjectif relève d’un parallélisme de construction, l. 4-5 et l. 8-9 : le mémorialiste associe deux adjectifs en emploi substantif pour désigner, après correction, une partie de la « foule des courtisans ». De plus l’anaphore les plus politiques dans une progression à thème dérivé, avec une restriction de champ, reprend « les affligés, de cabale frappée ». Le mot s’inscrit ainsi dans un réseau où les plus politiques de la cabale frappée, assimilés aux plus forts de la même cabale et reconnaissables à leur contenance (les yeux fichés à terre, et reclus en des coins, méditaient…), se distinguent à la fois de ceux qui pleuraient amèrement (ils font partie comme eux des vraiment affligés) et de ceux qui regardaient cet événement comme favorable, qui appartiennent à la cabale adverse.
1.2. Redoublement (l. 17)
…les questions, et le redoublement du désespoir des affligés, et l’importunité pour les autres.
Formation du mot, morphologie
Redoublement est issu d’une dérivation suffixale, avec ajout successif des deux affixes (et non d’une dérivation parasynthétique), dérivé propre du radical verbal issu de double (latin duplus). Déverbal de redoubler (latin de basse époque duplare) : [ [(re-)préf. [doubl(e)-]]b.v. (ment )suf] subst.m.
La première dérivation est endocentrique [re-+ [doubler] v ]v , avec un verbe construit à partir d’un autre verbe ; la préfixation apporte notamment au procès initial une valeur aspectuelle d’itération. La seconde dérivation, quant à elle, est exocentrique puisqu’elle opère un transfert catégoriel vers la classe des substantifs : [redoubl(e)]bv+ment]subst. La suffixation permet ainsi d’obtenir un nom à partir d’une base verbale, selon un processus de nominalisation, au moyen du suffixe -(e)ment, du latin classique -amentum.
Remarques sémantiques
Le sens en langue du dérivé redoublement (XIVe siècle, repris en 1539) exprime « l’action de rendre double » et au XIXe siècle – spécialement en linguistique – une syllabe, un mot (1869), avec des emplois spéciaux en escrime (1607) et en rugby (1905)… Le sens « suivre une classe une seconde fois » est attesté tardivement pour remplacer doubler, vieilli en cette acception ; le participe passé redoublé, adjectivé dès l’ancien français, entre en sens intensif dans l’expression « à coups redoublés ». On attendait des candidats qu’ils aient choisi une illustration opportune : certains exemples, comme ceux de la poussette double ou du redoublement d’une classe, étaient peu pertinents pour élucider le sens de l’occurrence.
Sens en contexte, en discours
Contexte syntaxique : ce nom masculin singulier, tête du groupe nominal « le redoublement du désespoir des affligés » est un des thèmes-pivots coordonnés d’une phrase averbale.
En microcontexte, le complément déterminatif « du désespoir des affligés » suggère donc la répétition intensive de la déploration, à quoi fait écho en macrocontexte « la fréquence de leur répétition » ou « répondue par une douleur voisine », ainsi que le recours à la valeur aspectuelle itérative des imparfaits « tiraient » et « plaignaient ». La polysyndète marque soit l’idée d’un renouvellement de l’expression de la plainte, d’une accentuation de la plainte et, de manière péjorative, peut-être les deux, soit la surenchère d’une comédie de l’affliction. La macrofigure de l’amplification coexiste avec de discrètes oppositions : le dernier membre de la polysyndète « et l’importunité pour les autres » suggère lui aussi l’association de tous ces comportements hypocrites ou malséants. Modalisation discrète, s’effaçant presque, puisque l’on peut évoquer le lexique du haut degré de la peine au regard des superlatifs « tant de », « si peu attendu »...
2. GRAMMAIRE (8 points)
2.1. Les adjectifs qualificatifs de la l. 18 (« Ceux qui déjà… ») à la fin du texte (6 points)
Deux rappels préliminaires :
* L’étude synthétique de grammaire doit être structurée comme suit :
- l’introduction définit la catégorie ou la notion proposée à l’étude, soulève les éventuels problèmes posés par cette définition ou la catégorisation des unités de langue visées, présente un plan d’étude qui tient compte de cette problématisation et de la singularité du corpus des occurrences présentées par le texte ;
- l’étude des occurrences est organisée selon un plan explicite, qui met en évidence une classification fine. Le simple étiquetage des occurrences est insuffisant : chacune d’entre elles doit faire l’objet d’une analyse. Il est recommandé cependant, surtout quand le corpus est étendu, de traiter conjointement les occurrences dont les propriétés morphosyntaxiques sont similaires, et de consacrer des développements plus soutenus aux formes plus singulières. Le relevé préliminaire des occurrences est inutile.
* Cette partie de l’épreuve est intitulée « grammaire » (parfois « morphosyntaxe ») : cela signifie que l’étude concerne prioritairement les formes et leurs emplois dans la structure de la phrase. Le sens entre en ligne de compte, mais pas au premier chef ni surtout à l’exclusion de l’analyse formelle. Ainsi l’étude des adjectifs ne peut être limitée à l’opposition classifiants / non classifiants ou objectifs / subjectifs, d’autant que la catégorisation de certaines occurrences était discutable sous ce rapport.
La question proposée cette année était tout à fait classique. Quand une partie du discours est soumise à l’étude, il faut commencer par la distinguer des autres parties du discours, en indiquant ses particularités morphologiques, syntaxiques, sémantiques. L’intitulé « adjectif qualificatif » excluait donc le traitement des adjectifs relationnels, des adjectifs numéraux et apparentés, et des adjectifs indéfinis (l’extrait ne comportait pas d’occurrence des deux premières catégories, mais le cas de « certains », l. 23, devait être discuté).
L’adjectif se prête bien entendu à l’analyse morphologique, et l’on pouvait considérer pour l’étude des occurrences le marquage du genre et du nombre, à l’écrit et à l’oral. L’analyse des fonctions syntaxiques de l’adjectif était indispensable, et de trop nombreuses copies ont témoigné d’une méconnaissance de la différence entre adjectif détaché (ou apposé) et attribut, épithète liée et attribut de l’objet.
La place de l’adjectif qualificatif épithète a parfois été retenue comme critère de classement. Cependant, notre corpus ne présentant pas d’occurrences remarquables sous ce rapport (pas de cas d’antéposition marquée), il fallait n’user de ce critère que localement.
Le corrigé proposé – nécessairement plus développé que ce que l’on est en droit d’attendre des candidats – privilégie donc l’analyse syntaxique en adoptant un plan en deux parties : délimitation du corpus ; analyse des occurrences (classement syntaxique assorti de descriptions morphologiques). D’autres plans d’étude étaient bien entendu recevables, et la progression morphologie / syntaxe / expression des degrés de l’adjectif était tout aussi pertinente.
Introduction
L’adjectif est une partie du discours tardivement différenciée du nom (les grammairiens de l’âge classique distinguaient encore, parmi les noms, les noms adjectifs des noms substantifs) et longtemps définie par contraste avec celui-ci : le nom nomme la substance, quand l’adjectif nomme la qualité. En effet, l’adjectif n’a pas d’autonomie référentielle, il est toujours incident à un support de type nominal. Exprimant une « qualité » (soit une propriété, intrinsèque ou accidentelle), l’adjectif qualificatif peut admettre des variations de degré (de comparaison ou d’intensité). Cette propriété, alliée à la possibilité d’occuper la fonction attribut, distingue l’adjectif qualificatif de l’adjectif relationnel et de l’adjectif indéfini qui ne sont ni gradables, ni déplaçables.
Syntaxiquement, l’adjectif qualificatif n’est pas un constituant de premier ordre. Il est toujours lié à un élément nominal, selon trois modalités possibles correspondant aux « fonctions de l’adjectif » :
- épithète liée : l’adjectif est une expansion du nom auquel il est joint (directement ou non) ;
- apposition (ou épithète détachée) : l’adjectif constitue une prédication seconde portant sur un groupe nominal support dont il est détaché (dans la phrase graphique, le détachement est marqué par la virgule) ;
- attribut : l’adjectif prédique une caractérisation du sujet ou de l’objet par l’intermédiaire d’un verbe dit attributif (cependant, mais hors corpus, notre extrait présentait quelques occurrences de phrases attributives averbales).
L’adjectif peut lui-même être le centre d’un groupe syntaxique, s’il est accompagné de marqueurs d’intensité ou de degré, ou s’il régit des compléments.
L’adjectif admet la flexion nominale (variation en nombre ; variation en genre, à l’exception des épicènes), sauf s’il résulte de la conversion d’un nom ou d’un adverbe. De nombreux adjectifs sont issus de participes : le participe présent marque son transfert dans la catégorie des adjectifs (adjectif dit « verbal ») par la flexion, parfois par la graphie ; le cas des participes passés est souvent plus délicat, et la distinction entre l’emploi verbal et l’emploi adjectival de ces formes s’établit en contexte.
1. Délimitation du corpus : occurrences discutables ou à exclure
a) adjectif en locution verbale
« avaient beau pousser la gravité » (l. 18) : avoir beau (+ inf.) est un semi-auxiliaire lexicalisé, la locution concessive est figée et beau n’a plus les propriétés d’un adjectif.
b) adjectifs en emploi nominal :
« un vif » (l. 26), « une sorte d'étincelant » (l. 27) : les deux adjectifs (vif , de forme simple ; étincelant, adjectif dit « verbal ») sont employés comme des noms, précédés de l’article indéfini et du déterminant complexe une sorte de. On notera que ces emplois, qui construisent des équivalents de noms de propriétés, ne sont pas lexicalisés.
c) adjectif dit « indéfini » :
« un certain soin de s'éviter les uns les autres » (l. 23) : certain antéposé ne dénote pas une qualité (il ne peut être coordonné à un adjectif qualificatif, ni occuper la fonction attribut), mais souligne la singularité du comportement des courtisans.
d) participe passé en emploi verbal ou adjectival ?
« les plus touchés » (l. 21) : s’agit-il d’un participe passé passif ? En l’absence de complément de type agentif, il est difficile d’évaluer le degré de liaison avec le procès verbal, et le participe passé peut s’interpréter comme l’expression d’un état résultant. Cette interprétation est ici favorisée par l’inscription de touchés dans une structure de superlatif relatif.* « assis » (l.23), dont l’emploi est clairement adjectival, sera traité plus bas.
2. Syntaxe et morphologie des adjectifs qualificatifs du corpus a) attribut - du sujet :
« Ceux-ci se tenaient aussi tenaces en place que les plus touchés » (l. 20) : tenaces est un adjectif épicène de forme simple, au comparatif d’égalité (aussi + complément du comparatif, exprimant l’étalon de la comparaison). La construction du verbe pronominal autonome se tenir est ici susceptible de deux interprétations : construction double (le verbe régit le complément locatif en place et l’attribut aussi tenaces que les plus touchés) ou simple, si on analyse en place comme un complément de tenaces.
- de l’objet :
« Ceux qui déjà regardaient cet événement comme favorable » (l. 17) : l’adjectif épicène favorable,formé par suffixation, est attribut indirect de l’objet cet événement (pronominalisation possible de l’adjectif : « ceux qui déjà le regardaient comme favorable »)
b) épithète liée
L’adjectif (ou le groupe adjectival), est généralement supprimable. Dans ce corpus, la place des épithètes est toujours, sinon contrainte, du moins non marquée.
- antéposition :
« de bons yeux » (l. 19) : l’antéposition et le contexte sélectionnent, pour cet adjectif de forme simple, le sème d’ /efficacité/ contre celui de /bonté/. Le dét. indéfini pluriel prend la forme de (et non des) quand l’adjectif antéposé au nom est à initiale consonantique.
- postposition :
« un voile clair » (l. 19 : adjectif de forme simple, la postposition est régulière pour un adjectif de caractérisation objective.
« les accidents momentanés » (l. 25) : l’adjectif, bien qu’hérité du latin momentaneus, est encore perçu comme dénominal; sa postposition est régulière.
« maintien chagrin et austère » (l. 18) : les deux adjectifs sont simples, le second épicène. La postposition est favorisée par la coordination.
« des gens peu assis ou mal debout » (l. 23) : assis est un participe passé en emploi adjectival, modifié par l’adverbe d’intensité faible peu. On peut noter que la qualité d’assis se prête ordinairement mal à la gradation de son intensité. Assis est donc recatégorisé contextuellement en adjectif gradable.
Debout est un adjectif invariable, modifié par l’adverbe mal. De même que pour peu assis, l’adverbe fait de debout une qualité sujette à évaluation : mal marque la réalisation incomplète de la qualité dénotée par debout. La postposition des adjectifs est contrainte à la fois par la conversion et par la coordination.
c) épithète indirecte
« un je ne sais quoi de plus libre en toute la personne » (l. 25)
L’adjectif libre est simple, épicène, au comparatif de supériorité sans complément. Il est ici épithète indirecte de la locution phrastique substantivée un je ne sais quoi, équivalente à un pronom indéfini (quelque chose de…).
2.2. Faites toutes les remarques nécessaires sur : « Parmi ces diverses sortes d'affligés, point ou peu de propos, de conversation nulle », lignes 11-12 (2 points)
Le segment retenu cette année a visiblement surpris et déconcerté. On rappellera que l’exercice vise à permettre aux candidats de manifester leur capacité à identifier et interroger des faits morphosyntaxiques présentant une certaine complexité d’analyse. On attendait donc d’abord la mise en évidence des problèmes d’analyse et – si possible – leur résolution.
- description d’ensemble :
Le segment à étudier est le début d’une longue série de phrases averbales (ou « nominales », ou « sans verbe ») juxtaposées, série introduite par le groupe prépositionnel parmi ces diverses sortes d’affligés. Les deux phrases averbales point ou peu de propos et de conversation nulle correspondent à des prédications d’existence (« phrases nominales existentielles », selon la terminologie de Le Goffic, 1993). De telles phrases sont fréquemment précédées d’un élément indiquant l’ancrage situationnel du prédicat ; ici parmi ces diverses sortes d’affligés définit le domaine de validation des prédicats assertifs suivants. On pouvait dans une certaine mesure analyser ce groupe prépositionnel comme un complément circonstanciel.
- point ou peu de propos :
Phrase existentielle négative : le nom propos est précédé de deux déterminants indéfinis quantifieurs coordonnés (marquant la quantité nulle et la quantité faible), formés par l’association d’un adverbe et de l’élément de.
- de conversation nulle :
Phrase existentielle de structure binaire : groupe prépositionnel (de introducteur de thème, « en fait de… », « s’agissant de... ») + pronom indéfini négatif (cet emploi de nul est aujourd’hui suppléé par aucun).
Cependant la construction liée pouvait inciter à analyser nulle :
- comme un adjectif qualificatif (= « qui se réduit à rien »), mais le rôle syntaxique du groupe prépositionnel de conversation nulle devenait alors inassignable, ce qui devait empêcher cette interprétation.
- comme un déterminant indéfini négatif, au même titre que pas ou point de, la phrase constituant alors une variante de nulle conversation. L’interprétation est recevable, mais l’analyse de de reste délicate : même valeur que dans la phrase négative qui précède, avec effet de reprise en chiasme de la suite de + nom, le prélèvement (marqué par de)opérant alors avant la quantification (marquée par nulle) ?
3. COMMENTAIRE STYLISTIQUE (10 points)
Il n’est pas inutile de rappeler, pour commencer, ce qu’on attend de l’exercice de stylistique au CAPES, quitte à préciser de nouveau ce qui l’est régulièrement dans tous les rapports du jury. L’exercice de stylistique n’est ni un pur commentaire littéraire, ni le simple relevé et la simple analyse de formes de langue remarquables, leur emploi fût-il propre au « style » de l’auteur dont il faut étudier une page. Certes, il fait partie de l’épreuve intitulée « Étude grammaticale d’un texte postérieur à 1500 » : il s’agit donc d’abord d’un travail de type linguistique et grammatical. L’exigence première est bien que les faits de langue significatifs soient clairement identifiés (et précisément dénommés), puis exactement analysés. Mais cela ne suffit pas. Le savoir linguistique qu’on mobilise ainsi doit l’être au service de l’intelligence d’un texte littéraire particulier, de la mise en évidence des ressources et des procédés d’une écriture singulière et des effets de lecture qu’elle produit.
C’est pourquoi l’on ne saurait se contenter d’une énumération de remarques d’ordre énonciatif, lexical, syntaxique, sémantique, prosodique ou rhétorique, quels qu’en soient la justesse et l’intérêt propres. Ces remarques doivent procéder de ce qu’on nomme une problématique (un faisceau de « problèmes » à poser correctement et – si possible – à résoudre) et concourir ainsi à la formulation d’une ou plusieurs hypothèses de lecture. Autrement dit, on doit s’attacher à montrer quelles sont les visées littéraires d’un écrivain dans tel passage bien délimité de son œuvre et par quels moyens langagiers spécifiques il les réalise. En stylistique, une réflexion littéraire sans grammaire est vide ; une description grammaticale sans interprétation littéraire est aveugle. Sans doute la problématique ne s’impose-t-elle jamais par elle-même de manière évidente et il faut la construire ; elle résulte d’un choix. On peut donc « entrer » dans un texte de plusieurs façons et les correcteurs acceptent différentes approches d’un même texte, donc différents « plans ». Ce qu’ils sanctionnent c’est, d’une part, une rhapsodie de données langagières peu ou mal reliées entre elles, ni ordonnées ni interprétées et, d’autre part, des propos généraux sur l’auteur, son œuvre ou sa langue qui ne mobilisent pas (ou trop peu) des faits précis relevés dans le texte. Sans l’étude raisonnée et la mise en regard de ces faits, aucun discours sur le style de l’auteur n’a de sens. Parmi les types de relevés le plus fréquemment présentés sans commentaire, et pour cette raison irrecevables, il faut signaler ceux qui ont trait aux « champs lexicaux » (dénommés « champs sémantiques » dans certaines copies), aux « isotopies » (comme celles du regard ou de la douleur dans le texte de cette année) – un défaut souvent lié, de façon plus générale, à l’attention presque exclusive portée au lexique, au détriment des autres niveaux d’analyse linguistique.
L’introduction a pour objet d’avancer les hypothèses de lecture, d’indiquer – le cas échéant – sur quel(s) tour(s) d’écriture récurrent(s) ou particulièrement remarquable(s) ces hypothèses se fondent et d’annoncer le plan. Ainsi, dans le corrigé que nous proposons, nous sommes partis de l’idée que Saint-Simon trace le tableau de la Cour comme un moment de théâtre et qu’on peut lire à cet égard les deux séquences de phrases averbales figurant dans le texte comme des sortes d’indications scéniques. Puis, nous suggérons que cette mise en scène procède d’une critique de la Société de Cour d’inspiration moraliste. D’autres types d’introduction étaient possibles, bien entendu, qu’ils relèvent de l’histoire littéraire et/ou d’une réflexion sur les genres, à condition de préparer véritablement à la lecture du texte. Dans le premier cas, on aura – par exemple – une entrée en matière qui évoque la figure du duc de Saint-Simon, à la fois acteur politique et chroniqueur de la fin du règne de Louis XIV et de la Régence. Sauf à servir de simple préambule, on voit mal cependant comment une telle approche pouvait déboucher sur une problématique et un plan convaincants, ni qu’elle permette d’analyser l’extrait proposé. Une approche par les genres était en revanche plus féconde, et elle a été adoptée dans d’assez nombreuses copies. Il s’agissait alors de caractériser le genre des mémoires, de dessiner l’horizon d’attente générique, notamment le goût nouveau promu depuis le milieu du 17e siècle, non plus seulement pour le document qui sert à l’historien ou pour le commentaire qui témoigne d’une expérience vécue, mais pour d’autres types de mémoires – mémoires de gens du monde, lisant des romans et rompus à la conversation – qui signalent une mutation des valeurs esthétiques ou morales.
Faut-il rédiger son devoir ? Oui, il le faut. Un exercice de stylistique présentant une liste nue d’items est difficilement recevable, lors même que chacun d’eux serait assorti d’une remarque stylistique. Mais cela ne veut pas dire que tout doit être rédigé de façon linéaire et suivie. De courtes chevilles argumentatives soigneusement écrites sont exigibles, notamment en tête et à l’issue de chaque articulation du commentaire ; elles ont pour rôle de montrer comment l’analyse de tel aspect du texte se rapporte à la problématique et vérifie les hypothèses de lecture qu’on aura préalablement formulées. En deçà d’un certain niveau de structuration du devoir, on admet cependant l’usage des tirets qui permettent de sérier les données de langue pertinentes suivies de leur interprétation – à condition du moins que chaque groupe de données ainsi mises en série relève de la même visée stylistique et soit justiciable du même type d’interprétation. Quant à l’organisation de l’ensemble, il est souhaitable de la faire apparaître clairement, de préférence en intitulant et en numérotant les différentes parties et sous-parties. Les correcteurs sont toujours reconnaissants aux candidats qui leur facilitent ainsi la lecture de leur travail.
En quels termes formuler chaque intitulé de partie ? Deux possibilités sont envisageables : en termes strictement grammaticaux ou rhétoriques (l’organisation et les facteurs de cohérence du texte, l’énonciation, la détermination, l’actualisation, l’emploi des temps, les figures de style et de construction, les régularités rythmiques, cadencielles, prosodiques, etc.) ou bien en « déclinant » les différents volets d’une problématique littéraire (dans notre cas : le dispositif théâtral, le point de vue du moraliste ; et – pour les articulations d’ordre inférieur – le registre comique, la description, etc.). Aucun de ces deux types de distribution n’est illégitime par lui-même et ne peut être récusé. L’essentiel est qu’ils permettent la convergence des faits de langue et la vérification des hypothèses de lecture. Comme on le verra, nous avons choisi une solution médiane, du moins pour la plupart des intitulés de sous-parties, qui conjugue une donnée linguistique ou textuelle et l’une des pistes d’interprétation stylistique, la plus marquée parmi plusieurs possibles : Les phrases averbales. Leur récurrence les apparente à des didascalies ; ou bien encore : La caractérisation. Une description au service d’un jugement.
Ces quelques conseils de méthode étant donnés, venons-en au texte qu’il fallait étudier cette année. Il s’agissait d’un extrait des Mémoires de Saint-Simon, c’est-à-dire d’une œuvre écrite pour l’essentiel entre 1740 et 1750 environ[4] et qui n’a pas été publiée du vivant de son auteur : la première édition complète date du 19e siècle. A la différence de l’Agrégation qui roule sur un programme défini, le CAPES n’exige pas des candidats qu’ils connaissent intimement l’œuvre dont il faut commenter une page, même si l’on est en droit d’attendre d’un futur professeur de Lettres qu’il ait entendu parler des principaux monuments de la littérature française – et les Mémoires de Saint-Simon en font partie – voire qu’il en ait lu certains passages. Mais on ne peut lui demander de connaître les circonstances exactes de leur publication. Le jury n’a donc pas sanctionné les copies qui ont fait de 1711 (l’année des événements relatés) l’année de la rédaction ou de la parution des Mémoires.
Il n’a pas sanctionné davantage celles où Saint-Simon était classé parmi les écrivains du 17e siècle. On trouve du reste encore ce classement étrange dans certains manuels de littérature ; il s’explique peut-être par la période historique de référence des Mémoires (16911723) ou par le fait que Saint-Simon penseur politique est réputé tourné vers le passé, que ses conceptions de l’ordre social et politique sont étrangères – pour le moins – au Siècle des Lumières. Il n’empêche que l’ouvrage est contemporain, pour ce qui est de sa rédaction définitive, de L’Esprit des Lois, pas des écrits de Bossuet, de La Bruyère ou de Fénelon ni, a fortiori, des Mémoires du Cardinal de Retz. Une partie de la difficulté de l’exercice tenait donc cette année à la délicate distinction à opérer entre ce qui appartenait dans le texte à un certain état de langue, celui du milieu du 18e siècle, et n’appelait pas de commentaire particulier, et ce qui relevait d’un état plus ancien – les tours archaïsants, fréquents chez SaintSimon, pouvant être alors compris comme des traits de style. On rencontre dans le passage qu’il fallait étudier au moins une tournure un peu vieillie et stigmatisée à ce titre par l’Académie[5] : l’emploi en construction directe (ici, au passif) de répondre, ligne 13 – un emploi encore couramment admis dans la langue du 17e siècle, mais qui est déjà plus rare dans celle du 18e. A quoi l’on pourrait ajouter l’absence de reprise du sujet nominal par un clitique devant les verbes coordonnés, lignes 2-4 : sans qu’il s’agisse d’un archaïsme à proprement parler – dans la mesure du moins où les verbes sont ici coordonnés par un et [6] – l’ellipse de la reprise résulte d’un choix par Saint-Simon du procédé le plus anciennement attesté parmi deux procédés également disponibles dans la langue de son temps. On pouvait faire une remarque analogue à propos de méditaient aux suites, l. 10 (vs « méditaient sur les suites »).
Parler indistinctement de français moderne (c’est la dénomination courante de l’épreuve), qu’on ait affaire à la langue de Rabelais, à celle de Saint-Simon ou à celle d’Aragon, ne doit donc pas conduire les candidats à négliger les données de la variation diachronique quand elles peuvent mener à des remarques stylistiques pertinentes. Certes, on ne saurait exiger la convocation de connaissances trop précises en linguistique historique : tel n’est pas l’objet de l’exercice – pas davantage que celui de l’exercice de lexicologie où les tentatives incertaines de restitution des étymons, qui ne sont pas demandées, conduisent souvent à des erreurs. Mais on peut attendre des copies qu’elles attestent une certaine sensibilité aux écarts que la langue d’un écrivain donné entretient avec la langue (ordinaire ou littéraire) de son temps – et les archaïsmes en font partie. Ce sont même ces écarts qui permettent le mieux de définir le style de cet écrivain. Rien ne vaut alors les lectures littéraires, aussi nombreuses et variées que possible, pour se rendre plus sensible à ces écarts quand on se prépare aux épreuves du CAPES.
La seconde difficulté du texte, d’ordre plus général, tenait à l’écriture « à la diable » de Saint-Simon (le mot est de Chateaubriand), à la grande liberté de sa syntaxe. Et même si le passage à expliquer ne présentait pas de ruptures de construction à proprement parler, comme c’est souvent le cas ailleurs dans les Mémoires, certains raccourcis, certains procédés – notamment les tours elliptiques – ont pu déconcerter les candidats. Il en allait ainsi du segment de conversation nulle, sur lequel les candidats avaient déjà été amenés à réfléchir en répondant à la question de morphosyntaxe ; ou bien du segment de cabale frappée où le latinisme n’a été reconnu que dans trop peu de copies : cet obstacle a été le plus souvent contourné. A ce type de difficultés, l’on peut rattacher tout ce qui a trait à la ponctuation. La ponctuation moyenne et faible joue dans l’écrit classique, on le sait, un rôle dans l’organisation périodique, davantage que dans la structuration syntaxique de la « phrase » graphique. Son rôle est prosodique autant, si ce n’est davantage, que logique ou grammatical. A ce constat d’ordre général et qui a trait à l’histoire de la langue écrite, il convient d’ajouter la singularité de la ponctuation de Saint-Simon : « les virgules du manuscrit (…) y sont des signes de respiration sans fonction logique première, la cohérence naissant du suivi de la phrase, qui suggère un énoncé oral continu » (Seguin, 2004, p. 10). Au demeurant, aucune des grandes éditions complètes des Mémoires[7], y compris celle d’Y. Coirault, notre édition de référence (1993 [1983-1988]), bien qu’elle soit la plus fidèle, ne respecte entièrement la ponctuation originale, telle qu’on la trouve dans le manuscrit. Bien entendu, on ne pouvait attendre, dans les conditions du concours, qu’il soit fait état des difficultés liées à l’établissement du texte. Mais on pouvait attendre des remarques sur la ponctuation. Les candidats qui s’en sont abstenus n’ont pas été sanctionnés ; mais ceux qui ont signalé tel ou tel choix de ponctuation et qui l’ont mis en perspective de façon convaincante, d’un point de vue stylistique, ont vu leur copie valorisée.
Quant au recours aux phrases averbales, c’est son insistance qui fait sens dans le texte. La phrase averbale (ou nominale) répond à deux cas de figure. Soit elle constitue une « assertion intemporelle, impersonnelle, non modale » (Benveniste, 1966, p. 159). Elle exprime alors une vérité générale. Soit elle rend compte d’une situation déterminée, particulière, ancrée sur le plan énonciatif ; et c’est alors sa valeur expressive qui prévaut. Dans ce type de contexte, l’expressivité varie à raison inverse des moyens d’expression grammaticaux mobilisés (Guillaume, 1996, pp. 196 sqq). C’était le cas ici. Qu’on interprète les phrases averbales de l’extrait comme des sortes de didascalies, comme nous le suggérons, ou comme les traits d’un crayon (le terme est fréquent chez Saint-Simon), c’est-à-dire d’une description fragmentaire et rapidement brossée de la scène, d’une suite d’esquisses juxtaposées, proches de la prise de notes, qu’on en infère l’intention d’imprimer aux passages où elles dominent un mouvement saccadé ou accéléré ou bien qu’on y voie la marque d’une négligence recherchée, toutes ces « lectures » étaient possibles et bienvenues à partir du moment où elles étaient cohérentes avec les choix interprétatifs d’ensemble. Mais il n’était pas possible de faire l’impasse sur les phrases averbales ni d’éviter de rendre raison, dans une approche stylistique, de leur valeur expressive propre.
D’autre part, il convenait de noter que les deux séquences de phrases averbales coïncident avec l’emploi de tours asyndétiques (ou paratactiques), qu’elles alternent dans le texte avec d’autres séquences dominées par des constructions polysyndétiques et qu’elles contrastent avec elles. Il fallait chercher à rendre compte de cette alternance. De manière générale, les régularités rythmiques et cadencielles attirent trop peu souvent l’attention des candidats, quel que soit le texte à étudier pour l’épreuve de français moderne. Sans être toujours très marquées, celles de notre texte exigeaient cependant d’être relevées. On pouvait ainsi faire un sort à la première phrase, avec sa cadence majeure – un ample geste d’ouverture sur la scène tout entière, accentué par le jeu des assonances à effet d’allongement – ou s’attarder sur l’effet rythmique produit par les contre répétés des lignes 22 et 23 ou encore sur les effets produits par les hyperbates. Mais c’est surtout en remarquant que le style coupé de l’asyndète, couplée aux phrases nominales, caractérise plutôt les séquences à dominante descriptive et le style périodique de la polysyndète plutôt celles où la voix du mémorialiste, commentateur ironique et moraliste discret, se fait plus nettement entendre, qu’il était possible de lier les caractéristiques rythmiques et cadencielles de chacun de ces deux procédés à l’organisation d’ensemble du passage.
L’organisation du passage, précisément : dans d’assez nombreuses copies, on s’est attaché
– à juste raison – au type de progression mis en œuvre. Le recours aux notions issues de la linguistique textuelle ne manquait pas de pertinence à cet égard, à condition du moins que ces notions soient correctement comprises et utilisées. Si « progression thématique » il y a, ce n’est ici ni une progression à thème constant, ni une progression à thème linéaire, mais bien ce que la grammaire de texte nomme progression à thème dérivé (ou éclaté). Comme pour d’autres notions provenant de la narratologie, de la poétique, de la rhétorique ou de la linguistique textuelle, l’erreur ne tient pas simplement à une confusion de termes. Les correcteurs sont assez indulgents en matière de terminologie, ne serait-ce que parce qu’une même notion peut prendre des dénominations distinctes selon les théories linguistiques ou grammaticales de référence ; l’essentiel est d’abord que le fait de langue ou de discours auquel renvoie tel ou tel terme soit convenablement identifié et décrit. Mais la précision terminologique, quand elle ne laisse pas de doute sur la nature des faits linguistiques ou stylistiques, est une qualité attendue dans les copies. Il fallait à cet égard se méfier de l’emploi mécanique ou inconsidéré de certains termes, comme ceux de narrateur omniscient ou de narrateur hétéro-, intra- ou extra-diégétique. Tout écrit n’est pas de type narratif, même lorsqu’il peut comporter une dimension narrative (mais était-ce bien le cas ici ?) et il n’est pas certain que des notions introduites pour rendre compte en premier lieu de l’écriture romanesque – et d’abord mises à l’épreuve à propos du roman du 19e siècle – puissent être utilisées sans précaution, s’agissant de notre texte. Il faut aussi signaler l’emploi parfois erroné des termes connotation, dénotation, phrase clivée, présentatif, etc.
Dernière remarque d’ensemble – elle touche moins aux connaissances grammaticales ou stylistiques requises pour étudier le texte qu’au fonds de culture générale exigible d’un professeur de Lettres et sans lequel certains aspects du texte ont échappé à la sagacité des candidats ou même ont fait l’objet de contresens, ce qui pouvait invalider en partie les hypothèses de lecture. On ne pouvait attendre que les circonstances de l’épisode, la « continuation du spectacle de Versailles » [8] au moment de la mort du Grand Dauphin, soient très précisément situées dans le déroulement des Mémoires. Mais dans toutes les copies où il était question d’un « enterrement », d’un « cortège funèbre », de « condoléances » adressées au roi par les courtisans, du deuil porté par les courtisans, etc., on a fait preuve d’une ignorance des rituels en vigueur dans les cours princières d’Ancien Régime et surtout on a péché par anachronisme. Que le défunt soit vu comme un jeune enfant n’aurait pas fait problème (tout le monde n’est pas censé connaître la biographie du Grand Dauphin) si le texte lui-même n’avait fourni des indications (comme la bonté de Monseigneur) pour qu’on évite cette méprise – à condition de savoir les interpréter. Des mots comme cabale, politiques ou se composer ont également entraîné des contresens parce que la culture générale faisait défaut. Bref, pour préparer cette épreuve, il ne suffit pas d’avoir consulté des traités de grammaire ou des manuels de stylistique et de s’être entraîné à l’exercice dans le cadre des préparations universitaires. Il faut avoir lu et s’être cultivé beaucoup plus largement.
Toutes ces remarques (nous en aurions bien d’autres) doivent être prises en bonne part, c’est-à-dire comme des conseils à l’attention des futurs candidats. Elles ne doivent pas laisser penser que la cuvée 2009 aurait été plus mauvaise que les précédentes. Les performances réalisées à l’épreuve de français moderne et singulièrement à l’exercice de stylistique, se maintiennent, bon an mal an, à un niveau constant. Un rapport de concours a d’abord pour objet de mettre en garde les candidats, d’attirer leur attention sur les types d’erreurs les plus fréquents à éviter et sur les malentendus possibles quant aux exigences générales de l’exercice (commentaire littéral, absence de problématique, relevé sans analyse, etc.). Mais il y a aussi les réussites, et les correcteurs nous en ont signalé de nombreuses, cette année, qu’il s’agisse de l’étude de la progression du texte, de l’indétermination de la référence, des balancements binaires, des constructions pronominales, des retouches correctives, des discours rapportés, des valeurs aspectuelles de l’imparfait, des structures paratactiques ou de l’interprétation de telle donnée plus particulière : l’oxymore un voile clair, les emplois nominaux de vif et d’étincelant, etc.
Le corrigé que nous proposons est un exemple de ce qu’il était possible de faire. Un exemple parmi d’autres, peut-être discutable sous certains aspects (le registre comique ?) et certainement pas un modèle. Il est beaucoup plus développé que ce qu’un candidat est en mesure de réaliser dans l’heure ou l’heure et demie dont il dispose pour son commentaire stylistique, mais il demeure schématique et incomplet à certains égards. Bref, c’est un optimum plutôt qu’un maximum.
Introduction
Il s’agit d’un tableau – un tableau vivant –, dispositif à la fois pictural et théâtral. Le « spectacle de Versailles » à l’instant de la mort du Grand Dauphin relève à maints égards d’une scène de comédie. Organisation d’un espace scénique et création d’une dramaturgie, distribution fonctionnelle des rôles (selon qu’on est de telle ou telle cabale ou bien simple curieux), description des postures et des mimiques qui s’apparentent à autant d’indications scéniques (ce à quoi contribuent les phrases averbales), registre comique et travestissement des sentiments : nous avons tous les éléments d’un théâtre de Cour, ou plutôt d’une pantomime, d’un (mélo)drame joué ou surjoué mais plus ou moins muet, dont les protagonistes sont en même temps les spectateurs et les acteurs. Cette scénographie est mise au service d’une critique de la Société de Cour, avec ses codes posturaux, ses intrigues et ses ridicules. Le texte s’inscrit ainsi dans une veine moraliste propre à l’observation du « commerce des hommes ».
I. Un théâtre de Cour
1. Le chœur et la distribution des rôles : nomination des personnages
* « Plus avant commençait la foule… » (l. 1) : pas de personnages clairement identifiés, davantage des groupes, à l’exception de Monseigneur (le défunt Dauphin) et du Roi, son père, mais ils ne figurent pas – le premier par définition. Plutôt donc un chœur à l’antique ou bien les pleureuses et les pleureurs (aux yeux secs, l. 3, le plus souvent) d’une veillée mortuaire.
* Dans cette distribution des rôles, Monseigneur (l. 3) est la seule nomination du texte – avec celle du Roi (à deux reprises, l. 4. & 5). Elle garantit l’ancrage référentiel de la scène ; il s’agit bien de Mémoires, d’une page d’histoire, pas d’une fiction. L’avant-nom Monseigneur est ce que Saint-Simon désigne ailleurs par « nom singulier » (Pléiade, II, 1993, p. 428), à la fois appellatif et nom d’adresse (comme Monsieur, le frère du roi, Madame, Monsieur le Prince…). Le personnage ainsi nommé est à la fois présent et absent. Présent : sa mort est à l’origine du spectacle et il n’est question que de lui dans les rares proférations (point ou peu de propos, de conversation nulle, l. 12) – des propos répétitifs (toujours, l. 3), voire tautologiques, que l’isolexisme sur lequel repose cette circularité (louaient Monseigneur, mais toujours de la même louange, l. 3) vide de leur sens et mécanise. Absent : Monseigneur ne crée pas un vide, il est le vide incarné (désormais désincarné), réduit à une qualité unique, la bonté, qui donne matière à un second isolexisme, parallèle au premier : bonté… bon. Dans un si bon fils, l. 4,(vs « un fils si bon »), la séquence intensif + adjectif antéposé fige le syntagme et le désémantise. La bonté de Monseigneur cohabite avec (ou confine à) la sottise (les sots, l. 2) : les deux épanorthoses de la première phrase(c’est-à-dire…) renforcent le parallélisme sottise / bonté. Personnage falot, inconsistant et dont la mort même donne lieu à euphémisation (la perte, l. 5, cet événement, l. 11), Monseigneur s’efface vite en tant que tel : son nom n’apparaît plus.
2. Une distribution prise en charge par la progression textuelle
* Une progression à thème dérivé :
- La foule des courtisans de toute espèce (hyperthème de rang un, l. 1) le plus grand nombre (hyperthème de rang deux, l. 2) les sots, l. 2 + les plus fins d’entre eux ou les plus considérables, l. 5.
- Bouclage : les plus forts de ceux-là ou les plus politiques, l. 10 + d’autres, vraiment affligés et de cabale frappée, l. 7 ces diverses sortes d’affligés, l. 11-12 (hyperthème de rang deux), avec un rappel vers la fin de texte : les plus touchés, l.
21.
- La foule des courtisans de toute espèce (hyperthème de rang un) les simples curieux, l. 16 + ceux qui déjà regardaient cet événement comme favorable, l. 18(= le ceux-ci de la l. 21).
Nous avons donc affaire à un type particulier de progression thématique : la progression à thème dérivé en boucle. Ces diverses sortes d’affligés, l.11, qui anaphorise le plus grand nombre, est une reprise da capo : l’expression fait retour à l’un des hyperthèmes de rang deux, l’un des pantonymes du début. Ce type de progression a pour effet d’organiser la description et de disposer le spectacle par masses, soit par prélèvement (le plus grand nombre…, l. 2, les plus… de ceux-là, l. 10), soit par détachement (parmi…, l. 11), soit par exclusion (hors les sots, l. 16) – deux opérations reposant sur l’emploi des prépositions spatiales –, soit enfin par juxtaposition (d’autres, l. 7, les autres, l. 18). Les courtisans forment une « foule » indistincte dont il revient à l’observateur (participant) de « remarquer et de distinguer tous (les) traits », l. 20-21, afin d’identifier leur rôle.
Puis, la progression se poursuit au moyen d’un système de reprises de rang inférieur, un réseau anaphorique assez complexe qui rend compte à la fois de l’aspect confus et relativement indistinct de la foule et du balayage du regard qui se déplace d’un groupe à l’autre pour les singulariser :
- le pronom de reprise ceux-ci, l. 21, avec une hésitation possible entre une anaphore contextuelle, la plus évidente en termes de dénotation (ceux-ci reprend le groupe décrit par la relative périphrastique ceux qui regardaient…, l. 18, par opposition aux autres, les plus touchés, l. 21), et une anaphore par défaut (ceuxci… ceux-là = les uns… les autres) où la variable contenue dans le sens du pronom tend à se substituer à la constante référentielle.
Cette seconde interprétation, plus faible que la première, peut cependant trouver confirmation en contexte étroit : l’allitération très marquée en /s/ dans ceux-ci se tenaient aussi tenaces en place, l. 21, lie fortement le pronom à la séquence qu’il précède. Mais aussi en contexte plus large, dans la valeur générique de l’anonyme déterminé par un indéfini pluriel des gens et surtout dans l’énumération d’actions non rapportées à un sujet : des changements de posture…, l. 24, un certain soin…, l. 24-25, les accidents momentanés, l. 26. Tous ces procédés aboutissent, à la toute fin du texte, à l’usage des infinitifs pronominaux se tenir et se composer, l. 27, sans verbe introducteur (donc sans sujet pour ce verbe) et à l’article défini la (en toute la personne, l. 26-27) qui actualise un type davantage que des individus, avec une référence plus abstraite, plus générale que cela n’aurait été le cas avec « en toute leur personne ». Ils sont à lier à la prédominance des phrases averbales qui effacent l’action (concrète) et ne retiennent que le résultat (abstrait) de l’action. Et quand le verbe figure, sous la forme tautologique de l’isolexisme se tenaient tenaces, l. 21 (auquel fait écho le polyptote tenaient / tenir, l. 27), son sémantisme propre est en partie neutralisé, concurrencé par celui de l’attribut du sujet, et il revêt alors surtout la fonction d’une simple copule.
- l’anaphore résomptive le tout (pronom indéfini nominalisé, l. 19), à laquelle répond en toute la personne, l. 26-27, et qui réfère à une totalité globalisante, à l’ensemble des traits d’une contenance : pousser la gravité jusqu’au maintien chagrin et austère, l. 19.
* A ce type de progression thématique, on peut associer l’emploi d’un lexique du classement. Des termes relevant de la taxinomie – espèce (de toute espèce, l. 1), sorte (parmi ces diverses sortes, l. 11-12) – signalent une tentative pour organiser ce désordre que présente au premier coup d’œil la masse compacte et informelle des courtisans, tentative qui double l’organisation spatiale du tableau.
3. Les phrases averbales. Leur récurrence les apparente à des didascalies
De l’expressivité portée dans le texte par les deux longues séries de phrases averbales juxtaposées, dites existentielles, répond aussi la prédominance des structures paratactiques et des tours elliptiques, de la l. 11 à la l. 18, puis à nouveau de l. 24 jusqu’à la fin, qui impriment un rythme discontinu et/ou accéléré et contribuent à donner à la scène l’allure d’un crayon, d’une série d’instantanés ou d’esquisses juxtaposées et fragmentaires.
* Il faut d’abord signaler à ce propos l’emploi du latinisme de cabale frappée, l. 8-9, en manière d’ellipse. On peut hésiter ici entre deux paraphrases :
α. Leur cabale ayant été frappée (calque d’un ablatif absolu = parte icta). Mais que faire alors du de ?
β. (affligés du) coup porté à leur cabale (sur le modèle de Sicilia amissa = la Sicile perdue = la perte de la Sicile, où le participe passé remplace un nom abstrait)[9].
Il est difficile de se fonder ici sur le jeu des virgules pour en décider. L’encadrement par deux virgules paraît jouer en faveur d’une tournure calquée sur l’ablatif absolu. Mais si l’on ne tient pas compte des virgules comme marqueurs syntaxiques (voir dans la présentation générale du corrigé ce qui a trait à la ponctuation dans les écrits de l’âge classique), on comprendra le tour ainsi : « pleuraient amèrement de (ce que) leur cabale (avait été) frappée », avec un de à valeur causale[10].
* L’absence de reprise par un clitique du sujet nominal devant louaient…plaignaient, l. 2-3, produit un effet stylistique comparable[11]. Par son caractère répété, et alors même que le circonstant en incidente (et, avec des yeux égarés et secs,) aurait dû favoriser la reprise du sujet, ce type d’ellipse peut être identifié comme un trait de style. Il est à rapprocher d’autres tours ramassés et d’allure un peu vieillie : méditaient aux suites (vs sur les suites), l. 10, ou répondue par (au sens de payée de retour[12]), l.13, un emploi passif désormais devenu rare dans la langue du 18e siècle.
* Plus généralement parlant, la vivacité du ton est fonction des ruptures et des rebondissements de la phrase qui créent l’animation du tableau. Les effets d’accélération sont aussi dus aux variations diaphasiques. Cette bascule s’opère à deux reprises, l. 11 et l. 23, où l’on passe de l’écrit à un calque d’oralité. Les phrases averbales se conjuguent donc à la parataxe énumérative centrale, à la progression à thème dérivé, aux chiasmes syntaxiques (comme dans point ou peu… nulle, l. 12) et aux tours elliptiques pour accélérer le rythme d’une parole vivante et saillante. Conversation conteuse efficace dont la ponctuation semble reproduire mimétiquement l’affect et le souffle court du conteur.
Les phrases averbales qui dominent le texte sont donc prises dans une tension. D’un côté, abréviations écrites proches des didascalies ou des notes prises sur le vif, elles signalent la position en surplomb du dramaturge et relèvent de la textualité. D’un autre côté, elles participent d’un mime d’oralité. Comme telles, elles nous renvoient à d’autres traits discursifs du même type : le marqueur c’est-à-dire [13], l. 2 & l. 5, propre à l’art de la conversation – négligence honnête d’un style qui affecte le naturel, l’absence de recherche –, une fausse deixis, avec l’usage ambigu de ceux-ci, l. 21, et la saillance du démonstratif ce trouble, l. 25, anaphorique sans antécédent clairement identifié.
4. Un registre comique
On attendait des candidats qu’ils notent d’abord l’absence de souci de bienséance dans le récit des conséquences de la mort d’un héritier au trône et signalent l’hors de propos des saynètes décrites. La notion rhétorique d’aptum (principe de convenance) situe assez bien certains des décalages comiques opérés par Saint-Simon, avec :
* Le mélange des tons et la variation diastratique : le mot caquet, l. 16, onomatopée d’origine[14], ou fichés en terre, l. 10, attestent d’un registre de langue familier qui tranche avec la tonalité d’ensemble.
* Les effets de rupture et/ou de surenchère de la construction phrastique, avec la polysyndète de la seconde phrase, l. 2-4, qui « redouble » mimétiquement l’importunité répétitive des sots, renforcée par l’effet d’allongement de l’assonance en /u/ (soupirs, louaient, toujours, louange) et par le choix d’une « surponctuation » qui fragmente la période (le et de la l. 2entre deux virgules, par exemple), comme une parole sanglotée ou suffoquée. Autre exemple du même type : la phrase des l. 7-9, avec sa coordination finale.
* La subversion du genre mondain du portrait, qui procède d’ordinaire de la vue d’ensemble au visage, puis de haut en bas – ce à quoi Saint-Simon contrevient pour les sots. L’esprit des sots est illustré par une représentation burlesque de la douleur (tiraient des soupirs des talons).
* La recherche du trait saillant vers une détermination qui isole un trait de la personne entière. L’esprit de caricature conjoint aux synecdoques comiques de certaines parties du corps (l. 2, 10, 27) le comparant animal in abstentia dans caquet. De façon plus générale, l’exagération de la « composition » des personnages tire la scène du côté de la pantomime et de la caricature : pousser la gravité, l. 19.
II Le regard du moraliste
La scénographie de Saint-Simon, qui manifeste sa présence sur la scène, nous dévoile un tableau du théâtre de la cruauté. La cruauté du moraliste/mémorialiste, qui scrute les travers de ses contemporains, démasque les hypocrites, se moque des ridicules, dénonce les intrigues des cabales. Critique sociale qui se signale au premier chef par l’expression appuyée d’une négativité.
1. Le point de vue de l’observateur
La dynamique du passage reproduit une démarche de l’esprit, de la perception vers l’interprétation déductive. Il s’agit, au-delà des apparences visibles, de décrypter les passions, la « composition », la posture de chacun.
* Double référence temporelle : un temps de l’énonciation, geste de l’immédiateté de l’écriture, et un temps coupé du moment de l’écriture, le temps chronique de la successivité. De là, une double construction référentielle et cadencielle :
- la protase énonce souvent le mouvement réel saisi par le témoin de la scène, tandis que l’apodose ressaisit la manœuvre dissimulée qu’élucide le mémorialiste, par exemple dans « méditaient aux suites d’un événement si peu attendu, et bien davantage sur eux-mêmes», l. 10-11 ;
- le commentateur asserte le jugement du mémorialiste, avec un recours à la modalité ontique ou aléthique : n’en laissaient pas douter, l. 5 ; vraiment, l. 6 ; aisé à remarquer, l. 8 ; (n’empêchait pas) de bons yeux de remarquer et distinguer, l. 20 – des figures de pensée qui témoignent toujours d’une distance à valeur appréciative par rapport au narré, le dédoublement de l’instance narrative ;
- le lecteur se trouve ainsi à chaque fois engagé lui aussi dans une démarche de perception active de la scène et de son commentaire. A partir de la l. 17, le commentateur énonce lui-même l’opposition entre le signe apparent (d’un maintien austère) et l’agitation intérieure. L’observation procède de la juxtaposition ; mais l’élucidation des mobiles de ces comportements est mise en évidence au moyen de la coordination modalisante (et bien davantage, l 10 ; mais leurs yeux) ou de l’articulation analogique (comme des gens, l. 23), ou bien encore du mouvement conclusif à quatre temps des groupes prépositionnels juxtaposés : contre l’opinion, contre la curiosité, contre leur satisfaction, contre leurs mouvements, l. 21-22.
La coïncidence de l’anecdote narrative, du goût du détail et de « la rage du dévoilement » (souligné notamment par l’oxymore un voile clair, l. 20) sacrifie à la polarité rhétorique traditionnelle du pictural et du moral (proposographie vs éthopée). Le point de vue perspectif à partir duquel le spectacle se déploie est signalé d’emblée par l’indication spatiale Plus avant commençait…, avec le circonstant en tête de phrase – la phrase tout entière, avec sa cadence majeure et son double jeu d’assonances en /u/ et /ã/ à effet d’allongement (surtout la nasale), dessinant comme un large geste d’ouverture sur le tableau tout entier.
Plus généralement, l’observateur participant qu’est le mémorialiste se manifeste par un ensemble de traits d’ordre subjectif, des marques de modalisation, l’usage répété de l’épanorthose, un recours satirique à l’hyperbole et l’entremêlement ironique de sa voix aux discours rapportés.
* Un je ne sais quoi, l. 26: le caractère figé de l’expression interdit sans doute de donner à ce seul je du texte sa valeur pleine de déictique. Ce je n’en marque pas moins, en manière de clausule, la manifestation discrète du mémorialiste, sa participation au spectacle. Quant aux bons yeux, l. 20, ce sont manifestement les siens.
Mais Saint-Simon signale surtout sa présence par l’emploi d’adverbes de modalisation subjective (déjà, l. 18, vraiment, l. 7) et au moyen de la figure de l’épanorthose, forme de modalisation métalinguistique. Ce type de réflexivité se réalise sous trois aspects :
- les deux occurrences d’un c’est-à-dire d’explicitation (l. 1, 3). La première établit une relation d’équivalence (le plus grand nombre = les sots) ; la seconde relève de la métonymie (la louange ramenée à son contenu, c’est-à-dire à la bonté).
- le ou inclusif (à valeur d’hendyadis) à deux reprises – les plus forts ou les plus politiques (= « en tant qu’ils sont les plus politiques ») ; les plus fins d’entre eux, ou les plus considérables (id.) – peut être aussi compris comme un ou d’énonciation et d’explicitation (paraphrase : « ou, pour les nommer autrement,… »)[15].
- les et et les ou introducteurs de séquences en hyperbate : et plaignaient le Roi ; les plus forts de ceux-là ou les plus politiques (et non : « les plus forts ou les plus politiques de ceux-là ») ; et bien davantage sur eux-mêmes apparaissent comme des conjonctions de rectification ou de gradation plus que de coordination à proprement parler (cf. aussi chagrin et austère ; sombres ou hagards ; peu assis ou mal debout [peu mal], ainsi que point ou peu de propos [ou = « ou plutôt »]).
Ces modalisateurs peuvent s’enchaîner, comme dans la seconde phrase du texte : c’est-à-dire… et…mais… c’est-à-dire…et, ou encore l. 10-12 : ou…et…et.
* Parmi les autres manifestations de la subjectivité du mémorialiste, outre l’emploi dominant d’adjectifs axiologiques non classifiants, nous avons :
- des bribes de discours au style indirect narrativisé (on aura aussi admis qu’il soit identifié comme du style indirect libre), des quasi citations : l’atténuation par euphémisme de la mort de Monseigneur (la perte d’un si bon fils, cet événement) est à mettre dans la bouche des sots. Ces paroles ou ces pensées discrètement rapportées sont introduites par des verbes d’énonciation (plaignaient le Roi de…, l. 4, s’inquiétaient déjà de…, l. 5) ou des verbes d’attitude propositionnelle : regardaient cet événement comme…, l. 18 ; se savaient bon gré, l. 5-6. Dans ce dernier cas, l’expression figée savoir gré est resémantisée par l’interpolation de l’adjectif bon et l’emploi ironique de la forme pronominale ; le verbe savoir qu’elle contient recouvre ainsi en partie son sens plein. Ces discours rapportés donnent du relief en contrepoint à la voix propre du mémorialiste ;
- par contraste avec l’usage moqué de l’euphémisme par les courtisans, Saint-Simon recourt discrètement à l’hyperbole pour décrire les postures, les mimiques ou les proférations, les disqualifiant ainsi : expressions quasi proverbiales (tiraient des soupirs de leurs talons, l. 2) où l’outrance de l’image produit un effet de charge satirique ; emploi des adverbes profondément, l. 10, amèrement, l. 8 ; emploi des intensifs tant de jugement parmi ce trouble, l. 6, si bon, si peu attendu, l. 11.
2. L’expression de la négativité
* Les marques de restriction ou de négation dominent :
- involontaires, l. 15, immobilité : valeur négative des préfixes. Egalement : importunité, l. 17 ;
- le tour (en garde) contre, quatre fois en anaphore rhétorique, dont l’effet rythmique très marqué souligne la répétition des conduites de dissimulation, des conduites inappropriées, contradictoires entre elles, mais aussi semblables les unes aux autres parce qu’également mécaniques, l. 22 ;
- l’isotopie de la perte ou de l’affliction : soupirs, l. 2, perte, l. 4, affligés (deux fois, l. 7 & 17, dont une avec l’adverbe intensif vraiment), pleuraient, l. 8, sanglots, l. 9, douleur, l. 13, chagrin, l. 19, désespoir, l. 17 ;
- les thèmes récurrents de la conduite d’échec (avaient beau pousser la gravité jusqu’au…, l. 19 ; se contenaient avec un effort aussi aisé à remarquer que les sanglots, l. 8-9) ou d’évitement (s’éviter les uns les autres, l. 25) et de l’absence de contrôle (quelque exclamation parfois échappée à la douleur, l. 21-13 ; des mouvements de mains moins rares qu’involontaires, l. 14-15) ;
- le flou, l’indéfinition, l’approximation ou l’ambiguïté référentielle: presque entière, l. 14, presque nuls, l. 16, un certain soin, l. 24, un je ne sais quoi, l. 26, une sorte d’étincelant, l. 27. Ou encore : autour d’eux, l. 28 (un halo). Ambiguïté linguistique aussi, avec du reste (dans immobilité du reste presque entière), où reste peut être pris pour un nom, complément d’immobilité (= « du reste du corps ») ou bien pour une expression adverbiale à valeur de commentaire (du reste = « au demeurant »).
* Un sort particulier peut être fait ici à nul (deux occurrences[16]). Dans « de conversation nulle » (nulle [= aucune] conversation), le pronom indéfini négatif nulle, qui assure la quantification nulle du GN, reprend en chiasme l’adverbe négatif point qui précède immédiatement : point ou peu de propos. Paraphrase possible : « s’agissant de conversation… » [17]. Mais conversation nulle tout court serait acceptable dans ce contexte de phrase averbale à deux termes ; le marqueur de topicalisation de fait donc problème. Il garde quelque chose de la valeur qu’il revêt dans les phrases de type négatif (= point de conversation). Le segment est à mettre en regard de peu soucieux presque nuls, l. 16 ; ici aussi nuls peut être identifié comme un adjectif, pris dans une structure prédicative = « les peu soucieux (étant) presque nuls » ou bien comme un pronom. Ce jeu, cette incertitude sur nul(s), pronom ou adjectif selon les cas (voire dans les deux cas), sans compter le nul déterminant que certaines copies ont évoqué, mais qui occupe la même place dans les deux phrases, contribue à créer un effet de sens. Il renforce l’impression de flou et d’approximation sur laquelle Saint-Simon joue par d’autres procédés, comme l’actualisation au moyen du déterminant indéfini (un vif). Nul(le)s oscille entre une valeur quantifiante (nulle, précisément) et une valeur caractérisante (nulle = « insignifiante, qui se réduit à rien », s’agissant de conversation, ou bien nuls = « comme absents, ne se faisant pas remarquer »[18], s’agissant de peu soucieux). Le flou ainsi créé est donc d’abord, à nouveau, celui de la référence.
3. La caractérisation : une description au service d’un jugement
* La caractérisation participe de la visée axiologique du passage. Derrière la mascarade, il s’agit d’identifier des types et de les juger, ce qui est rendu possible par l’entremêlement des traits physiques et des traits moraux :
- la mise au pluriel des verbes à sujet collectif, quand un singulier serait possible (l’accord « par syllepse »), concourt à construire une vision pluralisante du référent et souligne la portée d’abord descriptive du passage, notamment quand le sujet est ouvert par un quantificateur : le plus grand nombre… tiraient (et non tirait), l. 2, louaient, l. 3, plaignaient, l. 4 ;
- l’emploi nominal de plusieurs adjectifs est lui aussi significatif de ce type de caractérisation. La nominalisation des qualités a bien trait ici à l’être, pas à l’avoir. Elle essentialise les protagonistes. Il peut s’agir d’adjectifs dans un emploi nominal attesté en langue : les plus politiques, les sots, les curieux ; ou bien en emploi plus rarement attesté en langue, mais réalisés ici en discours au moyen du superlatif relatif : les plus fins, les plus considérables, les plus touchés. Ou encore d’un emploi pour ainsi dire non attesté, un stylème saint-simonien : les peu soucieux. Tous ces emplois sont à mettre en regard du passage final, où il ne s’agit plus de caractériser des êtres animés qui détiennent une qualité, mais d’exhiber cette qualité elle-même : un vif (et non : « une vivacité »)[19], une sorte d’étincelant, des adjectifs substantivés dits « baroques ». Cohérente elle aussi avec la visée descriptive du texte, cette substitution au nom abstrait (nom de propriété) du qualificatif en emploi substantif se combine avec l’emploi de l’article indéfini, déjà signalé.
- Le recours à la syllepse, où le sens concret du mot participe du tableau ou du portrait et le sens abstrait du jugement ou de l’appréciation propre au commentaire. C’est le cas avec considérables (« importants », mais aussi : « dignes d’être vus dans cette circonstance »), l. 5, avec peu assis ou mal debout, l. 24, ou avec des changements de posture, l. 24 – formules dont la première connote l’abandon d’une position politique inconfortable, et la dernière la position avantageuse que vont désormais occuper à la Cour ceux qui regardent l’événement comme favorable. Syllepse aussi avec étincelant, l. 28.
* Le basculement du physique au moral en passe par deux étapes principales :
- la typification des comportements particuliers qui se réalise grâce auparallélisme et au contraste. Les phénomènes de balancement, avec de nombreuses structures binaires (des coordinations avec et ou avec ou), et les parallélismes orchestrent la saisie des comportements différentiels qui repose sur une taxinomie des conduites humaines. Les sots et leur bon gré, l. 5, sont à opposer aux vainqueurs politiques malgré qu’ils en eussent, l. 28. L’opposition terme à terme structure les portraits croisés : s’inquiétaient + yeux hagards + répétitions vs yeux fichés à terre + (le) peu d’agitation de leur corps (isotopie de l’immobilité, avec la dérivation se tenaient aussi tenaces, reprise plus loin par un se tenir, l. 27) ; un mot, quelque exclamation, le caquet, les questions vs point ou peu de propos, de conversation nulle. Ostentation du redoublement pour les uns, dissimulation pour les autres ; répétition, amplification et polysyndète pour les uns, déliaison et parataxe pour les autres ;
- le mouvement du texte qui tend vers la généralisation, avec des marques repérables dans les formes verbales de l’actualisation large et de la détermination minimale :
α. Actualisation large : la temporalité n’est pas circonscrite ni précisée par la forme verbale. Les infinitifs de la fin du passage énoncent le procès hors de toute attache temporelle et personnelle. La valeur temporelle de l’imparfait peut elle aussi correspondre à cette stratégie d’écriture qui dépasse l’événement pour caractériser la comédie humaine de la Cour ; les valeurs aspectuelles de cette forme sont souvent associées à des référents temporels qui ancrent le propos dans l’itération des conduites : louaient toujours de la même louange… plaignaient le Roi, mais toujours…. Les lexies verbales favorisent plutôt l’expression de procès imperfectifs (tiraient des soupirs, pleuraient, se contenaient, méditaient, regardaient, se tenaient, avaient beau…) ou de la caractérisation d’états : avaient le caquet en partage ; ils se savaient bon gré ; n’était qu’un voile clair.
β. Détermination minimale : les déterminants actualisent avec le minimum de singularité; l’article défini pluriel renvoie à une classe, une catégorie morale (les sots, les fins, les forts, les politiques) ou sociale (les considérables). Il en va de même avec l’indéfini des gens peu assis mal debout : il est relayé à la fin du texte par le pronominal se qui assure le détachement exemplifiant d’une unité par rapport à un ensemble. Une saisie globale des situations observées est également perceptible dans l’usage des totalisants (le tout, l. 19, toute la personne, l. 27). Les analyses de la référence et de la détermination illustrent une logique du prélèvement et de la distinction. Ainsi, le choix des lexies anaphoriques dans la progression textuelle conjugue une démarche de déclinaison exhaustive de l’hyperthème –– la foule des courtisans de toute espèce (expression qui cumule le sème pluriel, collectif et la saisie quantifiante de la totalité, les stylèmes de la pluralité : les plus affligés…+ des soupirs… de leurs talons, leurs répétitions, le redoublement…) – à la saisie particularisante : un vif ou l’enclosure une sorte de. Celle-ci marque bien l’aboutissement de la démarche rationalisante et scrutatrice du moraliste dont le malgré qu’ils en eussent final atteste en clausule de la capacité à déchiffrer les signes malgré les protagonistes. L’ensemble du texte répète cette démarche du tout à l’un, parangon ou exemplaire d’une classe : c’est à cela que contribuent aussi l’ensemble des superlatifs qui prélèvent dans l’échantillon de départ la classe d’une nouvelle catégorie d’individus à la conduite repérable, désignée chaque fois à l’aide d’une anaphore collective. La l. 15, les simples curieux, les sots, les affligés et les autres (les plus fins ou les plus considérables) ressaisit les quatre catégories mentionnées qui simplifient et rassemblent les différentes conduites. Le tout n’était qu’un…, l. 17-18, vise également au distinguo subtil que pratique l’analyste des passions humaines avec une figure de dérivation sur le verbe distinguer.
4. Le regard du moraliste
On peut ainsi créditer le moraliste d’une démarche de concrétisation de l’écriture. A chaque affect abstrait correspond l’illustration concrète d’un détail physionomique : le soupir du talon saisit ainsi le mouvement général de l’éthopée dans le passage qui tend à la prosopographie et notamment à la lecture de l’expression du regard ou de la mobilité/immobilité du corps. Cette topique moraliste prend alors plusieurs formes :
* L’œil vivant, les virtualités du régime descriptif et l’optique démultipliée. Les isotopies du déchiffrement et de l’optique dans la diégèse attestent du souci d’une saisie visuelle du signe distinctif et de sa retranscription exacte. Le motif du regard(yeux égarés et secs, pleuraient, les yeux fichés à terre, des yeux, regardaient, bons yeux, yeux, des yeux) croise alors celui de la dissimulation: cabale, en garde contre, s’éviter,se tenir et se composer… malgré qu’ils en eussent. Ces deux motifs se prolongent dans le commentaire discursif : aisé à remarquer, remarquer et distinguer, distingua, considérable, et dans la caractérisation qui valorise l’acuité visuelle (vif, étincelant), avec l’expression de la nuance dans la caractérisation adverbiale et la détermination indéfinie : plus avant, les plus, point ou peu, parfois, moins rares qu’, n’ qu’, presque (deux occurrences), peu, peu mal, toute, tant de, quelque, tous, peu de, une sorte de.
* La forme pronominale : s’inquiétaient, se savaient, se contenaient, se tenaient, se tenir, se composer s’attache à cerner le rapport à soi et vise la chute des masques chère aux moralistes.
Conclusion
La caractérisation l’emporte dans ce tableau de groupe sur la désignation : la stratégie d’écriture valorise moins l’événement que la constance des conduites humaines révélée par la mécanique de la Cour. La description revient ainsi, comme chez La Bruyère, à déployer « les mouvements des hommes » afin que le lecteur puisse « prévoir tout ce qu’ils sont capables de dire ou faire »[20]. Cette mimesis du comportement humain qui nous est donnée à lire et à voir instruit le lecteur ; elle assure une parfaite lisibilité et prévisibilité des conduites. On accordera peut-être que la description, dans le caractère, et dans une certaine mesure dans le tableau saint-simonien, procède moins d’une suite de prédicats (substantifs et adjectifs) que d’une mise en situation qui vient révéler la logique d’un comportement. Mais le cas singulier du caractère est remplacé dans ce passage de Saint-Simon par un portrait de groupe qui vise à cerner des types dans leur outrance.
Eléments de bibliographie (Saint-Simon)
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Bibliographie générale sélective
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À consulter également les chapitres des grammaires consacrés au lexique (voir ci-dessous).
Morphosyntaxe
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Stylistique
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JOUSSET, Ph. 2000. Le Sens du matériau. Approche stylistique du commentaire de texte, CRDP de Toulouse / Delagrave.
LAURENT, N. 2000. Introduction à l’analyse stylistique, Hachette.
[1] Tous nos remerciementsvont à Jean-Marie Fournier, Stéphane Macé et Chantal Wionet pour leurs conseils et leurs remarques.
[2] Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaire Le Robert, 19921, 19952, p. 1570.
[3] Il est donc homonyme du substantif féminin (1265, Dictionnaire historique…, 1570), emprunt par l'intermédiaire d'une forme du latin tardif politice, au grec πολιτική, « science des affaires de l'État, affaires de l'État », substantivation de l'adj. Πολιτικος.
[4] Même si les premières ébauches remontent à 1694.
[5] Voir Seguin, 1972, p. 117.
[6] « Forts d’une réticence à l’ellipse qui s’accuse au cours du (XVIIe) siècle, les grammairiens réclament l’expression du sujet devant un verbe coordonné, quitte à distinguer des cas particuliers, notamment selon la valeur sémantique du coordonnant (selon Vaugelas, et autorise l’ellipse du sujet, à la différence de mais et ou) ». (Fournier, 2002, § 4 )
[7] A. Chéruel, Hachette, 1856-1858 ; A. de Boislile, Hachette, 1878-1929 ; G. Truc, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1951-1967.
[8] Manchette portée en marge par Saint-Simon.
[9] Voir Fournier, 2002, § 469.
[10] On a valorisé toutes les copies où cette difficulté était signalée, à condition qu’ait été remarquée la fonction d’épithète de frappée (au fém. sing., pas au masc. plur.), ou plus généralement celles où le latinisme était noté (sans nécessairement être interprété par ou ). A condition surtout que le segment ait fait l’objet d’une lecture stylistique : valeur de l’ellipse, tour pris dans la série des procédés paratactiques, effets rythmiques et cadenciels, etc.
[11] Elle a « pour effet de coordonner les prédicats et de créer un lien sémantique étroit entre eux » (Fournier, 2002, § 6).
[12] Note de Coirault, 1993, p. 1091.
[13] Sur les c’est-à-dire de Saint-Simon, voir Spitzer, 1980, p. 43 (n. 22).
[14] Que La Bruyère, de ce fait, avait pris soin de mettre en italiques dans Les Caractères.
[15] Certaines copies ont fait mention d’une autre valeur du ou, un ou exclusif : les plus forts, d’un côté, les plus politiques, de l’autre. Le contexte permettait de l’exclure, en raison notamment de l’hyperbate et du déplacement à gauche du complément en facteur commun ceux-là.
[16] Dont la première aura déjà été analysée dans les « remarques nécessaires »
[17] Voir plus haut, corrigé de la question de grammaire. On aura pu trouver dans les copies une autre interprétation. Nulle serait un adj. qualif. = qui se réduit à rien. Il reprendrait alors plutôt le peu du syntagme antérieur : point ou peu de propos.
[18] Note de Coirault, 1993, p. 1091.
[19] Fréquent chez Saint-Simon. Cf. l’analyse de « un rustre » par Auerbach (1994 [1946], pp. 412 sqq. Voir aussi RouffiangeDarotchetche, 1977, pp. 18-20.
[20] Discours sur Théophraste, première préface des Caractères.