Recueils romains [Document électronique] / Joachim Du Bellay ; éd. critique établie par Daniel Aris et Françoise Joukovsky

 

Les Antiquitez de Rome

 

Au Roy

Ne vous pouvant donner ces ouvrages antiques

Pour vostre Sainct-Germain, ou pour Fontainebleau,

Je les vous donne (Sire) en ce petit tableau

Peint, le mieux que j'ay peu, de couleurs poëtiques.

Qui mis sous vostre nom devant les yeux publiques,

Si vous le daignez voir en son jour le plus beau,

Se pourra bien vanter d'avoir hors du tumbeau

Tiré des vieux Romains les poudreuses reliques.

Que vous puissent les Dieux un jour donner tant d'heur,

De rebastir en France une telle grandeur

Que je la voudrois bien peindre en vostre langage:

Et peult estre, qu'à lors vostre grand' Majesté

Repensant à mes vers, diroit qu'ilz ont esté

De vostre Monarchie un bienheureux presage.

 

I

Divins Esprits, dont la poudreuse cendre,

Gist sous le faix de tant de murs couverts,

Non vostre loz, qui vif par voz beaux vers

Ne se verra sous la terre descendre,

Si des humains la voix se peult estendre

Depuis icy jusqu'au fond des enfers,

Soient à mon cry les abysmes ouvers,

Tant que d'abas vous me puissiez entendre.

Trois fois cernant sous le voile des cieux

De vos tumbeaus le tour devocieux,

A haulte voix trois fois je vous appelle:

J'invoque icy vostre antique fureur,

En ce pendant que d'une saincte horreur

Je vays chantant vostre gloire plus belle.

II

II

Le Babylonien ses haults murs vantera,

Et ses vergers en l'air, de son Ephesienne

La Grece descrira la fabrique ancienne,

Et le peuple du Nil ses pointes chantera:

La mesme Grece encor vanteuse publira

De son grand Juppiter l'image Olympienne,

Le Mausole sera la gloire Carienne,

Et son vieux labyrinth' la Crete n'oublira:

L'antique Rhodien elevera la gloire

De son fameux Colosse, au temple de Memoire:

Et si quelque oeuvre encor digne se peult vanter

De marcher en ce ranc, quelque plus grand' faconde

Le dira: quant à moy pour tous je veulx chanter

Les sept Costaux Romains, sept miracles du monde.

 

III

Nouveau venu qui cherches Rome en Rome,

Et rien de Rome en Rome n'apperçois,

Ces vieux palais, ces vieux arcz que tu vois,

Et ces vieux murs, c'est ce que Rome on nomme.

Voy quel orgueil, quelle ruine: et comme

Celle qui mist le monde sous ses loix

Pour donter tout, se donta quelquefois,

Et devint proye au temps, qui tout consomme.

Rome de Rome est le seul monument,

Et Rome Rome a vaincu seulement,

Le Tybre seul, qui vers la mer s'enfuit,

Reste de Rome. O mondaine inconstance!

Ce qui est ferme, est par le temps destruit,

Et ce qui fuit, au temps fait resistence.

 

IV

Celle qui de son chef les estoilles passoit,

Et d'un pied sur Thetis, l'autre dessous l'Aurore,

D'une main sur le Scythe, et l'autre sur le More,

De la terre, et du ciel, la rondeur compassoit:

Juppiter ayant peur, si plus elle croissoit,

Que l'orgueil des Geans se relevast encore,

L'accabla sous ces monts, ces sept monts qui sont ore

Tumbeaux de la grandeur qui le ciel menassoit.

Il luy mist sur le chef la croppe Saturnale,

Puis dessus l'estomac assist la Quirinale,

Sur le ventre il planta l'antique Palatin:

Mist sur la dextre main la hauteur Celienne,

Sur la senestre assist l'eschine Exquilienne,

Viminal sur un pied, sur l'autre l'Aventin.

 

V

Qui voudra voir tout ce qu'ont peu nature,

L'art, et le ciel (Rome) te vienne voir:

J'entens s'il peult ta grandeur concevoir

Par ce qui n'est que ta morte peinture.

Rome n'est plus, et si l'architecture

Quelque umbre encor de Rome fait revoir,

C'est comme un corps par magique sçavoir

Tiré de nuict hors de sa sepulture.

Le corps de Rome en cendre est devallé,

Et son esprit rejoindre s'est allé

Au grand esprit de ceste masse ronde.

Mais ses escripts, qui son loz le plus beau

Malgré le temps arrachent du tumbeau,

Font son idole errer parmy le monde.

 

VI

Telle que dans son char la Berecynthienne

Couronnee de tours, et joyeuse d'avoir

Enfanté tant de Dieux, telle se faisoit voir

En ses jours plus heureux ceste ville ancienne:

Ceste ville; qui fut plus que la Phrygienne

Foisonnante en enfans, et de qui le pouvoir

Fut le pouvoir du monde, et ne se peut revoir

Pareille à sa grandeur, grandeur sinon la sienne.

Rome seule pouvoit à Rome ressembler,

Rome seule pouvoit Rome faire trembler:

Aussi n'avoit permis l'ordonnance fatale

Qu'autre pouvoir humain, tant fust audacieux,

Se vantast d'égaler celle qui fit égale

Sa puissance à la terre, et son courage aux cieux.

 

VII

Sacrez costaux, et vous sainctes ruines,

Qui le seul nom de Rome retenez,

Vieux monuments, qui encor soustenez

L'honneur poudreux de tant d'ames divines,

Arcz triomphaux, pointes du ciel voisines,

Qui de vous voir le ciel mesme estonnez,

Las peu à peu cendre vous devenez,

Fable du peuple, et publiques rapines!

Et bien qu'au temps pour un temps facent guerre

Les bastimens, si est-ce que le temps

Oeuvres et noms finablement atterre.

Tristes desirs, vivez donques contents:

Car si le temps finist chose si dure,

Il finira la peine que j'endure.

 

VIII

Les Antiquitez de Rome

Par armes et vaisseaux Rome donta le monde,

Et pouvoit on juger qu'une seule cité,

Avoit de sa grandeur le terme limité

Par la mesme rondeur de la terre, et de l'onde.

Et tant fut la vertu de ce peuple feconde

En vertueux nepveux, que sa postérité

Surmontant ses ayeux en brave auctorité.

Mesura le hault ciel à la terre profonde:

Afin qu'ayant rangé tout pouvoir sous sa main,

Rien ne peust estre borne à l'empire Romain:

Et que si bien le temps destruit les Republiques,

Le temps ne mist si bas la Romaine hauteur,

Que le chef deterré aux fondemens antiques

Qui prindrent nom de luy, fust découvert menteur.

 

IX

Astres cruelz, et vous Dieux inhumains,

Ciel envieux, et marastre Nature,

Soit que par ordre, ou soit qu'à l'aventure

Voyse le cours des affaires humains,

Pourquoy jadis ont travaillé voz mains

A façonner ce monde qui tant dure?

Ou que ne fut de matiere aussi dure

Le brave front de ces palais Romains?

Je ne dy plus la sentence commune,

Que toute chose au dessous de la Lune

Est corrompable, et sugette à mourir:

Mais bien je dy (et n'en veuille desplaire

A qui s'efforce enseigner le contraire)

Que ce grand Tout doit quelquefois perir.

 

X

Plus qu'aux bords Aeteans le brave filz d'Aeson

Qui par enchantement conquist la riche laine,

Des dents d'un vieil serpent ensemençant la plaine

N'engendra de soldatz au champ de la toison,

Ceste Ville qui fut en sa jeune saison

Un Hydre de guerriers, se vid bravement pleine

De braves nourrissons, dont la gloire hautaine

A remply du Soleil l'une et l'autre maison.

Mais qui finalement, ne se trouvant au monde

Hercule qui dontast semence tant feconde,

D'une horrible fureur l'un contre l'autre armez,

Se moissonnarent tous par un soudain orage,

Renouvelant entre eulx la fraternelle rage,

Qui aveugla jadis les fiers soldatz semez.

 

XI

Mars vergongneux d'avoir donné tant d'heur

A ses nepveux, que l'impuissance humaine

Enorgueillie en l'audace Romaine

Sembloit fouler la celeste grandeur,

Refroidissant ceste premiere ardeur

Dont le Romain avoit l'ame si pleine,

Soufla son feu, et d'une ardente haleine

Vint eschauffer la Gottique froideur.

Ce peuple adonc, nouveau fils de la terre,

Dardant par tout les fouldres de la guerre,

Ces braves murs accabla sous sa main,

Puis se perdit dans le sein de sa mere,

Afin que nul, fust-ce des Dieux le pere,

Se peust vanter de l'empire Romain.

 

XII

Telz que lon vid jadis les enfans de la Terre

Plantez dessus les monts pour escheller les cieux,

Combattre main à main la puissance des Dieux,

Et Juppiter contre eux qui ses fouldres desserre:

Puis tout soudainement renversez du tonnerre.

Tumber deça dela ces squadrons furieux,

La Terre gemissante, et le Ciel glorieux

D'avoir à son honneur achevé ceste guerre:

Tel encor' on a veu par dessus les humains

Le front audacieux des sept costaux Romains

Lever contre le ciel son orgueilleuse face:

Et telz ores on void ces champs deshonnorez

Regretter leur ruine, et les Dieux asseurez

Ne craindre plus là hault si effroyable audace.

 

XIII

Ny la fureur de la flamme enragee,

Ny le trenchant du fer victorieux,

Ny le degast du soldat furieux,

Qui tant de fois (Rome) t'a saccagee,

Ny coup sur coup ta fortune changee,

Ny le ronger des siecles envieux,

Ny le despit des hommes et des Dieux,

Ny contre toy ta puissance rangee,

Ny l'ebranler des vents impetueux,

Ny le débord de ce Dieu tortueux

Qui tant de fois t'a couvert de son onde,

Ont tellement ton orgueil abbaissé,

Que la grandeur du rien, qu'ilz t'ont laissé,

Ne face encor' esmerveiller le monde.

 

XIV

Comme on passe en aesté le torrent sans danger,

Qui souloit en hyver estre roy de la plaine,

Et ravir par les champs d'une fuite hautaine

L'espoir du laboureur, et l'espoir du berger:

Comme on void les coüards animaux oultrager

Le courageux lyon gisant dessus l'arene,

Ensanglanter leurs dents, et d'une audace vaine

Provoquer l'ennemy qui ne se peult vanger:

Et comme devant Troye on vid des Grecz encor

Braver les moins vaillans autour du corps d'Hector:

Ainsi ceulx qui jadis souloient, à teste basse,

Du triomphe Romain la gloire accompagner,

Sur ces pouldreux tombeaux exercent leur audace,

Et osent les vaincuz les vainqueurs desdaigner.

 

XV

Palles Esprits, et vous Umbres pouldreuses,

Qui jouissant de la clarté du jour

Fistes sortir cet orgueilleux sejour,

Dont nous voyons les reliques cendreuses:

Dictes Esprits (ainsi les tenebreuses

Rives de Styx non passable au retour,

Vous enlassant d'un trois fois triple tour,

N'enferment point voz images umbreuses)

Dictes moy donc (car quelqu'une de vous

Possible encor se cache icy dessous)

Ne sentez vous augmenter vostre peine,

Quand quelquefois de ces costaux Romains

Vous contemplez l'ouvrage de voz mains

N'estre plus rien qu'une pouldreuse plaine?

 

XVI

Comme lon void de loing sur la mer courroucee

Une montagne d'eau d'un grand branle ondoyant,

Puis trainant mille flotz, d'un gros choc abboyant

Se crever contre un roc, où le vent l'a poussee,

Comme on void la fureur par l'Aquilon chassee

D'un sifflement aigu l'orage tournoyant,

Puis d'une aelle plus large en l'air s'esbanoyant

Arrester tout à coup sa carriere lassee:

Et comme on void la flamme ondoyant en cent lieux

Se rassemblant en un, s'aguiser vers les cieux,

Puis tumber languissante: ainsi parmy le monde

Erra la monarchie: et croissant tout ainsi

Qu'un flot, qu'un vent, qu'un feu, sa course vagabonde

Par un arrest fatal s'est venue perdre icy.

 

XVII

Tant que l'oyseau de Juppiter vola,

Portant le feu, dont le ciel nous menace,

Le ciel n'eut peur de l'effroyable audace

Qui des Geans le courage affolla:

Mais aussi tost que le Soleil brusla

L'aelle qui trop se fit la terre basse,

La terre mist hors de sa lourde masse

L'antique horreur qui le droit viola.

Alors on vid la corneille Germaine

Se deguisant feindre l'aigle Romaine,

Et vers le ciel s'eslever de rechef

Ces braves monts autrefois mis en pouldre,

Ne voyant plus voler dessus leur chef

Ce grand oyseau ministre de la fouldre.

 

XVIII

Ces grands monceaux pierreux, ces vieux murs que tu vois,

Furent premierement le cloz d'un lieu champestre:

Et ces braves palais dont le temps s'est fait maistre,

Cassines de pasteurs ont esté quelquefois.

Lors prindrent les bergers les ornemens des Roys,

Et le dur laboureur de fer arma sa dextre:

Puis l'annuel pouvoir le plus grand se vid estre,

Et fut encor plus grand le pouvoir de six mois:

Qui, fait perpetuel, creut en telle puissance,

Que l'aigle Imperial de luy print sa naissance:

Mais le Ciel s'opposant à tel accroissement,

Mist ce pouvoir es mains du successeur de Pierre,

Qui sous nom de pasteur, fatal à ceste terre,

Monstre que tout retourne à son commencement.

 

XIX

Tout le parfait dont le ciel nous honnore,

Tout l'imperfait qui naist dessous les cieux,

Tout ce qui paist noz esprits et noz yeux,

Et tout cela qui noz plaisirs devore:

Tout le malheur qui nostre aage dedore,

Tout le bonheur des siecles les plus vieux,

Rome du temps de ses premiers ayeux

Le tenoit clos, ainsi qu'une Pandore.

Mais le destin debrouillant ce Caos,

Où tout le bien et le mal fut enclos,

A fait depuis que les vertus divines

Volant au ciel ont laissé les pechez,

Qui jusqu'icy se sont tenus cachez

Sous les monceaux de ces vieilles ruines.

 

XX

Non autrement qu'on void la pluvieuse nüe

Des vapeurs de la terre en l'air se soulever,

Puis se courbant en arc, à fin de s'abrever,

Se plonger dans le sein de Thetis la chenue,

Et montant derechef d'où elle estoit venue,

Sous un grand ventre obscur tout le monde couver,

Tant que finablement on la void se crever

Or' en pluie, or' en neige, or' en gresle menue:

Ceste ville qui fut l'ouvrage d'un pasteur

S'élevant peu à peu, creut en telle hauteur,

Que Royne elle se vid de la terre et de l'onde:

Tant que ne pouvant plus si grand faix soustenir,

Son pouvoir dissipé s'écarta par le monde,

Monstrant que tout en rien doit un jour devenir.

 

XXI

Celle que Pyrrhe et le Mars de Libye

N'ont sceu donter, celle brave cité

Qui d'un courage au mal exercité

Soustint le choc de la commune envie,

Tant que sa nef par tant d'ondes ravie

Eut contre soy tout le monde incité,

On n'a point veu le roc d'adversité

Rompre sa course heureusement suivie:

Mais defaillant l'object de sa vertu,

Son pouvoir s'est de luymesme abbatu,

Comme celuy, que le cruel orage

A longuement gardé de faire abbord,

Si trop grand vent le chasse sur le port,

Dessus le port se void faire naufrage.

 

XXII

Quand ce brave sejour, honneur du nom Latin

Qui borna sa grandeur d'Afrique, et de la Bize,

De ce peuple qui tient les bords de la Tamize,

Et de celuy qui void esclore le matin,

Anima contre soy d'un courage mutin

Ses propres nourrissons, sa despouille conquise,

Qu'il avoit par tant d'ans sur tout le monde acquise,

Devint soudainement du monde le butin:

Ainsi quand du grand Tout la fuite retournee

Où trentesix mil' ans ont sa course bornee,

Rompra des elemens le naturel accord,

Les semences qui sont meres de toutes choses,

Retourneront encor' à leur premier discord,

Au ventre du Caos eternellement closes.

 

XXIII

O que celuy estoit cautement sage,

Qui conseilloit pour ne laisser moisir

Ses citoiens en paresseux loisir,

De pardonner aux rampars de Cartage!

Il prevoyoit que le Romain courage

Impatient du languissant plaisir,

Par le repos se laisseroit saisir

A la fureur de la civile rage.

Aussi void-on qu'en un peuple ocieux,

Comme l'humeur en un corps vicieux,

L'ambition facilement s'engendre.

Ce qui advint, quand l'envieux orgueil

De ne vouloir ny plus grand, ny pareil,

Rompit l'accord du beaupere et du gendre.

 

XXIV

Si l'aveugle fureur, qui cause les batailles,

Des pareilz animaux n'a les coeurs allumez,

Soient ceulx qui vont courant, ou soient les emplumez,

Ceulx-là qui vont rampant, ou les armez d'escailles:

Quelle ardente Erinnys de ses rouges tenailles

Vous pinsetoit les coeurs de rage envenimez,

Quand si cruellement l'un sur l'autre animez

Vous destrempiez le fer en voz propres entrailles?

Estoit-ce point (Romains) vostre cruel destin,

Ou quelque vieil peché qui d'un discord mutin

Exerçoit contre vous sa vengeance eternelle?

Ne permettant des Dieux le juste jugement,

Voz murs ensanglantez par la main fraternelle

Se pouvoir asseurer d'un ferme fondément.

 

XXV

Que n'ay-je encore la harpe Thracienne,

Pour réveiller de l'enfer paresseux

Ces vieux Cesars, et les Umbres de ceux

Qui ont basty ceste ville ancienne?

Ou que je n'ay celle Amphionienne,

Pour animer d'un accord plus heureux

De ces vieux murs les ossemens pierreux,

Et restaurer la gloire Ausonienne?

Peusse-je aumoins d'un pinceau plus agile

Sur le patron de quelque grand Virgile

De ces palais les protraits façonner:

J'entreprendrois, veu l'ardeur qui m'allume,

De rebastir au compas de la plume

Ce que les mains ne peuvent maçonner.

 

XXVI

Qui voudroit figurer la Romaine grandeur

En ses dimensions, il ne luy faudroit querre

A la ligne, et au plomb, au compas, à l'equerre

Sa longueur et largeur, hautesse et profondeur:

Il luy faudroit cerner d'une egale rondeur

Tout ce que l'Ocean de ses longs bras enserre,

Soit où l'Astre annuel eschauffe plus la terre,

Soit où soufle Aquilon sa plus grande froideur.

Rome fut tout le monde, et tout le monde est Rome.

Et si par mesmes noms mesmes choses on nomme,

Comme du nom de Rome on se pourroit passer,

La nommant par le nom de la terre et de l'onde:

Ainsi le monde on peult sur Rome compasser,

Puis que le plan de Rome est la carte du monde.

 

XXVII

Toy qui de Rome emerveillé contemples

L'antique orgueil, qui menassoit les cieux,

Ces vieux palais, ces monts audacieux,

Ces murs, ces arcs, ces thermes, et ces temples,

Juge, en voyant ces ruines si amples,

Ce qu'a rongé le temps injurieux,

Puis qu'aux ouvriers les plus industrieux

Ces vieux fragmens encor servent d'exemples.

Regarde apres, comme de jour en jour

Rome fouillant son antique sejour,

Se rebastit de tant d'oeuvres divines:

Tu jugeras, que le demon Romain

S'efforce encore d'une fatale main

Ressusciter ces pouldreuses ruines.

 

XXVIII

Qui a veu quelquefois un grand chesne asseiché,

Qui pour son ornement quelque trophee porte,

Lever encor' au ciel sa vieille teste morte,

Dont le pied fermement n'est en terre fiché,

Mais qui dessus le champ plus qu'à demy panché

Monstre ses bras tous nuds, et sa racine torte,

Et sans fueille umbrageux, de son poix se supporte

Sur son tronc nouailleux en cent lieux esbranché:

Eh bien qu'au premier vent il doive sa ruine,

Et maint jeune à l'entour ait ferme la racine,

Du devot populaire estre seul reveré.

Qui tel chesne a peu voir, qu'il imagine encores

Comme entre les citez, qui plus florissent ores,

Ce vieil honneur pouldreux est le plus honnoré.

 

XXIX

Tout ce qu'Egypte en poincte façonna,

Tout ce que Grece à la Corinthienne,

A l'Ionique, Attique, ou Dorienne

Pour l'ornement des temples maçonna:

Tout ce que l'art de Lysippe donna,

La main d'Apelle, ou la main Phidienne,

Souloit orner ceste Ville ancienne,

Dont la grandeur le ciel mesme estonna.

Tout ce qu'Athene' eut onques de sagesse,

Tout ce qu'Asie eut onques de richesse,

Tout ce qu'Afrique eut onques de nouveau,

S'est veu icy. O merveille profonde!

Rome vivant fut l'ornement du monde,

Et morte elle est du monde le tumbeau.

 

XXX

Comme le champ semé en verdure foisonne,

De verdure se haulse en tuyau verdissant,

Du tuyau se herisse en epic florissant,

D'epic jaunit en grain que le chauld assaisonne:

Et comme en la saison le rustique moissonne

Les undoyans cheveux du sillon blondissant,

Les met d'ordre en javelle, et du blé jaunissant

Sur le champ despouillé mille gerbes façonne:

Ainsi de peu à peu creut l'Empire Romain,

Tant qu'l fut despouillé par la Barbare main,

Qui ne laissa de luy que ces marques antiques,

Que chacun va pillant: comme on void le gleneur

Cheminant pas à pas recueillir les reliques

De ce qui va tumbant apres le moissonneur.

 

XXXI

De ce qu'on ne void plus qu'une vague campagne

Où tout l'orgueil du monde on a veu quelquefois,

Tu n'en n'es pas coupable, ô quiconques tu sois

Que le Tygre, et le Nil, Gange, et Euphrate baigne:

Coupables n'en sont pas l'Afrique ny l'Espaigne,

Ny ce peuple qui tient les rivages Anglois,

Ny ce brave soldat qui boit le Rhin Gaulois,

Ny cet autre guerrier, nourrisson d'Alemaigne.

Tu en es seule cause, ô civile fureur,

Qui semant par les champs l'Emathienne horreur,

Armas le propre gendre encontre son beaupere:

Afin qu'estant venue à son degré plus hault,

La Romaine grandeur trop longuement prospere,

Se vist ruer à bas d'un plus horrible sault.

 

XXXII

Esperez vous que la posterité

Doive (mes vers) pour tout jamais vous lire?

Esperez vous que l'oeuvre d'une lyre

Puisse acquerir telle immortalité?

Si sous le ciel fust quelque eternité,

Les monuments que je vous ay fait dire,

Non en papier, mais en marbre et porphyre,

Eussent gardé leur vive antiquité.

Ne laisse pas toutefois de sonner

Luth, qu'Apollon m'a bien daigné donner:

Car si le temps ta gloire ne desrobbe,

Vanter te peuls, quelque bas que tu sois,

D'avoir chanté le premier des François,

L'antique honneur du peuple à longue robbe.

 

Le songe

 

I

C'estoit alors que le present des Dieux

Plus doulcement s'écoule aux yeux de l'homme,

Faisant noyer dedans l'oubly du somme

Tout le soucy du jour laborieux,

Quand un Demon apparut à mes yeux

Dessus le bord du grand fleuve de Rome,

Qui m'appelant de nom dont je me nomme,

Me commanda regarder vers les cieux:

Puis m'escria, Voy (dit-il) et contemple

Tout ce qui est compris sous ce grand temple,

Voy comme tout n'est rien que vanité.

Lors cognoissant la mondaine inconstance,

Puis que Dieu seul au temps fait resistence,

N'espere rien qu'en la divinité.

 

II

Sur la croppe d'un mont je vis une Fabrique

De cent brasses de hault. Cent columnes d'un rond

Toutes de diamant ornoient le brave front:

Et la façon de l'oeuvre estoit à la Dorique.

La muraille n'estoit de marbre ny de brique,

Mais d'un luisant crystal, qui du sommet au fond

Elançoit mille rayz de son ventre profond

Sur cent degrez dorez du plus fin or d'Afrique.

D'or estoit le lambriz, et le sommet encor

Reluisoit escaillé de grandes lames d'or:

Le pavé fut de jaspe, et d'esmeraulde fine.

O vanité du monde! un soudain tremblement

Faisant crouler du mont la plus basse racine,

Renversa ce beau lieu depuis le fondement.

 

III

Puis m'apparut une Poincte aguisee

D'un diamant de dix piedz en carré,

A sa hauteur justement mesuré,

Tant qu'un archer pourroit prendre visee.

Sur ceste Poincte une urne fut posee

De ce metal sur tous plus honnoré:

Et reposoit en ce vase doré

D'un grand Caesar la cendre composee.

Aux quatre coings estoient couchez encor

Pour pedestal quatre grands lyons d'or,

Digne tumbeau d'une si digne cendre.

Las rien ne dure au monde que torment!

Je vy du ciel la tempeste descendre,

Et fouldroyer ce brave monument.

 

IV

Je vy hault eslevé sur columnes d'ivoire,

Dont les bases estoient du plus riche metal,

A chapiteaux d'albastre, et frizes de crystal,

Le double front d'un arc dressé pour la memoire.

A chaque face estoit protraicte une victoire,

Portant aelles au doz, avec habit Nymphal,

Et hault assise y fut sur un char triomphal

Des Empereurs Romains la plus antique gloire.

L'ouvrage ne monstroit un artifice humain,

Mais sembloit estre fait de celle propre main

Qui forge en aguisant la paternelle fouldre.

Las je ne veulx plus voir rien de beau sous les cieux,

Puis qu'un oeuvre si beau j'ay veu devant mes yeux,

D'une soudaine cheute estre reduict en pouldre.

 

V

Et puis je vy l'Arbre Dodonien

Sur sept costaux espandre son umbrage,

Et les vainqueurs ornez de son fueillage

Dessus le bord du fleuve Ausonien.

Là fut dressé maint trophee ancien,

Mainte despouille, et maint beau tesmoignage

De la grandeur de ce brave lignage

Qui descendit du sang Dardanien.

J'estois ravy de voir chose si rare,

Quand de paisans une troppe barbare

Vint oultrager l'honneur de ces rameaux.

J'ouy le tronc gemir sous la congnee,

Et vy depuis la souche desdaignee

Se reverdir en deux arbres jumeaux.

 

VI

Une Louve je vy sous l'antre d'un rocher

Allaictant deux bessons. Je vis à sa mamelle

Mignardement joüer ceste couple jumelle,

Et d'un col allongé la Louve les lecher.

Je la vy hors de là sa pasture chercher,

Et courant par les champs, d'une fureur nouvelle

Ensanglanter la dent et la patte cruelle

Sur les menus troppeaux pour sa soif estancher.

Je vy mille veneurs descendre des montagnes,

Qui bornent d'un costé les Lombardes campagnes,

Et vy de cent espieux luy donner dans le flanc.

Je la vy de son long sur la plaine estendue

Poussant mille sanglotz, se veautrer en son sang,

Et dessus un vieux tronc la despouille pendue.

 

VII

Je vy l'Oyseau, qui le Soleil contemple,

D'un foible vol au ciel s'avanturer,

Et peu à peu ses aelles asseurer,

Suivant encor le maternel exemple.

Je le vy croistre, et d'un voler plus ample

Des plus hauts monts la hauteur mesurer,

Percer la nuë, et ses aelles tirer

Jusques au lieu, où des Dieux est le temple.

Là se perdit. Puis soudain je l'ay veu

Rouant par l'air en tourbillon de feu,

Tout enflammé sur la plaine descendre.

Je vy son corps en poudre tout reduit,

Et vy l'oyseau, qui la lumiere fuit,

Comme un vermet renaistre de sa cendre.

 

VIII

Je vis un fier Torrent, dont les flots escumeux

Rongeoient les fondemens d'une vieille ruine:

Je le vy tout couvert d'une obscure bruine,

Qui s'eslevoit par l'air en tourbillons fumeux:

Dont se formoit un corps à sept chefz merveilleux,

Qui villes et chasteaux couvoit sous sa poittrine,

Et sembloit devorer d'une egale rapine

Les plus doulx animaux, et les plus orgueilleux.

J'estois esmerveillé de voir ce monstre enorme

Changer en cent façons son effroyable forme,

Lors que je vy sortir d'un antre Scythien

Ce vent impetueux, qui soufle la froidure,

Dissiper ces nuaux, et en si peu que rien

S'esvanouïr par l'air ceste horrible figure.

 

IX

Tout effroyé de ce monstre nocturne,

Je vis un Corps hydeusement nerveux,

A longue barbe, à longflottans cheveux,

A front ridé, et face de Saturne:

Qui s'accoudant sur le ventre d'une urne,

Versoit une eau, dont le cours fluctueux

Alloit baignant tout ce bord sinueux,

Où le Troyen combattit contre Turne.

Dessous ses piedz une Louve allaictoit

Deux enfançons: sa main dextre portoit

L'arbre de paix, l'autre la palme forte:

Son chef estoit couronné de laurier:

Adonc luy cheut la palme, et l'olivier,

Et du laurier la branche devint morte.

 

X

Sur la rive d'un fleuve une Nymphe esploree

Croisant les bras au ciel avec mille sanglotz

Accordoit ceste plainte au murmure des flotz,

Oultrageant son beau teinct, et sa tresse doree:

Las où est maintenant ceste face honoree,

Où est ceste grandeur, et cet antique los,

Où tout l'heur et l'honneur du monde fut enclos,

Quand des hommes j'estois, et des Dieux adoree?

N'estoit-ce pas assez que le discord mutin

M'eut fait de tout le monde un publique butin,

Si cet Hydre nouveau digne de cent Hercules,

Foisonnant en sept chefz de vices monstrueux

Ne m'engendroit encor à ces bords tortueux

Tant de cruelz Nerons, et tant de Caligules?

 

XI

Dessus un mont une Flamme allumee

A triple pointe ondoyoit vers les cieux,

Qui de l'encens d'un cedre precieux

Parfumoit l'air d'une odeur embasmee:

D'un blanc oyseau l'aelle bien emplumee

Sembloit voler jusqu'au sejour des Dieux,

Et dégoisant un chant melodieux

Montoit au ciel avecques la fumee:

De ce beau feu les rayons escartez,

Lançoient par tout mille et mille clartez,

Quand le degout d'une pluie doree

Le vint esteindre. O triste changement!

Ce qui sentoit si bon premierement,

Fut corrompu d'une odeur sulphuree.

 

XII

Je vy sourdre d'un roc une vive Fonteine,

Claire comme crystal aux rayons du soleil,

Et jaunissant au fond d'un sablon tout pareil

A celuy que Pactol' roule parmy la plaine.

Là sembloit que nature et l'art eussent pris peine

D'assembler en un lieu tous les plaisirs de l'oeil:

Et là s'oyoit un bruit incitant au sommeil,

De cent accords plus doulx que ceulx d'une Sirene.

Les sieges et relaiz luisoient d'ivoire blanc,

Et cent Nymphes autour se tenoient flanc à flanc,

Quand des monts plus prochains de Faunes une suyte

En effroyables criz sur le lieu s'assembla,

Qui de ses villains piedz la belle onde troubla,

Mist les sieges par terre, et les Nymphes en fuyte

 

XIII

Plus riche assez que ne se monstroit celle

Qui apparut au triste Florentin,

Jettant ma veüe au rivage Latin

Je vy de loing surgir une Nasselle:

Mais tout soudain la tempeste cruelle,

Portant envie à si riche butin,

Vint assaillir d'un Aquilon mutin

La belle Nef des autres la plus belle.

Finablement l'orage impetueux

Fit abysmer d'un gouphre tortueux

La grand'richesse à nulle autre seconde.

Je vy sous l'eau perdre le beau thresor,

La belle Nef, et les Nochers encor,

Puis vy la Nef se ressourdre sur l'onde.

 

XIV

Ayant tant de malheurs gemy profondement,

Je vis une Cité quasi semblable à celle

Que vit le messager de la bonne nouvelle,

Mais basty sur le sable estoit son fondement.

Il sembloit que son chef touchast au firmament,

Et sa forme n'estoit moins superbe que belle:

Digne, s'il en fut onc, digne d'estre immortelle,

Si rien dessous le ciel se fondoit fermement.

J'estois esmerveillé de voir si bel ouvrage,

Quand du costé du Nort vint le cruel orage,

Qui souflant la fureur de son coeur despité

Sur tout ce qui s'oppose encontre sa venüe,

Renversa sur le champ, d'une pouldreuse nüe,

Les foibles fondemens de la grande Cité.

 

XV

Finablement sur le poinct que Morphee

Plus veritable apparoit à noz yeux,

Fasché de voir l'inconstance des cieux,

Je voy venir la soeur du grand Typhee:

Qui bravement d'un morion coeffee

En majesté sembloit egale aux Dieux,

Et sur le bord d'un fleuve audacieux

De tout le monde erigeoit un trophee.

Cent Roys vaincuz gemissoient à ses piedz,

Les bras aux doz honteusement liez:

Lors effroyé de voir telle merveille,

Le ciel encor je luy voy guerroyer,

Puis tout à coup je la voy fouldroyer,

Et du grand bruit en sursault je m'esveille.

 

Les regrets

 

Quem, Lector, tibi...

Ad lectorem

Quem, Lector, tibi nunc damus libellum,

Hic fellisque simul, simulque mellis,

Permixtumque salis refert saporem.

Si gratum quid erit tuo palato,

Huc conviva veni: tibi haec parata est

Coena. sin minus, hinc facesse, quaeso:

Ad hanc te volui haud vocare coenam.

A Monsieur D'Avanson

Conseiller du Roy en son privé conseil

Si je n'ay plus la faveur de la Muse,

Et si mes vers se trouvent imparfaits,

Le lieu, le temps, l'aage où je les ay faits,

Et mes ennuis leur serviront d'excuse.

J'estois à Rome au milieu de la guerre,

Sortant desja de l'aage plus dispos,

A mes travaulx cherchant quelque repos,

Non pour louange ou pour faveur acquerre.

Ainsi voit-on celuy qui sur la plaine

Picque le boeuf, ou travaille au rampart,

Se resjouir, et d'un vers fait sans art

S'esvertuer au travail de sa peine.

Celuy aussi qui dessus la galere

Fait escumer les flots à l'environ,

Ses tristes chants accorde à l'aviron,

Pour esprouver la rame plus legere.

On dit qu'Achille en remaschant son ire

De tels plaisirs souloit s'entretenir,

Pour addoulcir le triste souvenir

De sa maistresse, aux fredons de sa lyre.

Ainsi flattoit le regret de la sienne

Perdue helas pour la seconde fois,

Cil qui jadis aux rochers et aux bois

Faisoit ouir sa harpe Thracienne.

La Muse ainsi me fait sur ce rivage,

Où je languis banny de ma maison,

Passer l'ennuy de la triste saison,

Seule compagne à mon si long voyage.

La Muse seule au milieu des alarmes

Est asseuree, et ne pallist de peur,

La Muse seule au milieu du labeur

Flatte la peine, et desseiche les larmes.

D'elle je tiens le repos et la vie,

D'elle j'apprens à n'estre ambitieux,

D'elle je tiens les saincts presens des Dieux,

Et le mespris de fortune, et d'envie.

Aussi sçait-elle, aiant dès mon enfance

Tousjours guidé le cours de mon plaisir,

Que le devoir, non l'avare desir,

Si longuement me tient loing de la France.

Je voudrois bien (car pour suivre la Muse

J'ay sur mon doz chargé la pauvreté)

Ne m'estre au trac des neuf soeurs arresté,

Pour aller veoir la source de Meduse.

Mais que feray-je à fin d'eschapper d'elles?

Leur chant flatteur a trompé mes esprits,

Et les appaz aux quels elles m'ont pris,

D'un doulx lien ont englué mes aelles.

Non autrement que d'une doulce force

D'Ulysse estoient les compagnons liez,

Et sans penser aux travaulx oubliez

Aymoient le fruict qui leur servoit d'amorce.

Celuy qui a de l'amoureux breuvage

Gousté mal sain le poison doulx-amer,

Cognoit son mal, et contraint de l'aymer

Suit le lien qui le tient en servage.

Pour ce me plaist la doulce poësie,

Et le doulx traict par qui je fus blessé:

Dès le berceau la Muse m'a laissé

Cest aiguillon dedans la fantaisie.

Je suis content qu'on appelle folie

De noz esprits la saincte deité,

Mais ce n'est pas sans quelque utilité,

Que telle erreur si doulcement nous lie.

Elle esblouit les yeulx de la pensee

Pour quelque fois ne veoir nostre malheur,

Et d'un doulx charme enchante la douleur

Dont nuict et jour nostre ame est offensee.

Ainsi encor' la vineuse prestresse,

Qui de ses criz Ide va remplissant,

Ne sent le coup du thyrse la blessant,

Et je ne sents le malheur qui me presse.

Quelqu'un dira, de quoy servent ces plainctes?

Comme de l'arbre on voit naistre le fruict,

Ainsi les fruicts que la douleur produict,

Sont les souspirs et les larmes non feinctes.

De quelque mal un chacun se lamente,

Mais les moiens de plaindre sont divers:

J'ay, quant à moy, choisi celuy des vers

Pour desaigrir l'ennuy qui me tormente.

Et c'est pourquoy d'une doulce satyre

Entremeslant les espines aux fleurs,

Pour ne fascher le monde de mes pleurs,

J'appreste icy le plus souvent à rire.

Or si mes vers meritent qu'on les loüe,

Ou qu'on les blasme, à vous seul entre tous

Je m'en rapporte icy, car c'est à vous,

A vous Seigneur, à qui seul je les voüe:

Comme celuy qui avec la sagesse

Avez conjoint le droit et l'aequité,

Et qui portez de toute antiquité

Joint à vertu le tiltre de noblesse.

Ne desdaignant comme estoit la coustume,

Le long habit, lequel vous honnorez,

Comme celuy qui sage n'ignorez

De combien sert le conseil et la plume.

Ce fut pourquoy ce sage et vaillant Prince,

Vous honnorant du nom d'Ambassadeur,

Sur vostre doz deschargea sa grandeur,

Pour la porter en estrange province.

Recompensant d'un estat honnorable

Vostre service, et tesmoignant assez

Par le loyer de voz travaulx passez

Combien luy est tel service aggreable.

Qu'autant vous soit aggreable mon livre

Que de bon cueur je le vous offre icy:

Du mesdisant j'auray peu de soucy,

Et seray seur à tout jamais de vivre.

 

A son livre

Mon livre (et je ne suis sur ton aise envieux)

Tu t'en iras sans moy voir la court de mon Prince.

He chetif que je suis, combien en gré je prinsse,

Qu'un heur pareil au tien fust permis à mes yeulx!

Là si quelqu'un vers toy se monstre gracieux,

Souhaitte luy qu'il vive heureux en sa province:

Mais si quelque malin obliquement te pince,

Souhaitte luy tes pleurs, et mon mal ennuieux.

Souhaitte luy encor' qu'il face un long voyage,

Et bien qu'il ait de veüe elongné son mesnage,

Que son cueur, où qu'il voise, y soit tousjours present:

Souhaitte qu'il vieillisse en longue servitude,

Qu'il n'esprouve à la fin que toute ingratitude,

Et qu'on mange son bien pendant qu'il est absent.

 

I

Je ne veulx point fouiller au sein de la nature,

Je ne veulx point chercher l'esprit de l'univers,

Je ne veulx point sonder les abysmes couvers,

Ny desseigner du ciel la belle architecture.

Je ne peins mes tableaux de si riche peinture,

Et si haults arguments ne recherche à mes vers:

Mais suivant de ce lieu les accidents divers,

Soit de bien, soit de mal, j'escris à l'adventure.

Je me plains à mes vers, si j'ay quelque regret,

Je me ris avec eulx, je leur dy mon secret,

Comme estans de mon coeur les plus seurs secretaires.

Aussi ne veulx-je tant les pigner et friser,

Et de plus braves noms ne les veulx desguiser,

Que de papiers journaulx, ou bien de commentaires

 

II

Un plus sçavant que moy (Paschal) ira songer

Aveques l'Ascrean dessus la double cyme:

Et pour estre de ceulx dont on fait plus d'estime,

Dedans l'onde au cheval tout nud s'ira plonger.

Quant à moy, je ne veulx pour un vers allonger,

M'accoursir le cerveau: ny pour polir ma ryme,

Me consumer l'esprit d'une songneuse lime,

Frapper dessus ma table, ou mes ongles ronger.

Aussi veulx-je (Paschal) que ce que je compose

Soit une prose en ryme, ou une ryme en prose,

Et ne veulx pour cela le laurier meriter.

Et peult estre que tel se pense bien habile,

Qui trouvant de mes vers la ryme si facile,

En vain travaillera, me voulant imiter.

 

III

N'estant, comme je suis, encor' exercité

Par tant et tant de maulx au jeu de la Fortune,

Je suivois d'Apollon la trace non commune,

D'une saincte fureur sainctement agité.

Ores ne sentant plus ceste divinité,

Mais picqué du soucy qui fascheux m'importune,

Une adresse j'ay pris beaucoup plus opportune

A qui se sent forcé de la necessité.

Et c'est pourquoy (Seigneur) ayant perdu la trace

Que suit vostre Ronsard par les champs de la Grace,

Je m'adresse où je voy le chemin plus battu:

Ne me bastant le coeur, la force, ny l'haleine

De suivre, comme luy, par sueur et par peine

Ce penible sentier qui meine à la vertu

 

IV

Je ne veulx fueilleter les exemplaires Grecs,

Je ne veulx retracer les beaux traicts d'un Horace,

Et moins veulx-je imiter d'un Petrarque la grace,

Ou la voix d'un Ronsard, pour chanter mes regrets.

Ceulx qui sont de Phoebus vrais poetes sacrez,

Animeront leurs vers d'une plus grand' audace:

Moy, qui suis agité d'une fureur plus basse,

Je n'entre si avant en si profonds secretz.

Je me contenteray de simplement escrire

Ce que la passion seulement me fait dire,

Sans rechercher ailleurs plus graves arguments.

Aussi n'ay-je entrepris d'imiter en ce livre

Ceulx qui par leurs escripts se vantent de revivre,

Et se tirer tous vifz dehors des monuments.

 

V

Ceulx qui sont amoureux, leurs amours chanteront,

Ceulx qui ayment l'honneur, chanteront de la gloire,

Ceulx qui sont pres du Roy, publiront sa victoire,

Ceulx qui sont courtisans, leurs faveurs vanteront:

Ceulx qui ayment les arts, les sciences diront,

Ceulx qui sont vertueux, pour tels se feront croire,

Ceulx qui ayment le vin, deviseront de boire,

Ceulx qui sont de loisir, de fables escriront:

Ceulx qui sont mesdisans, se plairont à mesdire,

Ceulx qui sont moins fascheux, diront des mots pour rire,

Ceulx qui sont plus vaillans, vanteront leur valeur:

Ceulx qui se plaisent trop, chanteront leur louange,

Ceulx qui veulent flater, feront d'un diable un ange:

Moy, qui suis malheureux, je plaindray mon malheur.

 

VI

Las, où est maintenant ce mespris de Fortune?

Où est ce coeur vainqueur de toute adversité,

Cest honneste desir de l'immortalité,

Et ceste honneste flamme au peuple non commune?

Où sont ces doulx plaisirs, qu'au soir sous la nuict brune

Les Muses me donnoient; alors qu'en liberté

Dessus le verd tapy d'un rivage escuarté

Je les menois danser aux rayons de la Lune?

Maintenant la Fortune est maistresse de moy,

Et mon coeur qui souloit estre maistre de soy,

Est serf de mille maulx et regrets qui m'ennuyent.

De la posterité je n'ay plus de soucy,

Ceste divine ardeur, je ne l'ay plus aussi,

Et les Muses de moy, comme estranges, s'enfuyent.

 

VII

Ce pendant que la court mes ouvrages lisoit,

Et que la soeur du Roy, l'unique Marguerite,

Me faisant plus d'honneur que n'estoit mon merite,

De son bel oeil divin mes vers favorisoit,

Une fureur d'esprit au ciel me conduisoit

D'une aelle qui la mort et les siecles evite,

Et le docte troppeau qui sur Parnasse habite,

De son feu plus divin mon ardeur attisoit.

Ores je suis muet, comme on voit la Prophete

Ne sentant plus le Dieu, qui la tenoit sugette,

Perdre soudainement la fureur et la voix.

Et qui ne prend plaisir qu'un Prince luy commande?

L'honneur nourrit les arts, et la Muse demande

Le theatre du peuple, et la faveur des Roys.

 

VIII

Ne t'esbahis Ronsard, la moitié de mon ame,

Si de ton Dubellay France ne lit plus rien,

Et si aveques l'air du ciel Italien

Il n'a humé l'ardeur qui l'Italie enflamme.

Le sainct rayon qui part des beaux yeux de ta dame,

Et la saincte faveur de ton Prince et du mien,

Cela (Ronsard) cela, cela merite bien

De t'eschauffer le coeur d'une si vive flamme.

Mais moy, qui suis absent des raiz de mon Soleil,

Comment puis-je sentir eschauffement pareil

A celuy qui est pres de sa flamme divine?

Les costaux soleillez de pampre sont couvers,

Mais des Hyperborez les eternelz hyvers

Ne portent que le froid, la neige, et la bruine.

 

IX

France mere des arts, des armes, et des loix,

Tu m'as nourry long temps du laict de ta mamelle:

Ores, comme un aigneau qui sa nourrice appelle,

Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m'as pour enfant advoué quelquefois,

Que ne me respons-tu maintenant, ô cruelle?

France, France respons à ma triste querelle:

Mais nul, sinon Echo, ne respond à ma voix.

Entre les loups cruels j'erre parmy la plaine,

Je sens venir l'hyver, de qui la froide haleine

D'une tremblante horreur fait herisser ma peau.

Las, tes autres aigneaux n'ont faute de pasture,

Ils ne craignent le loup, le vent, ny la froidure:

Si ne suis-je pourtant le pire du troppeau.

Ce n'est le fleuve. Thusque au superbe rivage,

Ce n'est l'air des Latins ny le mont Palatin,

Qui ores (mon Ronsard) me fait parler Latin,

Changeant à l'estranger mon naturel langage:

C'est l'ennuy de me voir trois ans et d'avantage,

Ainsi qu'un Promethé, cloué sur l'Aventin,

Où l'espoir miserable et mon cruel destin,

Non le joug amoureux, me detient en servage.

Et quoy (Ronsard) et quoy, si au bord estranger

Ovide osa sa langue en barbare changer

Afin d'estre entendu, qui me pourra reprendre

D'un change plus heureux? nul, puis que le François,

Quoy qu'au Grec et Romain egalé tu te sois,

Au rivage Latin ne se peult faire entendre.

 

XI

Bien qu'aux arts d'Apollon le vulgaire n'aspire,

Bien que de tels thresors l'avarice n'ait soing,

Bien que de tels harnois le soldat n'ait besoing,

Bien que l'ambition tels honneurs ne desire:

Bien que ce soit aux grands un argument de rire,

Bien que les plus rusez s'en tiennent le plus loing,

Et bien que Dubellay soit suffisant tesmoing,

Combien est peu prisé le mestier de la lyre:

Bien qu'un art sans profit ne plaise au courtisan,

Bien qu'on ne paye en vers l'oeuvre d'un artisan,

Bien que la Muse soit de pauvreté suivie,

Si ne veulx-je pourtant delaisser de chanter,

Puis que le seul chant peult mes ennuys enchanter,

Et qu'aux Muses je doy bien six ans de ma vie.

 

XII

Veu le soing mesnager, dont travaillé je suis,

Veu l'importun soucy, qui sans fin me tormente,

Et veu tant de regrets, desquels je me lamente,

Tu t'esbahis souvent comment chanter je puis.

Je ne chante (Magny) je pleure mes ennuys:

Ou, pour le dire mieulx, en pleurant je les chante,

Si bien qu'en les chantant, souvent je les enchante:

Voila pourquoy (Magny) je chante jours et nuicts.

Ainsi chante l'ouvrier en faisant son ouvrage,

Ainsi le laboureur faisant son labourage,

Ainsi le pelerin regrettant sa maison,

Ainsi l'advanturier en songeant à sa dame,

Ainsi le marinier en tirant à la rame,

Ainsi le prisonnier maudissant sa prison.

 

XIII

Maintenant je pardonne à la doulce fureur,

Qui m'a fait consumer le meilleur de mon aage,

Sans tirer autre fruict de mon ingrat ouvrage,

Que le vain passetemps d'une si longue erreur.

Maintenant je pardonne à ce plaisant labeur,

Puis que seul il endort le soucy qui m'oultrage,

Et puis que seul il fait qu'au milieu de l'orage,

Ainsi qu'auparavant je ne tremble de peur.

Si les vers ont esté l'abus de ma jeunesse,

Les vers seront aussi l'appuy de ma vieillesse,

S'ils furent ma folie, ils seront ma raison,

S'ils furent ma blesseure, ils seront mon Achille,

S'ils furent mon venim, le scorpion utile,

Qui sera de mon mal la seule guerison.

 

XIV

Si l'importunité d'un crediteur me fasche,

Les vers m'ostent l'ennuy du fascheux crediteur:

Et si je suis fasché d'un fascheux serviteur,

Dessus les vers (Boucher) soudain je me défasche.

Si quelqu'un dessus moy sa cholere délasche,

Sur les vers je vomis le venim de mon coeur:

Et si mon foible esprit est recreu du labeur,

Les vers font que plus frais je retourne à ma tasche.

Les vers chassent de moy la molle oisiveté,

Les vers me font aymer la doulce liberté,

Les vers chantent pour moy ce que dire je n'ose.

Si donq j'en recueillis tant de profits divers,

Demandes-tu (Boucher) dequoy servent les vers,

Et quel bien je reçoy de ceulx que je compose?

 

XV

Panjas, veuls-tu sçavoir quels sont mes passetemps?

Je songe au lendemain, j'ay soing de la despense

Qui se fait chacun jour, et si fault que je pense

A rendre sans argent cent crediteurs contents:

Je vays, je viens, je cours, je ne perds point le temps

Je courtise un banquier, je prens argent d'avance,

Quand j'ay despesché l'un, un autre recommence,

Et ne fais pas le quart de ce que je pretends.

Qui me presente un compte, une lettre, un memoire,

Qui me dit que demain est jour de consistoire,

Qui me rompt le cerveau de cent propos divers:

Qui se plainct, qui se deult, qui murmure, qui crie,

Aveques tout cela, dy (Panjas) je te prie,

Ne t'esbahis-tu point comment je fais des vers?

 

XVI

Cependant que Magny suit son grand Avanson,

Panjas son Cardinal, et moy le mien encore,

Et que l'espoir flateur, qui noz beaux ans devore

Appaste noz desirs d'un friand hamesson,

Tu courtises les Roys, et d'un plus heureux son

Chantant l'heur de Henry, qui son siecle decore,

Tu t'honores toymesme, et celuy qui honore

L'honneur que tu luy fais par ta docte chanson.

Las, et nous ce pendant nous consumons nostre aage

Sur le bord incogneu d'un estrange rivage,

Où le malheur nous fait ces tristes vers chanter:

Comme on voit quelquefois, quand la mort les appelle,

Arrengez flanc à flanc parmy l'herbe nouvelle,

Bien loing sur un estang trois cygnes lamenter.

 

XVII

Apres avoir long temps erré sur le rivage,

Où lon voit lamenter tant de chetifs de court,

Tu as attaint le bord, où tout le monde court,

Fuyant de pauvreté le penible servage.

Nous autres ce pendant, le long de ceste plage

En vain tendons les mains vers le Nautonnier sourd,

Qui nous chasse bien loing: car, pour le faire court,

Nous n'avons un quatrin pour payer le naulage.

Ainsi donc tu jouis du repos bienheureux,

Et comme font là bas ces doctes amoureux,

Bien avant dans un bois te perds avec ta dame:

Tu bois le long oubly de tes travaux passez,

Sans plus penser en ceulx que tu as delaissez,

Criant dessus le port, ou tirant à la rame.

 

XVIII

Si tu ne sçais (Morel) ce que je fais icy,

Je ne fais pas l'amour, ny autre tel ouvrage:

Je courtise mon maistre, et si fais d'avantage,

Ayant de sa maison le principal soucy.

Mon Dieu (ce diras tu) quel miracle est-ce cy,

Que de veoir, Dubellay se mesler du mesnage,

Et composer des vers en un autre langage!

Les loups, et les aigneaux s'accordent tout ainsi.

Voilà que c'est (Morel) la doulce poësie

M'accompagne par tout, sans qu'autre fantaisie

En si plaisant labeur me puisse rendre oisif.

Mais tu me repondras: donne, si tu es sage,

De bonne heure congé au cheval qui est d'aage,

De peur qu'il ne s'empire, et devienne poussif.

 

XIX

Ce pendant que tu dis ta Cassandre divine,

Les louanges du Roy, et l'heritier d'Hector,

Et ce Montmorancy, nostre François Nestor,

Et que de sa faveur Henry t'estime digne:

Je me pourmene seul sur la rive Latine,

La France regretant, et regretant encor

Mes antiques amis, mon plus riche tresor,

Et le plaisant sejour de ma terre Angevine.

Je regrete les bois, et les champs blondissans,

Les vignes, les jardins, et les prez verdissans,

Que mon fleuve traverse: icy pour recompense

Ne voiant que l'orgueil de ces monceaux pierreux,

Où me tient attaché un espoir malheureux,

Ce que possede moins celuy qui plus y pense.

 

XX

Heureux, de qui la mort de sa gloire est suivie,

Et plus heureux celuy, dont l'immortalité

Ne prend commencement de la posterité,

Mais devant que la mort ait son ame ravie.

Tu jouis (mon Ronsard) mesmes durant ta vie,

De l'immortel honneur que tu as merité:

Et devant que mourir (rare felicité)

Ton heureuse vertu triomphe de l'envie.

Courage donc (Ronsard) la victoire est à toy,

Puis que de ton costé est la faveur du Roy:

Ja du laurier vainqueur tes temples se couronnent,

Et ja la tourbe espesse à l'entour de ton flanc

Resemble ces esprits, qui là bas environnent

Le grand prestre de Thrace au long sourpely blanc.

 

XXI

Conte, qui ne fis onc compte de la grandeur,

Ton Dubellay n'est plus, ce n'est plus qu'une souche

Qui dessus un ruisseau d'un doz courbé se couche,

Et n'a plus rien de vif, qu'un petit de verdeur.

Si j'escry quelquefois, je n'escry point d'ardeur,

J'escry naivement tout ce qu'au coeur me touche,

Soit de bien, soit de mal, comme il vient à la bouche,

En un stile aussi lent, que lente est ma froideur.

Vous autres ce pendant peintres de la nature,

Dont l'art n'est pas enclos dans un protraiture,

Contrefaites des vieux les ouvrages plus beaux.

Quant à moy je n'aspire à si haulte louange,

Et ne sont mes protraits aupres de voz tableaux,

Non plus qu'est un Janet aupres d'un Michelange.

 

XXII

Ores, plus que jamais, me plaist d'aymer la Muse,

Soit qu'en François j'escrive, ou langage Romain,

Puis que le jugement d'un Prince tant humain,

De si grande faveur envers les lettres use.

Donq le sacré mestier où ton esprit s'amuse,

Ne sera desormais un exercice vain,

Et le tardif labeur que nous promets ta main,

Desormais pour Francus n'aura plus nulle excuse.

Ce pendant (mon Ronsard) pour tromper mes ennuys,

Et non pour m'enrichir, je suivray, si je puis,

Les plus humbles chansons de ta Muse lassee.

Aussi chacun n'a pas merité que d'un Roy

La liberalité luy face, comme à toy,

Ou son archet doré, ou sa lyre crossee.

 

XXIII

Ne lira-lon jamais, que ce Dieu rigoureux?

Jamais ne lira-lon que ceste Idaliene?

Ne voira-lon jamais Mars sans la Cyprienne?

Jamais ne voira-lon, que Ronsard amoureux?

Retistra-lon tousjours, d'un tour laborieux

Ceste toile, argument d'une si longue peine?

Revoira-lon tousjours Oreste sur la scene,

Sera tousjours Roland par amour furieux?

Ton Francus, ce pendant a beau haulser les voiles,

Dresser le gouvernail, espier les estoiles,

Pour aller où il deust estre ancré desormais:

Il a le vent à gré, il est en equippage,

Il est encor pourtant sur le Troien rivage,

Aussi croy-je (Ronsard) qu'il n'en partit jamais.

 

XXIV

Qu'heureux tu es (Baif) heureux et plus qu'heureux,

De ne suivre abusé ceste aveugle Deesse,

Qui d'un tour inconstant et nous haulse et nous baisse,

Mais cest aveugle enfant qui nous fait amoureux!

Tu n'esprouves (Baif) d'un maistre rigoureux,

Le severe sourcy: mais la doulce rudesse

D'une belle, courtoise, et gentile maistresse,

Qui fait languir ton coeur doulcement langoureux.

Moy chetif ce pendant loing des yeux de mon Prince,

Je vieillis malheureux en estrange province,

Fuyant la pauvreté: mais las ne fuyant pas

Les regrets, les ennuys, le travail, et la peine,

Le tardif repentir d'une esperance vaine,

Et l'importun souci, qui me suit pas à pas.

 

XXV

Malheureux l'an, le mois, le jour, l'heure, et le poinct,

Et malheureuse soit la flateuse esperance,

Quand pour venir icy j'abandonnay la France:

La France, et mon Anjou dont le desir me poingt.

Vrayment d'un bon oiseau guidé je ne fus point,

Et mon coeur me donnoit assez signifiance

Que le ciel estoit plein de mauvaise influence,

Et que Mars estoit lors à Saturne conjoint.

Cent fois le bon advis lors m'en voulut distraire,

Mais tousjours le destin me tiroit au contraire:

Et si mon desir n'eust aveuglé ma raison,

N'estoit ce pas assez pour rompre mon voyage,

Quand sur le sueil de l'huis, d'un sinistre presage,

Je me blessay le pied sortant de ma maison?

 

XXVI

Si celuy qui s'appreste à faire un long voyage,

Doit croire cestuy là qui a ja voyagé,

Et qui des flots marins longuement oultragé,

Tout moite et degoutant s'est sauvé du naufrage,

Tu me croiras (Ronsard) bien que tu sois plus sage,

Et quelque peu encor (ce croy-je) plus aagé,

Puis que j'ay devant toy en ceste mer nagé,

Et que desja ma nef descouvre le rivage.

Donques je t'advertis, que ceste mer Romaine,

De dangereux escueils et de bancs toute pleine,

Cache mille perils, et qu'icy bien souvent

Trompé du chant pippeur des monstres de Sicile

Pour Carybde eviter tu tomberas en Scylle,

Si tu ne sçais nager d'une voile à tout vent.

 

XXVII

Ce n'est l'ambition, ny le soing d'acquerir,

Qui m'a fait delaisser ma rive paternelle,

Pour voir ces monts couvers d'une neige eternelle,

Et par mille dangers ma fortune querir.

Le vray honneur qui n'est coustumier de perir,

Et la vraye vertu qui seule est immortelle,

On comblé mes desirs d'une abondance telle,

Qu'un plus grand bien aux dieux je ne veulx requerir.

L'honneste servitude, où mon devoir me lie,

M'a fait passer les monts de France en Italie,

Et demourer trois ans sur ce bord estranger,

Où je vy languissant. Ce seul devoir encore

Me peult faire changer France à l'Inde et au More,

Et le ciel à l'enfer me peult faire changer.

 

XXVIII

Quand je te dis adieu, pour m'en venir icy,

Tu me dis (mon Lahaye) il m'en souvient encore,

Souvienne toy Bellay de ce que tu es ore,

Et comme tu t'en vas, retourne t'en ainsi.

Et tel: comme je vins, je m'en retourne aussi:

Hors mis un repentir qui le coeur me devore,

Qui me ride le front, qui mon chef decolore,

Et qui me fait plus bas enfoncer le sourcy.

Ce triste repentir, qui me ronge, et me lime,

Ne vient (car j'en suis net) pour sentir quelque crime,

Mais pour m'estre trois ans à ce bord arresté:

Et pour m'estre abusé d'une ingrate esperance,

Qui pour venir icy trouver la pauvreté,

M'a fait (sot que je suis) abandonner la France.

 

XXIX

Je hay plus que la mort un jeune casanier,

Qui ne sort jamais hors, sinon au jour de feste,

Et craignant plus le jour qu'une sauvage beste,

Se fait en sa maison luy mesmes prisonnier.

Mais je ne puis aymer un vieillard voyager,

Qui court deça dela, et jamais ne s'arreste,

Ains des pieds moins leger, que leger de la teste

Ne sejourne jamais non plus qu'un messager.

L'un sans se travailler en seureté demeure,

L'autre qui n'a repos jusques à tant qu'il meure,

Traverse nuict et jour mille lieux dangereux.

L'un passe riche et sot heureusement sa vie,

L'autre plus souffreteux qu'un pauvre qui mendie,

S'acquiert en voyageant un sçavoir malheureux.

 

XXX

Quiconques (mon Bailleul) fait longuement sejour,

Soubs un ciel incogneu, et quiconques endure

D'aller de port en port cherchant son adventure,

Et peult vivre estranger dessoubs un autre jour:

Qui peult mettre en oubly de ses parents l'amour,

L'amour de sa maistresse, et l'amour que nature

Nous fait porter au lieu de nostre nourriture,

Et voyage tousjours sans penser au retour:

Il est fils d'un rocher, ou d'une ourse cruelle,

Et digne qui jadis ait succé la mamelle

D'une tygre inhumaine. Encor ne voit-on point

Que les fiers animaux en leurs forts ne retournent,

Et ceulx qui parmy nous domestiques sejournent,

Tousjours de la maison le doulx desir les poingt.

 

XXXI

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,

Ou comme cestuy la qui conquit la toison,

Et puis est retourné, plein d'usage et raison,

Vivre entre ses parents le reste de son aage!

Quand revoiray-je, helas, de mon petit village

Fumer la cheminee, et en quelle saison,

Revoiray-je le clos de ma pauvre maison,

Qui m'est une province, et beaucoup d'avantage?

Plus me plaist le sejour qu'on basty mes ayeux,

Que des palais Romains le front audacieux,

Plus que le marbre dur me plaist l'ardoise fine:

Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin,

Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin,

Et plus que l'air marin la doulceur Angevine.

 

XXXII

Je me feray sçavant en la philosophie,

En la mathematique, et medicine aussi,

Je me feray legiste, et d'un plus hault souci

Apprendray les secrets de la theologie:

Du lut et du pinceau j'ebateray ma vie,

De l'escrime et du bal. Je discourois ainsi,

Et me vantois en moy d'apprendre tout cecy,

Quand je changeay la France au sejour d'Italie.

O beaux discours humains! je suis venu si loing,

Pour m'enrichir d'ennuy, de vieillesse, et de soing,

Et perdre en voyageant le meilleur de mon aage.

Ainsi le marinier souvent pour tout tresor

Rapporte des harencs en lieu de lingots d'or,

Aiant fait, comme moy, un malheureux voyage.

 

XXXIII

Que feray-je, Morel? dy moy, si tu l'entends,

Feray-je encor icy plus longue demeurance,

Ou si j'iray reveoir les campaignes de France,

Quand les neiges fondront au soleil du printemps?

Si je demeure icy, helas je perds mon temps

A me repaistre en vain d'une longue esperance,

Et si je veulx ailleurs fonder mon asseurance,

Je fraude mon labeur du loyer que j'attens.

Mais fault-il vivre ainsi d'une esperance vaine?

Mais fault-il perdre ainsi bien trois ans de ma peine?

Je ne bougeray donc. Non, non, je m'en iray.

Je demourray pourtant, si tu le me conseilles.

Helas (mon cher Morel) dy moy que je feray,

Car je tiens, comme on dit, le loup par les oreilles.

 

XXXIV

Comme le marinier que le cruel orage

A long temps agité dessus la haulte mer;

Aiant finablement à force de ramer

Garanty son vaisseau du danger du naufrage,

Regarde sur le port sans plus craindre la rage

Des vagues ny des vents, les ondes escumer:

Et quelqu'autre bien loing au danger d'abysmer

En vain tendre les mains vers le front du rivage:

Ainsi (mon cher Morel) sur le port arresté

Tu regardes la mer, et vois en seureté

De mille tourbillons son onde renversee:

Tu la vois jusqu'au ciel s'eslever bien souvent,

Et vois ton Dubellay à la mercy du vent

Assis au gouvernail dans une nef percee.

 

XXXV

La nef qui longuement a voyagé (Dillier)

Dedans le seing du port à la fin on la serre,

Et le boeuf, qui long temps a renversé la terre,

Le bouvier à la fin luy oste le collier:

Le vieil cheval se voit à la fin deslier,

Pour ne perdre l'haleine, ou quelque honte acquerre,

Et pour se reposer du travail de la guerre,

Se retire à la fin le vieillard chevalier:

Mais moy, qui jusqu'icy n'ay prouvé que la peine,

La peine et le malheur d'une esperance vaine,

La douleur, le souci, les regrets, les ennuis,

Je vieillis peu à peu sur l'onde Ausonienne,

Et si n'espere point, quelque bien qui m'advienne,

De sortir jamais hors des travaux où je suis.

 

XXXVI

Depuis que j'ay laissé mon naturel sejour,

Pour venir où le Tybre aux flots tortuz ondoye,

Le ciel a veu trois fois par son oblique voye

Recommencer son cours la grand'lampe du jour.

Mais j'ay si grand desir de me voir de retour,

Que ces trois ans me sont plus qu'un siege de Troye,

Tant me tarde (Morel) que Paris je revoye,

Et tant le ciel pour moy fait lentement son tour:

Il fait son tour si lent, et me semble si morne,

Si morne, et si pesant que le froid Capricorne

Ne m'accoursit les jours, ny le Cancre les nuicts.

Voilà (mon cher Morel) combien le temps me dure

Loing de France et de toy, et comment la nature

Fait toute chose longue aveques mes ennuis.

 

XXXVII

C'estoit ores c'estoit qu'à moy je devois vivre,

Sans vouloir estre plus, que cela que je suis,

Et qu'heureux je devois de ce peu que je puis,

Vivre content du bien de la plume, et du livre.

Mais il n'a pleu aux Dieux me permettre de suivre

Ma jeune liberté, ny faire que depuis

Je vesquisse aussi franc de travaux et d'ennuis,

Comme d'ambition j'estois franc et delivre.

Il ne leur a pas pleu qu'en ma vieille saison

Je sceusse quel bien c'est de vivre en sa maison,

De vivre entre les siens sans crainte et sans envie:

Il leur a pleu (helas) qu'à ce bord estranger

Je veisse ma franchise en prison se changer,

Et la fleur de mes ans en l'hyver de ma vie.

 

XXXVIII

O qu'heureux est celuy qui peult passer son aage

Entre pareils à soy! et qui sans fiction,

Sans crainte, sans envie, et sans ambition

Regne paisiblement en son pauvre mesnage.

Le miserable soing d'acquerir d'avantage

Ne tyrannise point sa libre affection,

Et son plus grand desir, desir sans passion,

Ne s'estend plus avant que son propre heritage.

Il ne s'empesche point des affaires d'autruy,

Son principal espoir ne depend que de luy,

Il est sa court, son roy, sa faveur, et son maistre.

Il ne mange son bien en païs estranger,

Il ne met pour autruy sa personne en danger,

Et plus riche qu'il est ne voudroit jamais estre.

 

XXXIX

J'ayme la liberté, et languis en service,

Je n'ayme point la court, et me fault courtiser,

Je n'ayme la feintise, et me fault deguiser,

J'ayme simplicité, et n'apprens que malice:

Je n'adore les biens, et sers à l'avarice,

Je n'ayme les honneurs, et me les fault priser,

Je veulx garder ma foy, et me la fault briser,

Je cherche la vertu, et ne trouve que vice:

Je cherche le repos, et trouver ne le puis,

J'embrasse le plaisir, et n'esprouve qu'ennuis,

Je n'ayme à discourir, en raison je me fonde:

J'ay le corps maladif, et me fault voyager,

Je suis né pour la Muse, on me fait mesnager,

Ne suis-je pas (Morel) le plus chetif du monde?

 

XL

Un peu de mer tenoit le grand Dulichien,

D'Ithaque separé, l'Apennin porte-nue,

Et les monts de Savoye à la teste chenue

Me tiennent loing de France au bord Ausonien:

Fertile est mon sejour, sterile estoit le sien,

Je ne suis des plus fins, sa finesse est cogneue,

Les siens gardans son bien attendoient sa venue,

Mais nul en m'attendant ne me garde le mien:

Pallas sa guide estoit, je vays à l'aventure,

Il fut dur au travail, moy tendre de nature,

A la fin il ancra sa navire à son port,

Je ne suis asseuré de retourner en France,

Il feit de ses haineux une belle vengeance,

Pour me venger des miens je ne suis assez fort.

 

XLI

N'estant de mes ennuis la fortune assouvie,

Afin que je devinsse à moymesme odieux,

M'osta de mes amis celuy que j'aymois mieux,

Et sans qui je n'avois de vivre nulle envie.

Donc l'eternelle nuict a ta clarté ravie,

Et je ne t'ay suivy parmy ces obscurs lieux?

Toy qui m'as plus aymé que ta vie et tes yeux,

Toy, que j'ay plus aymé que mes yeux et ma vie.

Helas, cher compaignon, que ne puis-je estre encor

Le frere de Pollux, toy celuy de Castor,

Puis que nostre amitié fut plus que fraternelle?

Reçoy donques ces pleurs, pour gage de ma foy,

Et ces vers qui rendront, si je ne me deçoy,

De si rare amitié la memoire eternelle.

 

XLII

C'est ores, mon Vineus, mon cher Vineus, c'est ore

Que de tous les chetifs le plus chetif je suis,

Et que ce que j'estois plus estre je ne puis,

Aiant perdu mon temps, et ma jeunesse encore.

La pauvreté me suit, le souci me devore,

Tristes me sont les jours, et plus tristes les nuicts,

O que je suis comblé de regrets, et d'ennuis!

Pleust à Dieu que je fusse un Pasquin ou Marphore.

Je n'aurois sentiment du malheur qui me poingt,

Ma plume seroit libre, et si ne craindrois point

Qu'un plus grand contre moy peust exercer son ire.

Asseure toy Vineus, que celuy seul est Roy,

A qui mesmes les Roys ne peuvent donner loy,

Et qui peult d'un chacun à son plaisir escrire.

 

XLIII

Je ne commis jamais fraude, ne malefice,

Je ne doutay jamais des poincts de nostre foy,

Je n'ay point violé l'ordonnance du Roy,

Et n'ay point esprouvé la rigueur de justice:

J'ay fait à mon seigneur fidelement service,

Je fais pour mes amis ce que je puis et doy,

Et croy que jusqu'icy nul ne se pleint de moy,

Que vers luy j'aye fait quelque mauvais office.

Voila ce que je suis. Et toutefois, Vineus,

Comme un qui est aux Dieux et aux hommes haineux,

Le malheur me poursuit, et tousjours m'importune:

Mais j'ay ce beau confort en mon adversité,

C'est qu'on dit que je n'ay ce malheur merité,

Et que digne je suis de meilleure fortune.

 

XLIV

Si pour avoir passé sans crime sa jeunesse,

Si pour n'avoir d'usure enrichi sa maison,

Si pour n'avoir commis homicide ou traïson,

Si pour n'avoir usé de mauvaise finesse,

Si pour n'avoir jamais violé sa promesse,

On se doit resjouir en l'arriere saison,

Je dois à l'advenir, si j'ay quelque raison,

D'un grand contentement consoler ma vieillesse.

Je me console donc en mon adversité,

Ne requerant aux Dieux plus grand' felicité,

Que de pouvoir durer en ceste patience.

O Dieux, si vous avez quelque souci de nous,

Ottroyez moy ce don, que j'espere de vous,

Et pour vostre pitié, et pour mon innocence.

 

XLV

O marastre nature (et marastre es-tu bien,

De ne m'avoir plus sage ou plus heureux fait naistre)

Pourquoy ne m'as tu fait de moymesme le maistre,

Pour suivre ma raison, et vivre du tout mien?

Je voy les deux chemins, et de mal, et de bien:

Je sçay que la vertu m'appelle à la main dextre,

Et toutefois il fault que je tourne à senestre,

Pour suivre un traistre espoir, qui m'a fait du tout sien.

Et quel profit en ay-je? ô belle recompense!

Je me suis consumé d'une vaine despence,

Et n'ay fait autre acquest que de mal et d'ennuy,

L'estranger recueillist le fruict de mon service,

Je travaille mon corps d'un indigne exercice,

Et porte sur mon front la vergongne d'autruy.

 

XLVI

Si par peine, et sueur, et par fidelité,

Par humble servitude, et longue patience,

Employer corps, et biens, esprit, et conscience,

Et du tout mespriser sa propre utilité,

Si pour n'avoir jamais par importunité

Demandé benefice, ou autre recompense,

On se doit enrichir, j'auray (comme je pense)

Quelque bien à la fin, car je l'ay merité.

Mais si par larrecin advancé l'on doit estre,

Par mentir, par flater, par abuser son maistre,

Et pis que tout cela faire encor' bien souvent:

Je cognois que je seme au rivage infertile,

Que je veux cribler l'eau, et que je bas le vent,

Et que je suis (Vineus) serviteur inutile.

 

XLVII

Si onques de pitié ton ame fut atteinte,

Voiant indignement ton amy tormenté,

Et si onques tes yeux ont experimenté

Les poignans esguillons d'une douleur non feinte,

Voy la mienne en ces vers sans artifice peinte,

Comme sans artifice est ma simplicité:

Et si pour moy tu n'es à pleurer incité,

Ne te ry pour le moins des souspirs de ma pleinte.

Ainsi (mon cher Vineus) jamais ne puisse-tu

Esprouver les regrets qu'esprouve une vertu,

Qui se void defrauder du loyer de sa peine:

Ainsi l'oeil de ton Roy favorable te soit,

Et ce qui des plus fins l'esperance deçoit,

N'abuse ta bonté d'une promesse vaine.

 

XLVIII

O combien est heureux, qui n'est contreint de feindre

Ce que la verité le contreint de penser,

Et à qui le respect d'un qu'on n'ose offenser,

Ne peult la liberté de sa plume contreindre!

Las pourquoy de ce noeu sens-je la mienne estreindre,

Quand mes justes regrets je cuide commencer?

Et pourquoy ne se peult mon ame dispenser

De ne sentir son mal, ou de s'en pouvoir pleindre?

On me donne la genne, et si n'ose crier,

On me voit tormenter, et si n'ose prier

Qu'on ait pitié de moy. O peine trop sugette!

Il n'est feu si ardent qu'un feu qui est enclos,

Il n'est si facheux mal, qu'un mal qui tient à l'os,

Et n'est si grand' douleur, qu'une douleur muette.

 

XLIX

Si apres quarante ans de fidele service,

Que celuy que je sers a fait en divers lieux,

Emploiant, liberal, tout son plus et son mieux

Aux affaires qui sont de plus digne exercice,

D'un hayneux estranger l'envieuse malice

Exerc contre luy son courage odieux,

Et sans avoir souci des hommes ny des dieux,

Oppose à la vertu l'ignorance et le vice,

Me doy-je tormenter, moy qui suis moins que rien,

Si par quelqu'un (peult estre) envieux de mon bien

Je ne treuve à mon gré la faveur opportune?

Je me console donc, et en pareille mer,

Voiant mon cher Seigneur au danger d'abysmer,

Il me plaist de courir une mesme fortune.

Sortons (Dilliers) sortons, faisons place à l'envie,

Et fuions desormais ce tumulte civil,

Puis qu'on y voit priser le plus lasche et plus vil,

Et la meilleure part estre la moins suivie.

Allons où la vertu, et le sort nous convie,

Deussions nous voir le Scythe, ou la source du Nil,

Et nous donnons plus-tost un eternel exil,

Que tacher d'un seul poinct l'honneur de nostre vie.

Sus donques, et devant que le cruel vainqueur

De nous face une fable au vulgaire moqueur,

Banissons la vertu d'un exil volontaire.

Et quoy? ne sçais-tu pas que le bany Romain

Bien qu'il fust dechassé de son peuple inhumain,

Fut pourtant adoré du barbare coursaire?

 

LI

Mauny, prenons en gré la mauvaise fortune,

Puis que nul ne se peult de la bonne asseurer,

Et que de la mauvaise on peult bien esperer,

Estant son naturel, de n'estre jamais une.

Le sage nocher craint la faveur de Neptune,

Sachant que le beau temps long temps ne peult durer:

Et ne vault il pas mieulx quelque orage endurer,

Que d'avoir tousjours peur de la mer importune?

Par la bonne fortune on se trouve abusé,

Par la fortune adverse on devient plus rusé:

L'une esteint la vertu, l'autre la fait paroistre:

L'une trompe noz yeux d'un visage menteur,

L'autre nous fait l'amy cognoistre du flateur,

Et si nous fait encor' à nous mesmes cognoistre.

 

LII

Si les larmes servoient de remede au malheur,

Et le pleurer pouvoit la tristesse arrester,

On devroit (Seigneur mien) les larmes acheter,

Et ne se trouveroit rien si cher que le pleur.

Mais les pleurs en effect sont de nulle valeur,

Car soit qu'on ne se veuille en pleurant tormenter,

Ou soit que nuict et jour on veuille lamenter,

On ne peult divertir le cours de la douleur.

Le coeur fait au cerveau ceste humeur exhaler,

Et le cerveau la fait par les yeux devaller,

Mais le mal par les yeux ne s'allambique pas.

Dequoy donques nous sert ce fascheux larmoyer?

De jetter, comme on dit l'huile sur le foyer,

Et perdre sans profit le repoz et repas.

 

LIII

Vivons (Gordes) vivons, vivons, et pour le bruit

Des vieillards ne laissons à faire bonne chere:

Vivons, puis que la vie est si courte et si chere,

Et que mesmes les Roys n'en ont que l'usufruit.

Le jour s'esteint au soir, et au matin reluit,

Et les saisons refont leur course coustumiere:

Mais quand l'homme a perdu ceste doulce lumiere,

La mort luy fait dormir une eternelle nuict.

Donq imiterons-nous le vivre d'une beste?

Non, mais devers le ciel levans tousjours la teste,

Gousterons quelque fois la doulceur du plaisir.

Celuy vrayement est fol, qui changeant l'asseurance

Du bien qui est present en douteuse esperance,

Veult tousjours contredire à son propre desir.

 

LIV

Maraud, qui n'es maraud que de nom seulement,

Qui dit que tu es sage, il dit la verité:

Mais qui dit que le soing d'eviter pauvreté

Te ronge le cerveau, ta face le desment.

Celuy vrayement est riche et vit heureusement,

Qui s'esloignant de l'une et l'autre extremité,

Prescrit à ses desirs un terme limité:

Car la vraye richesse est le contentement.

Sus donc (mon cher Maraud) pendant que nostre maistre,

Que pour le bien publiq la nature a fait naistre,

Se tormente l'esprit des affaires d'autruy,

Va devant à la vigne apprester la salade:

Que sçait-on qui demain sera mort, ou malade?

Celuy vit seulement, lequel vit aujourdhuy.

 

LV

Montigné (car tu es aux procez usité)

Si quelqu'un de ces Dieux, qui ont plus de puissance,

Nous promit de tous biens paisible jouissance,

Nous obligeant par Styx toute sa deité,

Il s'est mal envers nous de promesse acquitté,

Et devant Juppiter en devons faire instance:

Mais si lon ne peult faire aux Parques resistance,

Qui jugent par arrest de la fatalité,

Nous n'en appellerons, attendu que ne sommes

Plus privilegiez, que sont les autres hommes

Condemnez, comme nous, en pareille action:

Mais si l'ennuy vouloit sur nostre fantaisie,

Par vertu du malheur faire quelque saisie,

Nous nous opposerions à l'execution.

 

LVI

Baif, qui, comme moy, prouves l'adversité,

Il n'est pas tousjours bon de combatre l'orage,

Il fault caler la voile, et de peur du naufrage,

Ceder à la fureur de Neptune irrité.

Mais il ne fault aussi par crainte et vilité

S'abandonner en proye: il fault prendre courage,

Il fault feindre souvent l'espoir par le visage,

Et fault faire vertu de la necessité.

Donques sans nous ronger le coeur d'un trop grand soing,

Mais de nostre vertu nous aidant au besoing,

Combatons le malheur. Quant à moy, je proteste

Que je veulx desormais Fortune despiter,

Et que s'elle entreprend le me faire quitter,

Je le tiendray (Baif) et fust-ce de ma reste.

 

LVII

Ce pendant que tu suis le lievre par la plaine,

Le sanglier par les bois, et le milan par l'aer,

Et que voiant le sacre, ou l'espervier voler,

Tu t'exerces le corps d'une plaisante peine,

Nous autres malheureux suivons la court Romaine,

Où, comme de ton temps, nous n'oyons plus parler

De rire, de saulter, de danser, et baller,

Mais de sang, et de feu, et de guerre inhumaine.

Pendant, tout le plaisir de ton Gorde; et de moy,

C'est de te regreter, et de parler de toy,

De lire quelque autheur, ou quelque vers escrire.

Au reste (mon Dagaut) nous n'esprouvons icy,

Que peine, que travail, que regret, et soucy,

Et rien, que le Breton, ne nous peult faire rire.

 

LVIII

Le Breton est sçavant, et sçait fort bien escrire

En François, et Thuscan, en Grec, et en Romain,

Il est en son parler plaisant et fort humain,

Il est bon compaignon, et dit le mot pour rire:

Il a bon jugement, et sçait fort bien eslire

Le blanc d'avec le noir: il est bon escrivain,

Et pour bien compasser une lettre à la main,

Il y est excellent autant qu'on sçauroit dire:

Mais il est paresseux, et craint tant son mestier,

Que sil devoit jeusner, ce croy-je, un mois entier,

Il ne travailleroit seulement un quart d'heure.

Bref il est si poltron, pour bien le deviser,

Que depuis quatre mois, qu'en ma chambre il demeure,

Son umbre seulement me fait poltronniser.

 

LIX

Tu ne me vois jamais (Pierre) que tu ne die

Que j'estudie trop, que je face l'amour,

Et que d'avoir tousjours ces livres à l'entour,

Rend les yeux esblouïs, et la teste eslourdie.

Mais tu ne l'entends pas: car ceste maladie

Ne me vient du trop lire, ou du trop long sejour,

Ainsi de voir le bureau, qui se tient chacun jour:

C'est, Pierre mon amy, le livre où j'estudie.

Ne m'en parle donc plus, autant que tu as cher

De me donner plaisir, et de ne me fascher:

Mais bien en ce pendant que d'une main' habile

Tu me laves la barbe, et me tonds les cheveulx,

Pour me desennuyer, conte moy, si tu veulx,

Des nouvelles du Pape, et du bruit de la ville.

 

LX

Seigneur, ne pensez pas d'ouir chanter icy

Les louanges du Roy, ny la gloire de Guyse,

Ny celle que se sont les Chastillons acquise,

Ny ce Temple sacré au grand Montmorancy.

N'y pensez voir encor' le severe sourcy

De madame Sagesse, ou la brave entreprise,

Qui au Ciel, aux Demons, aux Estoilles s'est prise,

La fortune, la Mort, et la Justice aussi,

De l'Or encore moins, de luy je ne suis digne:

Mais bien d'un petit Chat j'ay fait un petit hymne,

Lequel je vous envoye: autre present je n'ay.

Prenez le donc (Seigneur) et m'excusez de grace,

Si pour le bal ayant la musique trop basse,

Je sonne un passepied, ou quelque branle gay.

 

LXI

Qui est amy du coeur est amy de la bourse,

Ce dira quelque honneste et hardy demandeur,

Qui de l'argent d'autruy liberal despendeur

Luymesme à l'hospital s'en va toute la course.

Mais songe là dessus, qu'il n'est si vive source,

Qu'on ne puisse espuiser, ny si riche presteur,

Qui ne puisse à la fin devenir emprunteur,

Ayant affaire à gens qui n'ont point de resource.

Gordes, si tu veuls vivre heureusement Romain,

Sois large de faveur, mais garde que ta main

Ne soit à tous venans trop largement ouverte.

Par l'un on peult gaigner mesmes son ennemy,

Par l'autre bien souvent on perd un bon amy,

Et quand on perd l'argent, c'est une double perte.

 

LXII

Ce ruzé Calabrois tout vice, quel qu'il soit,

Chatouille à son amy, sans espargner personne,

Et faisant rire ceulx, que mesme il espoinçonne,

Se jouë autour du coeur de cil qui le reçoit.

Si donc quelque subtil en mes vers apperçoit

Que je morde en riant, pourtant nul ne me donne

Le nom de feint amy vers ceulx que j'aiguillonne,

Car qui m'estime tel, lourdement se deçoit.

La Satyre (Dilliers) est un publiq exemple,

Où, comme en un miroir, l'homme sage contemple

Tout ce qui est en luy ou de laid, ou de beau.

Nul ne me lise donc, ou qui me vouldra lire,

Ne se fasche s'il voit par maniere de rire,

Quelque chose du sien protrait en ce tableau.

 

LXIII

Quel est celuy qui veult faire croire de soy

Qu'il est fidele amy? mais quand le temps se change,

Du costé des plus forts soudainement se range,

Et du costé de ceulx qui ont le mieux dequoy.

Quel est celuy qui dit qu'il gouverne le Roy?

J'entends quand il se voit en un païs estrange,

Et bien loing de la court: quel homme est-ce, Lestrange?

Lestrange, entre nous deux je te pry dy le moy.

Dy moy, quel est celuy qui si bien se deguise,

Qu'il semble homme de guerre entre les gens d'eglise,

Et entre gens de guerre aux prestres est pareil?

Je ne sçay pas son nom: mais quiconqu'il puisse estre,

Il n'est fidele amy, ny mignon de son maistre,

Ny vaillant chevalier, ny homme de conseil.

 

LXIV

Nature est aux bastards volontiers favorable,

Et souvent les bastards sont les plus genereux,

Pour estre au jeu d'amour l'homme plus vigoreux,

D'autant que le plaisir luy est plus aggreable.

Le donteur de Meduse, Hercule l'indontable,

Le vainqueur Indien, et les Jumeaux heureux,

Et tous ces Dieux bastards jadis si valeureux:

Ce probleme (Bizet) font plus que veritable.

Et combien voyons nous aujourdhuy de bastards,

Soit en l'art d'Apollon, soit en celuy de Mars

Exceller ceux qui sont de race légitime?

Bref tousjours ces bastards sont de gentil esprit:

Mais ce bastard (Bizet) que lon nous a descrit,

Est cause, que je fais des autres moins d'estime.

 

LXV

Tu ne crains la fureur de ma plume animee,

Pensant que je n'ay rien à dire contre toy,

Sinon ce que ta rage a vomy contre moy,

Grinssant comme un mastin la dent envenimee.

Tu crois que je n'en sçay que par la renommee,

Et que quand j'auray dict que tu n'as point de foy,

Que tu es affronteur, que tu es traistre au Roy,

Que j'auray contre toy ma force consommee.

Tu penses que je n'ay rien dequoy me vanger,

Sinon que tu n'es fait que pour boire et manger:

Mais j'ay bien quelque chose encore plus mordante,

Et quoy? l'amour d'Orphee? et que tu ne sceus oncq

Que c'est de croire en Dieu? non. Quel vice est-ce doncq?

C'est, pour le faire court, que tu es un pedante.

 

LXVI

Ne t'esmerveille point que chacun il mesprise,

Qu'il dedaigne un chacun, qu'il n'estime que soy,

Qu'aux ouvrages d'autruy il veuille donner loy,

Et comme un Aristarq' luymesme s'auctorise.

Paschal, c'est un pedant': et quoy qu'il se desguise,

Sera tousjours pedant'. Un pedant' et un roy

Ne te semblent-ilz pas avoir je ne sçay quoy

De semblable, et que l'un à l'autre symbolise?

Les subjects du pedant' ce sont ses escoliers,

Ses classes ses estatz, ses regents officiers,

Son college (Paschal) est comme sa province.

Et c'est pourquoy jadis le Syracusien

Aiant perdu le nom de roy Sicilien,

Voulut estre pedant', ne pouvant estre prince.

 

LXVII

Magny, je ne puis voir un prodigue d'honneur

Qui trouve tout bien fait, qui de tout s'esmerveille,

Qui mes faultes approuve, et me flatte l'oreille

Comme si j'estois prince, ou quelque grand seigneur.

Mais je me fasche aussi d'un fascheux repreneur,

Qui du bon et mauvais fait censure pareille,

Qui se list voluntiers, et semble qu'il sommeille

En lisant les chansons de quelque autre sonneur.

Cestui-là me deçoit d'une faulse louange,

Et gardant qu'aux bons vers les mauvais je ne change,

Fait qu'en me plaisant trop à chacun je desplais:

Cestui-cy me degouste, et ne pouvant rien faire

Qui luy plaise, il me fait egalement desplaire

Tout ce qu'il fait luymesme, et tout ce que je fais.

 

LXVIII

Je hay du Florentin l'usuriere avarice,

Je hay du fol Sienois le sens mal arresté,

Je hay du Genevois la rare verité,

Et du Venetien la trop caute malice:

Je hay le Ferrarois pour je ne sçay quel vice,

Je hay tous les Lombards pour l'infidelité,

Le fier Napolitain pour sa grand' vanité,

Et le poltron Romain pour son peu d'exercice:

Je hay l'Anglois mutin, et le brave Escossois,

Le traistre Bourguignon, et l'indiscret François,

Le superbe Espaignol, et l'yvrongne Thudesque:

Bref, je hay quelque vice en chaque nation,

Je hay moymesme encor' mon imperfection,

Mais je hay par sur tout un sçavoir pedantesque.

 

LXIX

Pourquoy me gronde-tu, vieux mastin affamé,

Comme si Dubellay n'avoit point de defense?

Pourquoy m'offense-tu, qui ne t'ay fait offense,

Sinon de t'avoir trop quelquefois estimé?

Qui t'ha, chien envieux, sur moy tant animé,

Sur moy, qui suis absent? croy-tu que ma vangeance

Ne puisse bien d'icy darder jusques en France

Un traict, plus que le tien, de rage envenimé?

Je pardonne à ton nom, pour ne souiller mon livre

D'un nom, qui par mes vers n'a merité de vivre:

Tu n'auras, malheureux, tant de faveur de moy:

Mais si plus longuement ta fureur persevere,

Je t'envoiray d'icy un foet, une Megere,

Un serpent, un cordeau, pour me vanger de toy.

 

LXX

Si Pirithois ne fust aux enfers descendu,

L'amitié de Thesé' seroit ensevelie,

Et Nise par sa mort n'eust la sienne ennoblie,

S'il n'eust veu sur le champ Eurial' estendu:

De Pylade le nom ne seroit entendu

Sans la fureur d'Oreste, et la foy de Pythie

Ne fust par tant d'escripts en lumiere sortie,

Si Damon ne se fust en sa place rendu:

Et je n'eusse esprouvé la tienne si muable,

Si Fortune vers moy n'eust esté variable.

Que puis-je faire donc, pour me vanger de toy?

Le mal que je te veulx, c'est qu'un jour je te puisse

Faire en pareil endroit, mais par meilleure office,

Recognoistre ta faulte, et voir quelle est ma foy.

 

LXXI

Ce Brave qui se croit, pour un jacque de maille

Estre un second Roland, ce dissimulateur,

Qui superbe aux amis, aux ennemis flateur,

Contrefait l'habile homme, et ne dit rien qui vaille,

Belleau, ne le croy pas: et quoy qu'il se travaille

De se feindre hardy d'un visage menteur,

N'ajouste point de foy à son parler vanteur,

Car oncq homme vaillant je n'ay veu de sa taille.

Il ne parle jamais que des faveurs qu'il a,

Il desdaigne son maistre, et courtise ceulx la

Qui ne font cas de luy: il brusle d'avarice,

Il fait du bon Chrestien, et n'a ny foy ny loy:

Il fait de l'amoureux, mais c'est, comme je croy,

Pour couvrir le soupçon de quelque plus grand' vice.

 

LXXII

Encores que lon eust heureusement compris

Et la doctrine Grecque, et la Romaine ensemble,

Si est-ce (Gohory) qu'icy, comme il me semble,

On peult apprendre encor', tant soit-on bien appris.

Non pour trouver icy de plus doctes escripts

Que ceulx que le François songneusement assemble,

Mais pour l'air plus subtil qui doucement nous amble

Ce qui est plus terrestre, et lourd en noz esprits.

Je ne sçay quel Demon de sa flamme divine

Le moins parfait de nous purge, esprouve, et affine,

Lime le jugement, et le rend plus subtil.

Mais qui trop y demeure, il envoye en fumee

De l'esprit trop purgé la force consumee,

Et pour l'esmoudre trop, luy fait perdre le fil.

 

LXXIII

Gordes, j'ay en horreur un vieillard vicieux,

Qui l'aveugle appetit de la jeunesse imite,

Et ja froid par les ans de soymesme s'incite

A vivre delicat en repoz ocieux.

Mais je ne crains rien tant qu'un jeune ambicieux,

Qui pour se faire grand contrefait de l'hermite,

Et voilant sa traïson d'un masque d'hypocrite,

Couve soubs beau semblant un coeur malicieux.

Il n'est rien (ce dit-on en proverbe vulgaire)

Si sale qu'un vieux bouq, ne si prompt à mal faire

Comme est un jeune loup: et pour le dire mieux,

Quand bien au naturel de tous deux je regarde,

Comme un fangeux pourceau l'un desplaist à mes yeux,

Comme d'un fin renard de l'autre je me garde.

 

LXXIV

Tu dis que Dubellay tient reputation,

Et que de ses amis il ne tient plus de compte:

Si ne suis-je Seigneur, Prince, Marquis, ou Conte,

Et n'ay changé d'estat ny de condition.

Jusqu'icy je ne sçay que c'est d'ambition,

Et pour ne me voir grand ne rougis point de honte,

Aussi ma qualité ne baisse ny ne monte,

Car je ne suis subject qu'à ma complexion.

Je ne sçay comme il fault entretenir son maistre,

Comme il fault courtiser, et moins quel il fault estre

Pour vivre entre les grands, comme on vid aujourdhuy.

J'honnore tout le monde, et ne fasche personne,

Qui me donne un salut, quatre je luy en donne,

Qui ne fait cas de moy je ne fais cas de luy.

 

LXXV

Gordes, que Dubellay ayme plus que ses yeux,

Voy comme la nature, ainsi que du visage,

Nous a fait differents de meurs et de courage,

Et ce qui plaist à l'un, à l'autre est odieux.

Tu dis: je ne puis voir un sot audacieux,

Qui un moindre que luy brave à son avantage,

Qui s'escoute parler, qui farde son langage,

Et fait croire de luy, qu'il est mignon des Dieux.

Je suis tout au contraire, et ma raison est telle:

Celuy, dont la doulceur courtoisement m'appelle,

Me fait oultre mon gré courtisan devenir:

Mais de tel entretien le brave me dispense,

Car n'estant obligé vers luy de recompense,

Je le laisse tout seul luymesme entretenir.

 

LXXVI

Cent fois plus qu'à louer on se plaist à mesdire:

Pource qu'en mesdisant on dit la verité,

Et louant, la faveur, ou bien l'auctorité

Contre ce qu'on en croit fait bien souvent escrire.

Qu'il soit vray, prins-tu onq tel plaisir d'ouir lire

Les louanges d'un prince, ou de quelque cité,

Qu'ouir un Marc Antoine à mordre exercité

Dire cent mille mots qui font mourir de rire?

S'il est donques permis, sans offense d'aucun,

Des meurs de nostre temps deviser en commun,

Quiconques me lira, m'estime fol, ou sage:

Mais je croy qu'aujourdhuy tel pour sage est tenu,

Qui ne seroit rien moins que pour tel recogneu,

Qui luy auroit osté le masque du visage.

 

LXXVII

Je ne descouvre icy les mysteres sacrez

Des saincts prestres Romains, je ne veulx rien escrire

Que la vierge honteuse ait vergongne de lire,

Je veulx toucher sans plus aux vices moins secretz.

Mais tu diras que mal je nomme ces regretz,

Veu que le plus souvent j'use de mots pour rire,

Et je dy que la mer ne bruit tousjours son ire,

Et que tousjours Phoebus ne sagette les Grecz.

Si tu rencontre donc icy quelque risee,

Ne baptise pourtant de plainte desguisee

Les vers que je souspire au bord Ausonien.

La plainte que je fais (Dilliers) est veritable:

Si je ry, c'est ainsi qu'on se rid à la table,

Car je ry, comme on dit, d'un riz Sardonien.

 

LXXVIII

Je ne te conteray de Boulongne, et Venise,

De Padoue, et Ferrare, et de Milan encor',

De Naples, de Florence, et lesquelles sont or'

Meilleures pour la guerre, ou pour la marchandise:

Je te raconteray du siege de l'eglise,

Qui fait d'oysiveté son plus riche tresor,

Et qui dessous l'orgueil de trois couronnes d'or

Couve l'ambition, la haine, et la feintise:

Je te diray qu'icy le bon heur, et malheur,

Le vice, la vertu, le plaisir, la douleur,

La science honorable, et l'ignorance abonde.

Bref je diray qu'icy, comme en ce vieil Caos,

Se trouve (Peletier) confusément enclos

Tout ce qu'on void de bien, et de mal en ce monde.

 

LXXIX

Je n'escris point d'amour, n'estant point amoureux,

Je n'escris de beauté, n'aiant belle maistresse,

Je n'escris de douceur, n'esprouvant que rudesse,

Je n'escris de plaisir, me trouvant douloureux:

Je n'escris de bon heur, me trouvant malheureux,

Je n'escris de faveur, ne voyant ma Princesse,

Je n'escris de tresors, n'aiant point de richesse,

Je n'escris de santé, me sentant langoureux:

Je n'escris de la court, estant loing de mon Prince,

Je n'escris de la France, en estrange province,

Je n'escris de l'honneur, n'en voiant point icy:

Je n'escris d'amitié, ne trouvant que feintise,

Je n'escris de vertu, n'en trouvant point aussi,

Je n'escris de sçavoir, entre les gens d'eglise.

 

LXXX

Si je monte au Palais, je n'y trouve qu'orgueil,

Que vice desguisé, qu'une cerimonie,

Qu'un bruit de tabourins, qu'une estrange armonie,

Et de rouges habits un superbe appareil:

Si je descens en banque; un amas et recueil

De nouvelles je treuve, une usure infinie,

De riches Florentins une troppe banie,

Et de pauvres Sienois un lamentable dueil:

Si je vais plus avant, quelque part où j'arrive,

Je treuve de Venus la grand'bande lascive

Dressant de tous costez mil appas amoureux:

Si je passe plus oultre, et de la Rome neufve

Entre en la vieille Rome, adonques je ne treuve

Que de vieux monuments un grand monceau pierreux.

 

LXXXI

Il fait bon voir (Paschal) un conclave serré,

Et l'une chambre à l'autre egalement voisine

D'antichambre servir, de salle, et de cuisine,

En un petit recoing de dix pieds en carré:

Il fait bon voir autour le palais emmuré,

Et briguer là dedans ceste troppe divine,

L'un par ambition, l'autre par bonne mine,

Et par despit de l'un, estre l'autre adoré:

Il fait bon voir dehors toute la ville en armes,

Crier le Pape est fait, donner de faulx alarmes,

Saccager un palais: mais plus que tout cela

Fait bon voir, qui de l'un, qui de l'autre se vante,

Qui met pour cestui-cy, qui met pour cestui-là,

Et pour moins d'un escu dix Cardinaux en vente.

 

LXXXII

Veuls-tu sçavoir (Duthier) quelle chose c'est Rome?

Rome est de tout le monde un publique eschafault,

Une scene, un theatre, auquel rien ne default

De ce qui peult tomber es actions de l'homme.

Icy se void le jeu de la Fortune, et comme

Sa main nous fait tourner ores bas, ores haut:

Icy chacun se monstre, et ne peult, tant soit caut,

Faire que tel qu'il est, le peuple ne le nomme.

Icy du faulx et vray la messagere court,

Icy les courtisans font l'amour et la court,

Icy l'ambition, et la finesse abonde:

Icy la liberté fait l'humble audacieux,

Icy l'oysiveté rend le bon vicieux,

Icy le vil faquin discourt des faicts du monde.

 

LXXXIII

Ne pense (Robertet) que ceste Rome cy

Soit ceste Rome là, qui te souloit tant plaire,

On n'y fait plus credit, comme lon souloit faire,

On n'y fait plus l'amour, comme on souloit aussi.

La paix, et le bon temps ne regnent plus icy,

La musique et le bal sont contraints de s'y taire,

L'air y est corrompu, Mars y est ordinaire,

Ordinaire la faim, la peine, et le soucy.

L'artisan desbauché y ferme sa boutique,

L'ocieux advocat y laisse sa pratique,

Et le pauvre marchand y porte le bissac:

On ne voit que soldartz, et morrions en teste,

On n'oit que tabourins, et semblable tempeste,

Et Rome tous les jours n'attend qu'un autre sac.

 

LXXXIV

Nous ne faisons la court aux filles de Memoire,

Comme vous, qui vivez libres de passion:

Si vous ne sçavez donc nostre occupation,

Ces dix vers ensuivans vous la feront notoire:

Suivre son Cardinal au Pape, au consistoire,

En capelle, en visite, en congregation,

Et pour l'honneur d'un prince, ou d'une nation,

De quelque ambassadeur accompagner la gloire:

Estre en son rang de garde aupres de son seigneur,

Et faire aux survenans l'accoustumé honneur,

Parler du bruit qui court, faire de l'habile homme:

Se pourmener en housse, aller voir d'huis en huis

La Marthe, ou la Victoire, et s'engager aux Juifz:

Voilà, mes compagnons, les passetemps de Rome.

 

LXXXV

Flatter un crediteur, pour son terme alonger,

Courtiser un banquier, donner bonne esperance,

Ne suivre en son parler la liberté de France,

Et pour respondre un mot, un quart d'heure y songer:

Ne gaster sa santé par trop boire et manger,

Ne faire sans propos une folle despence,

Ne dire à tous venans tout cela que lon pense,

Et d'un maigre discours gouverner l'estranger:

Cognoistre les humeurs, cognoistre qui demande,

Et d'autant que lon a la liberté plus grande,

D'autant plus se garder que lon ne soit repris:

Vivre aveques chascun, de chacun faire compte:

Voilà, mon cher Morel (dont je rougis de honte)

Tout le bien qu'en trois ans à Rome j'ay appris.

 

LXXXVI

Marcher d'un grave pas, et d'un grave sourci,

Et d'un grave soubriz à chacun faire feste,

Balancer tous ses mots, respondre de la teste,

Avec un Messer non, ou bien un Messer si:

Entremesler souvent un petit Et cosi

Et d'un Son Servitor contrefaire l'honneste,

Et comme si lon eust sa part en la conqueste,

Discourir sur Florence, et sur Naples aussi:

Seigneuriser chacun d'un baisement de main,

Et suivant la façon du courtisan Romain,

Cacher sa pauvreté d'une brave apparence:

Voilà de ceste court la plus grande vertu,

Dont souvent mal monté, mal sain, et mal vestu,

Sans barbe et sans argent on s'en retourne en France.

 

LXXXVII

D'où vient cela (Mauny) que tant plus on s'efforce

D'eschapper hors d'icy, plus le Demon du lieu

(Et que seroit-ce donq si ce n'est quelque Dieu?)

Nous y tient attachez par une doulce force?

Seroit-ce point d'amour ceste allechante amorse,

Ou quelque autre venim, dont apres avoir beu

Nous sentons noz esprits nous laisser peu à peu,

Comme un corps qui se perd sous une neuve escorse?

J'ay voulu mille fois de ce lieu m'estranger,

Mais je sens mes cheveux en fueilles se changer,

Mes bras en longs rameaux, et mes piedz en racine.

Bref, je ne suis plus rien qu'un vieil tronc animé,

Qui se pleint de se voir à ce bord transformé,

Comme le Myrte Anglois au rivage d'Alcine.

 

LXXXVIII

Qui choisira pour moy la racine d'Ulysse?

Et qui me gardera de tomber au danger

Qu'une Circe en pourceau ne me puisse changer,

Pour estre à tout jamais fait esclave du vice?

Qui m'estreindra le doy de l'anneau de Melisse,

Pour me desenchanter comme un autre Roger?

Et quel Mercure encor' me fera desloger,

Pour ne perdre mon temps en l'amoureux service?

Qui me fera passer sans escouter la voix

Et la feinte douceur des monstres d'Achelois?

Qui chassera de moy ces Harpyes friandes?

Qui volera pour moy encor' un coup aux cieux,

Pour rapporter mon sens, et me rendre mes yeux?

Et qui fera qu'en paix je mange mes viandes?

 

LXXXIX

Gordes, il m'est advis que je suis esveillé,

Comme un qui tout esmeu d'un effroyable songe

Se resveille en sursault, et par le lict s'alonge,

S'esmerveillant d'avoir si long temps sommeillé.

Roger devint ainsi (ce croy-je) esmerveillé:

Et croy que tout ainsi la vergongne me ronge,

Comme luy, quand il eut descouvert la mensonge

Du fard magicien qui l'avoit aveuglé.

Et comme luy aussi je veulx changer de stile,

Pour vivre desormais au sein de Logistile,

Qui des coeurs langoureux est le commun support.

Sus donc (Gordes) sus donc, à la voile, à la rame,

Fuions, gaignons le hault, je voy la belle Dame

Qui d'un heureux signal nous appelle à son port.

 

XC

Ne pense pas (Bouju) que les Nymphes Latines

Pour couvrir leur traison d'une humble privauté,

Ny pour masquer leur teint d'une faulse beauté,

Me facent oublier noz Nymphes Angevines.

L'Angevine douceur, les paroles divines,

L'habit qui ne tient rien de l'impudicité,

La grace, la jeunesse, et la simplicité

Me desgoustent (Bouju) de ces vieilles Alcines.

Qui les voit par dehors, ne peult rien voir plus beau,

Mais le dedans resemble au dedans d'un tombeau,

Et si rien entre nous moins honneste se nomme.

O quelle gourmandise! ô quelle pauvreté!

O quelle horreur de voir leur immundicité!

C'est vrayment de les voir le salut d'un jeune homme.

 

XCI

O beaux cheveux d'argent mignonnement retors!

O front crespe, et serein! et vous face doree!

O beaux yeux de crystal! ô grand' bouche honoree,

Qui d'un large reply retrousses tes deux bordz!

O belles dentz d'ebene! ô precieux tresors,

Qui faites d'un seul riz toute ame enamouree!

O gorge damasquine en cent pliz figuree!

Et vous beaux grands tetins, dignes d'un si beau corps!

O beaux ongles dorez! ô main courte, et grassette!

O cuisse delicatte! et vous gembe grossette,

Et ce que je ne puis honnestement nommer!

O beau corps transparent! ô beaux membres de glace!

O divines beautez! pardonnez moy de grace,

Si pour estre mortel, je ne vous ose aymer.

 

XCII

En mille crespillons les cheveux se frizer,

Se pincer les sourcilz, et d'une odeur choisie

Parfumer hault et bas sa charnure moisie,

Et de blanc et vermeil sa face desguiser:

Aller de nuict en masque, en masque deviser,

Se feindre à tous propos estre d'amour saisie,

Siffler toute la nuict par une jalousie,

Et par martel de l'un, l'autre favoriser:

Baller, chanter, sonner, folastrer dans la couche,

Avoir le plus souvent deux langues en la bouche,

Des courtisannes sont les ordinaires jeux.

Mais quel besoing est-il que je te les enseigne?

Si tu les veuls sçavoir (Gordes) et si tu veuls

En sçavoir plus encor', demande à la Chassaigne.

 

XCIII

Doulce mere d'amour, gaillarde Cyprienne,

Qui fais sous ton pouvoir tout pouvoir se ranger,

Et qui des bordz de Xanthe, à ce bord estranger

Guidas avec ton filz ta gent Dardanienne,

Si je retourne en France, ô mere Idalienne!

Comme je vins icy, sans tomber au danger

De voir ma vieille peau en autre peau changer,

Et ma barbe Françoise en barbe Italienne,

Dès icy je fais veu d'apprendre à ton autel

Non le liz, ou la fleur d'Amarante immortel,

Non ceste fleur encor' de ton sang coloree:

Mais bien de mon menton la plus blonde toison,

Me vantant d'avoir fait plus que ne feit Jason

Emportant le butin de la toison doree.

 

XCIV

Heureux celuy qui peult long temps suivre la guerre

Sans mort, ou sans blesseure, ou sans longue prison!

Heureux qui longuement vit hors de sa maison

Sans despendre son bien, ou sans vendre sa terre!

Heureux qui peult en court quelque faveur acquerre

Sans crainte de l'envie, ou de quelque traison!

Heureux qui peult long temps sans danger de poison

Jouir d'un chapeau rouge, ou des clefz de sainct Pierre!

Heureux qui sans peril peult la mer frequenter!

Heureux qui sans procez le palais peult hanter!

Heureux qui peult sans mal vivre l'aage d'un homme!

Heureux qui sans soucy peult garder son tresor!

Sa femme sans souspçon, et plus heureux encor'

Qui a peu sans peler vivre trois ans à Rome!

 

XCV

Maudict soit mille fois le Borgne de Libye,

Qui le coeur des rochers perçant de part en part

Des Alpes renversa le naturel rampart,

Pour ouvrir le chemin de France en Italie.

Mars n'eust empoisonné d'une eternelle envie

Le coeur de l'Espaignol, et du François soldart,

Et tant de gens de bien ne seroient en hasart

De venir perdre icy et l'honneur et la vie.

Le François corrompu par le vice estranger

Sa langue et son habit n'eust appris à changer,

Il n'eust changé ses moeurs en une autre nature.

Il n'eust point esprouvé le mal qui fait peler,

Il n'eust fait de son nom la verole appeler,

Et n'eust fait si souvent d'un bufle sa monture.

 

XCVI

O Deesse, qui peuls aux princes egaler

Un pauvre mendiant, qui n'a que la parole,

Et qui peuls d'un grand roy faire un maistre d'escole,

S'il te plaist de son lieu le faire devaller:

Je ne te prie pas de me faire enroller

Au rang de ces messieurs que la faveur accolle,

Que lon parle de moy, et que mon renom vole

De l'aile dont tu fais ces grands Princes voler:

Je ne demande pas mille et mille autres choses,

Qui dessous ton pouvoir sont largement encloses,

Aussi je n'eu jamais de tant de biens soucy.

Je demande sans plus que le mien on ne mange,

Et que j'aye bien tost une lettre de change,

Pour n'aller sur le bufle au departir d'icy.

 

XCVII

Doulcin, quand quelquefois je voy ces pauvres filles,

Qui ont le diable au corps, ou le semblent avoir,

D'une horrible façon corps et teste mouvoir,

Et faire ce qu'on dit de ces vieilles Sibylles:

Quand je voy les plus forts se retrouver debiles,

Voulant forcer en vain leur forcené pouvoir:

Et quand mesme j'y voy perdre tout leur sçavoir

Ceulx qui sont en vostre art tenuz des plus habiles:

Quand effroyablement escrier je les oy,

Et quand le blanc des yeux renverser je leur voy,

Tout le poil me herisse, et ne sçay plus que dire.

Mais quand je voy un moine avec son Latin

Leur taster hault et bas le ventre et le tetin,

Ceste frayeur se passe, et suis contraint de rire.

 

XCVIII

D'où vient que nous voyons à Rome si souvent

Ces garses forcener, et la pluspart d'icelles

N'estre vieilles (Ronsard) mais d'aage de pucelles,

Et se trouver tousjours en un mesme convent?

Qui parle par leur voix? quel Demon leur defend

De respondre à ceulx-là qui ne sont cogneuz d'elles?

Et d'où vient que soudain on ne les voit plus telles

Ayant une chandelle esteinte de leur vent?

D'où vient que les saincts lieux telles fureurs augmentent?

D'où vient que tant d'espritz une seule tormentent?

Et que sortans les uns, le reste ne sort pas?

Dy je te pry (Ronsard) toy qui sçais leurs natures,

Ceulx qui faschent ainsi ces pauvres creatures,

Sont-ilz des plus haultains, des moiens, ou plus bas?

 

XCIX

Quand je vays par la rue, où tant de peuple abonde,

De prestres, de prelatz, et de moines aussi,

De banquiers, d'artisans, et n'y voiant, ainsi

Qu'on voit dedans Paris, la femme vagabonde:

Pyrrhe, apres le degast de l'universelle onde,

Ses pierres (di-je alors) ne sema point icy:

Et semble proprement, à voir ce peuple cy,

Que Dieu n'y ait formé que la moitié du monde.

Car la dame Romaine en gravité marchant',

Comme la conseilliere, ou femme du marchand

Ne s'y pourmene point, et n'y voit on que celles,

Qui se sont de la court l'honneste nom donné:

Dont je crains quelquefois qu'en France retourné,

Autant que j'en voiray ne me resemblent telles.

 

C

Ursin, quand j'oy nommer de ces vieux noms Romains,

De ces beaux noms cogneus de l'Inde jusqu'au More,

Non les grands seulement, mais les moindres encore,

Voire ceulx-là qui ont les ampoulles aux mains:

Il me fasche d'ouir appeler ces villains

De ces noms tant fameux, que tout le monde honnore:

Et sans le nom Chrestien, le seul nom que j'adore,

Voudrois que de telz noms on appellast noz Saincts.

Le mien sur tous me fasche, et me fasche un Guillaume,

Et mil autres sotz noms communs en ce royaume,

Voiant tant de faquins indignement jouir

De ces beaux noms de Rome, et de ceulx de la Grece,

Mais par sur tout (Ursin) il me fasche d'ouir

Nommer une Thaïs du nom d'une Lucrece.

 

CI

Que dirons nous (Melin) de ceste court Romaine,

Où nous voions chacun divers chemins tenir,

Et aux plus haults honneurs les moindres parvenir,

Par vice, par vertu, par travail, et sans peine?

L'un fait pour s'avançer une despence vaine,

L'autre par ce moyen se voit grand devenir,

L'un par severité se sçait entretenir,

L'autre gaigne les coeurs par sa doulceur humaine:

L'un pour ne s'avançer se voit estre avancé,

L'autre pour s'avançer se voit desavançé,

Et ce qui nuit à l'un, à l'autre est profitable:

Qui dit que le sçavoir est le chemin d'honneur,

Qui dit que l'ignorance attire le bon heur,

Lequel des deux (Melin) est le plus veritable?

 

CII

On ne fait de tout bois l'image de Mercure,

Dit le proverbe vieil: mais nous voions icy.

De tout bois faire Pape, et Cardinaulx aussi,

Et vestir en trois jours tout une autre figure.

Les princes, et les rois, viennent grands de nature,

Aussi de leurs grandeurs n'ont-ilz tant de souci,

Comme ces Dieux nouveaux, qui n'ont que le sourci,

Pour faire reverer leur grandeur, qui peu dure.

Paschal, j'ay veu celuy qui n'agueres trainoit

Toute Rome apres luy, quand il se pourmenoit,

Aveques trois valletz cheminer par la rue:

Et trainer apres luy un long orgueil Romain

Celuy, de qui le pere a l'ampoulle en la main,

Et l'aiguillon au poing se courbe à la charrue.

 

CIII

Si la perte des tiens, si les pleurs de ta mere,

Et si de tes parents les regrets quelquefois,

Combien, cruel Amour, que sans amour tu sois,

T'ont fait sentir le dueil de leur compleinte amere:

C'est or' qu'il fault monstrer ton flambeau sans lumiere,

C'est or' qu'il fault porter sans flesches ton carquois,

C'est or' qu'il fault briser ton petit arc Turquois,

Renouvelant le dueil de ta perte premiere.

Car ce n'est pas icy qu'il te fault regretter

Le pere au bel Ascaigne: il te fault lamenter

Le bel Ascaigne mesme, Ascaigne, ô quel dommage!

Ascaigne, que Caraffe aymoit plus que ses yeux,

Ascaigne qui passoit en beaulté de visage

Le beau Couppier Troyen, qui verse à boire aux Dieux.

 

CIV

Si fruicts, raisins, et bledz, et autres telles choses

Ont leur tronc, et leur sep, et leur semence aussi,

Et s'on voit au retour du printemps addoulci

Naistre de toutes partz violettes, et roses:

Ny fruicts, raisins, ny bledz, ny fleurettes descloses

Sortiront (Viateur) du corps qui gist icy:

Aulx, oignons, et porreaux, et ce qui fleure ainsi,

Auront icy dessous leurs semences encloses.

Toy donc, qui de l'encens et du basme n'as point,

Si du grand Jules tiers quelque regret te poingt,

Parfume son tombeau de telle odeur choisie:

Puis que son corps, qui fut jadis egal aux Dieux,

Se souloit paistre icy de telz metz precieux,

Comme au ciel Jupiter se paist de l'ambrosie

 

CV

De voir mignon du Roy un courtisan honneste,

Voir un pauvre cadet l'ordre au col soustenir,

Un petit compagnon aux estatz parvenir,

Ce n'est chose (Morel) digne d'en faire feste.

Mais voir un estaffier, un enfant, une beste,

Un forfant, un poltron Cardinal devenir,

Et pour avoir bien sçeu un singe entretenir

Un Ganymede avoir le rouge sur la teste:

S'estre veu par les mains d'un soldat Espagnol

Bien hault sur une eschelle avoir la corde au col

Celuy, que par le nom de Sainct-Pere lon nomme:

Un belistre en trois jours aux princes s'égaller,

Et puis le voir de là en trois jours devaller:

Ces miracles (Morel) ne se font point qu'à Rome

 

CVI

Qui niera (Gillebert) s'il ne veult resister

Au jugement commun, que le siege de Pierre

Qu'on peult dire à bon droit un Paradis en terre,

Aussi bien que le ciel, n'ait son grand Juppiter?

Les Grecz nous ont fait l'un sur Olympe habiter,

Dont souvent dessus nous ses fouldres il desserre:

L'autre du Vatican délasche son tonnerre,

Quand quelque Roy l'a fait contre luy despiter.

Du Juppiter celeste un Ganymede on vante,

Le Thusque Juppiter en a plus de cinquante:

L'un de Nectar s'enyvre, et l'autre de bon vin.

De l'aigle l'un et l'autre a la defense prise,

Mais l'un hait les tyrans, l'autre les favorise:

Le mortel en cecy n'est semblable au divin.

 

CVII

Où que je tourne l'oeil, soit vers le Capitole,

Vers les baings d'Antonin, ou Diocletien,

Et si quelqu'oeuvre encor dure plus ancien,

De la porte sainct Pol jusques à Ponte-mole:

Je deteste apart-moy ce vieil Faucheur, qui vole,

Et le Ciel, qui ce tout a reduit en un rien:

Puis songeant que chacun peult repeter le sien,

Je me blasme, et cognois que ma complainte est fole.

Aussi seroit celuy par trop audacieux,

Qui vouldroit accuser ou le Temps ou les Cieux,

Pour voir une medaille, ou columne brisee.

Et qui sçait si les Cieulx referont point leur tour,

Puis que tant de Seigneurs nous voyons chacun jour

Bastir sur la Rotonde, et sur le Collisee?

 

CVIII

Je fuz jadis Hercule, or Pasquin je me nomme,

Pasquin fable du peuple, et qui fais toutefois

Le mesme office encor que j'ay fait autrefois,

Veu qu'ores par mes vers tant de monstres j'assomme.

Aussi mon vray mestier c'est de n'espargner homme,

Mais les vices chanter d'une publique voix:

Et si ne puis encor, quelque fort que je sois,

Surmonter la fureur de cet Hydre de Rome.

J'ay porté sur mon col le grand Palais des Dieux,

Pour soulager Atlas, qui sous le faiz des cieux

Courboit las et recreu sa grande eschine large.

Ores au lieu du ciel, je porte sur mon doz

Un gros moyne Espagnol, qui me froisse les oz,

Et me poise trop plus que ma premiere charge.

 

CLX

Comme un, qui veult curer quelque Cloaque immunde,

S'il n'a le nez armé d'une contresenteur,

Estouffé bien souvent de la grand'puanteur

Demeure ensevely dans l'ordure profonde:

Ainsi le bon Marcel ayant levé la bonde,

Pour laisser escouler la fangeuse espesseur

Des vices entassez, dont son predecesseur

Avoit six ans devant empoisonné le monde:

Se trouvant le pauvret de telle odeur surpris,

Tomba mort au milieu de son oeuvre entrepris,

N'ayant pas à demy ceste ordure purgee.

Mais quiconques rendra tel ouvrage parfait,

Se pourra bien vanter d'avoir beaucoup plus fait,

Que celuy qui purgea les estables d'Augee.

 

CX

Quand mon Caraciol de leur prison desserre

Mars, les ventz, et l'hyver: une ardente fureur,

Une fiere tempeste, une tremblante horreur

Ames, ondes, humeurs, ard, renverse, et reserre.

Quand il luy plait aussi de renfermer la guerre,

Et l'orage, et le froid: une amoureuse ardeur,

Une longue bonasse, une doulce tiedeur

Brusle, appaise, et resoult les coeurs, l'onde, et la terre.

Ainsi la paix à Mars il oppose en un temps,

Le beautemps à l'orage, à l'hyver le printemps,

Comparant Paule quart, avec Jules troisieme.

Aussi ne furent onq' deux siecles plus divers,

Et ne se peult mieulx voir l'endroit par le revers,

Que mettant Jules tiers avec Paule quatrieme.

 

CXI

Je n'ay jamais pensé que ceste voulte ronde

Couvrist rien de constant: mais je veulx desormais,

Je veulx (mon cher Morel) croire plus que jamais,

Que dessous ce grand Tout rien ferme ne se fonde.

Puis que celuy qui fut de la terre et de l'onde

Le tonnerre et l'effroy, las de porter le faiz

Veult d'un cloistre borner la grandeur de ses faicts,

Et pour servir à Dieu abandonner le monde.

Mais quoy? que dirons-nous de cet autre vieillard,

Lequel ayant passé son aage plus gaillard

Au service de Dieu, ores Cesar imite?

Je ne sçay qui des deux est le moins abusé:

Mais je pense (Morel) qu'il est fort mal aisé,

Que l'un soit bon guerrier, ny l'autre bon hermite

 

CXII

Quand je voy ces Seigneurs, qui l'espee et la lance

Ont laissé pour vestir ce sainct orgueil Romain,

Et ceulx-là, qui ont pris le baston en la main,

Sans avoir jamais fait preuve de leur vaillance:

Quand je les vois (Ursin) si chiches d'audience,

Que souvent par quatre huiz on la mendie en vain:

Et quand je voy l'orgueil d'un Camerier hautain,

Lequel feroit à Job perdre la patience:

Il me souvient alors de ces lieux enchantez,

Qui sont en Amadis, et Palmerin chantez,

Desquelz l'entree estoit si cherement vendue.

Puis je dis: ô combien le Palais que je voy

Me semble different du Palais de mon Roy,

Où lon ne trouve point de chambre deffendue!

 

CXIII

Avoir veu devaller une triple Montagne,

Apparoir une Biche, et disparoir soudain,

Et dessus le tombeau d'un Empereur Romain

Une vieille Caraffe eslever pour enseigne:

Ne voir qu'entrer soldardz et sortir en campagne,

Emprisonner seigneurs pour un crime incertain,

Retourner forussiz, et le Napolitain

Commander en son rang à l'orgueil de l'Espagne:

Force nouveaux seigneurs, dont les plus apparents

Sont de sa Saincteté les plus proches parents,

Et force Cardinaulx, qu'à grand'peine lon nomme:

Force braves chevaulx, et force haults colletz,

Et force favoriz, qui n'estoient que valletz,

Voilà (mon cher Dagaut) des nouvelles de Rome.

 

CXIV

O trois et quatre fois malheureuse la terre,

Dont le prince ne voit que par les yeux d'autruy,

N'entend que par ceulx-là, qui respondent pour luy,

Aveugle, sourd, et mut, plus que n'est une pierre!

Telz sont ceulx-là (Seigneur) qu'aujourd'huy lon reserre

Oisifz dedans leur chambre, ainsi qu'en un estuy,

Pour durer plus long temps, et ne sentir l'ennuy,

Que sent leur pauvre peuple accablé de la guerre.

Ilz se paissent enfans de trompes et canons,

De fifres, de tabours, d'enseignes, gomphanons,

Et de voir leur province aux ennemis en proye.

Tel estoit cestui-là, qui du hault d'une tour;

Regardant undoyer la flamme tout autour,

Pour se donner plaisir chantoit le feu de Troye.

 

CXV

O que tu es heureux, si tu cognois ton heur,

D'estre eschappé des mains de ceste gent cruelle,

Qui soubz un faulx semblant d'amitié mutuelle

Nous desrobbe le bien, et la vie, et l'honneur!

Où tu es (mon Dagaud) la secrette ranqueur,

Le soing qui comme un' hydre en nous se renouvelle,

L'avarice, l'envie, et la haine immortelle

Du chetif courtisan n'empoisonnent le coeur.

La molle oisiveté n'y engendre le vice,

Le serviteur n'y perd son temps et son service,

Et n'y mesdit on point de cil qui est absent:

La justice y a lieu, la foy n'en est banie,

Là ne sçait-on que c'est de prendre à compagnie,

A change, à cense, à stoc, et à trente pour cent.

 

CXVI

Fuions (Dilliers) fuions ceste cruelle terre,

Fuions ce bord avare, et ce peuple inhumain,

Que des Dieux irritez la vangeresse main

Ne nous accable encor' soubs un mesme tonnerre.

Mars est desenchainé, le temple de la guerre

Est ouvert à ce coup, le grand prestre Romain

Veult fouldroier là bas l'heretique Germain,

Et l'Espagnol marran, ennemis de sainct Pierre.

On ne voit que soldartz, enseignes, gonphanons,

On n'oit que tabourins, trompettes, et canons,

On ne voit que chevaux courans parmy la plaine:

On n'oit plus raisonner que de sang, et de feu,

Maintenant on voira, si jamais on l'a veu,

Comment se sauvera la nacelle Romaine.

 

CXVII

Celuy vrayement estoit et sage et bien appris,

Qui cognoissant du feu la semence divine

Estre des Animans la premiere origine,

De substance de feu dit estre noz espritz.

Le corps est le tison de ceste ardeur espris,

Lequel, d'autant qu'il est de matiere plus fine,

Fait un feu plus luisant, et rend l'esprit plus digne

De monstrer ce qui est en soymesme compris.

Ce feu donques celeste, humble de sa naissance

S'esleve peu à peu au lieu de son essence,

Tant qu'il soit parvenu au poinct de sa grandeur:

Adonc' il diminue, et sa force lassee

Par faulte d'aliment en cendres abbaissee

Sent faillir tout à coup sa languissante ardeur.

 

CXVIII

Quand je voy ces Messieurs, desquelz l'auctorité

Se voit ores icy commander en son rang,

D'un front audacieux cheminer flanc à flanc,

Il me semble de voir quelque divinité.

Mais les voiant pallir lors que sa Saincteté

Crache dans un bassin, et d'un visage blanc

Cautement espier s'il y a point de sang,

Puis d'un petit soubriz feindre une seureté:

O combien (di-je alors) la grandeur que je voy,

Est miserable au pris de la grandeur d'un Roy!

Malheureux qui si cher achete tel honneur.

Vrayement le fer meurtrier, et le rocher aussi

Pendent bien sur le chef de ces Seigneurs icy,

Puis que d'un vieil filet depend tout leur bonheur.

 

CXIX

Brusquet à son retour vous racontera (Sire)

De ces rouges prelatz la pompeuse apparence,

Leurs mules, leurs habitz, leur longue reverence,

Qui se peult beaucoup mieulx representer que dire.

Il vous racontera, s'il les sçait bien descrire,

Les moeurs de ceste court, et quelle difference

Se voit de ces grandeurs à la grandeur de France,

Et mille autres bons poincts, qui sont dignes de rire.

Il vous peindra la forme, et l'habit du sainct Pere,

Qui, comme Jupiter, tout le monde tempere

Aveques un clin d'oeil: sa faconde et sa grace,

L'honnesteté des siens, leur grandeur et largesse,

Les presentz qu'on luy feit, et de quelle caresse

Tout ce que se dit vostre à Rome lon embrasse.

 

CXX

Voicy le Carneval, menons chacun la sienne,

Allons baller en masque, allons nous pourmener,

Allons voir Marc Antoine, ou Zany bouffonner,

Avec son Magnifique à la Venitienne:

Voyons courir le pal à la mode ancienne,

Et voyons par le nez le sot buffle mener,

Voyons le fier taureau d'armes environner,

Et voyons au combat l'adresse Italienne:

Voyons d'oeufz parfumez un orage gresler,

Et la fusee ardent' siffler menu par l'aer.

Sus donc depeschons nous, voicy la pardonnance:

Il nous fauldra demain visiter les saincts lieux,

Là nous ferons l'amour, mais ce sera des yeux,

Car passer plus avant c'est contre l'ordonnance.

 

CXXI

Se fascher tout le jour d'une fascheuse chasse,

Voir un brave taureau se faire un large tour

Estonné de se voir tant d'hommes alentour,

Et cinquante picquiers affronter son audace:

Le voir en s'elançant la teste basse,

Fuïr et retourner d'un plus brave retour,

Puis le voir à la fin pris en quelque destour

Percé de mille coups ensenglanter la place:

Voir courir aux flambeaux, mais sans se rencontrer,

Donner trois coups d'espee, en armes se monstrer,

Et tout autour du camp un rampart de Thudesques:

Dresser un grand apprest, faire attendre long temps,

Puis donner à la fin un maigre passetemps:

Voila tout le plaisir des festes Romanesques.

 

CXXII

Ce pendant qu'au Palais de procez tu devises,

D'advocats, procureurs, presidents, conseillers,

D'ordonnances, d'arrestz, de nouveaux officiers,

De juges corrompuz, et de telles surprises:

Nous devisons icy de quelques villes prises,

De nouvelles de banque, et de nouveaux courriers,

De nouveaux Cardinaulx, de mules, d'estaffiers,

De chappes, de rochetz, de masses, et valises:

Et ores (Sibilet) que je t'escry ceci,

Nous parlons de taureaux, et de buffles aussi,

De masques, de banquetz, et de telles despences:

Demain nous parlerons d'aller aux stations,

De motu-propio, de reformations,

D'ordonnances, de briefz, de bulles, et dispenses.

 

CXXIII

Nous ne sommes faschez que la trefve se face:

Car bien que nous soyons de la France bien loing,

Si est chacun de nous à soymesme tesmoing,

Combien la France doit de la guerre estre lasse.

Mais nous sommes faschez que l'Espagnole audace,

Qui plus que le François de repoz a besoing,

Se vante avoir la guerre et la paix en son poing,

Et que de respirer nous luy donnons espace.

Il nous fasche d'ouir noz pauvres alliez

Se plaindre à tous propoz qu'on les ait oubliez,

Et qu'on donne au privé l'utilité commune:

Mais ce qui plus nous fasche est que les estrangers

Disent plus que jamais que nous sommes legers,

Et que nous ne sçavons cognoistre la Fortune.

 

CXXIV

Le Roy (disent icy ces baniz de Florence)

Du sceptre d'Italie est frustré desormais,

Et son heureuse main cet heur n'aura jamais

De reprendre aux cheveulx la fortune de France.

Le Pape mal content n'aura plus de fiance

En tous ces beaux desseings trop legerement faictz,

Et l'exemple Sienois rendra par ceste paix

Suspecte aux estrangers la Françoise alliance.

L'Empereur affoibly ses forces reprendra,

L'Empire hereditaire à ce coup il rendra,

Et paisible à ce coup il rendra l'Angleterre.

Voila que disent ceulx, qui discourent du Roy:

Que leur respondrons-nous? Vineus, mande le moy,

Toy, qui sçais discourir et de paix et de guerre.

 

CXXV

Dedans le ventre obscur, où jadis fut encloz

Tout cela qui depuis a remply ce grand vide,

L'air, la terre, et le feu, et l'element liquide,

Et tout cela qu'Atlas soustient dessus son doz,

Les semences du Tout estoient encor' en gros,

Le chault avec le sec, le froid avec l'humide,

Et l'accord, qui depuis leur imposa la bride,

N'avoit encor' ouvert la porte du Caos:

Car la guerre en avoit la serrure brouillee,

Et la clef en estoit par l'aage si rouillee,

Qu'en vain, pour en sortir, combatoit ce grand corps.

Sans la trefve (Seigneur) de la paix messagere,

Qui trouva le secret, et d'une main legere

La paix avec l'amour en fit sortir dehors.

 

CXXVI

Tu sois la bien venue, ô bienheureuse trefve!

Trefve, que le Chrestien ne peult assez chanter,

Puis que seule tu as la vertu d'enchanter

De noz travaulx passez la souvenance greve.

Tu dois durer cinq ans: et que l'envie en creve,

Car si le ciel bening te permet enfanter

Ce qu'on attend de toy, tu te pourras vanter

D'avoir fait une paix, qui ne sera si breve.

Mais si le favory en ce commun repoz

Doit avoir desormais le temps plus à propoz

D'accuser l'innocent, pour luy ravir sa terre.

Si le fruict de la paix du peuple tant requis

A l'avare advocat est seulement acquis,

Trefve, va t'en en paix, et retourne la guerre.

 

CXXVII

Icy de mille fards la traison se desguise,

Icy mille forfaitz pullulent à foison,

Icy ne se punit l'homicide ou poison,

Et la richesse icy par usure est acquise:

Icy les grands maisons viennent de bastardise!

Icy ne se croid rien sans humaine raison,

Icy la volupté est toujours de saison,

Et d'autant plus y plaist, que moins elle est permise.

Pense le demourant. Si est-ce toutefois

Qu'on garde encor' icy quelque forme de loix,

Et n'en est point du tout la justice bannie:

Icy le grand seigneur n'achete l'action,

Et pour priver autruy de sa possession

N'arme son mauvais droit de force et tyrannie.

 

CXXVIII

Ce n'est pas de mon gré (Carle) que ma navire

Erre en la mer Tyrrhene: un, vent impetueux

La chasse maulgré moy par ces flots tortueux,

Ne voiant plus le pol, qui sa faveur t'inspire.

Je ne voy que rochers, et si rien se peult dire

Pire que des rochers le hurt audacieux:

Et le phare jadis favorable à mes yeux

De mon cours egaré sa lanterne retire.

Mais si je puis un jour me sauver des dangers

Que je fuy vagabond par ces flots estrangers,

Et voir de l'Ocean les campagnes humides,

J'arresteray ma nef au rivage Gaulois,

Consacrant ma despouille au Neptune François,

A Glauque, à Melicerte, et aux soeurs Nereïdes.

 

CXXIX

Je voy (Dilliers) je voy serener la tempeste,

Je voy le vieil Proté son troppeau renfermer,

Je voy le verd Triton s'egaier sur la mer,

Et voy l'Astre jumeau flamboier sur ma teste.

Ja le vent favorable à mon retour s'appreste,

Ja vers le front du port je commence à ramer,

Et voy ja tant d'amis, que ne les puis nommer,

Tendant les bras vers moy, sur le bord faire feste.

Je voy mon grand Ronsard, je le cognois d'ici,

Je voy mon cher Morel, et mon Dorat aussi,

Je voy mon Delahaie, et mon Paschal encore:

Et voy un peu plus loing (si je ne suis deceu)

Mon divin Mauleon, duquel, sans l'avoir veu,

La grace, le sçavoir et la vertu j'adore.

 

CXXX

Et je pensois aussi ce que pensoit Ulysse,

Qu'il n'estoit rien plus doulx que voir encor' un jour

Fumer sa cheminee, et apres long sejour

Se retrouver au sein de sa terre nourrice.

Je me resjouissois d'estre eschappé au vice,

Aux Circes d'Italie, aux Sirenes d'amour,

Et d'avoir rapporté en France à mon retour

L'honneur que lon s'acquiert d'un fidele service.

Las mais apres l'ennuy de si longue saison,

Mille souciz mordants je trouve en ma maison,

Qui me rongent le coeur sans espoir d'allegence.

Adieu donques (Dorat) je suis encor' Romain,

Si l'arc que les neuf Soeurs te misrent en la main

Tu ne me preste icy, pour faire ma vangence.

 

CXXXI

Morel, dont le sçavoir sur tout autre je prise,

Si quelqu'un de ceulx là, que le Prince Lorrain

Guida dernierement au rivage Romain,

Soit en bien, soit en mal, de Rome te devise:

Dy, qu'il ne sçait que c'est du siege de l'eglise,

N'y aiant esprouvé que la guerre, et la faim,

Que Rome n'est plus Rome, et que celuy en vain

Presume d'en juger, qui bien ne l'a comprise.

Celuy qui par la ruë a veu publiquement

La courtisanne en coche, ou qui pompeusement

L'a peu voir à cheval en accoustrement d'homme

Superbe se monstrer: celuy qui de plein jour

Aux Cardinaulx en cappe a veu faire l'amour,

C'est celuy seul (Morel) qui peult juger de Rome.

 

CXXXII

Vineus, je ne viz onc si plaisante province,

Hostes si gracieux, ny peuple si humain,

Que ton petit Urbin, digne que soubs sa main

Le tienne un si gentil et si vertueux Prince.

Quant à l'estat du Pape, il fallut que j'apprinse

A prendre en patience et la soif et la faim:

C'est pitié, comme là le peuple est inhumain,

Comme tout y est cher, et comme lon y pinse.

Mais tout cela n'est rien au pris du Ferrarois,

Car je ne vouldrois pas pour le bien de deux roys

Passer encor' un coup par si penible enfer.

Bref je ne sçay (Vineus) qu'en conclure à la fin,

Fors, qu'en comparaison de ton petit Urbin,

Le peuple de Ferrare est un peuple de fer.

 

CXXXIII

Il fait bon voir (Magny) ces Coïons magnifiques,

Leur superbe Arcenal, leurs vaisseaux, leur abbord,

Leur sainct Marc, leur palais, leur Realte, leur port,

Leurs changes, leurs profitz, leur banque, et leurs trafiques:

Il fait bon voir le bec de leurs chapprons antiques,

Leurs robbes à grand' manche, et leurs bonnetz sans bord,

Leur parler tout grossier, leur gravité, leur port,

Et leurs sages advis aux affaires publiques.

Il fait bon voir de tout leur Senat balloter,

Il fait bon voir par tout leurs gondolles flotter,

Leurs femmes, leurs festins, leur vivre solitere:

Mais ce que lon en doit le meilleur estimer,

C'est quand ces vieux coquz vont espouser la mer,

Dont ilz sont les maris, et le Turc l'adultere.

 

CXXXIV

Celuy qui d'amitié a violé la loy,

Cherchant de son amy la mort et vitupere,

Celuy qui en procez a ruiné son frere,

Ou le bien d'un mineur a converty à soy:

Celuy qui a trahy sa patrie et son Roy,

Celuy qui comme Oedipe a fait mourir son pere,

Celuy qui comme Oreste a fait mourir sa mere,

Celuy qui a nié son baptesme et sa foy:

Marseille, il ne fault point que pour la penitence

D'une si malheureuse abominable offense,

Son estomac plombé martelant nuict et jour,

Il voise errant nudz piedz ne six ne sept annees:

Que les Grysons sans plus il passe à ses journees,

J'entens, s'il veult que Dieu luy doibve du retour.

 

CXXXV

La terre y est fertile, amples les edifices,

Les poelles bigarrez, et les chambres de bois,

La police immuable, immuables les loix,

Et le peuple ennemy de forfaitz et de vices.

Ilz boivent nuict et jour en Bretons et Suysses,

Ilz sont gras et refaits, et mangent plus que trois:

Voila les compagnons et correcteurs des Roys,

Que le bon Rabelais a surnommez Saulcisses.

Ilz n'ont jamais changé leurs habitz et façons,

Ilz hurlent comme chiens leurs barbares chansons,

Ilz comptent à leur mode, et de tout se font croire:

Ilz ont force beaux lacz, et force sources d'eau,

Force prez, force bois. J'ay du reste (Belleau)

Perdu le souvenir, tant ilz me firent boire.

 

CXXXVI

Je les ay veuz (Bizet) et si bien m'en souvient,

J'ay veu dessus leur front la repentance peinte,

Comme on voit ces esprits qui là bas font leur pleinte,

Ayant passé, le lac d'où plus on ne revient.

Un croire de leger, les folz y entretient

Soubs un pretexte faulx de liberté contrainte:

Les coulpables fuitifz y demeurent par crainte,

Les plus fins et rusez honte les y retient.

Au demeurant (Bizet) l'avarice et l'envie,

Et tout cela qui plus tormente nostre vie,

Domine en ce lieu là plus qu'en tout autre lieu.

Je ne viz onques tant l'un l'autre contre-dire,

Je ne viz onques tant l'un de l'autre mesdire:

Vray est, que, comme icy, lon n'y jure point Dieu.

 

CXXXVII

Sceve, je me trouvay comme le filz d'Anchise

Entrant dans l'Elysee, et sortant des enfers,

Quand apres tant de monts de neige tous couvers,

Je viz ce beau Lyon, Lyon que tant je prise.

Son estroicte longueur, que la Sone divise,

Nourrit mil artisans, et peuples tous divers:

Et n'en desplaise à Londre', à Venise, et Anvers,

Car Lyon n'est pas moindre en fait de marchandise.

Je m'estonnay d'y voir passer tant de courriers,

D'y voir tant de banquiers, d'imprimeurs, d'armuriers,

Plus dru que lon ne voit les fleurs par les prairies.

Mais je m'estonnay plus de la force des pontz,

Dessus lesquelz on passe, allant dela les montz,

Tant de belles maisons, et tant de metairies.

 

CXXXVIII

De-vaulx, la mer reçoit tous les fleuves du monde,

Et n'en augmente point: semblable à la grand'mer

Est ce Paris sans pair, où lon voit abysmer

Tout ce qui là dedans de toutes parts abonde.

Paris est en sçavoir une Grece feconde,

Une Rome en grandeur Paris on peult nommer,

Une Asie en richesse on le peult estimer,

En rares nouveautez une Afrique seconde.

Bref, en voyant (De-vaulx) ceste grande cité,

Mon oeil, qui paravant estoit exercité

A ne s'esmerveiller des choses plus estranges,

Print esbaissement. Ce qui ne me peut plaire,

Ce fut l'estonnement du badaud populaire.

La presse des chartiers, les procez, et les fanges.

 

CXXXIX

Si tu veuls vivre en court (Dilliers) souvienne-toy,

De t'accoster tousjours des mignons de ton maistre,

Si tu n'es favori, faire semblant de l'estre,

Et de t'accommoder aux passetemps du Roy.

Souvienne-toy encor' de ne prester ta foy

Au parler d'un chacun, mais sur tout sois adextre

A t'aider de la gauche autant que de la dextre,

Et par les moeurs d'autruy à tes moeurs donne loy.

N'avance rien du tien (Dilliers) que ton service,

Ne monstre que tu sois trop ennemy du vice,

Et sois souvent encor' muet, aveugle, et sourd.

Ne fay que pour autruy importun on te nomme.

Faisant ce que je dy, tu seras galland homme:

T'en souvienne (Dilliers) si tu veuls vivre en court.

 

CXL

Si tu veuls seurement en court te maintenir,

Le silence (Ronsard) te soit comme un decret.

Qui baille à son amy la clef de son secret,

Le fait de son amy son maistre devenir.

Tu dois encor' (Ronsard) ce me semble, tenir

Aveq' ton ennemy quelque moyen discret,

Et faisant contre luy, monstrer qu'à ton regret

Le seul devoir te fait en ces termes venir.

Nous voyons bien souvent une longue amitié

Se changer pour un rien en fiere inimitié,

Et la haine en amour souvent se transformer.

Dont (veu le temps qui court) il ne fault s'esbair.

Ayme donques (Ronsard) comme pouvant haïr,

Haïs donques (Ronsard) comme pouvant aymer.

 

CXLI

Amy, je t'apprendray (encores que tu sois

Pour te donner conseil, de toymesme assez sage)

Comme jamais tes vers ne te feront oultrage,

Et ce qu'en tes escriptz plus eviter tu dois.

Si de Dieu, ou du Roy tu parles quelquefois,

Fay que tu sois prudent, et sobre en ton langage:

Le trop parler de Dieu porte souvent dommage,

Et longues sont les mains des Princes et des Rois.

Ne t'attache à qui peult, si sa fureur l'allume,

Vanger d'un coup d'espee un petit traict de plume,

Mais presse (comme on dit) ta levre avec le doy.

Ceulx que de tes bons motz tu vois pasmer de rire,

Si quelque oultrageux fol t'en veult faire desdire,

Ce seront les premiers à se mocquer de toy.

 

CXLII

Cousin, parle tousjours des vices en commun,

Et ne discours jamais d'affaires à la table,

Mais sur tout garde toy d'estre trop veritable,

Si en particulier tu parles de quelqu'un.

Ne commets ton secret à la foy d'un chacun,

Ne dy rien qui ne soit pour le moins vray-semblable:

Si tu ments, que ce soit pour chose profitable,

Et qui ne tourne point au deshonneur d'aucun.

Sur tout garde toy bien d'estre double en paroles,

Et n'use sans propoz de finesses frivoles,

Pour acquerir le bruit d'estre bon courtisan.

L'artifice caché c'est le vray artifice:

La souris bien souvent perit par son indice,

Et souvent par son art se trompe l'artisan.

 

CXLIII

Bizet, j'aymerois mieulx faire un boeuf d'un formy,

Ou faire d'une mousche un Indique elephant,

Que le bon heur d'autruy par mes vers estoufant,

Me faire d'un chacun le publiq ennemy.

Souvent pour un bon mot on perd un bon amy,

Et tel par ses bons motz croit (tant il est enfant)

S'estre mis sur la teste un chapeau triomphant,

A qui mieulx eust valu estre bien endormy.

La louange (Bizet) est facile à chacun,

Mais la satyre n'est un ouvrage commun:

C'est, trop plus qu'on ne pense, un oeuvre industrieux.

Il n'est rien si fascheux qu'un brocard mal plaisant,

Et fault bien (comme on dit) bien dire en mesdisant,

Veu que le loüer mesme est souvent odieux.

 

CXLIV

Gordes, je sçaurois bien faire un conte à la table,

Et s'il estoit besoing, contrefaire le sourd:

J'en sçaurois bien donner, et faire à quelque lourd,

Le vray ressembler faulx, et le faulx veritable.

Je me sçaurois bien rendre à chacun accointable,

Et façonner mes moeurs aux moeurs du temps qui court,

Je sçaurois bien prester (comme on dit à la court)

Aupres d'un grand seigneur quelque oeuvre charitable.

Je sçaurois bien encor, pour me mettre en avant,

Vendre de la fumee à quelque poursuivant,

Et pour estre employé en quelque bon affaire,

Me feindre plus ruzé cent fois que je ne suis:

Mais ne le voulant point (Gordes) je ne le puis,

Et si ne blasme point ceulx qui le sçavent faire.

 

CXLV

Tu t'abuses (Belleau) si pour estre sçavant,

Sçavant et vertueux, tu penses qu'on te prise:

Il fault (comme lon dit) estre homme d'entreprise,

Si tu veulx qu'à la court on te pousse en avant.

Ces beaux noms de vertu, ce n'est rien que du vent:

Donques, si tu es sage, embrasse la feintise,

L'ignorance, l'envie, avec la couvoitise:

Par ces artz jusqu'au ciel on monte bien souvent.

La science à la table est des seigneurs prisee,

Mais en chambre (Belleau) elle sert de risee:

Garde, si tu m'en crois, d'en acquerir le bruit.

L'homme trop vertueux desplait au populaire:

Et n'est-il pas bien fol, qui s'efforceant de plaire,

Se mesle d'un mestier, que tout le monde fuit?

 

CXLVI

Souvent nous faisons tort nous mesme' à nostre ouvrage,

Encor' que nous soyons de ceulx qui font le mieulx:

Soit par trop quelquefois contrefaire les vieux,

Soit par trop imiter ceulx qui sont de nostre aage.

Nous ostons bien souvent aux princes le courage

De nous faire du bien: nous rendant odieux,

Soit pour en demandant estre trop ennuyeux,

Soit pour trop nous loüant aux autres faire oultrage.

Et puis nous nous plaignons de voir nostre labeur

Veuf d'applaudissement, de grace, et de faveur,

Et de ce que chacun à son oeuvre souhette.

Bref, loüe qui vouldra son art, et son mestier,

Mais cestui-là (Morel) n'est pas mauvais ouvrier,

Lequel sans estre fol, peult estre bon poëte.

 

CXLVII

Ne te fasche (Ronsard) si tu vois par la France

Fourmiller tant d'escriptz. Ceulx qui ont merité

D'estre advoüez pour bons de la posterité,

Portent leurt sauf-conduit, et lettre d'asseurance.

Tout oeuvre qui doit vivre, il a des sa naissance

Un Demon qui le guide à l'immortalité:

Mais qui n'a rencontré telle nativité,

Comme un fruict abortif, n'a jamais accroissance.

Virgile eut ce Demon, et l'eut Horace encor,

Et tous ceulx qui du temps de ce bon siecle d'or

Estoient tenuz pour bons: les autres n'ont plus vie.

Qu'eussions-nous leurs escriptz, pour voir de nostre temps

Ce qui aux anciens servoit de passetemps,

Et quelz estoient les vers d'un indocte Mevie.

 

CXLVIII

Autant comme lon peult en un autre langage

Une langue exprimer, autant que la nature

Par l'art se peult monstrer, et que par la peinture

On peult tirer au vif un naturel visage:

Autant exprimes-tu, et encor d'avantage,

Aveques le pinceau de ta docte escriture,

La grace, la façon le port, et la stature

De celuy, qui d'Enee a descript le voyage.

Ceste mesme candeur, ceste grace divine,

Ceste mesme doulceur, et majesté Latine

Qu'en ton Virgile on voit, c'est celle mesme encore,

Qui Françoise se rend par ta celeste veine.

Des-Masures sans plus a faulte d'un Mecene,

Et d'un autre Cesar, qui ses vertuz honnore.

 

CXLIX

Vous dictes (Courtisans) les Poëtes sont fouls,

Et dictes verité: mais aussi dire j'ose,

Que telz que vous soiez, vous tenez quelque chose,

De ceste doulce humeur qui est commune à tous.

Mais celle-là (Messieurs) qui domine sur vous,

En autres actions diversement s'expose:

Nous sommes fouls en rime, et vous l'estes en prose:

C'est le seul different qu'est entre vous et nous.

Vray est que vous avez la court plus favorable,

Mais aussi n'avez vous un renom si durable:

Vous avez plus d'honneurs, et nous moins de souci.

Si vous riez de nous, nous faisons la pareille:

Mais cela qui se dit s'en vole par l'oreille,

Et cela qui s'escript, ne se perd pas ainsi.

 

CL

Seigneur, je ne sçaurois regarder d'un bon oeil

Ces vieux Singes de court, qui ne sçavent rien faire,

Sinon en leur marcher les Princes contrefaire,

Et se vestir, comme eulx, d'un pompeux appareil.

Si leur maistre se mocque, ilz feront le pareil,

S'il ment, ce ne sont-eulx, qui diront du contraire,

Plustost auront-ilz veu, à fin de luy complaire,

La Lune en plein midi, à minuict le Soleil.

Si quelqu'un devant eulx reçoit un bon visage,

Ilz le vont caresser, bien qu'ilz crevent de rage,

S'il le reçoit mauvais, ils le monstrent au doy.

Mais ce qui plus contre eulx quelquefois me despite,

C'est quand devant le Roy, d'un visage hypocrite,

Ilz se prennent à rire, et ne sçavent pourquoy.

 

CLI

Je ne te prie pas de lire mes escripts,

Mais je te prie bien qu'ayant fait bonne chere,

Et joué toute nuict aux dez, à la premiere,

Et au jeu que Venus t'a sur tous mieulx appris,

Tu ne viennes icy desfacher tes esprits,

Pour te mocquer des vers que je metz en lumiere,

Et que de mes escripts la leçon coustumiere,

Par faulte d'entretien, ne te serve de riz.

Je te priray encor', quiconques tu puisse' estre,

Qui brave de la langue, et foible de la dextre,

De blesser mon renom te monstres tousjours prest,

Ne mesdire de moy: ou prendre patience,

Si ce que ta bonté me preste en conscience,

Tu te le vois par moy rendre à double interest.

 

CLII

Si mes escripts (Ronsard) sont semez de ton loz,

Et si le mien encor tu ne dedaignes dire,

D'estre encloz en mes vers ton honneur ne desire,

Et par là je ne cherche en tes vers estre encloz.

Laissons donc je te pry laissons causer ces sotz,

Et ces petitz gallandz, qui ne sachant que dire,

Disent, voyant Ronsard, et Bellay s'entr'escrire,

Que ce sont deux muletz, qui se grattent le doz.

Noz louanges (Ronsard) ne font tort à personne:

Et quelle loy defend que l'un à l'autre en donne,

Si les amis entre eulx des presens se font bien?

On peult comme l'argent trafiquer la louange,

Et les louanges sont comme lettres de change,

Dont le change et le port (Ronsard) ne couste rien.

 

CLIII

On donne les degrez au sçavant escolier,

On donne les estatz à l'homme de justice,

On donne au courtisan le riche benefice,

Et au bon capitaine on donne le collier:

On donne le butin au brave avanturier,

On donne à l'officier les droits de son office,

On donne au serviteur le gaing de son service,

Et au docte poëte on donne le laurier.

Pourquoy donc fais-tu tant lamenter Calliope

Du peu de bien qu'on fait à sa gentile troppe?

Il fault (Jodelle) il fault autre labeur choisir,

Que celuy de la Muse, à qui veult qu'on l'avance:

Car quel loyer veuls-tu avoir de ton plaisir,

Puis que le plaisir mesme en est la recompense?

 

CLIV

Si tu m'en crois (Baïf) tu changeras Parnasse

Au palais de Paris, Helicon au parquet,

Ton laurier en un sac, et ta lyre au caquet

De ceulx qui pour serrer, la main n'ont jamais lasse.

C'est à ce mestier là, que les biens on amasse,

Non à celuy des vers: où moins y a d'acquêt,

Qu'au mestier d'un boufon, ou celuy d'un naquet,

Fy du plaisir (Baïf) qui sans profit se passe.

Laissons donq, je te pry, ces babillardes Soeurs,

Ce causer Apollon, et ces vaines doulceurs,

Qui pour tout leur tresor n'ont que des lauriers verds.

Au choses de profit, ou celles qui font rire,

Les grands ont aujourdhuy les oreilles de cire,

Mais ilz les ont de fer, pour escouter les vers.

 

CLV

Thiard, qui as changé en plus grave escritture

Ton doulx stile amoureux, Thiard, qui nous as fait

D'un Petrarque un Platon, et si rien plus parfait

Se trouve que Platon en la mesme nature:

Qui n'admire du ciel la belle architecture,

Et de tout ce qu'on voit les causes et l'effect,

Celuy vrayement doit estre un homme contrefait,

Lequel n'a rien d'humain, que la seule figure.

Contemplons donq (Thiard) ceste grand' voulte ronde,

Puis que nous sommes faits à l'exemple du monde:

Mais ne tenons les yeux si attachez en hault,

Que pour ne les baisser quelquefois vers la terre,

Nous soions en danger par le hurt d'une pierre

De nous blesser le pied, ou de prendre le sault.

 

CLVI

Par ses vers Teïens Belleau me fait aymer

Et le vin et l'amour: Baif, ta challemie

Me fait plus qu'une royne une rustique amie,

Et plus qu'une grand' ville un village estimer.

Le docte Pelletier fait mes flancz emplumer,

Pour voler jusqu'au ciel avec son Uranie:

Et par l'horrible effroy d'une estrange armonie

Ronsard de pié en cap hardy me fait armer.

Mais je ne sçay comment ce Demon de Jodelle

(Demon est-il vrayment, car d'une voix mortelle

Ne sortent point ses vers) tout soudain que je l'oy,

M'aiguillonne, m'espoingt, m'espoüante, m'affolle,

Et comme Apollon fait de sa prestresse folle,

A moymesmes m'ostant, me ravit tout à soy.

 

CLVII

En-cependant (Clagny) que de mil argumens

Variant le desseing du royal edifice,

Tu vas renouvelant d'un hardy frontispice

La superbe grandeur des plus vieux monumens,

Avec d'autres compaz, et d'autres instrumens,

Fuiant l'ambition, l'envie, et l'avarice,

Aux Muses je bastis d'un nouvel artifice,

Un palais magnifique à quatre appartemens.

Les Latines auront un ouvrage Dorique

Propre à leur gravité, les Greques un Attique

Pour leur naifveté, les Françoises auront

Pour leur grave doulçeur une oeuvre Ionienne,

D'ouvrage elabouré à la Corinthienne

Sera le corps d'hostel, où les Thusques seront.

 

CLVIII

De ce Royal palais, que bastiront mes doigts,

Si la bonté du Roy me fournit de matiere,

Pour rendre sa grandeur et beauté plus entiere,

Les ornemens seront de traicts et d'arcs turquois.

Là d'ordre flanc à flanc se voyront tous noz Roys,

Là se voyra maint Faune; et Nymphe passagere,

Sur le portail sera la Vierge forestiere,

Aveques son croissant, son arc, et son carquois.

L'appartement premier Homere aura pour marque,

Virgile le second, le troisieme Petrarque,

Du surnom de Ronsard le quatrieme on dira.

Chacun aura sa forme et son architecture,

Chacun ses ornemens, sa grace et sa peincture,

Et en chacun (Clagny) ton beau nom se lira.

 

CLIX

De vostre Dianet (de vostre nom j'apelle

Vostre maison d'Anet) la belle architecture,

Les marbres animez, la vivante peincture,

Qui la font estimer des maisons la plus belle

Les beaux lambriz dorez, la luisante chappelle,

Les superbes dongeons, la riche couverture,

Le jardin tapissé d'eternelle verdure,

Et la vive fonteine à la source immortelle:

Ces ouvrages (Madame) à qui bien les contemple,

Rapportant de l'antiq' le plus parfait exemple,

Monstrent un artifice, et despence admirable.

Mais ceste grand' doulceur jointe à cette haultesse,

Et cet Astre benin joint à ceste sagesse,

Trop plus que tout cela vous font esmerveillable.

 

CLX

Entre tous les honneurs, dont en France est cogneu

Ce renommé Bertran, des moindres n'est celuy

Que luy donne la Muse, et-qu'on dise de luy,

Que par luy un Salel soit riche devenu.

Toy donc à qui la France a des-ja retenu

L'un de ses plus beaux lieux, comme seul aujourdhuy

Où les arts ont fondé leur principal appuy,

Quant au lieu qui t'attend tu seras parvenu:

Fay que de ta grandeur ton Magny se resente,

A fin que si Bertran de son Salel se vante,

Tu te puisses aussi de ton Magny vanter.

Tous deux sont Quercinois, tous deux bas de stature,

Et ne seroient pas moins semblables d'escriture,

Si Salel avoit sceu plus doulcement chanter.

 

CLXI

Prelat, à qui les cieulx ce bon heur ont donné

D'estre aggreable aux Roys, Prelat dont la prudence

Par les degrez d'honneur a mis en evidence,

Que pour le bien publiq': Dieu t'avoit ordonné.

Prelat, sur tous prelatz sage, et bien fortuné,

Prelat garde des loix, et des seaulx de la France,

Digne que sur ta foy repose l'asseurance

D'un Roy le plus grand Roy qui fut onq couronné:

Devant que t'avoir veu j'honnorois ta sagesse,

Ton sçavoir, ta vertu, ta grandeur, ta largesse,

Et si rien entre nous se doit plus honnorer:

Mais ayant esprouvé ta bonté nompareille,

Qui souvent m'a presté si doulcement l'oreille,

Je souhaite qu'un jour je te puisse adorer.

 

CLXII

Apres s'estre basty sus les murs de Carthage

Un sepulchre eternel, Scipion irrité

De voir à sa vertu ingrate sa cité,

Se banit de soymesme en un petit village.

Tu as fait (Olivier) mais d'un plus grand courage,

Ce que fit Scipion en son adversité,

Laissant durant le cours de ta felicité

La court, pour vivre à toy le rste de ton aage.

Le bruit de Scipion maint coursaire attiroit

Pour contempler celuy que chacun admiroit,

Bien qu'il fust retiré en son petit Linterne.

On te fait le semblable: admirant ta vertu,

D'avoir laissé la court, et ce monstre testu,

Ce peuple qui ressemble à la beste de Lerne.

 

CLXIII

Il ne fault point (Duthier) pour mettre en evidence

Tant de belles vertus, qui reluisent en toy,

Que je te rende icy l'honneur que je te doy,

Celebrant ton sçavoir, ton sens, et ta prudence.

Le bruit de ta vertu est tel, que l'ignorance

Ne le peult ignorer: et qui loüe le Roy,

Il fault qu'il loüe encor' ta prudence, et ta foy:

Car ta gloire est conjointe à la gloire de France.

Je diray seulement que depuis noz ayeux

La France n'a point veu un plus laborieux

En sa charge que toy, et qu'autre ne se treuve

Plus courtois, plus humain, ne qui ait plus de soing

De secourir l'amy à son plus grand besoing.

J'en parle seurement, car j'en ay fait l'espreuve.

 

CLXIV

Combien que ton Magny ait la plume si bonne,

Si prendrois-je avec luy de tes vertus le soing,

Sachant que Dieu, qui n'a de noz presens besoing,

Demande les presens de plus d'une personne.

Je dirois ton beau nom, qui de luy mesme sonne

Ton bruit parmy la France, en Itale, et plus loing:

Et dirois que Henry est luymesmes tesmoing,

Combien un Avanson avance sa couronne.

Je dirois ta bonté, ta justice, et ta foy,

Et mille autres vertus qui reluisent en toy,

Dignes qu'un seul Ronsard les sacre à la Memoire:

Mais sentant le soucy qui me presse le doz,

Indigne je me sens de toucher à ton loz,

Sachant que Dieu ne veult qu'on prophane sa gloire.

 

CLXV

Quand je vouldray sonner de mon grand Avanson

Les moins grandes vertus, sur ma chorde plus basse

Je diray sa faconde, et l'honneur de sa face,

Et qu'il est des neuf Soeurs le plus cher nourrisson.

Quand je vouldray toucher avec un plus hault son

Quelque plus grand' vertu, je chanteray sa grace,

Sa bonté, sa grandeur, qui la justice embrasse,

Mais là je ne mettray le but de ma chanson.

Car quand plus hautement je sonneray sa gloire,

Je diray que jamais les filles de Memoire

Ne diront un plus sage, et vertueux que luy,

Plus prompt à son devoir, plus fidèle à son Prince,

Ne qui mieulx s'accommode au regne d'aujourdhuy,

Pour servir son Seigneur en estrange province.

 

CLXVI

Combien que ta vertu, (Poulin) soit entendue

Par tout ou des François le bruit est entendu,

Et combien que ton nom soit au large estendu

Autant que la grand' mer est au large estendue:

Si fault il toutefois que Bellay s'esvertue,

Aussi bien que la mer, de bruire ta vertu,

Et qu'il sonne de toy avec' l'aerain tortu

Ce que sonne Triton de sa trompe tortue.

Je diray que tu es le Tiphys du Jason,

Qui doit par ton moyen conquerir la toison,

Je diray ta prudence, e ta vertu notoire:

Je diray ton pouvoir oui sur la mer s'estent,

Et que les Dieux marins te favorisent tant,

Que les terrestres Dieux sont jalouz de ta gloire.

 

CLXVII

Sage De l'hospital, qui seul de nostre France

Rabaisses aujourdhuy l'orgueil Italien,

Et qui nous, monstres seul d'un art Horatien,

Comme il fault chastier le vice et l'ignorance:

Si je voulois loüer ton sçavoir, ta prudence,

Ta vertu, ta bonté, et ce qu'est vrayment tien,

A tes perfections je n'adjousterois rien,

Et pauvre me rendroit la trop grand' abondance.

Et, qui pourroit, bons dieux! faire plus digne foy

Des rares qualitez qui reluisent en toy,

Que ceste autre Pallas, ornement de nostre aage?

Ainsi jusqu'aujourdhuy, ainsi encor' voit-on

Estre tant renommé le maistre de Platon,

Pour ce qu'il eut d'un Dieu la voix pour tesmoignage.

 

CLXVIII

Nature à vostre naistre heureusement feconde;

Prodigue vous donna tout son plus et son mieux,

Soit ceste grand' doulceur qui luit dedans voz yeux,

Soit ceste majesté disertement faconde.

Vostre rare vertu, qui n'a point de seconde,

Et vostre esprit aelé, qui voisine les cieulx,

Vous ont donné le lieu le plus prochain des Dieux,

Et la plus grand' faveur du plus grand Roy du monde.

Bref, vous avez tout seul tout ce qu'on peult avoir

De richesse, d'honneur, de grace, et de sçavoir,

Que voulez-vous donq plus esperer d'avantage?

Le libre jugement de la posterité,

Qui encor' qu'ell' assigne au ciel vostre partage,

Ne vous donnera pas ce qu'avez merité.

 

CLXIX

La fortune (Prelat) nous voulant faire voir.

Ce qu'elle peult sur nous, a choisi de nostre aage

Celuy qui de vertu, d'esprit, et de courage

S'estoit le mieulx armé encontre son pouvoir.

Mais la vertu qui n'est apprise à s'esmouvoir,

Non plus que le rocher se meut contre l'orage,

Dontera la fortune, et contre son outrage

De tout ce qui luy fault se sçaura bien pourvoir.

Comme ceste vertu immuable demeure,

Ainsi le cours du ciel se change d'heure en heure.

Aidez vous donq (Seigneur) de vous mesme au besoing,

Et joyeux attendez la saison plus prosperé,

Qui vous doit ramener vostre oncle et vostre frere:

Car et d'eux et de vous le ciel a pris le soing.

 

CLXX

Ce n'est pas sans propoz qu'en vous le ciel a mis

Tant de beautez d'esprit, et de beautez de face,

Tant de royal honneur, et de royale grace,

Et que plus que cela vous est encor promis.

Ce n'est pas sans propoz que les Destins amis

Pour rabaisser l'orgueil de l'Espagnole audace,

Soit par droit d'alliance, ou soit par droit de race,

Vous ont par leurs arrestz trois grans peuples soubmis.

Ilz veulent que par vous la France, et l'Angleterre

Changent en longue l'hereditaire guerre.

Qui a de pere en filz si longuement duré:

Ilz veulent que par vous la belle vierge Astree

En ce Siecle de fer reface encor' entree,

Et qu'on revoye encor le beau Siecle doré.

 

CLXXI

Muse, qui autrefois chantas la verde olive,

Empenne tes deux flancs d'une plume nouvelle,

Et te guindant au ciel aveques plus haute aelle,

Vole où est d'Apollon la belle plante vive.

Laisse (mon cher souci) la paternelle rive,

Et portant desormais une charge plus belle,

Adore ce hault nom, dont la gloire immortelle

De nostre pole arctiq' à l'autre pole arrive.

Loüe l'esprit divin, le courage indontable,

La courtoise doulceur, la bonté charitable,

Qui soustient la grandeur, et la gloire de France.

Et dy, ceste Princesse et si grande et si bonne,

Porte dessus son chef de France la couronne:

Mais dy cela si hault, qu'on l'entende à Florence.

 

CLXXII

Digne filz de Henry, nostre Hercule Gaulois,

Nostre second espoir, qui portes sus ta face

Retraicte au naturel la maternelle grace,

Et gravee en ton coeur la vertu de Vallois:

Cependant que le ciel, qui ja dessous tes loix

Trois peuples a soubmis, armera ton audace

D'une plus grand' vigueur, suy ton pere à la trace,

Et apprens à donter l'Espagnol, et l'Anglois.

Voicy de la vertu la penible montee,

Qui par le seul travail veult estre surmontée:

Voilà de l'autre part le grand chemin battu,

Où au sejour du vice on monte sans eschelle.

Deça (Seigneur) deça, où la vertu t'appelle,

Hercule se fit Dieu par la seule vertu.

 

CLXXIII

La Grecque poësie orgueilleuse se vante

Du loz qu'à son Homere Alexandre donna,

Et les vers que Cesar de Virgile sonna,

La Latine aujourdhuy les chante et les rechante.

La Françoise qui n'est tant que ces deux sçavante

Comme qui son Homere et son Virgile n'a,

Maintient que le Laurier qui François couronna,

Baste seul pour la rendre à tout jamais vivante.

Mais les vers qui l'ont mise encor' en plus hault pris,

Sont les vostres (Madame) et ces divins escripts

Que mourant nous laissa la Royne vostre mere.

O poësie heureuse, et bien digne des Roys,

De te pouvoir vanter des escripts Navarrois,

Qui t'honnorent trop plus qu'un Virgile ou Homere!

 

CLXXIV

Dans l'enfer de son corps mon esprit attaché

(Et cet enfer, Madame, a esté mon absence)

Quatre ans et d'avantage a fait la penitence

De tous les vieux forfaits dont il fut entaché.

Ores graces aux Dieux, ore' il est relaché

De ce penible enfer, et par vostre presence

Reduit au premier poinct de sa divine essence,

A dechargé son doz du fardeau de peché:

Ores sous la faveur de voz graces prisees,

Il jouït du repoz des beaux champs Elysees,

Et si n'a volunté d'en sortir jamais hors.

Donques, de l'eau d'oubly ne l'abbreuvez Madame,

De peur qu'en la beuvant nouveau desir l'enflamme,

De retourner encor dans l'enfer de son corps.

 

CLXXV

Non pource qu'un grand Roy ait esté vostre pere,

Non pour vostre degré, et royale haulteur

Chacun de vostre nom veult estre le chanteur,

Ni pource qu'un grand Roy soit ores vostre frere.

La nature qui est de tous commune mere,

Vous fit naistre (Madame) aveques ce grand heur,

Et ce qui accompagne une telle grandeur,

Ce sont souvent des dons de fortune prospere.

Ce qui vous fait ainsi admirer d'un chacun,

C'est ce qui est tout vostre, et qu'avec vous commun

N'ont tous ceulx-là qui ont couronnes sur leurs testes:

Ceste grace, et doulceur, et ce je ne sçay quoy,

Que quand vous ne seriez fille, ni soeur de Roy,

Si vous jugeroit-on estre ce que vous estes.

 

CLXXVI

Esprit royal, qui prens de lumiere eternelle

Ta seule nourriture, et ton accroissement,

Et qui de tes beaux raiz en nostre entendement

Produis ce hault desir, qui au ciel nous r'appelle,

N'apperçoy-tu combien par ta vie estincelle

La vertu luit en moy? n'as-tu point sentiment

Par l'oeil, l'ouïr, l'odeur, le goust, l'attouchement,

Que sans toy ne reluit chose aucune mortelle?

Au seul object divin de ton image pure

Se meut tout mon penser, qui par la souvenance

De ta haulte bonté tellement se r'assure,

Que l'ame et le vouloir ont pris mesme assurance

(Chassant tout appetit et toute vile cure)

De retourner au lieu de leur premiere essence.

 

CLXXVII

Si la vertu qui est de nature immortelle,

Comme immortelles sont les semences des cieulx,

Ainsi qu'à noz esprits, se monstroit à noz yeux,

Et noz sens hebetez estoient capables d'elle,

Non ceulx-là seulement qui l'imaginent telle,

Et ceulx ausquelz le vice est un monstre odieux,

Mais on verroit encor les mesmes vicieux

Epris de sa beauté, des beautez la plus belle.

Si tant aymable donc seroit ceste vertu

A qui la pourroit voir: Vineus, t'esbahis-tu

Si j'ay de ma Princesse au coeur l'image empreinte?

Si sa vertu j'adore, et si d'affection

Je parle si souvent de sa perfection,

Veu que la vertu mesme en son visage est peinte?

 

CLXXVIII

Quand d'une doulce ardeur doulcement agité

J'userois quelquefois en loüant ma Princesse

Des termes d'adorer, de celeste, ou deesse,

Et ces tiltres qu'on donne à la Divinité,

Je ne craindrois (Melin) que la posterité

Appellast pour cela ma Muse flateresse:

Mais en louant ainsi sa royale haultesse,

Je craindrois d'offenser sa grande humilité.

L'antique vanité aveques telz honneurs

Souloit idolatrer les Princes et Seigneurs:

Mais le Chrestien qui met ces termes en usage,

Il n'est pas pour cela idolatre ou flateur,

Car en donnant de tout la gloire au Createur,

Il loüe l'ouvrier mesme, en loüant son ouvrage.

 

CLXXIX

Voyant l'ambition, l'envie, et l'avarice,

La rancune, l'orgueil, le desir aveuglé,

Dont cet aage de fer de vices tout rouglé

A violé l'honneur de l'antique justice:

Voyant d'une autre part la fraude, la malice,

Le procez immortel, le droit mal conseillé:

Et voyant au milieu du vice dereiglé

Ceste royale fleur, qui ne tient rien du vice,

Il me semble (Dorat) voir au ciel revolez

Des antiques vertuz les escadrons aelez

N'ayans rien delaissé de leur saison doree

Pour reduire le monde à son premier printemps,

Fors ceste Marguerite, honneur de nostre temps,

Qui comme l'esperance, est seule demeuree.

 

CLXXX

De quelque autre subject, que j'escrive, Jodelle,

Je sens mon coeur transi d'une morne froideur,

Et ne sens plus en moy ceste divine ardeur,

Qui t'enflamme l'esprit de sa vive estincelle.

Seulement quand je veulx toucher le loz de celle

Qui est de nostre siecle et la perle, et la fleur,

Je sens revivre en moy ceste antique chaleur,

Et mon esprit lassé prendre force nouvelle.

Bref, je suis tout changé, et si ne sçay comment,

Comme on voit se changer la vierge en un moment,

A l'approcher du Dieu qui telle la fait estre.

D'où vient cela, Jodelle? il vient, comme je croy,

Du subject, qui produict naïvement en moy

Ce que par art contraint les autres y font naistre.

 

CLXXXI

Ronsard, j'ay veu l'orgueil des Colosses antiques,

Les theatres en rond ouvers de tous costez,

Les columnes, les arcz, les haults temples voultez,

Et les sommets pointus des carrez obelisques.

J'ay veu des Empereurs les grands thermes publiques,

J'ay veu leurs monuments que le temps a dontez,

J'ay veu leurs beaux palais que l'herbe a surmontez

Et des vieux murs Romains les pouldreuses reliques.

Bref, j'ay veu tout cela que Rome a de nouveau,

De rare, d'excellent, de superbe, et de beau,

Mais je n'y ay point veu encores si grand' chose

Que ceste Marguerite, où semble que les cieux

Pour effacer l'honneur de tous les siecles vieux

De leurs plus beaux presens ont l'excellence enclose.

 

CLXXXII

Je ne suis pas de ceulx qui robent la louange,

Fraudant indignement les hommes de valeur,

Ou qui changeant la noire à la blanche couleur

Sçavent, comme lon dit, faire d'un diable un ange.

Je ne fay point valoir, comme un tresor estrange,

Ce que vantent si hault noz marcadants d'honneur,

Et si ne cherche point que quelque grand seigneur

Me baille pour des vers des biens en contr'eschange.

Ce que je quiers (Gournay) de ceste soeur de Roy,

Que j'honnore, revere, admire comme toy,

C'est que de la loüer sa bonté me dispense,

Puis qu'elle est de mes vers le plus loüable object:

Car en loüant (Gournay) si louable subject,

Le loz que je m'acquiers, m'est trop grand' recompense.

 

CLXXXIII

Morel, quand quelquefois je perds le temps à lire

Ce que font aujourdhuy noz trafiqueurs d'honneurs,

Je ry de voir ainsi desguiser ces Seigneurs,

Desquelz (comme lon dit) ilz font comme de cire.

Et qui pourroit, bons dieux! se contenir de rire

Voyant un corbeau peint de diverses couleurs,

Un pourceau couronné de roses et de fleurs,

Ou le pourtrait d'un asne accordant une lyre?

La loüange, à qui n'a rien de loüable en soy,

Ne sert que de le faire à tous monstrer au doy,

Mais elle est le loyer de cil qui la merite.

C'est ce qui fait (Morel) que si mal voluntiers

Je diz ceulx dont le nom fait rougir les papiers,

Et que j'ay si frequent celuy de Marguerite.

 

CLXXXIV

Celuy qui de plus près attaint la Deité,

Et qui au ciel (Bouju) vole de plus haulte aelle,

C'est celuy qui suivant la vertu immortelle

Se sent moins du fardeau de nostre humanité.

Celuy qui n'a des Dieux si grand felicité,

L'admire toutefois comme une chose belle,

Honnore ceulx qui l'ont, se monstre amoureux d'elle,

Il a le second ranc, ce semble, merité.

Comme au premier je tends d'aelle trop foible et basse,

Ainsi je pense avoir au second quelque place:

Et comment puis-je mieulx le second meriter,

Qu'en louant ceste fleur, dont le vol admirable

Pour gaigner du premier le lieu plus honnoràble,

Ne laisse rien icy qui la puisse imiter?

 

CLXXXV

Quand ceste belle fleur premirement je vy;

Qui nostre aage de fer de ses vertuz redore,

Bien que sa grand' valeur je ne cogneusse encore,

Si fus-je en la voyant de merveille ravy.

Depuis ayant le cours de Fortune suivy

Où le Tybre tortu de jaune se colore,

Et voyant ces grands dieux que l'ignorance adore,

Ignorans, vicieux, et meschans à l'envy:

Alors (Forget) alors ceste erreur ancienne

Qui n'avoit bien cogneu ta Princesse et la mienne,

La venant à revoir, se dessilla les yeux:

Alors je m'apperçeu qu'ignorant son merite

J'avois, sans la cognoistre, admiré Marguerite,

Comme, sans les cognoistre, on admire les cieux.

 

CLXXXVI

La jeunesse (Du-val) jadis me fit escrire

De cet aveugle archer, qui nous aveugle ainsi:

Puis fasché de l'Amour, et de sa mere aussi,

Les louanges des Roys j'accorday sur ma lyre.

Ores je ne veulx plus telz arguments eslire,

Ains je veulx, comme toy, poingt d'un plus hault souci,

Chanter de ce grand Roy, dont le grave sourci

Fait trembler le celeste, et l'infernal empire.

Je veulx chanter de Dieu. Mais pour bien le chanter,

Il fault d'un avant-jeu ses louanges tenter,

Loüant, non la beauté de ceste masse ronde,

Mais cete fleur, qui tient encor' un plus beau lieu:

Car comme elle est (Du-val) moins parfaitte que Dieu,

Aussi l'est elle plus que le reste du monde.

 

CLXXXVII

Bucanan, qui d'un vers aux plus vieux comparable

Le surnom de Sauvage ostes à l'Ecossois,

Si j'avois Apollon facile en mon François,

Comme en ton Grec tu l'as, et Latin favorable,

Je ne ferois monter, spectacle miserable,

Dessus un echafault les miseres des Roys,

Mais je rendrois par tout d'une plus doulce voix

Le nom de Marguerite aux peuples admirable:

Je dirois ses vertuz, et dirois que les cieux

L'ayant fait naistre icy d'un temps si vicieux

Pour estre l'ornement, et la fleur de son aage,

N'ont moins en cet endroit demonstré leur sçavoir,

Leur pouvoir, leur vertu, que les Muses d'avoir

Fait naistre un Bucanan de l'Ecosse sauvage.

 

CLXXXVIII

Paschal, je ne veulx point Juppiter assommer,

Ny, comme fit, Vulcan, luy rompre la cervelle,

Pour en tirer dehors une Pallas nouvelle,

Puis qu'on veult de ce nom ma Princesse nommer.

D'un effroyable armet je ne la veulx armer,

Ny de ce que du nom d'une chevre on appelle,

Et moins pour avoir veu sa Gorgonne cruelle,

Veulx-je nouveaux cailloux les hommes transformer.

Je ne veulx deguiser ma simple poësie

Sous le masque emprunté d'une fable moisie,

Ny souiller un beau nom de monstres tant hideux:

Mais suivant, comme toy, la veritable histoire,

D'un vers non fabuleux je veulx chanter sa gloire

A nous, à nos enfans, et ceulx qui naistront d'eulx.

 

CLXXXIX

Cependant (Pelletier) que dessus ton Euclide

Tu montres ce qu'en vain ont tant cherché les vieux,

Et qu'en despit du vice, et du siecle envieux

Tu te guindes au ciel comme un second Alcide:

L'amour de la vertu, ma seule et seure guide,

Comme un cygne nouveau me conduit vers les cieux,

Où en despit d'envie, et du temps vicieux,

Je rempliz d'un beau nom ce grand espace vide.

Je voulois comme toy les vers abandonner,

Pour à plus hault labeur plus sage m'addonner:

Mais puis que la vertu à la loüer m'appelle,

Je veulx de la vertu les honneurs raconter:

Aveques la vertu je veulx au ciel monter.

Pourrois-je au ciel monter aveques plus haulte aelle?

 

CXC

Dessous ce grand François, dont le bel astre luit

Au plus beau lieu du ciel, la France fut enceincte

Des lettres et des arts, et d'une troppe saincte

Que depuis sous Henry feconde elle a produict:

Mais elle n'eut plus-tost fait monstre d'un tel fruict,

Et plus-tost ce beau part n'eut la lumiere atteincte,

Que je ne sçay comment sa clairte fut esteincte

Et vid en mesme temps et son jour et sa nuict.

Helicon est tary, Parnasse est une plaine,

Les lauriers sont seichez, et France autrefois pleine

De l'esprit d'Apollon, ne l'est plus que de Mars.

Phoebus s'en fuit de nous, et l'antique ignorance

Sous la faveur de Mars retourne encore en France,

Si Pallas ne defend les lettres et les arts:

 

CXCI

Sire, celuy qui est, a formé toute essence

De ce qui n'estoit rien. C'est l'oeuvre du Seigneur:

Aussi tout honneur doit flechir à son honneur,

Et tout autre pouvoir ceder à sa puissance.

On voit beaucoup de Roys, qui sont grands d'apparence,

Mais nul, tant soit il grand, n'aura jamais tant d'heur

De pouvoir à la vostre egaler sa grandeur:

Car rien n'est apres Dieu si grand qu'un Roy de France.

Puis donc que Dieu peult tout, et ne se trouve lieu

Lequel ne soit encloz sous le pouvoir de Dieu,

Vous, de qui la grandeur de Dieu seul est enclose,

Elargissez encor sur moy vostre pouvoir,

Sur moy, qui ne suis rien: à fin de faire voir,

Que de rien; un grand Roy peult faire quelque chose.

 

Le Poète Courtisan

 

Je ne veulx...

Je ne veulx point icy du maistre d'Alexandre

Touchant l'art poëtiq' les preceptes t'apprendre:

Tu n'apprendras de moy comment joüer il fault

Les miseres des Roys dessus un eschafault:

Je ne t'enseigne l'art de l'humble comoedie,

Ny du Mëonien la Muse plus hardie:

Bref je ne montre icy d'un vers Horatien

Les vices et vertuz du poëme ancien:

Je ne depeins aussi le Poëte du Vide,

La court est mon autheur, mon exemple et ma guide.

Je te veulx peindre icy, comme un bon artisan,

De toutes ses couleurs l'Apollon Courtisan:

Où la longueur sur tout il convient que je fuye,

Car de tout long ouvraige à la court on s'ennuye.

Celuy donc qui est né (car il se fault tenter

Premier que lon se vienne à la court presenter)

A ce gentil mestier, il faut que de jeunesse

Aux ruses et façons de la court il se dresse.

Ce precepte est commun: car qui veult s'avancer,

A la court, de bonne heure il convient commencer.

Je ne veulx que long temps à l'estude il pallisse,

Je ne veulx que resveur sur le livre il vieillisse,

Fueilletant studieux tous les soirs et matins

Les exemplaires Grecs et les autheurs Latins.

Ces exercices là font l'homme peu habile,

Le rendent catareux, maladif et debile,

Solitaire, facheux, taciturne et songeard,

Mais nostre courtisan est beaucoup plus gaillard.

Pour un vers allonger ses ongles il ne ronge,

Il ne frappe sa table, il ne resve, il ne songe,

Se brouillant le cerveau de pensements divers,

Pour tirer de sa teste un miserable vers,

Qui ne rapporte, ingrat, qu'une longue risée

Par tout où l'ignorance est plus authorisée.

Toy donc' qui as choisi le chemin le plus court

Pour estre mis au ranc des sçavants de la court,

Sans macher le laurier, ny sans prendre la peine

De songer en Parnasse, et boire à la fontaine

Que le cheval volant de son pied fist saillir,

Faisant ce que je dy, tu ne pourras faillir.

Je veulx en premier lieu que sans suivre la trace

(Comme font quelques uns) d'un Pindare et Horace,

Et sans vouloir comme eux voler si haultement,

Ton simple naturel tu suives seulement.

Ce procés tant mené, et qui encore dure,

Lequel des deux vault mieulx, ou l'art, ou la Nature,

En matiere de vers, à la court est vuidé:

Car il suffit icy que tu soyes guidé

Par le seul naturel, sans art et sans doctrine,

Fors cet art qui apprend à faire bonne mine.

Car un petit sonnet qui n'ha rien que le son,

Un dixain à propos, ou bien une chanson,

Un rondeau bien troussé, avec' une ballade

(Du temps qu'elle couroit) vault mieulx qu'une Iliade.

Laisse moy donques là ces Latins et Gregeoys,

Qui ne servent de rien au poëte François,

Et soit la seule court ton Virgile et Homere,

Puis qu'elle est (comme on dict) des bons esprits la mere.

La court te fournira d'arguments suffisants,

Et sera estimé entre les mieulx disants,

Non comme ces resveurs, qui rougissent de honte

Fors entre les sçavants, desquelz on ne fait compte.

Or si les grands seigneurs tu veulx gratifier,

Arguments à propoz il te fault espier:

Comme quelque victoire, ou quelque ville prise,

Quelque nopce ou festin, ou bien quelque entreprise

De masque ou de tournoy: avoir force desseings,

Desquelz à ceste fin tes coffres seront pleins.

Je veulx qu'aux grands seigneurs tu donnes des devises,

Je veulx que tes chansons en musique soient mises,

Et à fin que les grands parlent souvent de toy,

Je veulx que lon les chante en la chambre du Roy.

Un sonnet à propoz, un petit epigramme

En faveur d'un grand Prince, ou de quelque grand'Dame,

Ne sera pas mauvais: mais garde toy d'user

De mots durs ou nouveaulx, qui puissent amuser

Tant soit peu le lisant: car la doulceur du stile

Fait que l'indocte vers aux oreilles distille:

Et ne fault s'enquerir s'il est bien ou mal fait,

Car le vers plus coulant est le vers plus parfaict.

Quelque nouveau poëte à la court se presente:

Je veulx qu'à l'aborder finement on le tente.

Car s'il est ignorant, tu sçauras bien choisir

Lieu et temps à propoz, pour en donner plaisir.

Tu produiras par tout ceste beste, et, en somme,

Aux despens d'un tel sot, tu seras galland homme.

S'il est homme sçavant, il te fault dextrement

Le mener par le nez, le loüer sobrement,

Et d'un petit soubriz et branlement de teste.

Devant les grands seigneurs luy faire quelque feste:

Le presenter au Roy, et dire qu'il fait bien,

Et qu'il ha merité qu'on luy face du bien.

Ainsi tenant tousjours ce pauvre homme soubz bride,

Tu te feras valoir, en luy servant de guide:

Et combien que tu soys d'envie époinçonné,

Tu ne seras pour tel toutefois soubsonné.

Je te veulx enseigner un aultre poinct notable:

Pour ce que de la court l'eschole c'est la table,

Si tu veulx promptement en honneur parvenir,

C'est où plus saigement il te fault maintenir.

Il fault avoir tousjours le petit mot pour rire,

Il fault des lieux communs, qu'à tous propoz on tire,

Passer ce qu'on ne sçait, et se montrer sçavant

En ce que lon ha leu deux ou trois soirs devant.

Mais qui des grands seigneurs veult acquerir la grace,

Il ne fault que les vers seulement il embrasse:

Il fault d'aultres propoz son stile déguiser,

Et ne leur fault tousjours des lettres deviser.

Bref, pour estre en cest art des premiers de ton age

Si tu veulx finement joüer ton personnage,

Entre les Courtisans du sçavant tu feras,

Et entre les sçavants courtisan tu seras.

Pour ce te fault choisir matiere convenable,

Qui rende son autheur aux lecteurs agreable,

Et qui de leur plaisir t'apporte quelque fruict.

Encores pourras tu faire courir le bruit,

Que si tu n'en avois commandement du Prince,

Tu ne l'exposerois aux yeulx de ta province,

Ains te contenterois de le tenir secrét:

Car ce que tu en fais est à ton grand regrét.

Et à la verité, la ruse coustumiere,

Et la meilleure, c'est rien ne mettre en lumiere:

Ains jugeant librement des oeuvres d'un chacun,

Ne se rendre subject au jugement d'aulcun,

De peur que quelque fol te rende la pareille,

S'il gaigne comme toy des grands Princes l'oreille.

Tel estoit de son temps le premier estimé,

Duquel si on eust leu quelque ouvraige imprimé,

Il eust renouvelé, peut estre, la risée

De la montaigne enceinte: et sa Muse prisée

Si hault au paravant, eust perdu (comme on dict)

La reputation qu'on luy donne à credit.

Retien donques ce point, et si tu m'en veulx croire,

Au jugement commun ne hasarde ta gloire.

Mais saige sois content du jugement de ceulx

Lesquelz trouvent tout bon, ausquelz plaire tu veux,

Qui peuvent t'avancer en estats et offices,

Qui te peuvent donner les riches benefices,

Non ce vent populaire, et ce frivole bruit

Qui de beaucoup de peine apporte peu de fruict.

Ce faisant, tu tiendras le lieu d'un Aristarque,

Et entre les sçavants seras comme un Monarque.

Tu seras bien venu entre les grands seigneurs,

Desquelz tu recevras les biens et les honneurs,

Et non la pauvreté, des Muses l'heritage,

Laquelle est à ceulx là reservée en partage,

Qui dédaignant la court, fácheux et malplaisans,

Pour allonger leur gloire; accourcissent leurs ans.

 

Divers jeux rustiques

 

Au lecteur

L'avarice, et impudence de certains imprimeurs, qui ne font conscience de se jouer de la réputation d'autruy, pour faire indifféremment leur profit de tout ce qui tumbe entre leurs mains, a esté cause (amy lecteur) que contre ma volonté j'ay cy devant publié la plus grand part de ce que tu liz de moy, comme je fais encores de ce que je t'offre maintenant. Car combien que ce qui en est le meilleur (s'il y a rien de bon) ne mérite l'impression, si est-ce que j'ayme beaucoup mieulx que tu le lises imprimé correctement, que dépravé par une infinité d'exemplaires, ou, qui pis est, corrompu misérablement par un tas d'imprimeurs non moins ignorans que téméraires et impudens. Ce qui m'a contrainct de recueillir par cy par là, comme les fuilletz de la Sibylle, toutes ces petites pièces assez mal cousues, mais qui, peult estre, ne te donneront moins de plaisir que beaucoup d'autres plus graves, plus polies et mieulx agencées. Reçoy donques ce présent, tel qui est, de la mesme volonté que je te le présente: employant les mesmes heures à la lecture d'iceluy, que celles que j'ay employées à la composition: c'est le temps qu'on donne ordinairement au jeu, aux spectacles, aux banquetz, et autres telles voluptez de plus grands fraiz, et bien souvent de moindre plaisir, pour le moins de recréation moins honeste et moins digne d'un esprit libéralement institué. Quoy que ce soit, ceulx qui sont ou si sévères, que rien ne leur plaist, s'il n'est plein de doctrine et antique érudition, ou si délicatz, que leurs oreilles rejectent toutes choses, si elles ne sont élabourées en perfection, le tiltre du livre les admoneste de ne passer plus avant, et se réserver à d'autres oeuvres que je leur garde, plus dignes d'eux, j'entens s'ilz me veulent départir tant de faveur, et à eulx mesmes tant de loysir, que de les lire.

A Dieu.

 

A Monsieur Duthier, Conseiller du Roy et secrétaire d'Estat

Duthier, dont la diligence,

Le sçavoir et la prudence,

L'expérience et la foy,

D'un ordinaire exercice

Travaillent pour le service

De la France et de son Roy:

Encores qu'on ne raisonne

Que de Mars et de Bellonne,

De discorde et de fureur,

De soldatz et de gendarmes,

D'assaulx, de sièges, d'allarmes,

De feu, de sang, et d'horreur.

Ne laisse pourtant de lire

Les petitz vers, que ma lyre

Te vient présenter icy,

Meslant au bruit des trompettes

Le son des doulces musettes,

Pour addoulcir ton soucy.

Les vers qu'icy je te chante,

Duthier, je ne les présente

A ces sourciz renfrongnez,

Auxquelz tel jeu ne peut plaire,

Et qui souvent à rien faire

Sont les plus embesongnez.

Mais c'est pour toy que je sonne,

Mais c'est à toy que je donne

Le miel de telles doulceurs,

Où des affaires plus graves

Souvent le souci tu laves,

Cher nourrisson des neuf Soeurs.

Ne crains point qu'à tes oreilles,

Lors qu'aux affaires tu veilles,

Je me vienne presenter:

Ma Muse non importune

Espira l'heure opportune,

Pour tes oreilles tenter.

Elle fournira ta table

D'un entre-mez délectable:

Et en te parlant de moy

Dira combien je t'honore,

Et de quelz liens encore

Tu m'as obligé vers toy.

Je bastis à ta mémoire.

La plus memorable gloire

Dont je fus onques sonneur

Pendant la monstre je t'offre

Des pièces qu'au fond du coffre

Je reserve à ton honneur.

 

I - Le Moretum de Virgile

C'estoit au poinct, que la nuict hyvernale

Approche plus de l'estoile journale,

Et l'éveilleur du rustique séjour

Jà par son chant avoit prédict le jour:

Lors que Marsault, qui pour tout héritage

Ne possédoit qu'un petit jardinage,

Craignant desjà la faim du jour suivant

De son grabat tout beau se va levant,

Et tastonnant avecques main soigneuse

L'obscurité de la nuict sommeilleuse,

Cherche le feu, lequel il a trouvé,

Après l'avoir à son dam esprouvé.

Là d'une souche à demy consumée

Sortoit encor quelque peu de fumée,

Et soubz la cendre estoit le feu caché:

Alors Marsault avecques front panché

Sur le foyer, vient approcher sa mèche,

Et attirant un peu d'estouppe seiche

D'un fer pointu, soufle tant et si fort,

Qu'il alluma le feu jà demy mort.

L'obscurité faict place à la chandelle:

Marsault chemine, et tousjours autour d'elle

Porte la main, pour la garder du vent,

Puis ouvre un huis, qui estoit au devant.

D'un moncelet de froument il va prendre

Autant que peult la mesure comprendre,

Qui environ seize livres contient.

Il part de là, à la meule s'en vient,

Et sur un aix servant à cest affaire

Met près du mur son petit luminaire.

Alors il va desplier ses bras nuds,

Ses deux gros bras bien nerveux et charnus,

Portant de chèvre une peau hérissée

Dessus le flanc rustiquement troussée:

Prend le ballay, et tout à l'environ

Va nettoyant la meule et le gyron:

Et puis il met les mains à l'exercice,

Et à chacune ordonne son office.

Avec la gauche il faict tumber le grain

Dessoubz la meule, et avec l'autre main

Donne le tour, d'un rond qui point ne cesse.

Le blé moulu tumbe en farine espesse.

Aucunefois d'un travail successeur

La gauche tourne et soulage sa soeur:

Luy mesme aussi quelquefois se soulage,

Chantant des vers et chansons de village

Alors Catou il huche haultement.

Pour tous servans il avoit seulement

Ceste Catou, qui à sa laide mine

Montroit assez qu'elle estoit Limousine.

Les cheveux roux, et le teinct tout haslé,

La lippe enflee, et le sein avalé,

Le ventre gros, gembe grosse et grands plantes,

Et aux talons tousjours mules et fentes.

Marsault luy dit qu'elle face du feu,

Que l'eau soit chaulde, et après qu'il a veu

Son blé moulu, il le prend, il le sasse.

Le son demeure, et la farine passe.

Puis sur un aix l'agence tout soudain,

Verse l'eau tiède, et en menant la main

Tout au travers, pestrit tout pesle mesle

Avecques l'eau la farine se mesle.

Des grains de sel il y respand aussi:

L'oeuvre se forme, et devient espoissi.

Avec la paulme en rond il le façonne,

Presse le moule, et sa marque luy donne,

Le porte au feu (Catou premièrement

Avoit le lieu nettoyé proprement);

D'un test voulté il a faict sa fournaize:

Et cependant que la tuyle et la braize

Font leur devoir, Marsault ne chomme pas,

Mais se pourvoit d'autres metz et repas,

Pour ne trouver, à la manger seulette,

Fade saveur au goust de sa galette.

De chair de porc par le sel endurci

Les gros quartiers, et les jambons aussi

N'estoient pas là penduz pour son usage,

Mais seulement le rond d'un vieux fourmage

Par le milieu traversé d'un genet,

Et tout au près un vieux fagot d'aneth.

Luy donc aiant le soing de sa pasture,

Pour son disner cherche autre nourriture.

Joingnant la loge, où Marsault habitoit,

Fut un jardin, un jardin qui estoit

D'un peu d'oziers clos devant et derrière,

Et de roseaux à la canne légère:

Petit de lieu, mais d'herbes bien fourny.

Ce jardin là n'estoit pas dégarny

De ce qui sert à un pauvre mesnage:

Souvent le riche y prenoit son usage.

Quant au labeur, cela ne luy coustoit

Que l'entretien: cest entretien c'estoit

Quand quelque feste ou saison pluvieuse

Avoient rendu sa charrue ocieuse.

Marsault sçavoit les plantes disposer,

Marsault sçavoit semer et arroser.

Là se trouvoit toute herbe de potage,

Là s'espandoit la bette au grand fueillage,

Et la vinette espessement croissant,

Avec la maulve, et l'eaule verdissant.

Les chichespois y prenoient nourriture,

Oignons, pavotz d'endormante nature:

Là s'estendoit la friande laictue,

Et là s'enfloit la coucourde ventrue.

Cela n'estoit de Marsault le manger.

(Car qui estoit plus que luy ménager?)

Son revenu au peuple estoit utile,

Il en portoit certains jours à la ville,

Et puis au soir retournoit à grand joye

Léger d'espaule, et chargé de monnoye.

Bien peu souvent de la chair achetoit,

Le rouge oignon son appétit domtoit,

Et le pourreau bien teillant: quelquefois

Il se paissoit de cresson allénois,

Qui prend au nez, d'endive, et de roquette

Bonne aux vieillards. Voylà comment se traitte

Le bon Marsault, qui songeant à son cas

En son jardin va chercher son repas.

Premièrement grattant un peu la terre,

Quatre aulx espaiz de racine il déterre,

Arrache aussi des coriandres gresles,

Et du persil aux petites umbelles:

De verde rue il s'est aussi pourveu,

Puis tout joyeux s'assied auprès du feu:

Huche Catou, demande le mortier,

Plume l'oignon, prend ce qui faict mestier,

Jette le reste, et puis en belle eau frotte

Bien nettement la terreuse échalotte,

Et tout cela vous jette dans le fond

De son mortier, qui fut cavé en rond.

Des grains de sel il y met d'avantage,

Il y adjouste encores du fourmage

Dur et salé, et puis ces herbes là

Dont j'ay parlé, jette sur tout cela:

Et puis dessoubz ses aynes hérissées

De la main gauche a ses robbes troussées;

De l'autre main il va pilant les aulx,

Dont la senteur offense les nazeaux:

Le suc de l'un avec l'autre s'assemble,

Le pilon tourne et brize tout ensemble.

Lors peu à peu cestuy perd sa valeur,

Et cestuy-là: tous n'ont qu'une couleur,

Qui, pour le blanc, n'est du tout verdissante,

Ny, pour le verd, toute aussi blanchissante.

Souvent Marsault, comme tout courroucé,

Souffle, renifle, et d'un nez retroussé

Maudict ses aulx: souvent torche ses yeux

Du bout des doigts, souvent tout furieux

Va maugréant la vapeur innocente.

Desjà se faict la matière plus lente

Qu'auparavant: le pilon qui tenoit

Dans le mortier, plus lentement tournoit.

Or il y mesle un peu d'olif, et ores

Un petit fil de vinaigre, et encores

Remesle tout, et puis une autre fois

Le mesle encor: puis avecques deux doigts

Finablement le mortier environne,

Et en tourteau la matiere façonne.

Voylà comment la saulse lon faisoit,

Qui Moretum en latin se disoit.

Catou soigneuse avecques la main nette

Encependant tire aussi sa galette.

Ainsi Marsault ne craignant plus la faim

Pour ce jour-là, se dépesche soudain,

Prend son chappeau, ses guestres, et se rue

Avec ses boeufz au faict de la charrue.

 

Voeuz rustiques du Latin de Naugerius. II. A Ceres

II. A Ceres

Regarde, o Ceres la grande,

Danser la rustique bande

Des laboureurs assemblez

A la semence des bledz.

Fay que le grain ne pourrisse

Par la pluie, et ne perisse

Par l'hyver trop avancé

Le sillon ensemencé.

Que la malheureuse avène

Ne foisonne sur la plaine,

Ny toute autre herbe qui nuit

Au grain dont vient le bon fruict.

Qu'un fort vent meslé de gresle

Ne renverse pesle mesle

Le blé sur terre haulsé,

De telle fureur blessé.

Que les oyseaux qui ravissent,

Du froument ne se nourrissent,

Ny ces monstres d'animaulx

Qui font par tout tant maulx.

Mais fay que le champ nous rende

Avec une usure grande

Les grains par nous enserrez

Soubs les sillons labourez.

Ainsi sera. Qu'on espanche

Un plein pot de crème blanche,

Et du miel délicieux

Coulant avecques vin vieux.

Que l'hostie inviolee

Avant que d'estre immolee,

Par trois fois d'un heureux tour

Cerne ces bledz à l'entour.

C'est assez. Moissons parfaictes

Autres festes seront faictes,

Et seront tes cheveux saincts

D'espicz couronnez et ceinctz.

Vota Cereri pro terrae frugibus

Aspice, magna Ceres, tibi quos semente peracta

Ducimus agrestes, rustica turba, choros.

Tu face, ne nimio semen putrescat ab imbre:

Neu sulcos rapido frigore rumpat hyems:

Neu sterilis surgat sylua infelicis auenas,

Et quascunque bonis frugibus herba nocet:

Neu terras prostrata animosi flatibus Euri

Decidat, aut densa grandine lassa seges:

Neu direpta auidas rapiant frumenta uolucres,

Monstraue, quas terras plurima saspe ferunt.

Sed quas credidimus bene cultis semina campis,

Uberius largo foenore reddat ager.

Sie erit. Interea niuei carchesia lactis

Fundite, et annoso mella liquata mero.

Terque satas circum foelix eat hostia fruges:

Cassaque mox sanctos corruat ante focos.

Nune satis hasc. Post messem alii reddentur honores:

Et sacras cingent spicea serta comas.

A. NAVAGERO

 

III. D'un vanneur de blé, aux vents

A vous troppe legere,

Qui d'aele passagere

Par le monde volez,

Et d'un sifflant murmure

L'ombrageuse verdure

Doulcement esbranlez,

J'offre ces violettes,

Ces lis, et ces fleurettes,

Et ces roses icy,

Ces vermeillettes roses,

Tout freschement écloses,

Et ces oeilletz aussi.

De vostre doulce halaine

Eventez ceste plaine,

Eventez ce séjour:

Ce pendant que j'ahanne

A mon blé, que je vanne

A la chaleur du jour.

Vota ad auras

Auras, quas leuibus percurritis aëra pennis,

Et strepitis blando per nemora alta sono:

Serta dat hasc uobis, uobis hasc rusticus Idmon

Spargit odorato plena canistra croco.

Vos lenite asstum, et paleas seiungite inanes,

Dum medio fruges uentilat ille die.

A. NAVAGERO

 

IV. A Ceres, à Bacchus et à Palès

Ceres d'espicz je couronne,

Ce pampre à Bacchus je donne,

Je donne à Palès la grande

Deux potz de laict pour offrande:

Afin que Ceres la blonde

Rende la plaine feconde,

Bacchus à la vigne rie,

Et Palès à la prairie.

 

V. Sur le mesme subject

De fleurs, d'espics, de pampre je couronne

Palès, Ceres, Bacchus: à fin qu'icy

Le pré, le champ, et le terroy aussy

En fein, en grain, en vandange foisonne.

De chault, de gresle, et de froid qui estonne

L'herbe, l'espic, le sep, n'ayons soucy:

Aux fleurs, aux grains, aux raysins adoulcy

Soit le printemps, soit l'aesté, soit l'autonne.

Le boeuf, l'oyseau, la chèvre ne devore

L'herbe, le blé, ny le bourgeon encore.

Faucheurs, coupeurs, vandangeurs, louez donques

Le pré, le champ, le vignoble Angevin:

Granges, greniers, celiers on ne vid onques

Si pleins de fein, de froument, et de vin.

Vota Telesonis Cereri, Baccho et Pali Deae

Dat Cerri has Teleson spicas, hasc serta Lyaso,

Hasc niuei lactis pocula bina Pali.

Pro quibus arua Ceres, uites foecundet lacchus

Sufficiat pecori pabula lasta Pales.

A. NAVAGERO

 

VI. D'un berger, a pan

Robin par bois et campaignes,

Par boccaiges et montaignes,

Suivant naguere un taureau

Egaré de son troppeau;

D'un roc élevé regarde;

Void une biche fuyarde,

D'un dard la faict trébucher,

Trouve en l'antre d'un rocher

Les petiz fanneaux, qu'il donne

A Jannette sa mignonne:

Puis fait à ses compaignons

Un banquet d'aulx et d'oignons,

Faisant courrir par la trouppe

De vin d'Anjou mainte couppe:

Quant au reste, ô Dieu cornu,

Au croc de ce pin cogneu

Pour ton offrande j'apporte

La peau de la biche morte.

Lyconis vota Pani Deo

Longius a pecore errantem per deuia taurum

Dum sequitur nemorum per iuga longa Lycon,

Errantem scopulo capream conspexit ab alto:

Continuo certo deiicit hanc iaculo.

Mox etiam catulos sola sub rupe iacentes

Inuenit: hos Crocali donat habere suas.

E caprea in uiridi statuit conuiuia luco:

Addidit et uteris pocula multa meri.

Quod reliquum est, Pan semicaper, cum cornibus ipsis

Suspensum e pinu hac tu tibi tergus habe.

A. NAVAGERO

 

VII. D'un chasseur

Pan, des forestz habitant l'épesseur,

Pan, pié-de-bouc, Robinet ton chasseur

Accoutumé jadis de faire teste

A la fureur de mainte fiere beste,

Et par lequel à cestuy pin sacré

Tu vois encor, s'ilz te viennent à gré,

Les piedz des ours, et les hures fendues

Des vieux sangliers, pour offrande pendues:

Ores vieillard, et d'age tout voulté;

De ce grand cerf, que luy mesme a domté,

Le bois encor il te sacre et ordonne,

Digne présent d'une vieille personne,

Bien que tel oeuvre ait jadis eu l'honneur

D'estre avoué par le Thébain veneur.

Reçoy le donq pour oeuvre de jeunesse,

Et ne le croy de moindre hardiesse.

Vota Iolae Pani agresti Deo

Ille tuus, Pan montiuage, uenator Iolas

Suetus in audaces cominus ire feras:

A quo et adhuc rictusque suum exuuiasque leonum

Sacra tibi agrestis munera pinus habet:

Nunc iam annis grauis basc deuicti cornua cerui

Dedicat, imbelli congrua dona seni.

Cum tamen herculeas facta inter fortia clauas

Is quoque sit laudem uisus habere labor.

Tu, Diue, basc inter uiridis decora illa iuventas

Suscipe: neue illis esse minora puta.

A. NAVAGERO

 

VIII. D'un vigneron, à Bacchus

Ceste vigne tant utile,

Vigne de raysins fertile,

Tousjours coustumière d'estre

Fidèle aux voeuz de son maistre,

Ores qu'elle est bien fleurie,

Te la consacre, et dedie

Thenot vigneron d'icelle.

Fay donq, Bacchus, que par elle

Ne soit trompé de l'attente,

Qu'il a d'une telle plante:

Et que mon Anjou foisonne

Par tout en vigne aussi bonne.

Vota damidis ad Bacchum pro vite

Hanc uitem, multa quas semper fertilis uua

Haud unquam domini fallere uota solet,

Nunc etiam large florentem, consecrat ipse

Vineti cultor Damis, Iacche, tibi.

Tu face, Diue, tua basc spem non frustretur, et buius

Exemplo fructum uinea tota ferat.

A. NAVAGERO

 

IX. De deux Amants, à Vénus

Nous deux Amans, qui d'un mesme courage

Sommes uniz en ce prochain village,

Chaste Cypris, vouons à ton autel

Avec le lis l'amaranthe immortel.

Et c'est à fin que nostre amour soit telle

Que l'amaranthe à la fleur immortelle:

Soit tousjours pure, et de telle blancheur

Que sont les lis en leur pasle frescheur,

Et que noz coeurs mesme lien assemble,

Comme ces fleurs on void joinctes ensemble.

Vota Veneri ad felicitandos amantium amores

Illi in amore pares, uicini cultor agelli

Thyrsis, cumque suo Thyrside fida Nape,

Ponimus hos tibi, Cypri, immortales amaranthos,

Liliaque in sacras serta parata comas:

Scilicet exemplo hoc, nullo delebilis asuo

Floreat asaternum fac, Dea, noster amor

Sit purus, talisque utriusque in pectore candor,

In foliis qualem lilia cana ferunt.

Utque duo hi flores serto nectuntur in uno,

Sic animos nectat una cathena duos.

A. NAVAGERO

 

X. D'une nymphe, à Diane

Une vierge chasseresse

Pleurant de laisser les bois,

Append icy son carquois,

Ses traictz, son arc, et sa lesse.

Sa mère l'a condamnée

A rompre son chaste voeu,

La liant d'un autre noeu

Dessous les loix d'Hyménee.

Mais ô fille de Latonne,

Qu'encor réclamer je doy,

Si c'est en despit de, moy,

Que tes forestz j'abandonne,

Autant qu'au bois favorable

Diane, tu m'as esté,

Sois à ma nécessité,

Lucine, autant secourable.

Vota Niconoes ad Dianam

Candida Niconoe, uiduas spes una Terillas,

Montiuagas iaculo figere certa feras,

Hunc tibi, syluipotens, arcum, Latonia, ponit,

Atque basc in pharetra condita tela sua.

Illam chara parens tenero sociauit Icasto,

Ignotique iubet iura subire thori.

Tu Dea, si syluis asgre discedit ab altis,

Si lachrymans coetus deserit illa tuos,

Tu bona sis felixque illi: tu numine dextro

Optata lastam fac, Dea, prole domum.

A. NAVAGERO

 

XI. Epitaphe d'un chien

Ce bon Hurauld, qui souloit estre

Le mignon de Jacquet son maistre,

Hurauld venu du bas Poittou

Sur les doulces rives d'Anjou,

Pour garder le troppeau champestre:

Pendant que la bande compaigne

Des autres chiens, sur la campaigne

Dormant gisoit deçà, delà,

Faisant le guet sur ce bord là,

Où Meine à Loyre s'accompaigne:

Ce bon chien sur tous chiens fidèle

Défendit de la dent cruelle

Les aignelets, mais ce pendant

Il mourut en les defendant,

Digne de louange immortelle.

Son maistre regrettant sa perte,

L'a mis soubz ceste motte verte:

Aussi avoit bien mérité

Une telle fidélité

D'estre si dignement couverte.

Les pauvres troppeaux le gemissent,

Mais les animaulx qui ravissent,

Et les larrons s'attendent bien

D'estre maistres de nostre bien,

Et de sa mort se resjouissent.

De obitu Hylacis canis pastorici

Ante canes omnes pastori charus Amyntas,

Nuper ab Illyrico littore missus Hylax,

Dum solitas agit excubias et septa tuetur,

Nec uigilant socii castera turba canes:

Qua rapidus sese media inter saxa Timauus

Mergit, et inde iterum prosilit amne nouo:

Ille quidem sasua uitulos tutatus ab ursa est:

Ipse sed ingenti uulnere cassus obit.

Constituit uiridi tumulum de cespite Amyntas:

Hasc uoluit ratam prasmia habere fidem.

Moestra gemunt armenta: mali furesque lupique

Extincto hoc sibi iam cuncta licere putant.

A. NAVAGERO

 

XII. A Vénus

Ayant après long desir

Pris de ma doulce ennemie

Quelques arres du plaisir,

Que sa rigueur me dénie,

Je t'offre ces beaux oeillets,

Vénus, je t'offre ces roses,

Dont les boutons vermeillets

Imitent les lèvres closes,

Que j'ay baisé par trois fois,

Marchant tout beau dessoubs l'ombre

De ce buisson, que tu vois:

Et n'ay sceu passet ce nombre,

Pource que la mere estoit

Auprès de là, ce me semble,

Laquelle nous aguettoit:

De peur encores j'en tremble.

Or' je te donne des fleurs:

Mais si tu fais ma rebelle

Autant piteuse à mes pleurs

Comme à mes yeux elle est belle,

Un Myrte je dédiray

Dessus les rives de Loyre,

Et sur l'écorse escriray

Ces quatre vers à ta gloire:

Thenot sur ce bord icy,

A Venus sacre et ordonne

Ce myrte, et luy donne aussi

Ces troppeaux et sa personne.

Thyrsidis vota Veneri

Quod tulit optata tandem de Leucade, Thyrsis

Fructum aliquem, has uiolas dat tibi, sancta Venus.

Post sepem hanc sensim obrepens, tria basia sumpsi:

Nil ultra potui: nam prope mater crat.

Nunc uiolas, sed plena feram si uota, dicabo

Inscriptam hoc myrtum carmine, Diua, tibi:

Hanc Veneri myrtum Thyrsis, quod amore potitus,

Dedicat, atque una seque suosque greges.

A. NAVAGERO

 

XIII. Estrene d'un tableau

Ce tableau, que pour t'estrener,

Isabeau, je te veux donner,

Au vif rapporte mon visage

Autant qu'on vid onques image.

Qu'ainsi soit, regarde, Isabeau,

Comme je semble à mon tableau:

La couleur du protraict est blesme,

Et la mienne est tousjours de mesme:

Sans cueur il est, sans cueur je suis,

Je n'ay point eu de cueur depuis

Qu'amour l'ostant de ma puissance,

Le meit soubs ton obéissance.

Il est muet, si suis-je moy,

Quand je me trouve devant toy.

Bref, qui nous void, voir il luy semble

Deux Amans ou tableaux ensemble.

Nous sommes différents d'un poinct,

C'est qu'amour ne le brusle point.

Et quand il sentiroit la flamme

(Comme tout par ton oeil s'enflamme),

Ainsi que de moy malheureux

Son mal ne sera langoureux,

Et les flammes continuelles

Ainsi n'ardront point ses moëlles:

Au premier feu qu'il sentira,

Soudain en cendres il ira.

In imaginem sui, strenarum loco Hyellae missam

Quam tibi nunc Iani donamus, Hyella, calendis,

Exprimit hasc uultus parua tabella meos:

Nulla fuit cuiquam similis mage. Pallet imago:

Assiduus nostro pallor in ore sedet.

Est excors: sine corde et ego, quod pectore nostro

Ipse amor ereptum sub tua iura dedit.

Non loquitur: mihi sic tua cum datur ora tueri,

Torpet nescio quo lingua retenta metu.

Unum dissimile est nobis: foelicior uno est,

Tam sasua quod non uritur illa face.

Quod si etiam uretur, tuo enim sub lumine quicquam

Illassum flammis non licet ire tuis,

Non ut ego assiduo infoelix torrebitur igne:

In cinerem primo corruet illa foco.

A. NAVAGERO

 

XIV. Villanelle

En ce moys delicieux,

Qu'amour toute chose incite,

Un chacun à qui mieulx mieulx

La doulceur du temps imite,

Mais une rigueur despite

Me faict pleurer mon malheur.

Belle et franche Marguerite,

Pour vous j'ay ceste douleur.

Dedans vostre oeil gracieux

Toute doulceur est escritte,

Mais la doulceur de voz yeulx

En amertume est confite.

Souvent la couleuvre habite

Dessoubs une belle fleur.

Belle et franche Marguerite,

Pour vous j'ay ceste douleur.

Or puis que je deviens vieux,

Et que rien ne me profite,

Désespéré d'avoir mieulx,

Je m'en iray rendre hermite,

Je m'en iray rendre hermite,

Pour mieulx pleurer mon malheur.

Belle et franche Marguerite,

Pour vous j'ay ceste douleur.

Mais si la faveur des Dieux

Au bois vous avoit conduitte,

Où, desperé d'avoir mieulx,

Je m'en iray rendre hermite,

Peult estre que ma poursuite

Vous feroit changer couleur.

Belle et franche Marguerite,

Pour vous j'ay ceste douleur.

 

XV. Le combat d'Hercule et d'Achéloys

D'Ovide

Ce n'est icy que je chante

Les Titanes oultrageux,

Ny ceulx que la Grèce vante,

Ny le Troien courageux:

Je ne redy l'entreprise

De Turne et du filz d'Anchise,

Et si ne rechante pas

Tydé, Capanee, Adraste,

Ny les deux fils d'Iocaste,

Ny les thessales combats.

Icy je tais la proësse

Du double honneur de Clairmont,

Dont la brave hardiesse

Domta Mambrin, et Almont.

Je laisse encore derriere

Et l'une et l'autre Guerriere:

Je laisse le bon Roger,

Le Sericain, le Tartare,

Et la vaillance barbare

Du superbe roy d'Arger.

Mais bien je chante d'Alcide

Le labeur à ceste fois,

Qui domta la force humide

Des trois formes d'Acheloys:

D'Acheloys, ce brave fleuve,

Qui feit à son dam épreuve

De sa force et de son cueur,

Soubs un corps non veritable,

Contre le bras indomtable

De tant de monstres vainqueur.

La princesse Etolienne

Avoit domté soubs ses yeux

La grandeur Herculienne,

Et ce fleuve audacieux.

L'alliance de la belle

Mille autres encor appelle,

Mais tous cèdent à ces deux.

Acheloys premier s'addresse

Au père de la princesse,

Hault assis au milieu d'eux:

"Reçoy moy (dit-il) pour gendre,

Prince Calidonien.

- Mais plus tost veuille moy prendre

(Dict le grand Aonien):

Ta fille aura pour beaupère

Celuy qui le ciel tempere.

Mille monstres surmontez

Pour douaïre je luy donne:

Pour ton service j'ordonne

Ces bras non jamais domtez."

Achéloys dit au contraire:

"J'apporte ma déité,

Plus riche et digne douaïre

Que n'est pas l'humanité.

Je suis d'un grand fleuve prince,

Je traverse ta province

En mille tours fluctueux:

Du gras limon qui arrive

Dessus ma fertile rive,

Je rends tes champs fructueux.

Contre moy n'est irritee

La grand princesse des Dieux:

Je ne cognois Eurystée,

Ny son courage odieux:

Je ne me suis; feinct un pere

Par le crime de ma mere,

Ny tous ces monstres conquis.

Roy, donques ne veuille querre

Un gendre en estrange terre,

L'ayant chés toy tout acquis."

L'amy de Déïanire

A ces mots injurieux

Soudain embraze son ire,

Et d'un regard furieux:

"Toy (dit-il) trop plus adextre

Du parler que de la dextre,

Brave tant que tu voudras,

Ton braver ne me fait honte,

Pourveu que je te surmonte

Par la force de mes bras."

Disant ces mots, il desserre

Ces bras nerveux et charnus,

Jette sa masse par terre,

Et montre ses membres nuds:

Achéloys sa robbe verte

De jongs et roseaux couverte

S'arrache de sus le doz.

Chacun d'eulx baisse la teste,

Et à la luyte s'appreste,

De nerfz, de membres, et d'os.

Leurs paulmes ilz ensablonnent,

Et leurs doz contrecourbez

Des prises qu'ilz s'entredonnent,

Sont tous meurtriz et plombez.

Qui tient, qui lasche sa prise,

Qui par force, ou par surprise

Gaingne le dessoubs des bras,

Qui ses gembes entrelasse,

Qui sans bouger de sa place

Se tient ferme sur son pas.

Long temps Hercule s'efforce,

Long temps contre ses efforts

Acheloys a moins de force

Que de pesanteur de corps:

L'un en vain travaille et sue,

L'autre tardif se remue

Non moins ferme qu'une tour,

Ou qu'un rocher qui se fonde

Immobile contre l'onde,

Qui le bat tout à l'entour.

Icy quasi hors d'haleine

Ilz prenent un peu le vent,

Et puis retentent la peine,

Plus ahurtez que devant.

De piedz, de corps, bras et teste

L'un contre l'autre s'arreste:

Deux taureaux de mesme cueur

Fiers au combat se hazardent.

Les autres craintifz regardent,

Non asseurez du vainqueur.

Trois fois Hercule repousse

La poictrine d'Acheloys,

La roideur de sa secousse

Fut vaine jusqu'à trois fois:

A la quatrieme il s'élance,

Et de sa plus grand vaillance

Met son luyteur au dessoubz,

L'estreint, le hurte, le serre,

Et luy fait mordre la terre,

Accablé soubs ses genouz.

Le Fleuve se sentant moindre

Et d'addresse et de pouvoir,

A sa force voulut joindre

Le secours de son sçavoir.

Des mains d'Hercule il s'écoule,

Et faict serpent, qui se roule,

En longs cercles va glissant,

Siffle comme une sagette,

Dardant menu sa languette

En deux pointes finissant.

"C'est de mon berceau l'ouvrage,

Dit Hercule, et qui te fait

Si prodigue de courage

Soubs un serpent contrefait?

Quand bien tu te pourrois dire

De tous les serpens le pire,

Pourtant cest Hydre n'es-tu,

Cest Hydre, qui tant fertile

Gaingnoit d'un dommage utile

Deux chefz pour un abbatu.

Toy donc soubs forme empruntée

Pense-tu bien surmonter

Ceste puissance indomtee,

Qui sceut tel monstre domter?"

Ainsi se rioit Alcide

Jà tenant ce Dieu liquide,

Qui en vain se herissant,

Se demeine, et se travaille,

Pour sortir de la tenaille

Qui va sa gorge pressant.

Voicy la dernière épreuve,

Jà d'un miracle nouveau

S'estoit déguizé le Fleuve

Soubs la forme d'un taureau,

Qui rouant son oeil terrible

D'un long muglement horrible

Remasche un peu sa fureur,

Puis d'une course elancee

S'en vient la teste baissée,

Portant la fouldre, et l'horreur.

Mais celuy, dont le courage

Ne sentit onques la peur,

Attent bravement l'orage

De ce troisième labeur:

La gembe droitte il avance,

Et d'une egale ballance

Roidissant les bras ouvers,

Des deux cornes se fait maistre,

Et d'une secousse addextre

Vous met le fleuve à l'envers.

Mais l'ire, et la force à l'heure

Hercule tant anima,

Que de la corne meilleure

Le front il luy désarma.

Du pié luy donne en la panse,

Et la corne arriere lance,

Que les Naiades alors

Ont cherement recuillie,

Et l'ont richement remplie

De leurs plus riches trésors.

L'un pour le pris de sa peine

De son peuplier couronné

Sa doulce guerrière emmeine,

L'autre demeure ecorné:

Et se couronnant de saule,

Jusqu'au dessus de l'espaule

Se tappit dedans ses eaux,

Où vergongneux il essaye

Cacher sa nouvelle playe

De ses cannes, et roseaux.

 

XVI. Chant de l'amour et du primtemps

Icy je ne chante pas

De Mars la guerrière troppe,

Ny les horribles combats

Des deux Seigneurs de l'Europe.

Quelque plus heureux sonneur

Sonne l'immortelle gloire,

Qui doit consacrer l'honneur

De la Françoise victoire:

Chante l'Aigle abandonné

De son Espaigne fuytive,

Et le Croissant couronné

Menant la guerre captive.

Ce pendant la saincte erreur

D'une deité plus forte

Dira la doulce fueur

Qui hors de moy me transporte.

Amour le premier des Dieux

Formant ceste masse ronde,

D'un discord mélodieux

Lia les membres du monde.

Le ciel courbe il estendit

Dessus la terre abaissée,

Et la terre en l'air pendit

D'une rondeur balencée.

D'un ordre perpetuel

Il entretient et dispose

Par un désir mutuel

L'espèce de toute chose.

D'Amour soyez donq, mes chants,

A fin que dessus voz aeles

Je raze la fleur des champs

Des neuf filles immorteles.

Autant que me semble doulx

Le traict de ma flamme vive,

Autant mes vers, soyez-vous

Rempliz de doulceur naïve.

Le blanc taureau ravisseur

Dore la saison nouvelle,

Et en nouvelle doulceur

Mon amour se renouvelle.

Si les joyeux oyselets

Dessus les verdes fleurettes

Et par les bois nouvelets

Dégoysent leurs amourettes,

Pourquoy ne diray-je aussi

Le seul plaisir de ma vie,

Puis qu'amour le veult ainsi,

Et que le ciel m'y convie?

Le flambeau, dont les chaleurs

Ardent l'antique froidure,

De mille sortes de fleurs

Repeingt la jeune verdure:

Et le Dieu, qui mes desirs

Brusle d'une saincte flamme,

Mille sortes de plaisirs

Replante dedans mon ame.

Tout ce, qui l'hyver s'est veu

Morne, transi, froid, et blesme,

Sent maintenant ce doulx feu,

Et moy je suis le feu mesme.

Des fleuves les piedz glissans

Frappent leurs plus haultes rives,

Et les sommetz verdissans

Rehaulsent leurs testes vives:

Desjà les sepz tournoyans

Autour des branches verdoient,

Jà les verdz sillons ploians

Par les campaignes ondoient.

Bacchus, Priape et Ceres,

Palès, Vertumne, et Pomonne,

Et chaque Dieu des forests

Se prepare une couronne.

Tel fut le siecle doré,

Tel sera le nostre encore

Dessoubz le sceptre honoré

De Henry, qui le redore:

Despouillant de ses butins

La monstrueuse ignorance,

Pour accabler les mutins

Dessoubz les bras de la France.

O de quel bien redoublé

L'Europe sera saisie,

Si son repoz n'est troublé

Par le tyran de l'Asie!

Lors je seray le tesmoing

D'une victoire si belle,

Ce pendant un autre soing

Plus doulcement me r'appelle.

Amour, si ta déité,

Des déitez la plus saincte,

Fut dès ma nativité

En moy divinement peincte:

Si tu es tout bon, et beau,

Et si tu m'as faict notoire,

Que ton céleste flambeau

Ne jette point flamme noire:

De quelle riche couleur

Peindray-je ma poësie

Pour descrire la valeur

Que j'ay sur toutes choisie?

Tous les verds tresors des cieux,

Riche ornement de la plaine,

Représentent à mes yeux

L'object de ma doulce peine.

Je voy dedans ces oeillets

Rougir les deux lèvres closes

Dont les boutons vermeillets

Blesmissent le teinct des roses.

Je voy pallir dans ces liz,

Qui en longueur se blanchissent,

La nege des doigts polis,

Qui en dix perles finissent.

Voyant sur nostre sejour

La belle aulbe retournee,

Pour seréner d'un beau jour

La lumière nouveau-née,

Je voy le blanc et vermeil

De celle face tant claire,

Dont l'un et l'autre soleil

A mes tenèbres esclaire.

Voyant ces rayons ardents

Dessus le crystal de l'onde,

Qui frizent par le dedans

Le fond de l'arene blonde,

Je voy les ondes encor

De ces tresses blondelettes,

Qui se crespent dessous l'or

Des argentines perlettes.

Le sep, qui estreint si fort

De l'orme la branche neuve,

Armant l'un et l'autre bord

Du long rampart de mon fleuve,

Ressemble ces noeudz espars,

Qui sur le front de madame

Enlaçent de toutes parts

Mon cueur, mon corps, et mon ame.

Ce vent, qui raze les flancz

De la plaine coloree,

A longs souspirs doulx souflans,

Qui rident l'onde azuree,

M'inspire un doulx souvenir

De ceste haleine tant doulce,

Qui fait doulcement venir

Et plus doulcement repoulse

Les deux sommetz endurciz

De ces blancz coutaux d'ivoyre,

Comme les flots adoulciz,

Qui baisent les bords de Loyre.

L'argentin de ces ruisseaux

Qui paisiblement murmurent,

Soubz le fraiz des arbrisseaux

Qui les rivages emmurent,

Resent celle doulce voix,

Voix celeste, et nompareille,

Qui m'a plus de mille fois

Succé l'ame par l'oreille.

Vous donq' amoureux oyseaux,

Soit aux bois, soit aux campaignes,

Accordez au bruit des eaux,

Qui tumbent de ces montaignes:

Dont l'immortelle verdeur

De mille fleurs diapree

Embasme de son odeur

Le verd honneur de la pree.

Icy dedier je veulx

Un autel à ma Déesse,

Pour y consacrer les voeus

Que ma Muse luy addresse.

De fleurs et de rameaux verds

Sera la riche peinture,

Et la rondeur de mes vers

Y servira de ceinture.

Qu'il n'y ait en ce beau clos

Branche, qui ne reverdisse,

Bouton, qui ne soit déclos,

Ny herbe, qui ne florisse.

Jamais n'y faille le thyn,

L'oeillet, le lis, ny la rose,

Ny la fleur, qui au matin

Est ouverte, et au soir close.

Jamais n'y faille le miel,

Ny le laict, ny la rosee,

Et de la manne du ciel

Tousjours soit l'herbe arrosee.

Tousjours y facent leur tour

Les carrieres ondoyantes,

Tousjours les bois à l'entour

Courbent leurs cymes ployantes.

De nuict, sur l'humide front

Des fleurs de vermeil escrittes,

Y viennent danser en rond

Les Nymphes et les Charites.

De jour, lors que le Soleil

Darde sa flamme plus grande,

Y viennent prendre sommeil

Diane, et sa chaste bande.

Dessus les sièges herbuz

Pallisse la verde Olive,

Et le verd tronc de Phoebus

Y ait sa perruque vive.

Pasteurs, que de ces chappeaux

Chacun ait sa teste ceincte,

Mais n'y menez vos troppeaux,

Car toute l'herbe en est saincte.

 

XVII. Chant de l'amour, et de l'hyver

Ores, que mon Roy s'efforce,

Malgré l'hyver, et la force

D'Orion le pluvieux,

De suivre l'heur de sa gloire,

Et l'honneur de la victoire

Que luy promettent les Dieux,

Amour suivant l'entreprise

De sa despouille conquise

M'a guidé jusques icy:

Où sa déité compaigne

Suit par la veuve campaigne

Et mes pas, et mon soucy.

Les longs souspirs de ma plaincte,

Dessus la plaine depeincte

S'en volent de toutes parts,

Et des vents l'haleine forte

Evanouis les emporte

Parmy ce grand vague espars.

Ponthus, que l'amour affole

D'une erreur sainctement fole,

Ponthus, l'honneur Masconnoys,

Et toy, le plus grand qu'on voye,

Dont le sainct myrte verdoye

Dessus le bord Vandomoys:

Si encores vous allume

La fureur, qui vostre plume

Ballança d'un vol si hault,

Empennez les flancz de celle

Qui tire une plus basse aele,

De peur de prendre le sault.

Si autrefois j'ay faict dire

Au gay fredon de ma lyre

Le primtemps d'une beauté,

Il fault, il fault à ceste heure

Qu'éternellement je pleure

L'hyver d'une cruauté.

Puis qu'esloingnant la lumiere

De la beauté coustumiere

D'estre un soleil à mes yeux,

Je sens ma triste pensée

Ardentement englacée

D'un aquilon furieux.

L'Astre, dont la saincte flamme

Au plus joyeux de mon ame

Pluvoit un primtemps de fleurs,

Plus ne gresle en mon courage

Qu'un perpetuel orage

Et de souspirs et de pleurs.

Les pleurs et souspirs ensemble

Que sur la plaine j'assemble,

Croissent la pluie et les vents:

Et les pensers qui me gelent,

En mon estomac ne celent

Que sanglots s'entresuivans

Plus dru que ne chet la gresle,

Qui en petillant se mesle

Aux ondoyans tourbillons,

Quand la fureur de la bize

Casse, arrache, froisse, brise

L'honneur des jaunes sillons.

Plus furieuse ne vante

L'impitoyable tormente

Que deux vents contraires font,

Que diversement m'agitent

Mille souciz qui habitent

De mon cueur au plus profond.

Mais quelque soing adversaire

Qui s'oppose à son contraire,

Amour est tousjours vainqueur:

Tousjours celle, qui me lyme

Tient de mes pensers la cyme,

Comme royne de mon cueur.

Ainsi les eaux des montaignes,

Soudaine horreur des campaignes,

Vont un grand fleuve animer:

Luy, qui d'une vive source

Pique une plus brave course,

Les emporte dans la mer.

Bien que l'oeil, qui tout regarde,

Oeil, de qui la lampe darde

Les rayons de nostre jour,

N'ait rien veu encor au monde,

Qui perdurable se fonde

D'un immuable séjour:

Si void-il tousjours ma peine

Opinïastre et certaine,

Soit que du blanc ravisseur

Il dore la riche corne,

Soit qu'il entre au Capricorne

Par le cercle traverseur:

Dédaignant la face veuve

De la terre autrefois neuve,

Le chef vieillart des forests,

Des prez la toison mouillee,

Et la plaine despouillee

Du blond honneur de Cérès.

Comme autrefois la nature

Au plus gay de sa peinture

Me figuroit les beautez,

Dont le printemps de madame

Faisoit esclore en mon ame

Mille belles nouveautez.

Ainsi le ciel me r'apporte

Avecques la saison morte

Une mortelle froideur,

Pour estre eslongné de celle

Dont la divine estincelle

Tient ma vie en sa verdeur.

Je ne voy roc, ny montaigne,

Pré, rivière, ny campaigne,

Bois, ny solitaires lieux,

Antre, ruisseau, ny fonteine,

Qui la face de ma peine

Ne représente à mes yeux.

Je me plaings de ta nature,

Amour, veu que ta poincture

N'époinçonne les oyseaux

Fors en la saison nouvelle,

Lors que ta flesche cruelle

Sonde le plus creux des eaux.

Mais ta cruauté felonne

Tousjours, tousjours m'aiguillonne

D'un perpétuel retour,

Soit au temps de la froidure,

Soit que la jeune verdure

Déride le front du jour.

Heureux trois fois, voire quatre,

Le soldat qui va rabattre

D'Espagne le brave effort,

Et qui loing de sa province,

Devant les yeux de son prince.

S'acquiert une belle mort.

Heureuse, ô heureuse encore

La vive mort, qui decore

Les indomtez Chevaliers,

Qui sur un mont de gendarmes

Tumbent soubs le faix des armes

Au plus espais des milliers.

Voz mors tousjours honnorées

Seront des vostres pleurees,

Mon Roy vous regrettera:

Desjà la France en souspire,

Et la Vandomoise lyre

Vostre vertu chantera.

Mais moy chetif, qui demeure,

Helas! il fault que je meure

Non devant les yeux des Roys,

Sur la guerriere campagne

Rouge du sang de l'Espagne,

Mais soubs l'honneur de ces bois.

Bois tristes et solitaires,

De ma peine secretaires,

Où l'Amour, qui me conduit,

Au plus chauld de ses allarmes

Baigne souvent de mes larmes

L'humide sein de la nuict.

Là je resonge sans cesse

L'heureux soir, que ma Déesse

Lisoit la carte des cieux,

Au doigt me montrant la face

De mille flambeaux, qu'efface

Le double feu de ses yeux.

Là le tyran de ma vie

Sur ma liberté ravie

Exerce cent mille tors,

Là là ma doulce guerriere

Sourde à ma vaine priere

Me livre cent mille morts.

Je voy la fuyante suyte

D'une eau sillonnant sa fuyte

Au pié d'un rocher moussu,

Fendant le doz d'une pree

Estroittement emmuree

D'un double tertre bossu.

Sur l'un quelquefois ondoient

Mille sillons qui blondoient,

Sur l'autre sont les murs vieux,

Hideux de ronces, et d'hierre:

Séjour, qui le tige enserre

De mes maternelz ayeux.

Là mes cendres je dédie,

Mais à ces fleurs je supplie,

Et à ces herbes aussi,

Au myrte, au laurier encore,

Et à l'arbre, qui m'honore,

Ne croistre jamais icy.

Jamais n'y croissent les roses,

Ny les fleurettes descloses,

Jamais le rousoiant miel

N'y coule dessus ma tumbe:

Ou si quelque chose y tumbe,

Que ce soit l'ire du ciel.

Que les oiseletz s'y taisent,

Que les ruisseaux s'y appaisent,

Que l'an veuf de fleurs et fruicts

Autre saison n'y r'ameine,

Sinon l'horreur de ma peine,

Et l'hyver de mes ennuis.

Au croc d'une vieille souche,

Qui d'un doz courbé se couche

Dessus le front de ces eaux,

Soit ceste harpe attachee,

Indigne d'estre accrochee

A ces jeunes arbrisseaux.

Vous donq' troppe Délienne,

Et vous l'Acidalienne,

Cherchez ailleurs vos esbas.

Faunes, Satyres, Dryades,

Pour trepigner voz aubades

N'apportez icy voz pas.

Mais si quelqu'un d'adventure

Sur la triste sepulture

D'un pas errant est guidé,

Ces vers il y puisse lire

Engravez soubs une lyre,

Sur l'escorse au front ridé:

C'estoit la lyre Angevine

D'un que sa toute-divine

A conduit au dernier poinct,

Par une ennuieuse absence,

Pource qu'il n'eut la puissance

De vivre, et ne la voir point.

 

XVIII. De sa peine, et des beautez de sa dame

Il me plaist icy de peindre,

Mieulx que ne la sçauroit feindre

Un Apelle ingenieux,

Ma peine contr'imitee

Sur la belle Pasithee,

Seule idole de mes yeux.

C'est mon feu, c'est ma cordelle,

Mon froid, ma flesche mortelle;

C'est mon aigle devorant,

Qui m'ard, lie, englace, et blesse,

Et qui devore sans cesse

Mon cueur sans cesse mourant.

De l'oeil sort ma flamme vive,

L'or des cheveux me captive,

Par la rigueur suis gelé,

La main en cinq traicts s'allonge,

Et le cruel qui me ronge,

C'est ce petit Dieu aelé.

Vénus feit l'oeil que j'adore,

Son chef fut pris de l'Aurore,

Diane son cueur donna,

Pallas sa main tant prisée,

Et sur une ongle aguisée

Mon torment se façonna.

Son oeil les astres surmonte,

A l'or ses tresses font honte,

Le fer cede à sa rigueur,

Sa main l'alebastre passe,

Et sur le beau de sa face,

Se niche l'oiseau vaincueur,

Qui la seule mort doit craindre,

Onde pour ma flamme esteindre,

Main pour mes noeuds délacer,

Soleil pour ma glace fondre,

Pavois pour aux coups respondre,

Et voix pour l'oiseau chasser.

Pour me vanger je souhette

L'un se changer en planette.

L'autre en metal qui mieux luit,

Le tiers au cueur d'un vieil arbre,

Le quart en ivoyre, ou marbre,

Et l'autre en oiseau de nuict.

Ou que mes nerfz, et mes veines

Se transforment en fonteines,

Mon col en fer pour trencher,

En feu le froid qui m'englace,

Mon estomac en cuirasse,

Et mon cueur en un rocher.

 

XIX. A Olivier de Magni sur les perfections de sa dame

Quand je contemple les beautez

De tant de rares nouveautez,

Qui en ta Nymphe nompareille

Des cieux annoncent la merveille,

Il me semble voir les couleurs.

De tant et tant de belles fleurs

Que la jeune saison desserre

Du sein amoureux de la terre.

Icy le lis est blanchissant,

Là est la rose rougissant,

Et là est la plaine paree

De mainte autre fleur bigaree.

Et comme on void la teste bas

La vierge marchant pas à pas

Despouiller la rive fleurie

De verd email de la prairie,

Dont ayant son giron remply,

Elle d'un tortueux reply

Façonne une belle couronne,

Dont son beau chef elle environne:

Ainsi ta Muse çà et là,

Soingneuse cuillant tout cela

Qui fleurit en l'esprit de celle

Dont tu sens la vive estincelle,

Ayant choisi tout le plus beau,

Façonne le tour d'un chappeau,

Dont une couronne elle appreste.

Eternel honneur de ta teste.

Là donques, Magni, ce pendant

Que l'Amour va tes yeux bendant,

Chante d'Amour, et de la dame

Qui est maistresse de ton ame.

En vain tu tenteras les sons

De ces amoureuses chansons,

N'estant plus ta lyre allumée

De son ardeur accoustumée.

Ainsi quand la prophete horreur

Epoinçonne de sa fureur

Le cueur despit de la prestresse

Grondant sous le Dieu qui la presse,

Elle contraincte de chanter,

Ne cesse de se tormenter,

Et d'un mugler espovantable

Mesle l'obscur au véritable.

Mais quand le Dieu s'en est allé,

Soudain son courage affolé

Devient rassis, et la prophete

Clost soudain la bouche muette.

Croy moy, Magny, et je le sçay

Pource que j'en ay faict l'essay,

Mal voluntiers chante la bouche

De l'Amour qui au cueur ne touche.

Du temps que j'estois amoureux,

Rien que les souspirs langoureux

Ne me plaisoit, et rien ma lyre

Rien que l'Amour ne sçavoit dire.

Par tout je trouvois argument

De me feindre un nouveau torment,

Et ne trouvois roc ny fonteine

Qui ne representast ma peine.

Il me sembloit qu'antres et bois

Piteux respondoient à ma voix,

Et me sembloit que mes prieres

Arrestoient le cours des rivieres.

Il me sembloit que tout l'honneur,

Le beau, la glace, et le bon heur,

Fust coulé du ciel en la belle

Qui m'estoit doucement rebelle.

Toutes les roses et les lis,

Les oeillets freschement cueillis,

Toutes les perles, et encore

Tout ce qui luit dessous l'aurore:

Tout l'ivoyre, tout le crystal,

Et tout le plus riche metal,

Tout le marbre, tout le porphyre,

Et si rien plus beau se peult dire:

Tout le ciel n'eut assez esté

Pour bien descrire sa beauté,

Et n'estoit à ma peine egale

Celle d'un Sisyphe ou Tantale.

Bref, fust de nuict ou fust de jour,

Je ne songeois rien que l'Amour,

Et n'avois gravé dedans l'ame.

Autre protraict que de ma Dame.

Ainsi le malade alteré,

Qui d'un desir demesuré:

Demande l'eau, quand plus la fievre

A peingt la soif dessus sa levre:

Il ne se peingt dans le cerveau

Autre figure que de l'eau,

Et le feu qui brusle ses veines

Ne le faict songer qu'en fonteines.

Et rien je ne songeois aussi

Que l'object de mon doulx soucy,

Lors que mon ame longoureuse

Brusloit en sa fièvre amoureuse.

Mais depuis que l'age, et le soing,

Me faisant regarder plus loing,

M'osta ce voyle, et que les choses

Veritables se sont décloses,

J'ay rougy de me voir deceu,

Et depuis ma lyre n'a sceu

Chanter l'Amour, et rien ma Muse

Rient tant que l'Amour ne refuse.

Si est-ce pourtant que je puis

Me vanter qu'en France je suis

Des premiers qui ont ozé dire

Leurs amours sur la Thusque lyre.

Et mon Olive (soit ce nom

D'Olive veritable, ou non)

Se peult vanter d'avoir première

Salué la doulce lumiere.

Depuis, d'autres meilleurs esprits

Quittant plus hault oeuvre entrepris,

Ont (mais avecques plus de grace)

Couru par ceste mesme trace.

Entre lesquelz tes vers n'ont pas

Des derniers advancé leurs pas,

Vers bien dignes que lon leur donne

Un jour la plus belle couronne:

Pour avoir le premier de tous

Chanté l'Amour d'un style doulx,

Le traittant non en rude maistre,

Mais ainsi qu'un enfant doit estre:

Non comme ceulx, dont la grandeur

Eprise de plus haulte ardeur,

Ne peult trouver sinon à peine

Les accords d'une doulce veine.

Aussi chacun n'a pas les doigts,

L'archet, la lyre, ny la voix

Pour chanter l'Amour, et l'audace

Ne convient à la chose basse.

Quand Hercule amoureux filoit,

En filant souvent il souloit

Rompre les fuseaux, et sa dextre

A la masse estoit plus addextre.

Et cestuy-là, dont la fureur

N'est que pour la fouldre et l'horreur,

S'il fault que l'Amour il accorde

Bien souvent rompt plus d'une chorde.

Il est malaisé de changer

Son naïf en un estranger,

Et Achille entre les pucelles

Convenoit mal avecques elles.

Or donc Magny, puis que le ciel

A confict d'un attique miel

Tes vers sucrez, laisse les armes,

Et chante l'amour et tes larmes:

Estant certain, quoy que tu sois,

Qu'entre les poëtes François

Tu tiendras le lieu d'un Catulle,

D'un second Properce, ou Tibulle.

Mais moy que veulx-je plus chanter.

Pour nostre France contenter,

Si de tant d'amour qu'on souspire

La France ne faict plus que rire?

Et à bon droit, puis qu'en avant

Autant l'indocte que sçavant

Met son ouvrage, et que la France

Favorise encor l'ignorance.

Nostre François qui bassement

Se traynoit au commencement,

Soubs Henry, d'une audace honneste,

Oza premier lever la teste.

Mais depuis les premiers auteurs,

Un tas de sots imitateurs,

Enflans leurs vaines poësies

De monstrueuses fantasies,

Ont tout gasté: et ceulx qui ont

Le mieulx escrit, pource qu'ilz sont

Pressez de la tourbe ignorante,

Leur gloire n'est point apparente.

Donques, Magny, te tairas-tu?

Non, tu chanteras la vertu

De ton grand Avanson, qui use

De plu grand' doulceur à ta Muse,

Mariant au grave soucy

La Muse et la Musique aussi,

Comme un Mécène dont la gloire

Doit à Virgile sa memoire.

Le ciel, ains que tu fusses né,

T'avoit poëte destiné,

Et t'avoit destiné pour plaire

Au sçavant et au populaire.

Rare present, et qu'icy bas

Le ciel à tous ne donne pas:

Bien heureux celuy qui assemble

L'utile et le doulx tout ensemble.

Là donc, et d'un plus heureux son

Chante l'heur de ton Avanson

Qui d'une trompeuse asseurance

N'abusera ton esperance,

Defraudant ta simplicité

Du loyer qu'elle a mérité,

Et se fraudant de la louange

Que tu luy dois en contrechange.

Et que peult un homme de nom

Mieulx acheter qu'un beau renom?

L'honneur est le present plus rare,

Et tu n'es de grands biens avare.

Mais pourquoy fais-je un si long tour,

Ne voulant parler que d'Amour?

Tay-toy donc, ma lyre, ou accorde

Ton premier chant dessus ta chorde.

Et toy, Magny, puis que ton cueur

Sent encor l'Archerot vainqueur,

Chante d'Amour, et de la belle

Pendant que tu la trouves telle.

Tout ce que nous cachent les cieulx,

Tout ce que nous celent les Dieux,

Et tous les secrets que la terre,

Dedans ses abysmes enserre,

Tout cela que l'oeil apperçoit,

Tout cela que l'esprit conçoit,

Est du poëte, et l'escritture

N'est qu'une parlante peinture.

Or si l'Amour premierement

Courba sur notre firmament,

Ballançant et la terre et l'onde

D'une forme egalement ronde:

S'il est, comme chantent noz vers,

L'esprit moteur de l'Univers,

Et si les semences des choses

Sont en luy divinement closes:

Amour auquel tout est suject,

Du poëte est le seul object,

Et à bon droit celuy se vante

De tout chanter, qui l'Amour chante.

Donques, Magny, pour te vanter

Que tes vers sçavent tout chanter,

Chante l'Amour, et autre chose

Pour argument ne te propose.

Couronne tes affections

De la fleur des perfections.

Dont le ciel ta maistresse honnore

Comme une seconde Pandore.

Mais las, mon Magny, garde toy,

Si en quelque legere foy

Tu as ton amour arrestée,

D'estre un second Epimethee.

XX. Contre les petrarquistes

J'ay oublié l'art de Petrarquizer,

Je veulx d'Amour franchement deviser,

Sans vous flatter, et sans me deguizer:

Ceulx qui font tant de plaintes,

N'ont pas le quart d'une vraye amitié,

Et n'ont pas tant de peine la moitié,

Comme leurs yeux, pour vous faire pitié,

Jettent de larmes feintes.

Ce n'est que feu de leurs froides chaleurs,

Ce n'est qu'horreur de leurs feintes douleurs,

Ce n'est encor de leurs souspirs et pleurs

Que vents, pluye, et orages:

Et bref, ce n'est à ouir leurs chansons,

De leurs amours que flammes et glaçons,

Flesches, liens, et mille autres façons

De semblables oultrages.

De vos beautez, ce n'est que tout fin or,

Perles, crystal, marbre, et ivoyre encor,

Et tout l'honneur de l'indique thrésor,

Fleurs, lis, oeillets, et roses:

De vos doulceurs ce n'est que sucre et miel,

De voz rigueurs n'est qu'aloës, et fiel;

De vos esprits, c'est tout ce que le ciel

Tient de graces encloses.

Puis tout soudain ilz vous font mille tors,

Disant, que voir voz blonds cheveux retors,

Vos yeux archers, autheurs de mille mors,

Et la forme excellente

De ce que peult l'accoustrement couver,

Diane en l'onde il vaudroit mieux trouver,

Ou voir Meduze, ou au cours s'esprouver

Avecques Atalante.

S'il faut parler de vostre jour natal,

Vostre ascendant heureusement fatal

De vostre chef écarta tout le mal

Qui aux humains peult nuire.

Quant au trespas, sça'vous quand ce sera

Que vostre esprit le monde laissera?

Ce sera lors que là-hault on voyra

Un nouvel Astre luire.

Si pour sembler autre que je ne suis,

Je me plaisois à masquer mes ennuis,

J'irois au fond des éternelles nuictz

Plein d'horreur inhumaine:

Là d'un Sisyphe, et là d'un Ixion

J'esprouverois toute l'affliction,

Et l'estomac, qui pour punition,

Vit et meurt à sa peine.

De vos beautez, sça'vous que j'en dirois?

De voz deux yeux deux astres je ferois,

Voz blonds cheveux en or je changerois,

Et voz mains en ivoyre:

Quant est du teinct, je le peindrois trop mieux

Que le matin ne colore les cieux:

Bref, vous seriez belles comme les Dieux,

Si vous me vouliez croire.

Mais cest Enfer de vaines passions,

Ce Paradis de belles fictions.

Deguizemens de noz affections,

Ce sont peinctures vaines:

Qui donnent plus de plaisir aux lisans

Que vos beautez à tous voz courtisans,

Et qu'au plus fol de tous ces bien-disans,

Vous ne donnez de peines.

Voz beautez donq leur servent d'argumens,

Et ne leur fault de meilleurs instrumens,

Pour les tirer tous vifz des monumens:

Aussi, comme je pense,

Sans qu'autrement vous les récompensez

De tant d'ennuis mieux escrits que pensez,

Amour les a de peine dispensez,

Et vous de recompense.

Si je n'ay peingt les miens dessus le front,

Et les assaults que voz beautez me font,

Si sont-ilz bien gravez au plus profond

De ma volunté franche:

Non comme un tas de vains admirateurs,

Qui font ainsi par leurs souspirs menteurs

Et par leurs vers honteusement flateurs

Rougir la carte blanche.

Il n'y a roc, qui n'entende leur voix,

Leurs piteux cris ont faict cent mille fois

Pleurer les monts, les plaines, et les bois,

Les antres, et fonteines:

Bref, il n'y a ny solitaires lieux,

Ny lieux hantez, voyre mesmes les cieux,

Qui çà et là ne montrent à leurs yeux

L'image de leurs peines.

Cestuy-là porte en son cueur fluctueux

De l'Océan les flots tumultueux,

Cestuy l'horreur des vents impetueux

Sortans de leur caverne:

L'un d'un Caucase, et Montgibel se plaingt,

L'autre en veillant plus de songes se peingt,

Qu'il n'en fut onq en cest orme, qu'on feinct

En la fosse d'Averne.

Qui contrefaict ce Tantale mourant

Bruslé de soif au milieu d'un torrent:

Qui repaissant un aigle dévorant,

S'accoustre en Promethee:

Et qui encor par un plus chaste voeu,

En se bruslant, veult Hercule estre veu,

Mais qui se mue en eau, air, terre et feu,

Comme un second Protee.

L'un meurt de froid, et l'autre meurt de chault,

L'un vole bas, et l'autre vole hault,

L'un est chetif, l'autre a ce qu'il luy fault,

L'un sur l'esprit se fonde,

L'autre s'arreste à la beauté du corps:

On ne vid onq si horribles discords

En ce cahos, qui troubloit les accords

Dont fut basty le monde.

Quelque autre après, ayant subtilement

Trouvé l'accord de chacun élément,

Façonne un rond tendant egalement

Au centre de son ame:

Son firmament est peinct sur un beau front,

Tous ses désirs sont balancez en rond,

Son pole Artiq' et Antartiq', ce sont

Les beaux yeux de sa Dame.

Cestuy, voulant plus simplement aymer,

Veult un Properce, et Ovide exprimer,

Et voudroit bien encor se transformer

En l'esprit d'un Tibulle:

Mais cestuy-là, comme un Petrarque ardent,

Va son amour et son style fardant,

Cest autre après va le sien mignardant,

Comme un second Catulle.

Quelque autre encor la terre dedaignant

Va du tiers ciel les secrets enseignant,

Et de l'Amour, où il se va baignant,

Tire une quinte essence:

Mais quant à moy, qui plus terrestre suis,

Et n'ayme rien, que ce qu'aymer je puis,

Le plus subtil, qu'en amour je poursuis,

S'appelle jouissance.

Je ne veulx point sçavoir, si l'amitié

Prit du facteur, qui jadis eut pitié

Du pauvre Tout fendu par la moitié,

Sa celeste origine:

Vous souhaitter autant de bien qu'à moy,

Vous estimer autant comme je doy,

Avoir de vous le loier de ma foy,

Voilà mon Androgyne.

Noz bons ayeulx, qui cest art demenoient,

Pour en parler, Pétrarque n'apprenoient,

Ains franchement leur Dame entretenoient

Sans fard ou couverture:

Mais aussi tost qu'Amour s'est faict sçavant,

Luy, qui estoit François au paravant,

Est devenu flatteur, et decevant,

Et de Thusque nature.

Si vous trouvez quelque importunité

En mon amour, qui vostre humanité

Préfère trop à la divinité,

De voz graces cachees,

Changez ce corps, object de mon ennuy:

Alors je croy que de moy ny d'autruy,

Quelque beauté que l'esprit ait en luy,

Vous ne serez cherchees.

Et qu'ainsi soit, quand les hyvers nuisans

Auront seiché la fleur de voz beaux ans,

Ridé ce marbre, esteinct ces feuz luisans,

Quand vous voirez encore

Ces cheveux d'or en argent se changer,

De ce beau sein l'ivoyre s'allonger,

Ces lis fanir, et de vous s'estranger

Ce beau teinct de l'Aurore,

Qui pensez-vous qui vous aille chercher,

Qui vous adore, ou qui daigne toucher

Ce corps divin, que vous tenez tant cher?

Vostre beauté passee.

Ressemblera un jardin à noz yeux

Riand naguère aux hommes, et aux Dieux,

Ores faschant de son regard les cieux

Et l'humaine pensee.

N'attendez donq que la grand faux du Temps

Moissonne ainsi la fleur de voz primtemps,

Qui rend les Dieux, et les hommes contents:

Les ans, qui peu séjournent,

Ne laissent rien, que regrets et souspirs,

Et empennez de nos meilleurs désirs,

Avecques eux emportent noz plaisirs,

Qui jamais ne retournent.

Je ry souvent, voiant pleurer ces fouls,

Qui mille fois voudroient mourir pour vous,

Si vous croyez de leur parler si doulx

Le parjure artifice:

Mais quant à moy, sans feindre ny pleurer,

Touchant ce poinct, je vous puis asseurer,

Que je veulx sain et dispos demeurer,

Pour vous faire service.

De voz beautez je diray seulement,

Que si mon oeil ne juge folement,

Vostre beauté est joincte également

A vostre bonne grace:

De mon amour, que mon affection

Est arrivée à la perfection

De ce qu'on peult avoir de passion

Pour une belle face.

Si toutefois Petrarque vous plaist mieux,

Je reprendray mon chant melodieux,

Et voleray jusq'au séjour des Dieux

D'une aele mieux guidee:

Là dans le sein de leurs divinitez

Je choisiray cent mille nouveautez,

Dont je peindray vos plus grandes beautez

Sur la plus belle Idee.

 

XXI. Elégie d'amour

S'il m'en souvient, vous me distes un jour,

En vous tenant quelque propos d'Amour,

Que vous n'estiez de si léger courage

Que de juger du cueur par le visage,

Qu'amour si tost ne se peult enflammer,

Qu'il fault premier cognoistre que d'aymer,

Et que hastif je voulois faire gerbe

D'une moisson qui est encor en herbe.

Voz argumens sont fort à redoubter,

Mais s'il vous plaist mes raisons escouter,

Vous cognoistrez qu'à vaincre ilz sont faciles,

Et qu'ilz ne sont ny Hectors ny Achilles.

Quant au premier, je ne veulx soustenir

Que vous deviez pour oracle tenir

Tout ce qu'on dict, ny que (soit vraye ou feincte)

Dessus le front tousjours l'amour soit peincte.

Les cueurs humains un labyrinthe sont,

Qui maints destours, maintes cachettes ont,

Où l'on se perd, qui n'a le fil pour guide

D'un bon esprit et jugement solide.

Or avez-vous l'esprit si cler-voyant,

Que nul destour, tant soit-il fourvoyant,

Voz pas certains pouroit tromper en sorte,

Qu'ilz n'ay'nt tousjours la raison pour escorte.

Vos yeux, ma Dame, ont pouvoir de perser

La nue espesse, et le ciel traverser,

Passer le roc, sonder le creux de l'onde,

Et voyager soubs la terre profonde.

Qui pouroit donc empescher leur vigueur

De penetrer au plus profond d'un cueur,

Et là au vray descouvrir la pensée

D'un amoureux, s'elle est saine ou blessée?

Quant est de moy, je ne pris onq plaisir

A contre-faire un amoureux desir,

Comme ceulx-là qui ayment par la plume,

Et, sans aymer, font l'amour par coustume.

Je ne suis point si subtil artizan,

Que de pouvoir d'un parler courtizan

D'un faulx souspir, et d'une larme feincte,

Montrer dehors une amitié contraincte;

Dissimulant mon visage par art,

Car je ne suis ny Tuscan, ny Lombard.

Qu'amour si tost en noz cueurs ne s'enflamme,

Certainement je confesse, ma Dame,

Que qui de soy ne peult enflammer,

Le temps luy sert de beaucoup à aymer:

Et n'a dict mal, qui dict qu'à sa naissance

L'amour est foyble, et de peu de puissance.

Mais il s'entend de ces froides amours

Qui sont ainsi qu'on void un petit ours,

Lequel n'est rien qu'une masse difforme,

A qui sa mere en lechant donne forme.

Le vray amour naist du premier regard;

Et ne veult point se façonner par art:

Et c'est pourquoy ces moitiez separees,

Estans jadis par le monde egarees,

Se retrouvant si bien se rejoingnoient,

Que jamais plus elles ne s'esloingnoient.

J'ay plusieurs poincts, que je pourois induire

A ce propos, si je voulois deduire

Ce faict au long, et demonstrer comment

L'amour s'engendre en nous premièrement,

Quelle est sa fin, son essence, et nature,

D'où vient souvent qu'on ayme à l'aventure

Un incogneu, et ne sçait-on pourquoy,

Fors que l'on trouve en luy je ne sçay quoy,

Qui à l'aymer par force nous incite;

Comme le fer, qui suyt la calamite.

Je parlerois d'autres sortes d'amours,

Mais ce propos est de trop long discours,

Et me suffit vous avoir faict cognoistre

Que par le temps mon amour ne peult croistre.

Quand à vouloir faire preuve de moy,

Si vous vouliez pour gage de ma foy

Ma propre vie, ayant receu tel gage,

Vous auriez faict à vous-mesmes dommage,

Perdant en moy un fidèle servant,

Qui ne vous peult servir, s'il n'est vivant.

Je suis content d'endurer mille peines,

Mille souspirs, mille complaintes vaines,

Mille desdaings, et refus rigoureux,

Si autrement on n'est point amoureux:

Mais s'il vous plaist imiter la clemence

De cestuy-là, dont la bonté immense

Ayant esgard à nostre infirmité

Nous donne plus que n'avons merité;

Vous me ferez de vous-mesmes la grace

Que sans mérite envers vous je pourchasse:

Sans qu'avec peine et longue passion

J'ayë vers vous moindre obligation;

Comme j'aurois, et telle jouissance

Ne seroit grace, ains plus tost recompense.

Quant à vouloir en herbe moissonner

Ce qu'en espy vous me pourriez donner

Avec le temps, si j'avois la science

De le gaingner avecques patience,

Je ne vouldrois qu'on me peust reprocher

Que les fruicts verds je voulusse arracher,

Ne que si fol ou si hastif je feusse,

Que leur saison attendre je ne peusse:

Mais ne peult-on l'amour assaisonner,

Comme les fruicts, et par art luy donner

Maturité, sans bien souvent attendre

Si longuement, pour le trouver plus tendre,

Que par le temps, ou autre deffaveur

Il ayt perdu le goust et la saveur?

Les fruicts d'amour sont de nature telle,

Qu'ilz plaisent plus en leur saison nouvelle

Qu'en leur hyver, d'autant que leur verdeur

Ne se meurit jamais par la froideur,

Et n'ont le goust ny la couleur si franche,

Quand de soymesme ilz tumbent de la branche.

L'amour, ma Dame, en mon affection

Est arrivé à sa perfection,

Et ne pouroit ny le temps n'y l'usage

Y adjouter un seul poinct d'avantage.

Donques pourquoy en sont les fruicts trop verds?

Prenez le cas que cinq ou six hyvers

Soi'nt jà passez, et qu'avec longue peine

Ilz soi'nt venus en accroissance pleine:

De les cuillir on me peult dispenser,

C'est le moyen, pour l'amour avancer.

 

XXII. Chanson

Si vous regardez, ma Dame,

Sans plus à vostre grandeur,

Vous dedaignerez l'ardeur

Dont vostre beauté m'enflamme:

Veu que digne je ne suis

Du grand bien que je poursuis.

Vous direz (et je confesse

Que vous direz verité)

Que ma basse qualité

N'egale vostre hautesse,

Et que mon affection

N'est qu'une presumption.

Mais si vous jugez la force

Dont procède mon ennuy,

Et combien est fol celuy

Qui contre l'Amour s'efforce,

Vous direz mon amitié

Estre digne de pitié.

Le devoir de reverence

Se doit garder en tout lieu,

Mais tousjours ce petit Dieu

Ne faict telle différence:

Il est aveugle, et n'a point

D'esgard à ceux-là qu'il poingt.

Que la verité soit telle,

Je n'allégueray les Dieux,

Qui sont descendus des cieux

Pour une beauté mortelle:

Je ne veulx pour m'excuser

A ces fables m'amuser.

Du beau pasteur de Latmie

L'exemple me suffiroit,

Qui en dormant attiroit

Du ciel la Lune s'amye:

Mais je ne demande pas

Que vous descendez si bas.

Si grande n'est mon audace

D'oser si hault aspirer,

Ne de vouloir esperer

Plus que vostre bonne grace:

Mon cueur ne voudroit penser

Rien qui vous peust offenser.

Le loyer de mon service,

Si rien je puis desservir,

C'est que seulement servir

De vostre gré je vous puisse:

Et que m'ottroyez ce bien,

Puis qu'il ne vous couste rien.

Allégant pour ma défense,

Que les royales hauteurs

Tousjours des bas serviteurs.

N'ont eu l'amour pour offense:

Et qu'Amour et majesté

Souvent ensemble ont esté.

Si la loy d'Amour est telle

Qu'on ne doive s'abbaisser,

Vostre grandeur doit laisser

Toute chose au dessous d'elle,

Pour ce que rien entre nous

Ne sera digne de vous.

Mais si vous suyvez l'exemple

Des Dieux, qui n'ont à dédain

Que d'un rustique la main

Des voeux présente à leur temple,

Comme eulx vous prendrez à gré

Mon cueur à vous consacré.

J'entens si vostre excellence

Digne de l'amour d'un Roy,

Vostre grandeur, et ma foy

Met en egale ballence,

Puis qu'en cela j'ay tant d'heur

D'égaler vostre grandeur.

Si un Prince vous honore,

Ce n'est grande nouveauté:

Il prend bien la privauté.

Du plus désirer encore:

Et croid que tout ce qu'il veult,

Refuser on ne luy peult.

Mais celuy qui hors d'attente

De sa requeste obtenir,

Sans espoir de parvenir

De sa peine se contente,

On peult dire seurement

Qu'il ayme fidelement.

Suspecte est l'amour des princes,

Et de ces amours de court

Souvent le bruit, qui en court

Faict la fable des provinces:

Qui ayme plus grand que soy,

Luy mesme se donne loy.

De moy vous ne devez croire,

Que de ma felicité

Par quelque legereté

Jamais je me donne gloire:

Je sçay la punition

Du malheureux Ixion.

Je sçay la peine d'Anchise:

Et sçay... mais je ne veulx point

Discourir quant à ce poinct

De garder la foy promise.

Je ne veulx rien obtenir

Qu'on doive secret tenir.

Au fort, Dame, s'il vous semble

Qu'on ne me doive excuser,

Veuillez plus tost accuser

Et vous, et l'Amour ensemble:

Et Dieu qui de vous a faict

Un chef d'oeuvre trop parfaict.

Cela vous doit estre preuve

De vostre perfection,

Puis que toute affection

De vous esclave se treuve:

Ne vous faictes estimer,

Ou bien vous laissez aymer.

Si mon cueur a faict offense.

De s'estre à vous attaché,

Amour a faict le peché,

Et j'en fais la penitence:

Un peché, selon les loix,

Ne se doit punir deux fois.

Vous me pouvez bien, ma Dame,

Commander de vous voir,

Mais non de ne vous avoir

Tousjours engravee en l'ame:

Puis qu'Amour avec son traict

Luymesme en fit le protraict.

Il fault donc qu'il y demeure:

Aussi ay-je ferme foy

De l'emporter avec moy,

Quand il fauldra que je meure:

Me vantant le plus heureux

De tous loyaulx amoureux.

 

XXIII. Bayser

Sus ma petite Columbelle,

Ma petite belle rebelle,

Qu'on me paye ce qu'on me doit:

Qu'autant de baysers on me donne,

Que le poëte de Véronne

A sa Lesbie en demandoit.

Mais pourquoy te fay-je demande

De si peu de bayser, friande,

Si Catulle en demande peu?

Peu vrayment Catulle en désire,

Et peu se peuvent-ilz bien dire,

Puis que compter il les a peu.

De mille fleurs la belle Flore

Les verdes rives ne colore,

Ceres de mille espicz nouveaux

Ne rend la campagne fertile,

Et de mille raisins, et mille

Bacchus n'emplit pas ses tonneaux.

Autant donc que de fleurs fleurissent,

D'espicz et de raysins meurissent,

Autant de baysers donne-moy:

Autant je t'en rendray sur l'heure,

Afin qu'ingrat je ne demeure

De tant de baysers envers toy.

Mais sçais-tu quelz baysers, mignonne?

Je ne veulx pas qu'on les me donne

A la Françoise, et ne les veulx

Tels que la Vierge chasseresse

Venant de la chasse les laisse

Prendre à son frère aux blonds cheveux:

Je les veulx à l'italienne,

Et telz que l'Acidalienne

Les donne à Mars son amoureux:

Lors sera contente ma vie,

Et n'auray sur les Dieux envie,

Ny sur leur nectar savoureux.

Ad amicam

Da mihi tu, mea lux, tot basia rapta petenti,

Quot dederat uati Lesbia blanda suo.

Sed quid pauca peto, petiit si pauca Catullus

Basia? pauca quidem, si numerentur, erunt.

Da mihi, quot coelum stellas, quot litus arenas,

Siluaque quot frondes, gramina campus habet:

Aëre quot uolucres, quot sunt et in asquore pisces:

Quot noua Cecropias mella tuentur apes.

Hasc mihi si dederis, spernam mensasque Deorum,

Et Ganymedea pocula sumta manu.

SANNAZAR

 

XXIV. Autre Bayser

Quand ton col de couleur de rose

Se donne à mon embrassement,

Et ton oeil languist doulcement

D'une paupière à demy close,

Mon ame se fond du desir

Dont elle est ardentement pleine,

Et ne peult souffrir à grand peine

La force d'un si grand plaisir.

Puis quand j'approche de la tienne

Ma levre, et que si près je suis,

Que la fleur recuillir je puis

De ton haleine ambrosienne:

Quand le souspir de ces odeurs,

Où noz deux langues qui se jouënt

Moitement folastrent et nouënt,

Evente mes doulces ardeurs,

Il me semble estre assis à table

Avec les Dieux, tant suis heureux,

Et boire à longs traicts savoureux

Leur doulx breuvage délectable.

Si le bien qui au plus grand bien

Est plus prochain, prendre on me laisse,

Pourquoy ne permets-tu, maistresse,

Qu'encores le plus grand soit mien?

As-tu peur que la jouissance

D'un si grand heur me face Dieu,

Et que sans toy je vole au lieu

D'eternelle resjouissance?

Belle, n'aye peur de cela,

Par tout où sera ta demeure,

Mon ciel jusqu'à tant que je meure;

Et mon paradis sera là.

Basia Faustinae

Cum tu ad basia nostra sic reflectis

Ceruicem niueam, Columba, pasti

Molle ut nescio quid natent ocelli,

Proe desiderio mihi liquescit

Ipsa pene anima, in tuumque sensim

Prorsus exanimis sinum relabor.

Admotis sed, ubi hinc et hinc labellis,

Udo tramite mutuum recursant

Linguas, et ambrosios anhelo ab ore

Flores carpere mi licet beato,

Tunc mi, tunc uideor Iouis tonantis

Assidere epulis, sacrumque nectar

Haurire intrepide, Deum sodalis.

Si summis bona proxima, o Columba,

Prasbes tam facilis beato amanti,

Cur tu summa negas misello, et una

Misellum facis, et facis beatum?

Num forsan metuis Deus fruendo

Ipse ne efficiar, uelimque solus

Te sine Elysios uidere campos?

Hunc, hunc pone metum, uenusta, bella,

Vitas dimidium meas Columba:

Nam quascunque oculos tuos tenebit

Sedes, illa mihi domos Deorum

Et campos referet beatiores.

DU BELLAY, Poemata

 

XXV. Complainte des Satyres aux nymphes

Du Bembe

Dictes, Nymphes, pourquoy tousjours

Vous allez fuyant noz amours.

Ont les Satyres quelque enseigne,

Qui merite qu'on les dédaigne?

Si nos avons le front cornu,

Bacchus aux cornes est cogneu:

Et la pucelle Candienne

Ne dedaigne point d'estre sienne.

Si nostre teinct est rougissant,

Phoebus ne l'a pas blanchissant:

Et Clymene qui le feit pere,

Par luy n'a honte d'estre mere.

Si nous portons barbe au menton,

Tel encor Hercule void-on:

Et toutefois Deïanire

De luy sa bouche ne retire.

Si nostre estomac est velu,

Mars, comme nous, l'avoit pelu:

Pourtant n'en faisoit point de plaincte

Ilie, qui en feut enceincte.

Si noz pieds vous semblent honteux,

Est-il rien plus laid qu'un boyteux?

Toutefois, ô Cypris la belle,

Un boyteux sa femme t'appelle.

Bref, si nature nous a faicts

En quelques choses imparfaicts,

Si sont telz vices excusables,

Puis qu'au ciel ilz ont leurs semblables.

Mais vous, qui n'aymez que pour l'or

(Comme toutes femmes encor),

Nous dédaignez, et n'estes chiches

A ceux-là, qui sont les plus riches.

Faunus ad Nymphas

Dicite cur nostros, Nymphas, fugiatis amores:

Quid Faunus, quo sic despiciatur, habet?

Cornua si mihi sunt, sunt et sua cornua Baccho

Inques sinus uocat hunc Cressa puella suos.

Ignea si frons est, an non frons ignea Phoebo est?

Hoc tamen est Clymene facta parente parens.

Barba riget suffusa genis: dedit improba saspe

Oscula barbato Deïanira uiro.

Intonso densoque tegor prascordia uillo:

Nil ideo Marti est Ilia questa suo.

Capripedem arguitis: quid claudo turpius? at tu

Nupsisti claudo Cypria pulchra Deo.

Denique, si qua meas pars est non bella figuras,

Exemplum a coelo, quod capiatis, habet.

Sed uos nimirum mortalia facta sequutas,

Omnis quando auro conciliatur amor,

Pastorum et pecoris tenui custode repulso

Quasritis a magnis munera magna Deis.

P. BEMBO

 

XXVI. Sur un chappelet de roses

Du Bembe

Tu m'as faict un chappeau de roses,

Qui semblent tes deux levres closes,

Et de lis freschement cuillis,

Qui semblent tes beaux doigts polis,

Les liant d'un fil d'or ensemble,

Qui à tes blonds cheveux resemble.

Mais si jeune tu entendois

L'ouvrage, qu'ont tyssu tes doigts,

Tu serois, peult estre, plus sage

A prévoir ton futur dommage.

Ces roses plus ne rougiront,

Et ces lis plus ne blanchiront:

La fleur des ans, qui peu sejourne,

S'en fuit, et jamais ne retourne,

Et le fil te monstre combien

La vie est un fragile bien.

Pourquoy donc m'es-tu si rebelle?

Mais pourquoy t'es-tu si cruelle?

Si tu n'as point pitié de moy,

Ayës au moins pitié de toy.

Iolas ad faunum

Mollibus Alcippe uernantia sera genistis

Collis ab usque iugo fert tibi, Faune, sui.

Ut uidi, buc amens summo de monte cucurri:

Aspice, perculso quam tibi corde loquor.

Nunc adeo, si saspe tuos cantauimus ignes,

Affer opem flammas, tu quoque, Diue, meas.

Formosi cum te floris uelabit honore,

Hasc illi dicas, ut tua uerba, precor:

Alcippe, miserum fastu quas perdis Iolam,

Teque simul tacito fallis inepta dolo,

Munera, quas portas, bene si tibi nota fuissent,

Damni te poterant admonuisse tui.

Nec reflorescunt, quas iam cecidere, genistas:

Nec redeunt, qui iam prasteriere, dies.

Quod si nulla mei tangit te cura poetas,

Ah! saltem formas parce puella tuas.

P. BEMBO

XXVII. Epitaphe d'un petit chien

Dessous ceste motte verte

De lis et roses couverte

Gist le petit Peloton,

De qui le poil foleton

Frisoit d'une toyson blanche

Le doz, le ventre, et la hanche.

Son nez camard, ses gros yeux

Qui n'estoient point chassieux,

Sa longue oreille velue

D'une soyë crespelue,

Sa queue au petit floquet

Semblant un petit bouquet,

Sa gembe gresle, et sa patte

Plus mignarde qu'une chatte

Avec ses petits chattons,

Ses quatre petits tetons,

Ses dentelettes d'ivoyre,

Et la barbelette noyre

De son musequin friand,

Bref tout son maintien riand

Des pieds jusques à la teste,

Digne d'une telle beste,

Méritoient qu'un chien si beau

Eust un plus riche tumbeau.

Son exercice ordinaire

Estoit de japper et braire,

Courir en hault et en bas,

Et faire cent mille esbas,

Tous estranges et farouches,

Et n'avoit guerre qu'aux mousches,

Qui luy faisoient maint torment:

Mais Peloton dextrement

Leur rendoit bien la pareille:

Car se couchant sur l'oreille,

Finement il aguignoit

Quand quelqu'une le poingnoit:

Lors d'une habile soupplesse

Happant la mouche traitresse,

La serroit bien fort dedans,

Faisant accorder ses dens

Au tintin de sa sonnette,

Comme un clavier d'espinette.

Peloton ne caressoit

Si non ceulx qu'il cognoissoit,

Et n'eust pas voulu repaistre

D'autre main que de son maistre:

Qu'il alloit tousjours suyvant,

Quelquefois marchoit devant,

Faisant ne sçay quelle feste,

D'un gay branlement de teste.

Peloton tousjours veilloit

Quand son maistre sommeilloit,

Et ne souilloit point sa couche

Du ventre ny de la bouche,

Car sans cesse il gratignoit

Quand ce désir le poingnoit:

Tant fut la petite beste

En toutes choses honneste.

Le plus grand mal, ce dict-on,

Que feist nostre Peloton

(Si mal appellé doit estre),

C'estoit d'esveiller son maistre,

Jappant quelquefois la nuict,

Quand il sentoit quelque bruit;

Ou bien le voyant escrire,

Sauter, pour le faire rire,

Sur la table, et trepigner,

Follastrer, et gratigner,

Et faire tumber sa plume,

Comme il avoit de coustume.

Mais quoy? nature ne faict

En ce monde rien parfaict,

Et n'y a chose si belle,

Qui n'ait quelque vice en elle.

Peloton ne mangeoit pas

De la chair à son repas:

Ses viandes plus prisées,

C'estoient miettes brisées,

Que celuy, qui le paissoit

De ses doigts amollissoit:

Aussi sa bouche estoit pleine

Tousjours d'une doulce haleine

Mon dieu quel plaisir c'estoit,

Quand Peloton se grattoit,

Faisant tinter sa sonnette

Avec sa teste folette!

Quel plaisir, quand Peloton

Cheminoit sur un baston,

Ou coifé d'un petit linge,

Assis comme un petit singe,

Se tenoit mignardelet

D'un maintien damoiselet!

Ou sur les pieds de derrière,

Portant la pique guerrière

Marchoit d'un front asseuré,

Avec un pas mesuré!

Ou couché dessus l'eschine,

Avec ne sçay quelle mine

Il contrefaisoit le mort!

Ou quand il couroit si fort,

Qu'il tournoit comme une boule,

Ou un peloton, qui roule!

Bref, le petit Peloton

Sembloit un petit mouton:

Et ne feut onc creature

De si benigne nature.

Las, mais ce doulx passetemps

Ne nous dura pas long temps:

Car la mort ayant envie

Sur l'ayse de nostre vie,

Envoya devers Pluton

Nostre petit Peloton,

Qui maintenant se pourmeine

Parmy ceste umbreuse plaine,

Dont nul ne revient vers nous.

Que mauldictes soyez-vous,

Filandieres de la vie,

D'avoir ainsi par envie

Envoyé devers Pluton

Nostre petit Peloton:

Peloton qui estoit digne

D'estre au ciel un nouveau signe,

Tempérant le Chien cruel

D'un primtemps perpetuel.

 

XXVIII. Epitaphe d'un chat

Maintenant le vivre me fasche:

Et à fin, Magny, que tu sçaiche'

Pourquoy je suis tant esperdu,

Ce n'est pas pour avoir perdu

Mes anneaux, mon argent, ma bource:

Et pourquoy est-ce donques? pource

Que j'ay perdu depuis trois jours

Mon bien, mon plaisir, mes amours:

Et quoy? ô souvenance greve!

A peu que le cueur ne me creve

Quand j'en parle ou quand j'en escris:

C'est Belaud mon petit chat gris,

Belaud, qui fut paraventure

Le plus bel oeuvre que nature

Feit onc en matiere de chats:

C'estoit Belaud la mort aux rats,

Belaud, dont la beauté fut telle,

Qu'elle est digne d'estre immortelle.

Donques Belaud premierement

Ne fut pas gris entierement,

Ny tel qu'en France on les void naistre,

Mais tel qu'à Rome on les void estre,

Couvert d'un poil gris argentin,

Ras et poly comme satin,

Couché par ondes sur l'eschine,

Et blanc dessous comme une ermine.

Petit museau, petites dens,

Yeux qui n'estoient point trop ardens,

Mais desquelz la prunelle perse

Imitoit la couleur diverse

Qu'on void en cest arc pluvieux,

Qui se courbe au travers des cieux.

La teste à la taille pareille,

Le col grasset, courte l'oreille,

Et dessous un nez ebenin

Un petit mufle lyonnin,

Autour duquel estoit plantee

Une barbelette argentee,

Armant d'un petit poil folet

Son musequin damoiselet.

Gemble gresle, petite patte

Plus qu'une moufle delicate,

Si non alors qu'il desguaynoit

Cela, dont il egratignoit:

La gorge douillette et mignonne,

La queuë longue à la guénonne,

Mouchetee diversement

D'un naturel bigarrement:

Le flanc haussé, le ventre large,

Bien retroussé dessous sa charge;

Et le doz moyennement long,

Vray sourian, s'il en fut onq.

Tel fut Belaud, la gente beste,

Qui des piedz jusques à la teste

De telle beauté fut pourveu,

Que son pareil on n'a point veu.

O quel malheur! ô quelle perte,

Qui ne peult estre recouverte!

O quel dueil mon ame en reçoit!

Vray'ment la mort, bien qu'elle soit

Plus fiere qu'un ours, l'inhumaine,

Si de voir elle eust pris la peine

Un tel chat, son cueur endurcy

En eust eu, ce croy-je, mercy:

Et maintenant ma triste vie

Ne hayroit de vivre l'envie.

Mais la cruelle n'avoit pas

Gousté les follastres esbas

De mon Belaud, ny la soupplesse

De sa gaillarde gentillesse:

Soit qu'il sautast soit qu'il gratast,

Soit qu'il tournast ou voltigeast

D'un tour de chat, ou soit encores

Qu'il prinst un rat, et or' et ores

Le relaschant pour quelque temps

S'en donnast mille passetemps.

Soit que d'une façon gaillarde

Avec sa patte fretillarde

Il se frottast le musequin,

Ou soit que ce petit coquin

Privé sautelast sur ma couche,

Ou soit qu'il ravist de ma bouche

La viande sans m'outrager,

Alors qu'il me voyoit manger,

Soit qu'il feist en diverses guises

Mille autres telles mignardises.

Mon-dieu, quel passetemps c'estoit

Quand ce Belaud vire-voltoit

Follastre autour d'une pelote!

Quel plaisir, quand sa teste sotte

Suyvant sa queue en mille tours,

D'un rouet imitoit le cours!

Ou quand, assis sur le derriere

Il s'en faisoit une jartiere,

Et monstrant l'estomac velu

De panne blanche crespelu;

Sembloit, tant sa trongne estoit bonne

Quelque docteur de la Sorbonne!

Ou quand alors qu'on l'animoit,

A coups de patte il escrimoit,

Et puis appaisoit sa cholère

Tout soudain: qu'on luy faisoit chère.

Voylà, Magny, les passetemps

Où Belaud employoit son temps.

N'est-il pas bien à plaindre donques?

Au demeurant tu ne vis onques

Chat plus addroit, ny mieulx appris,

A combattre rats et souris.

Belaud sçavoit mille manières

De les surprendre en leurs tesnières,

Et lors leur falloit bien trouver

Plus d'un pertuis, pour se sauver:

Car onques rat, tant fust-il viste,

Ne se vit sauver à la fuyte

Devant Belaud. Au demeurant,

Belaud n'estoit pas ignorant:

Il sçavoit bien, tant fut traictable,

Prendre la chair dessus la table,

J'entens, quand on luy presentoit,

Car autrement il vous grattoit,

Et avec la patte friande

De loing muguetoit la viande.

Belaud n'estoit point mal-plaisant,

Belaud n'estoit point mal-faisant,

Et ne feit onq plus grand dommage

Que de manger un vieux frommage,

Une linotte, et un pinson,

Qui le faschoient de leur chanson.

Mais quoy, Magny? nous-mesmes hommes

Parfaicts de tous poincts nous ne sommes.

Belaud n'estoit point de ces chats

Qui nuict et jour vont au pourchas,

N'ayant soucy que de leur panse:

Il ne faisoit si grand despense,

Mais estoit sobre à son repas,

Et ne mangeoit que par compas.

Aussi n'estoit-ce sa nature

De faire par tout son ordure,

Comme un tas de chats, qui ne font

Que gaster tout par où ilz vont:

Car Belaud, la gentile beste,

Si de quelque acte moins qu'honneste

Contrainct possible il eust esté,

Avoit bien ceste honnesteté,

De cacher dessous de la cendre

Ce qu'il estoit contrainct de rendre.

Belaud me servoit de joüet.

Belaud ne filoit au roüet,

Grommelant une létanie

De longue et fascheuse harmonie,

Ains se plaignoit mignardement

D'un enfantin myaudement.

Belaud (que j'ayë souvenance)

Ne me feit onq plus grand'offense

Que de me réveiller la nuict,

Quand il entr'oyoit quelque bruit

De rats qui rongeoient ma paillasse:

Car lors il leur donnoit la chasse,

Et si dextrement les happoit,

Que jamais un n'en eschappoit.

Mais, las, depuis que ceste fiere

Tua de sa dextre meurtrière

La seule garde de mon corps,

Plus en seureté je ne dors,

Et or, ô douleurs nompareilles!

Les rats me mangent les oreilles:

Mesmes tous les vers que j'escris

Sont rongez de rats et souris.

Vray'ment les Dieux sont pitoyables

Aux pauvres humains miserables,

Tousjours leurs annonçant leurs maulx

Soit par la mort des animaulx,

Ou soit par quelque autre présage,

Des cieux le plus certain message.

Le jour que la soeur de Cloton

Ravit mon petit Peloton,

Je dis, j'en ay bien souvenance,

Que quelque maligne influence

Menassoit mon chef de là hault,

Et c'estoit la mort de Belaud:

Car quelle plus grande tempeste

Me pouvoit fouldroyer la teste?

Belaud estoit mon cher mignon,

Belaud estoit mon compagnon

A la chambre, au lict, à la table,

Belaud estoit plus accointable

Que n'est un petit chien friand,

Et de nuict n'alloit point criand

Comme ces gros marcoux terribles,

En longs miaudements horribles:

Aussi le petit mitouard

N'entra jamais en matouard:

Et en Belaud, quelle disgrace!

De Belaud s'est perdu la race.

Que pleust à Dieu petit Belon,

Que j'eusse l'esprit assez bon,

De pouvoir en quelque beau style

Blasonner ta grace gentile,

D'un vers aussi mignard que toy:

Belaud, je te promets ma foy

Que tu vivrois, tant que sur terre

Les chats aux rats feront la guerre.

 

XXIX. Epitaphe de l'Abbé Bonnet

Cy gist Bonnet, qui tout sçavoit,

Bonnet, qui la prattique avoit

De tous les secrets de nature,

Dont il parloit à l'aventure,

Car il eut si subtil esprit

Qu'onq il n'en leut un seul escript.

Bonnet ne leut onq en sa vie

Un seul mot de philosophie,

Et si en sçavoit, ce dit-on,

Plus qu'Aristote, ny Platon.

Bonnet fut un docteur sans tiltre,

Sans loy, paragraphe, et chapitre.

Bonnet avoit leu tous autheurs,

Fors poëtes et orateurs:

D'histoires, et mathematiques,

Et telles sciences antiques,

Il s'en moquoit: au demeurant,

De rien il n'estoit ignorant.

Mais sa science principale

Estoit une occulte Caballe,

Qui n'avoit rien de défendu,

Car on n'y eust rien entendu.

Bonnet entendoit la Magie

Aussi bien que l'Astrologie:

Bonnet le futur predisoit,

Et de tout presages faisoit

Sur mutations de provinces,

Sur guerres, et sur morts de princes:

Mais il n'eut onques le sçavoir

De pouvoir la sienne prevoir.

Bonnet sçeut la langue Hebraïque

Aussi bien que la Caldaïque,

Mais en latin le bon Abbé

N'y entendoit ny A, ny B.

Bonnet avoit mis en usage

Un barragouin de langage

Entremeslé d'Italien,

De françois et savoysien.

Bonnet fut de l'Academie

De ceulx qui souflent l'alchumie,

Et avoit souflé tout son bien,

Pour multiplier tout en rien.

Bonnet sçavoit donner au verre

La couleur d'une belle pierre:

Bonnet sçavoit un grand thresor,

Bonnet sçavoit un fleuve d'or,

Et avoit trouvé des minieres,

De metaulx de toutes manieres.

Bonnet avoit deux pleins tonneaux

De bagues, de pierres, d'anneaux,

D'or en masse, et parloit sans cesse

De ses biens, et de sa richesse.

Bonnet estoit de tous mestiers,

Bonnet fréquentoit les monstiers,

Et tousjours barbottoit des levres:

Bonnet sçavoit guérir des fiebvres

Par billets au col attachez:

Bonnet détestoit les pechez,

Mais en proces, et playdoirie

C'estoit une droitte Furie.

Bonnet fut cholere et mutin,

Bonnet resembloit un Lutin,

Qui va, qui tourne, qui tracasse

Toute la nuict parmy la place.

Bonnet portoit barbe de chat,

Bonnet estoit de poil de rat,

Bonnet fut de moyen corsage,

Bonnet estoit rouge en visage,

Avecques un oeil de furet,

Et sec comme un haran soret:

Bonnet eut la teste pointuë,

Et le col comme une tortuë.

Bonnet s'accoustroit tous les jours

De deux soutanes de velours,

Et ne changeoit point de vesture

Pour le chault ny pour la froidure.

Bonnet estoit tousjours croté

En hyver, et poudreux l'aesté:

Et tousjours traynoit par la ruë

Quelque semelle décousuë.

Bonnet, soit qu'il plust ou feist beau,

Portoit tousjours un vieux chappeau,

Et ne porta, tant fust grand feste,

Qu'après sa mort bonnet en teste.

Bref, ce Bonnet fut un Bonnet

Qui jamais ne porta bonnet.

Bonnet alloit sur une mule

Aussi vieille que pape Jule,

Accompagné d'un gros vallet

Tousjours crotté jusq'au collet,

Avec la bride et couverture

Digne d'une telle monture.

Bonnet pour la chambre vestoit

Une chamarre, qui estoit

De peau de loup. Quant à sa table,

Il usoit pour mets delectable

D'oignons tous cruds et de porreaux,

Et tousjours il sentoit les aulx:

Les aulx estoient le musq et l'ambre

Dont Bonnet parfumoit sa chambre.

Bonnet beuvoit grec et latin,

Bonnet s'enyvroit au matin

Pour tout le jour, et après boyre

Bonnet s'en vouloit faire croyre.

Bonnet en tout se cognoissoit,

Bonnet de tous maulx guerissoit,

Et si n'usoit que d'eau de vie:

Mais la mort, qui en eut envie,

Tellement ses forces ravit,

Que son eau rien ne luy servit.

Bonnet faisoit mille trafiques,

Bonnet sçavoit mille prattiques

En proces: et les plus famez

De ces courtisans affamez,

En matière de bénéfices

Près de luy n'estoient que novices.

Pour bien emboucher un tesmoing,

Et pour bien s'ayder au besoing

D'une vieille lettre authentique

Pour trouver quelque tiltre antique,

Pour rendre un proces éternel,

Pour faire un civil criminel,

Et pour donner une traverse

Au droit de sa partie adverse,

pour estonner de son caquet

Un juge, une court, un parquet,

Pour faire une importune instance,

Pour appeller d'une sentence,

Pour cognoistre cela qui poingt,

Et pour soudain prendre le poinct

De quelque matiere profonde,

Il n'estoit qu'un Bonnet au monde.

Vray est qu'on luy feit maint exces,

Mais il gaigna tous ses procès:

Et fut Bonnet tant habile homme,

Qu'onq ne perdit en court de Rome,

Ou fust à droit, ou fust à tort,

Procès, si-non contre la mort:

Dont encores il se lamente

(Ce croy-je) devant Rhadamante:

Mais Bonnet aura beau crier,

S'il peut Rhadamante plier.

 

XXX. A Bertran Bergier

Poëte dithyrambique

Pour avoir songé en Parnase,

Et humé de l'eau de Pegase,

Ascree en un moment fut faict

De bouvier poëte parfaict:

Montrant que la seule nature

Sans art, sans travail, et sans cure

Fait naistre le poete, avant

Qu'il ayt songé d'estre sçavant.

Bergier, qui as l'expérience

De ceste gaillarde science,

Ce qu'Ascree a chanté de soy,

Tu le peulx bien chanter de toy.

Et plus: car sans l'eau crystalline

De la fonteine Cabaline

Et sans le mont deux fois cornu

Tu es poëte devenu.

Ton ame estant eguillonnée

D'une fureur apollinée,

Te feit, et ne sçait-on comment,

Naistre poëte en un moment.

Ta bouche, des Dieux interprète,

Sans mascher le laurier prophète,

Nous découvre les haults secrets

De leurs mystères plus sacrez.

Tu ne prins onques fantasie

De lire aucune poësie,

Soit de ce temps, soit de jadis,

Et si fais des vers plus que dix.

Tu ne sçais que c'est de mesures,

D'apostrophes, ny de caesures,

Ny de ces préceptes divers

Qui monstrent à faire des vers.

Aussi les vers du temps d'Orphee,

D'Homere, Hesiode, et Musee,

Ne venoient d'art, mais seulement

D'un franc naturel mouvement.

Les Bergiers, avec leurs musettes,

Gardans leurs brebis camusettes

Premiers inventerent les sons

De ces poëtiques chansons.

Depuis geinant tel exercice

Soubs un miserable artifice,

Ce qu'avoient de bon les premiers

Fut corrompu par les derniers.

De la vindrent ces Eneïdes,

Et ces fascheuses Thebaïdes,

Où n'y a vers sur qui ses dois

On n'ayt rongé plus de cent fois.

Mais toy Bergier de franc courage,

Qui tiens encor du premier aage,

D'un tel mords tu n'as point bridé

Ton esprit librement guidé:

Ains comme on void dans la carriere

Lors qu'on déboucle la barrière,

Le cheval au cours s'elancer.

Pour ses compaignons devancer,

Ta Muse de fureur guidée,

Volant à course débridée,

A laissé loing derriere soy

Ceulx qui sont partis devant toy.

D'un cours plus leger que la foudre

Tu leur as mis aux yeux la poudre,

Nous monstrant d'un trac non batu

Le vray sentier de la vertu.

Premier tu feis des dithyrambes,

Lesquelz n'avoient ny pieds, ny jambes,

Ains comme balles, d'un grand sault,

Bondissoient en bas, et en hault.

Tu dis maintes gayes sornettes,

Sur le bruit que font les sonnettes,

Accordant au vol des oyseaux,

Les horloges, et leurs appeaux.

Après en rimes héroiques

Tu feis de gros vers bedonniques,

Puis en d'autres vers plus petis

Tu feis des hachi-gigotis.

Ainsi nous oyons dans Virgile

Galoper le coursier agile,

Et les vers d'Homère exprimer

Le flo-flotement de la mer.

Que diray-je des autres graces,

Que les Dieux comme à pleines tasses

Ont versé dessus toy, à fin

D'en faire un chef d'oeuvre divin?

Tu as au chef tant de cervelle,

Qu'une autre Minerve nouvelle

Pourroit naistre de ton cerveau,

Comme d'un Jupiter nouveau.

Mais ceste barbe venerable,

Mais ce grave port honorable,

Qui d'auguste a je ne sçay quoi,

Ne sont-ilz pas dignes d'un Roy?

Si les roys avoient cognoissance

De toy et de ta suffisance,

Sans toy ilz ne prendroient repas,

Et sans toy ne feroient un pas.

Car quand il te plaist de bien dire,

Tu dis mille bons mots pour rire,

Serenant de ton front joyeux

Tout soing et chagrin ennuieux.

 

XXXI. Epitaphe d'un flambeau

Passant, ce malheureux tumbeau

Couve les cendres d'un Flambeau

Nagueres pire que la flamme

Que songea la Troienne Dame,

Qui en effroyables abbois

Finit sa miserable voix.

Pire que la torche ennemie,

Qui dessus la ville endormie

Au milieu du choeur Orgien,

Trahissoit le mur Phrygien.

Pire que la lampe homicide

De celuy qui dedans Elide

Gallopant sur un pont d'airain

Contrefaisoit le Souverain.

Flambeau dont la flamme animee

Avoit toute France allumee,

Flambeau, ce croy-je, qui eust or

Embrazé tout le monde encor',

Si le ciel d'un soudain orage

N'eust esteinct l'ardeur de sa rage,

L'abysmant au centre odieux,

Avec les ennemis des Dieux:

Où ceste malheureuse torche,

Des Fureurs la plus fine emorche,

Sert encor de flambeau qui lui

Es mains des filles de la Nuict.

Flambeau plus noir que ceulx qu'on porte

Autour d'une charrongne morte:

Flambeau sorcier, flambeau fatal,

Pire que le tison natal

De Meleagre, et pire encores

Que le feu violeur, qui ores

Sacrilegement furieux

Saccage les temples des Dieux,

Or'attize au foyer des villes

Le brazier des guerres civiles.

Flambeau pire que tous ceulx-là,

Dont le Picard void ça et là,

Darder les flammes enragees

Sur ses bourgades saccagees.

Flambeau puant, flambeau fumeux,

Flambeau petillant, et gommeux,

Flambeau oingt de poix, et de soulphre

Emprunté du stygieux goulphre.

Flambeau secret, flambeau mutin,

Flambeau plus ardent au butin,

Qu'une fiere et cruelle armee

Au sac d'une ville enflammee.

Flambeau du soulphre plus amy

Que le feu forcenant parmy

La poictrine sicilienne,

Ou la poussière Thracienne:

Ny que le traict Olympien,

Dont le marteau Cyclopien

Arme la punissante dextre

A lancer les fouldres addextre:

Ny que le boulet furieux,

Dont l'Aleman industrieux

Par son canon espovantable

Rendit le tonnerre imitable:

Flambeau pire que le brandon

De la mere de Cupidon,

Flambeau, peur des chastes familles,

Flambeau, peste des jeunes filles,

Plus furieux que cestuy-là

Qui la soeur de Caune brula,

Ny que l'ardeur impétueuse

Qui rendit Myrrhe incestueuse,

Ny que le feu demesuré,

Qui d'un desir denaturé

Conceut en la Royne de Crete

Du taureau l'amour indiscrete.

Ce Flambeau, quand plus il ventoit,

D'autant plus sa force augmentoit,

Voyre fut de telle nature,

Qu'en l'onde il eust pris nourriture,

Tellement il estoit armé

D'un feu fatalement charmé.

Sa fureur pour un temps cachee

Sembloit quelque peu relaschee,

Mais depuis que d'un nouveau feu

A dextre esclairer on a veu

Juppiter dardant ses tempestes

Sur tant de miserables testes,

Ce Flambeau demy languissant

S'estoit faict plus fort et puissant:

Flambeau, dont les mortes flammesches

Maintenant allument les mesches

Qui esclairent au noir séjour,

Où jamais n'esclaire le jour.

Va donques Flambeau de Furie,

Va exercer ta seigneurie

Au plus creux du goulphre beant

Sur quelque fouldroyé géant,

Puis que jadis d'un tel college

Tu feus le Flambeau sacrilege.

Flambeau des enfers envoyé,

Flambeau par les cieulx fouldroyé,

Ores ta flamme est inutile:

Mais quiconques fut le Perile

Qui t'alluma dedans Paris,

Il eut faulte d'un Phalaris.

 

XXXII. Contre une vieille

Vieille plus vieille que le monde,

Vieille plus que l'ordure immunde,

Vieille plus que la Fièvre blesme,

Et plus morte que la Mort mesme,

Plus que la Fureur furieuse,

Et plus que l'Envie envieuse.

Tu es une attise-querelle,

Tu es sorcière et maquerelle,

Tu es hypocrite, et bigotte,

Et tousjours ta bouche marmotte

Je ne sçay quoy. Tu es au reste

Plus dangereuse que la peste.

Pour blesser une renommee

Avec ta langue envenimee,

Pour diffamer tout un lignage,

Pour troubler tout un voysinage,

Un royaume, une seigneurie,

Il ne fault point d'autre Furie.

Et toutefois, vieille Gorgone,

Toutefois, vieille Tysiphone,

Tu oses bien porter envie

Aux doulx passetemps de ma vie,

Et n'as honte, vieille prestresse,

De t'accoster de ma maistresse.

Tousjours, vieille, tu la conseilles,

Tousjours tu luy soufle' aux oreilles

Quelque charme, pour en son ame

Esteindre l'amoureuse flamme,

Et pour empescher que la belle

Ne m'ayme, comme je fais elle.

Tu luy proposes l'infamie

D'une faulse langue ennemie,

La honte de son parentage,

La perte de son mariage,

Et mil' autres maulx, qui arrivent

A celles qui l'amour ensuyvent.

Puis usant d'une autre finesse,

Tu viens à blasmer la jeunesse,

Et luy dis de nous autres hommes,

Que pour la plus grand'part nous sommes

En amours de léger courage,

Mais les plus jeunes d'avantage.

Lors tu mets en jeu quelque Moyne,

Ou quelque monsieur le Chanoyne,

Qui a force ducats en bourse,

Où il y a plus de ressource

Qu'en ces prodigues de gambades,

Qui ne donnent que des aubades.

Ainsi avecques mille ruses

La simplicité tu abuses

De ces pauvres filles craintives:

Mais celles qui sont plus rétives

A tes dévotes remonstrances

Plus horriblement tu les tences.

Tu les menaces d'une mere,

D'un frere, d'un oncle, d'un pere,

Si les pauvrettes n'abandonnent

Ces amoureux qui rien ne donnent,

Et puis s'en vantent par la ville,

S'ilz trouvent quelque mal'habile.

Tu leur dis qu'elles sont charmees,

Et qu'elles ne sont point aymees,

Semant dedans leur fantasie

Une graine de jalousie,

Qui empoisonne les pensees

De ces chétives insensees.

Tu dis que tu sçais la maniere

De rendre une ame prisonniere,

Ou de la rendre desliee.

S'il luy fasche d'estre oubliee,

Et que pour monstrer ta science

Tu en feras l'expérience.

Et vrayment, vieille enchanteresse,

J'apperçoy bien que ma maistresse

Ne me faict plus si bonne chere

Qu'elle souloit, et que légère

Elle retire sa pensee

De qui ne l'a point offensee.

Mais je ne m'en donne merveille,

Veu que tu es la nompareille

En toutes manières de charmes,

Et que souvent de telles armes

Tu as gasté mainte famille,

Et seduit mainte pauvre fille.

Tu peulx destourner en arriere

Du ciel la course coustumiere,

Tu peulx ensaglanter la Lune,

Tu peulx tirer soubs la nuict brune

Les umbres de leur sepulture,

Et faire force à la nature.

Tu peulx faire, si bon te semble,

Que soubs tes pieds la terre tremble,

Que les fleuves contre leur source

Tournent la bride de leur course,

Et que les arbres des montagnes

Descendent au bas des campagnes.

Ores tu marches solitère

Parmy l'horreur d'un cimitère,

Or autour d'une croix celee

Tu guides toute eschevelee

Le bal que la Sorciere meine

Le dernier jour de la semaine.

Par toy les vignes sont gelees

Par toy les plaines sont greslees,

Par toy les arbres se démentent,

Par toy les laboureurs lamentent

Leurs bledz perdus, et par toy pleurent

Les bergers leurs troppeaux qui meurent.

Tu peulx faire tout ce dommage,

Et peulx encores d'avantage:

Mais pour esteindre dans une ame

L'ardeur d'une amoureuse flamme,

Tu n'as recepte plus certaine

Que ton regard et ton haleine.

 

XXXIII. Elégie amoureuse

Si vostre esprit, qui de son origine

Tesmoigne assez la nature divine

Par les discours que faict divinement

Vostre celeste et parfaict jugement,

Ne cognoissoit combien sont noz pensees

De passions diverses offensees,

Et par sur tout de ceste affection

Qui vient d'aymer une perfection,

Je m'estendrois par plus longue escritture

Sur le pouvoir, sur la cause et nature,

Sur les effects, et la diverse fin

De cest amour tant humain que divin.

Mais cognoissant combien sont telles choses

Divinement en vostre esprit encloses,

Je laisseray cest argument choisir

Aux plus sçavans, et aux plus de loisir:

Me contentant seulement de vous dire

Ce que je puis de mon amour escrire

Naïvement, sans art et fiction,

Comme sans art est mon affection.

Cognoissant donc combien est indomtable

De cest amour la force inévitable,

Mesmes trouvant un si digne subject

Comme celuy qui m'a servy d'object,

Vous jugerez mon amour estre telle,

Veu que l'amour vient de la chose belle.

Si ce n'estoit que je crains d'offenser

En vous louant, le modeste penser

Qui ne vous laisse ouir vostre mérite,

Et vous faict plus que vous-mesmes petite,

Je ne dirois vostre race et grandeur,

Puis que le ciel vous a donné tant d'heur

Plus que cela, mais bien la bonne grace

Qu'on void reluire en vostre belle face,

Vostre doulceur, vostre humble privauté,

Et vostre esprit plus beau que la beauté:

Perfections d'un chacun estimees,

Mais plus de moy que de tout autre aymees,

Par un instinct naturel, qui me faict

Cognoistre en vous de vous le plus parfaict.

Et s'il vous semble en cela que je face

Aucune erreur, je vous supply de grace

Considerer que seul je ne suis pas

Que telle erreur a pris en ses appas:

S'il fault qu'erreur une chose on appelle

Qui de soy mesme est toute bonne et belle,

Par qui tout est, sans qui rien ne seroit,

Et sans laquelle icy ne se feroit

Rien de vertu, ne digne de mémoire.

Et que doit-on plus priser que la gloire?

Je ne pretens pour cela toutefois

(Bien que d'amour les équitables loix

Veuillent qu'amour par amour on compense)

Vous obliger vers moy de recompense.

Ce que de vous je desire et pretens,

Pour l'amitié, pour la longueur du temps

Que j'ay tasché de vous faire service,

C'est seulement, Madame, que je puisse

(Si autre bien je ne puis desservir)

De vostre gré vous aymer et servir.

Vous pouvez bien, Madame, et ma Deesse,

Vous pouvez bien commander que je cesse

De vous hanter, de vous parler et voir,

Mais vous n'avez, et je n'ay le pouvoir

De commander à mes desirs en sorte

Que mon amour ne soit tousjours plus forte.

Si vous pouvez voz graces vous oster,

De vous aymer vous pouvez m'exempter:

Mais si du ciel le vouloir immuable

Pour voz vertus vous a faict tant aymable,

Quelle raison av'ous, quand à ce poinct,

De commander qu'on ne vous ayme poinct?

Permettez donc, je vous supply, Madame,

Permettez-moy que vostre je me clame,

Que je vous ayme, et porte dans mon cueur:

Ou s'il vous plaist, pour m'user de rigueur,

Me commander que tel je ne demeure,

Commandez-moy ensemble que je meure.

 

XXXIV. La courtisanne repentie

Du latin de P. Gillebert

Retirez-vous amoureuses pensées

Des faulx plaisirs de Venus offensees,

Et toy qui es le pere du soucy,

Cruel Enfant, retire toy aussi.

Retirez-vous, ourdisseurs de finesse,

Propos flatteurs, qui gastez la jeunesse,

Larmes, souspirs, nostre plus grand sçavoir,

Subtilz appas pour les fols decevoir:

Retirez-vous, petites mignardises,

Et vous, du lict folastres gaillardises,

Et tout cela que par art feminin

Amour detrempe au miel de son venin.

Adieu, adieu, vous qui m'avez aymee,

Et qui m'avez surmonté desarmee:

Adieu, troppeau affronteur bien instruict,

Troppeau romain, qui la grand louve suit.

D'un long adieu, adieu donc, mes complices,

Qui vieillissez au bourbier de voz vices,

Qui maintenant sur la fleur de voz ans

De toutes pars ceinctesde courtisans,

Vous assemblez par leur sotte largesse

Injustement une faulse richesse,

Ou qui gaingnez, ô misérable gaing!

A tous venans nuict et jour vostre pain.

Je ne veulx plus, pour tels loyers acquerre,

Gaigner la soulde en l'amoureuse guerre:

Je ne veulx plus ces finesses brasser,

Je ne veulx plus les amans enlacer

Par tels appas de promesses frivoles,

Ny pour l'argent donner belles parolles.

Par la cité, portant dessus le front

Le feinct martel, je n'iray comme vont,

Quand la fureur les a faict plus malades,

Du Dieu Bacchus les vineuses Maenades.

Je laisse là tous ces sifflets menus,

Sifflets tant bien des amoureux cognus:

Je ne veulx plus me pourmener en coche,

Marque jadis des Dames sans reproche,

Signe aujourdhuy des vices éfrontez,

Qui ont rendu noz honneurs éhontez.

Rome, qui a veu de tes sept montaignes

Tout l'univers ployé soubs tes enseignes,

Tu ne voy plus, pour ton plus grand bonheur,

Qu'un grand troppeau de filles sans honneur.

T'a point laissé. Ilië la Vestale

De tant de maulx la semence fatale?

Ou si tu tiens ces desirs vicieux

De celle-là, qui mise entre les Dieux,

Pour célébrer ses festes impudiques,

Faict despouiller celles qui sont publiques?

Tiendrois-tu point, ô Romaine cité!

De ton autheur ton impudicité?

Qui enleva par publiques rapines

Impuniment les craintives Sabines.

Mars te donna un esprit belliqueur,

Tu tiens d'Ilië à ceste heure le cueur

Les anciens ont adoré le père,

Et maintenant nous adorons la mère.

Voylà le poinct de toute ma douleur,

Voylà l'object de mon premier malheur,

La liberté trop librement permise,

Qu'impudemment tes vices ont acquise.

Adieu donc, fards, dont mon visage est peingt,

Boetes, où sont les couleurs de mon teinct,

Eaux, et empoix, dont la face on déguise,

Croye, et Ceruse, et Biaque de Venise.

Je ne veulx plus me peindre désormais,

Ains dès icy abandonne l'usage

Du fard menteur, qui gaste le visage:

De la beauté je me veulx contenter,

Que m'a voulu nature presenter,

Et ne veulx plus, pour me faire plus belle,

Changer par art ma forme naturelle.

Plus de pincette et miroir je ne veulx:

Adieu le soing de friser les cheveux,

Eaux, et unguents par lesquels on efface

Taches, rougeurs, et rousseurs de la face,

Ce qui deride, et plus estroittement

Serre la peau dessoubs le vestement:

Ce qui les dents convertist en ivoyre,

Et des sourcils la voulte rend plus noire:

Ce qui les doigts crasseux et mal polis

Change en couleur de roses et de lis.

Adieu vous dy, ô vous herbes encore,

Par qui le chef de jaune se colore:

Drogues, adieu, et adieu tout cela

Par qui revint mon poil, qui s'en alla:

Adieu encor la caulte médicine,

Qui m'a gardé de reclamer Lucine.

Adieu, par qui s'échaufe la froideur,

Adieu, par qui se corrige l'odeur,

Eaux de senteurs, musq, et civette et ambre,

Parfums du lict et parfums de la chambre:

Le luth, le bal, et tout ce qui plaist mieux,

Soit du Petrarque, ou soit du Furieux.

Adieu, lyens, enchantemens, et charmes,

Qui de nostre art sont les dernières armes.

Adieu, fenestre et porte où trop souvent

J'ay amusé l'amoureux poursuyvant,

Porte cent fois, d'une main courroucée,

Des fols amans en cholere poussée.

Adieu sifflets, et petits bruits légers,

Signes, qui sont mutuels messagers,

Et tous les arts, dont la vieille rusee

Sçait appaster la jeunesse abusee.

O bon Advis, si tu es quelque Dieu,

Je prens franchise en ton plus sacré lieu,

Te présentant la despouille du vice,

Comme nonnain vouée à ton service.

J'apporte icy la cendre des plaisirs

Qui ont bruslé mes plus jeunes désirs,

Et le mespris de tout cela qu'ameine

Le faulx appas de ceste vie humaine:

Affranchis donc mes esprits retenus

Trop longuement soubs les loix de Venus.

Et quand à vous, ô robbes Tyriennes,

Robbes de soye, et perles Indiennes,

Petits anneaux par l'oreille passez,

Riches carcans à mon col enlacez,

Pompeux habits, dont la molle richesse

Fut le loyer de ma folle jeunesse,

Ou soyez-vous par la flamme abolis,

Ou au plus creux de l'onde ensevelis:

Rien n'en demeure, et ne soit, moy bruslee,

Flammesche aucune à mes cendres meslee.

 

XXXV. La contre-repentie

Du mesme Gillebert

Si mon esprit, qui peult sortir dehors

De ce qui n'est que prison de son corps,

Suyvant tousjours sa trace coustumiere

Recherche encor la liberté première;

Si le sejour d'un travail ocieux,

Nourrissement des desirs vicieux,

Réveille en moy la flamme accoustumee,

Plus que devant en mon cueur allumee:

Pourquoy, helas, d'un noeu si rigoreux

Ay-je lié mes ans plus vigoreux,

Et pourquoy s'est la doulceur de ma vie

Dessoubs un joug si pesant asservie?

Folle, pourquoy en lieu si reserré

Dedans mon corps s'est mon cueur enterré,

Si en moymesme estant ensevelie,

Je suis encor de la flamme assaillie?

Or adieu donc vaine captivité,

Qui serve tiens nostre pudicité,

Pudicité soubs miserable feincte

D'un soing forcé honteusement contraincte.

Mere d'Amour, suyvant mes premiers voeuz,

Dessous tes loix remettre je me veulx,

Dont je vouldrois n'estre jamais sortie,

Et me repens de m'estre repentie.

Car veu le soing, les travaulx et dangers,

Dont et par terre, et par flots estrangers

Nous sommes ceincts, veu la follie humaine

Ambicieuse aux causes de sa peine,

Ose' tu bien, ô rigoreux Censeur,

De noz plaisirs corrompre la doulceur?

Ose' tu bien l'Amour nous interdire,

Qui de nos maulx le seul bien se peult dire?

Reposez donc aux champs Elysiens,

Reposez vous, esprits des anciens:

Et tousjours soient de roses rougissantes

Et de beaux lis voz urnes florissantes:

Pour à bon droit avoir déïfié

Ce sainct troppeau à Vénus dédié,

Ce sainct troppeau de filles plus humaines,

Tant révéré des Matrones Romaines.

Cypris ainsi, source de nostre sang,

Entre les Dieux jadis trouva son rang

Et sçavez vous qui l'a faicte si grande?

Cypris la belle estoit de nostre bande.

Si Flore n'eust faict le peuple héritier

De tant de biens gaingnez à ce mestier,

Le peuple n'eust, pour la memoire d'elle,

Par tant d'honneurs rendu Flore immortelle.

Et toy, qui es nostre premier honneur,

Romaine Ilie, à ce mesme bonheur

T'appelle encor ta martiale Rome,

Qui de son sang l'origine te nomme.

Helas, pourquoy allons-nous donc courant

Après l'advis du sot peuple ignorant?

Pourquoy défend la loy mal equitable

Cela qui est sainctement imitable?

Pourquoy sont tant noz desirs ennemis

De ce qu'aux Dieux les hommes ont permis?

Pourquoy nous a la liberté ravie

Ce faulx honneur, tyran de nostre vie?

Rome, feignons qu'on nous chasse d'icy,

Soudainement tu te voyras aussi

Abandonner, car ceste seule perte

Pourra suffire à te rendre déserte:

Soudain de toy l'estranger s'enfuira,

D'y demeurer le moyne s'ennuira,

Et de tes murs se rendra fugitive

Des courtisans la grand troppe lascive.

Des monuments par le temps dévorez

Nous sommes seuls ornemens demeurez,

Seuls ornemens de l'antique memoire,

Et de ce lieu la renaissante gloire.

Rome, qui sceus tout le monde domter,

Tu le peulx bien encores surmonter

Par le moyen des armes Cypriennes,

Et regaingner tes palmes anciennes.

Désormais donc à mon col soit permis

Jetter le joug, où je l'avois soumis,

Et désormais retourne la franchise

De pere en filz nostre sang acquise:

Franchise, las, que fort mal j'entendy

Lors qu'en ce lieu serve je me rendy,

Mais qui fera desormais sa demeure

Avecques moy, jusq'à tant que je meure.

Dévotes soeurs, qui estes sur la fleur

De voz beaux ans, je plains vostre malheur,

Je plains le soing, qui vous ronge sans cesse,

Je plains le temps, je plains vostre jeunesse.

Las vous seichez, et les flambeaux ardens

De vos desirs vous bruslent au dedans,

Comme du blé les forests jaunissantes

Ardent parmy les flammes ravissantes.

Comme le feu en la fournaise estrainct

Va forcenant, le vostre ainsi contrainct

Secrettement vous ard jusq'aux moelles,

Et en bruslant acquiert forces nouvelles.

Vous languissez, et voyant tout au tour

Vos corps serrez d'un effroyable tour,

Vous efforcez, avecques mains craintives,

Rompre les lacz qui vous tiennent captives.

Ainsi l'oyseau en la cage enfermé

Recherche en vain son bois accoustumé,

Ainsi en vain la beste prisonnière,

Veult retourner en sa vieille tesnière,

Et vous ainsi voulez sortir de là:

Mais les destins s'opposent à cela,

Vous enserrant plus fort que la noire onde

Qui court là-bas en neuf tours vagabonde.

Peu à peu donc voz corps se brusleront,

Et tous seichez en cendres tumberont:

Mais quant à moy, libre je m'en deporte,

Et de bonne heure éloingne vostre porte.

Adieu verroulx, adieu portaulx ferrez,

Les petits trous des huis tousjours serrez,

Les lieux dévots, les chambrettes petites,

L'enroué son des chansons tant redittes,

Le long silence, et le tumbeau des corps

Devant leur mort mis au nombre des morts,

Les veufves nuicts, et l'aiguillon qui touche

Les tendres cueurs en leur deserte couche.

Cherchez, cherchez qui d'un teinct palissant

Trompe l'ardeur de son feu languissant,

Ou qui par art un mary se façonne,

Et son plaisir elle-mesme se donne;

Ou qui si fort l'imagine en veillant,

Qu'ell' le resente encor en sommeillant:

Ou qui avec quelque compagne sienne

Voyse imitant la docte Lesbienne.

Je ne veulx plus nature decevoir

Par ce qu'on peult en dormant concevoir,

Je ne veulx plus d'un Daemon estre femme,

Je ne veulx plus contr'imiter la flamme

De ces jumens, qui pleines bien souvent

Pour leur mary n'ont autre que le vent,

Quand le primtemps (miracle de l'Espagne)

Les époinçonne à travers la campagne.

Je laisse là ces plaisirs contrefaicts,

Je veulx sentir les naturels effects,

Et m'en retourne aux tentes plus heureuses

Gaigner la solde aux guerres amoureuses.

Et quant à vous, armes de chasteté,

Habits desmoings de nostre honnesteté,

Le vermoulu, et les taignes encore,

Et le reclus désormais vous dévore:

Je vous délaisse, et promez ne sentir

D'or'enavant un autre repentir.

 

XXXVI. La vieille courtisanne

Bien que du mal duquel je suis atteinte,

Soit desormais tardive la complainte,

Et qu'on ne doive imputer à raison

Le repentir qui vient hors de saison:

Si me plaindray-je, et de mon inconstance

Renouvelant la vieille repetance

(Quoy que promis j'eusse de ne sentir

D'or'enavant un autre repentir),

M'efforceray de soulager ma peine

Par les souspirs d'une complainte vaine.

Peut estre encor que de mon souspirer

Quelqu'un pourra quelque profit tirer,

Et que mon mal, si bien on le contemple,

Aux moins rusez pourra servir d'exemple:

Récompensant par ce nouveau bienfaict,

Si mieulx ne puis, mon antique forfaict.

Donques, à fin de mieulx faire cognoistre

Tout mon malheur, venant mon age à croistre

Plus que mon sens, sur les douze ou treize ans,

Estant nourrie aux delices plaisans

Que peult gouster une fille legere

Dessoubs la main d'une impudique mere,

Pour ne laisser dessus l'arbre vieillir

Ma belle fleur, je la laissay cuillir,

Non à quelqu'un dont on deust faire compte,

Et dont l'honneur peust amoindrir ma honte,

Mais à un serf: un serf eut ce bon heur,

De trionfer de mon premier honneur,

Secrettement: car ma mere discrette

Sceut bien tenir l'entreprise secrette.

Bien tost après je vins entre les mains

De deux ou trois gentilz-hommes romains,

Desquelz je fus aussi vierge rendue,

Comme j'avoy pour vierge esté vendue:

De main en main je fus mise en avant

A cinq ou six, vierge comme devant.

Depuis suivant une meilleure voye,

D'un grand prelat je fus faicte la proye,

Qui cherement ma jeunesse achepta,

Comme pucelle: et si bien me traitta,

Que je devins, voire en bien peu d'espace,

Belle, en bon poinct, et de meilleure grace.

Dèslors j'apprins à chanter et baller,

Toucher le luth, et proprement parler,

Vestir mon corps d'accoustrement propice,

Et embellir, mon teinct par artifice:

Bref j'apprins lors soubs bons enseignements

De mon sçavoir les premiers rudimens:

Car le prélat, duquel j'estoy l'amie,

Voire duquel j'estoy l'ame demie,

Le cueur, le tout, n'avoit autre plaisir

Que satisfaire à mon jeune desir.

Deux ou trois ans me dura ceste vie,

Jusques à tant qu'il me prist une envie

De la changer: comme on void bien souvent

Trop grand plaisir se convertir en vent,

Et pour ne voir chose qui luy desplaise,

L'esprit humain se fascher de son aise.

O combien mal convient la majesté

Avec l'amour! rien que la liberté

Ne me failloit: mais défaillant icelle,

Me défailloit toute chose avec elle.

Ny les faveurs, ny les bons traittements,

Chaisnes, anneaux, et riches vestemens,

De cent valets me voir estre honorée,

Et du seigneur à peu près adorée,

Estre nourrie en repos ocieux:

Bref, s'il y a chose qui plaise mieulx,

Quoy que lon feist ou dist pour me complaire,

Rien ne pouvoit mon esprit satisfaire.

La liberté de pouvoir deviser,

D'aller en masque et de se déguiser,

Siffler de nuict par une jalousie,

Faire l'amour, vivre à sa fantasie,

Sans esprouver la fascheuse prison

De ne pouvoir sortir de la maison

Sans un valet, et sans congé du maistre

N'oser monstrer le nez à la fenestre:

Ce seul désir mon esprit chatouilloit,

Ce seul ennuy mon repos travailloit,

Et peu à peu d'une lente tristesse

Décoloroit la fleur de ma jeunesse.

Ce que voyant celuy que je servoy,

Pour se desfaire honnestement de moy,

Feit par soubs main brasser un mariage,

Non sans vanter mes biens et mon lignage,

Ma bonne grace, et mon honnesteté,

Et par sur tout ma grande chasteté.

A ces appas se vint prendre un jeune homme,

Qui peu rusé aux finesses de Rome,

Se tint heureux d'avoir tel bien trouvé:

Mais quand il eut à sa honte esprouvé

Ce que j'estoy, premierement il use

De grans rigueurs: puis d'une plus grand ruse,

Dissimulant son courage odieux

Par beau parler et par caresse d'yeux,

Ores priant, ores d'une autre grace

A la priere adjoustant la menace,

En peu de temps se gouverna si bien,

Qu'il se feit maistre et du sien, et du mien.

Robbes, joyaux, meubles, et autres choses

Plus chèrement, en mes coffres encloses,

Argent contant, argent à intérest,

Tout fut levé soubs umbre d'un acquest.

Finablement se dressant un voyage,

Mon bon espoux se met en équipage,

Se part de Rome, et sans parler à moy,

S'en alla rendre au service du Roy:

Où il mourut, et depuis n'ouy onques

Parler de luy. En ce bel estat doncques

Je demeuray, sans faveur ne support,

Car mon prélat, de malheur, estoit mort:

Et ne m'estoit de toute ma richesse

Rien demeuré qu'un petit de jeunesse.

Doncques m'aydant de moymesme au besoing,

Et rejettant toute vergongne au loing,

J'ouvre boutique, et faicte plus sçavante,

Vous metz si bien ma marchandise en vante,

Subtilement affinant les plus fins,

Qu'en peu de temps fameuse je devins.

Lors me voyant par Rome assez congnue,

Pour n'estre en ranc d'esgaldrine tenue,

De deux ou trois à poste je me mis,

Lesquelz estoient mes plus fermes amis:

Et tous les mois me donnoient pour salaire

Un chacun d'eulx trente escus d'ordinaire.

Je laisse icy à discourir comment

Je me sçavois gouverner dextrement

Avecques eulx, à l'un faisant caresse,

A l'autre usant de plus grande rudesse,

Selon que d'eulx je cognoissois le cueur

Se manier par douceur ou rigueur:

N'oubliant pas ceste commune ruse,

De contenter de quelque maigre excuse

Le mal-content: et sans aymer aucun,

Donner à tous le martel en commun.

Par ce moyen chacun se pensant estre

Plus favorit, pour demeurer le maistre,

Comme à l'envy, par presens achetoit

Ce qu'avoit moins, à qui plus il coustoit.

C'estoit le bon, quand pour donner licence

A l'un des trois, les deux faisoient instance:

Comme il avient, que pour chasser un tiers,

Les autres deux s'accordent voluntiers.

Lors je disois, ou que sa laide face,

Son poil rousseau, ou sa mauvaise grace,

Plus que la mort me faschoient, toutefois

En le perdant, que je perdois un mois.

Eux donc ayans de me demander honte

Une faveur qui ne mettoit à compte,

Se contentoient, pour garder amitié,

D'y suppleer chacun pour la moitié.

Ainsi jamais n'amoindrissoit ma rente,

Et me restoit une place vaquante,

Dont je sçavois bien faire mon profit.

Aucunefois je prenois à credit,

En leur presence, ou supposois des debtes:

Conclusion, j'avois mille receptes,

Pour leur tirer les quatrins de la main:

Ores faignant de me faire nonnain,

Ores parlant de quelque mariage,

Ores de faire à Naples un voyage,

Ou à Venize, ou en quelque autre lieu,

Et que bien tost je leur dirois adieu.

Aucunefois je me faisois enceinte,

Ou me faignois de quelque fièvre attainte,

Et ce que peult un artifice tel,

Pour s'enchérir ou pour donner martel.

Voylà comment je traittois l'amy ferme,

Lequel jamais ne failloit à son terme:

Car les pendents, et les bracelets d'or,

Les scoffions, et les chaisnes encor,

Grands parfumez, robbes et pianelles,

Garnels, bourats, chamarres, caparelles,

Licts de parade, et corames dorez,

Savons de Naple, et fards bien colorez,

Miroers, tableaux où j'estois en peinture,

Masques, banquets, et coches de vecture,

Et s'il y a de consumer le bien.

Autres moiens, n'estoient comptez pour rien.

Que diray plus? j'avois mille prattiques:

Car tout cela qui s'achepte aux boutiques,

Ne coustoit rien, et mesme le boucher

Le plus souvent estoit payé en chair:

Jusqu'aux faquins (si l'honneur me dispence

De dire ainsi) j'espargnoy la despence:

Car tout l'argent des honnestes amis,

Pour mettre en banque, en reserve estoit mis.

J'avoy de plus quelque nuict la sepmaine,

Qui m'estoit franche: et lors je mettois peine

De prattiquer quelque nouvelle amour,

Et ne passois inutile un seul jour.

A cest effect je tenoy pour fantesque

Une rusee et vieille Romanesque,

Qui descouvrant quelque jeune emplumé,

Avant qu'il fust de mon faict informé,

Trouvoit moyen de faire l'entreprise

Secrettement, et comme bien apprise,

N'oublioit pas de prendre avant la main,

Disant comment j'estoy de sang Romain,

Et que j'estoy femme d'un gentilhomme,

Lequel pour lors estoit banny de Rome.

Voylà comment je traittoy l'estranger:

Mais par sus tout je craignoy le danger

Des escroqueurs, ne me tenant mocquee,

Si-non alors que j'estoy escroquee:

Ce qui causoit que moins je m'adressois

A l'Espagnol qu'au libéral François,

Doulce, courtoise, humaine, quant au reste:

Mais ce pendant fuyant plus que la peste

Ces jeunes gens, lesquels sans desbourcer,

A tout propos pour beaux veullent passer,

Nous pensant bien payer d'une gambade,

D'une chanson, d'un luth, ou d'une aubade:

Ce qui nous trompe, et faict que bien souvent

Nous nous trouvons les mains pleines de vent.

J'avois aussi une soingneuse cure

De n'endurer sur mon corps une ordure:

De boire peu, de manger sobrement,

De sentir bon, me tenir proprement,

Fust en public, ou fust dedans ma chambre:

Où l'eau de naffe, et la civette, et l'ambre,

Le linge blanc, le pennache eventant,

Et le sachet de pouldre bien sentant

Ne manquoient point: sur tout je prenoy garde

(Ruse commune à quiconque se farde)

Qu'on ne me peust surprendre le matin.

Bref, tout cela qu'enseigne l'Aretin,

Je le sçavoy: et sçavoy mettre en oeuvre

Tous les secrets que son livre descouvre:

Et d'abondant mille tours incogneus,

Pour esveiller la dormante Venus.

J'estoy pourtant en mes propos honneste,

Et ne faisois à tout le monde feste,

Légèrement caressant un chacun:

J'avoy pour tous un entretien commun,

Et de façons gravement asseurées,

Sçavoy fort bien enchérir mes denrées.

De la vertu je sçavoy deviser,

Et me sçavoy tellement deguiser,

Que rien qu'honneur ne sortoit de ma bouche:

Sage au parler, et follastre à la couche.

Aussi void-on qu'un propos vicieux,

Plus que le vice est souvent odieux:

Et que rien tant que vertu n'est aymable,

Ou ce qui est à la vertu semblable.

Chacun se flatte en son affection,

Où il cognoist quelque perfection:

Et ne peult bien la Dame estre estimee,

Que l'on cognoist indigne d'estre aymee:

Tant la vertu plaist en celles qui l'ont,

Si-non au cueur, pour le moins sur le front.

Par telz moiens j'acquis faveur en Rome,

Et ne se fust estmé galant homme,

Qui n'eust eu bruit de me faire l'amour.

Au demeurant, fust de nuict ou de jour,

Je ne craignois d'aller sans ma patente,

Car j'estois franche, et de tribut exempte.

Je n'avois peur d'un gouverneur fascheux,

D'un barisel, ny d'un sbirre oultrageux,

Ny qu'en prison lon retint ma personne

En court Savelle ou bien en tour de Nonne:

N'ayant jamais faulte de la faveur

D'un Cardinal ou autre grand seigneur,

Dont on vëoit ma maison fréquentée:

Ce qui faisoit que j'estois respectée,

Et que chacun craignoit de me fascher,

Voyant pour moy les plus grands s'empescher.

Six ou sept ans je feis ce beau mesnage:

Ayant passé le meilleur de mon aage

En ces plaisirs (si plaisir fault nommer

Un peu de doulx meslé de tant d'amer).

Car quel plaisir, hélas, me pouvoir estre,

Bien que je prinsse à dextre et à senestre,

D'avoir soubmis mes membres éhontez

A l'appetit de tant de voluntez?

Et d'imiter le vivre d'une beste,

Pour m'enrichir par un gain deshonneste?

Et d'endurer d'un amant furieux

Mille desdaings et mots injurieux?

De supporter une aisselle suante,

Un nez punais, une bouche puante,

Une sottise, et perdre à tous propos

Pour un martel, et repas et repos?

Outre la peur (geine perpétuelle)

D'une verolle, ou d'une pellarelle,

Et tout cela dont se trouve héritier

Qui longuement exerce tel mestier.

Car quant au soing où chacune se fonde,

De se farder, de se faire la blonde,

De se friser, de corriger l'odeur,

Serrer la peau, réchauffer la froideur,

Je n'en dy rien, pour estre telle peine

Commune encor à la dame Romaine.

O bien heureuse et trois et quatre fois,

Qui n'est sugette à si pénibles loix!

Ce fut pourquoy une sepmaine saincte,

Estant pour lors ma conscience attainte

D'un sainct remords, que quelque bon Daemon

Me feit sentir au milieu d'un sermon,

Sans y penser soudain je me dispose

Faire de moy une métamorphose:

Et de changer mon lascif vestement

En un dévot et sainct accoustrement.

Ce que je feis: et devins convertie,

Donnant dèslors une grande partie

De mes trésors à la religion:

Où tost après changeant d'opinion,

Je me trouvay à mal party rangee,

Et plus d'habit que de vouloir changee.

Donc inhabile au service de Dieu,

J'abandonnay de bonne heure le lieu:

Et retournant d'où je m'estoy partie,

Me repenty de m'estre repentie.

Ainsi tournee à mon premier mestier,

Pour regaigner tout cela qu'au monstier

J'avoy laissé, j'ouvre l'escolle au vice,

Et commençay d'un plus grand artifice

Qu'au paravant, à dresser mes appas,

Et retenter les amoureux combats,

Où je r'acquis d'un utile dommage

Tout le perdu, et beaucoup d'avantage.

Adonc je vins en réputation:

Et prins dèslors telle presumption,

De grands seigneurs me voyant courtisee,

Que mon mespris me rendit mesprisee.

Je tais icy pour mon premier bon heur,

Du trente et un le fameux deshonneur,

Et supposé au lieu d'un gentilhomme

Dedans mon lict l'executeur de Rome:

Qui ce plaisir devant cent et cent yeux

Récompensa du fouet injurieux.

Je tais encor la verolle gouteuse,

La denterelle, et pellade honteuse,

Et mon visage en tant de lieux sfrizé,

Que mille fards ne l'eussent déguisé.

J'avois pourtant encor bonne prattique

Et pour cela ne fermay la boutique:

Car le renom de mon crédit passé,

Et le trésor que j'avois amassé,

M'entretenoient: et puis ma bonne grace

Récompensoit d'une si brave audace

Ce que les ans de beau m'avoient osté,

Que mon autonne on prenoit pour aesté.

J'avois au lict cent mille gaillardises,

Mille bons mots et mille mignardises:

De bien baller on me donnoit le pris,

J'avoy du luth moyénement appris,

Et quelque peu entendoy la musique:

Quant à la voix, je l'avois angelique,

Et ne se fust nul autre peu vanter

De sçavoir mieux le Pétrarque chanter.

Au demeurant, j'avoy la main divine,

Fust sur la toile, ou fust sur l'estamine:

Et voluntiers y emploioy le temps,

Quand je n'avois un meilleur passetemps.

Aucunefois en accoustrement d'homme,

Je passageoy pompeusement par Rome

Sur un cheval de mesme enharnaché,

Et le pennache à la guelphe attaché,

Ne me monstrois moins superbe et vaillante

Qu'une Marphise ou une Bradamante.

Bref, je sçavoy de toute chose un peu,

Et n'estoy pas ignorante du jeu,

Fust aux eschets, ou fust à la première:

Où je n'estois de perdre coustumière,

Jouant tousjours à moytié pour celuy

Qui ne prenoit que la perte pour luy.

Aucunefois n'estant de la partie,

J'estoy si bien de mon faict advertie,

Qu'autant de fois qu'une reste on gaignoit,

Autant de fois la manche on me donnoit.

Aucunefois ne m'estant aggreable

Quelque joyau, d'une usure honorable

A cinq ou six je le faisois payer,

Et leur baillois à la rafle à jouer.

Voylà comment par cent moyens honnestes;

Je recueillois la laine de mes bestes:

Donc je tondois les unes quelquefois,

Et quelquefois les autres escorchois:

Usant par tout de si grand artifice,

Que sans monstrer un seul poinct d'avarice,

Ceux-là dont plus de présens j'avoy pris,

Se reputoient estre plus favoris.

Ma maison donc, moins que jamais deserte,

Estoit quasi comme une escolle ouverte

D'honnesteté, où il falloit venir

Pour bien sçavoir Dames entretenir.

Là se disoient mille bons mots pour rire,

Là les plus sots s'efforceoient de mieux dire,

Comme à l'envy, et le soir et matin.

Se rapportoit toute chose au butin.

S'il se faisoit quelque assemblée honneste,

Quoy que ce fust, j'estoy tousjours de feste:

Et n'eust esté le banquet bien fourny,

Qui de tel metz eust esté dégarny.

Je me trouvois de ducats plusieurs milles,

Qui ne m'estoient en un coffre inutiles:

J'avois meublé une belle maison,

Et richement, et selon la saison:

Et sur la porte avois mis pour devise,

La pluye d'or de la fille d'Acrise:

Voulant par là honnestement monstrer

Que par l'or seul on y pouvoit entrer.

Heureuse, las, heureuse, et trop heureuse,

Si Cupidon de sa torche amoureuse,

Pour chastier cent mille indignitez

De tant d'amans, que j'avois mal traittez,

N'eust allumé dans mes froides mouëlles

Le feu vengeur de ses flammes cruelles:

Me contraignant d'aymer plus que mes yeux,

Plus que mon cueur, un jeune audacieux,

Qui d'autant plus que d'une humble caresse

Je m'efforçois d'amollir sa rudesse,

Plus me fuyoit, et se passoit, cruel,

De mon torment et pleur continuel.

Las, quantes fois jalousement malade,

Courant par tout, ainsi qu'une Ménade,

Ay-je suivy sans crainte du mocqueur

Cest inhumain, qui m'emportoit le cueur!

Las, quantes fois, en lieu d'estre endormie,

Le pensant estre ès bras d'une autre amie,

Nuds pieds, nud chef, au temps des longues nuicts,

Ay-je rompu et fenestres et huys,

Injuriant de mille outrages celle

Qui recéloit mon ennemy chez elle!

Las, quantes fois suis-je allée au devin,

Et quantes fois aux sorcieres, à fin

De retenir par lyens et par charmes

Cest obstiné vainqueur de telles armes!

Le poil au chef me herisse d'horreur,

Me souvenant de ce que la fureur

Me faisoit faire: ores d'un cimetère,

Tirant de nuict quelque umbre solitère,

Ores au ciel la lune ensanglantant,

Ores le cours des fleuves arrestant.

Les vers sacrez, les celestes augures,

Les poincts couplez, les magiques figures,

Les saincts fuseaux, les noms ensorcelez,

Les os des morts, et les lauriers bruslez:

Ce que du front des poulains on attire,

Les yeux de loup, les images de cire,

Les noeuds charmez et le nombre de trois,

Avec le mal qu'on appelle des mois:

Bref, tout cela que peut telle science,

(Et tout en vain) j'en feis l'expérience.

Ce n'est pas tout: le presens amoureux,

Et tout le bien que mes ans plus heureux

M'avoient acquis avec peine infinie,

Vignes, maisons, argent à compagnie,

En moins d'un an tout cela fut vendu,

Et en banquets et presens despendu

Pour cest ingrat, ingrat, ingratissime,

Lequel tenoit de mes pensers la cyme,

Puis me planta, voyant tout consumé

Ce qu'il avoit tant seulement aymé.

Et puis voicy, pour m'achever de peindre,

Celle que plus les dames doivent craindre,

Sur un baston marchant à pas comptez,

Dame Viellesse aux cheveux argentez:

Qui ravissant d'une main larronnesse

Ce qui restoit encor de ma jeunesse,

Ne m'a laissé que la gravelle aux reins,

La goutte aux pieds, et les galles aux mains,

La toux aux flancs, la micraine à la teste,

Et à l'oreille une sourde tempeste.

De ce beau chef tout l'honneur est esteinct,

Ce beau visage a changé son beau teinct

En teinct de mort: et ceste bouche blesme,

Dessus ses bords a peincte la mort mesme.

Ces deux beaux yeux, jadis flambeaux d'amour,

Se sont cachez de peur de voir le jour,

Et pour pleurer leurs fautes et mes peines,

Sont de flambeaux convertis en fonteines.

Je ne puis plus ny sentir, ny gouster,

Plus ne me plaist les doux sons escouter,

Le sens me fault, et l'esprit qui me laisse,

Plus que le corps se sent de la vieillesse.

J'ay oublié tout cela qu'autrefois

J'avoy apprins du luth et de la voix,

J'ay oublié tous mes bons mots pour rire,

Je ne sçay plus que me plaindre et mesdire,

Je ne sçay plus que tousser et cracher,

Fascher autruy, et d'autruy me fascher.

Quant au mestier dont il fault que je vive,

C'est de filler, ou laver la lessive,

Faire traffiq' de quelques vieux drappeaux;

Composer fards, contrefaire des eaux,

Vendre des fruicts, des herbes, des chandelles

Aux jours de feste, et crier les chambelles.

Voylà l'estat, où je gaigne mon pain,

Pour ma vieillesse armer contre la faim,

Et pour payer une chambre locande.

Ce qui est or ma despense plus grande.

Au demeurant, je ne discours icy

Par le menu le chagrin, le soucy,

Et le soubson, que la vieillesse cache

Dedans son sein: le mal qui plus me fasche,

Et qui me faict cent fois le jour périr,

C'est de vouloir, et ne pouvoir mourir.

O que je suis différente de celle

Que j'estois lors, quand jeune, riche et belle,

Un escadron j'avoy de tous costez

De courtisans pompeusement montez,

M'accompagnant ainsi qu'une princesse,

Fust au matin, quand j'allois à la messe,

Ou fust au soir, alors qu'il me plaisoit

De me trouver où le bal se faisoit!

Las, maintenant un chacun me desdaigne,

Et seulement pauvreté m'accompagne:

Ceux que jadis desdaigner je souloy,

M'appellent vieille, et se mocquent de moy:

Et ceux dont plus j'estoy favorisée,

Sifflent sur moy d'une longue risée:

Se vergongnans de m'avoir voulu bien,

Pour rien en moy ne cognoistre du mien.

Jusques icy a couru ma fortune,

Selon le temps adverse ou opportune.

Mais, ô chétive! encor n'est-ce le poinct

Qui plus au vif le courage me poingt:

Le seul object de ma complainte amère,

C'est, c'est l'ennuy de me veoir pauvre, et mere,

Non d'un qui soit d'aage pour se nourrir,

Ou qui me puisse au besoing secourir,

Mais d'une fille encor jeune et debile,

Qui sur les bras m'est en charge inutile,

Et sera, las, si cest astre inhumain

Règne long temps sus le climat romain.

J'ay veu Léon, délices de son aage,

J'ay veu Clément de ce mesme lignage,

J'ay veu encor ce bon Paule ancien,

Premier honneur du sang Farnesien:

Apres cestuy j'ay veu Jules troisieme,

Ores je voy le grand Paule quatrieme.

De tous ceux-là je me doy contenter:

De cestui-cy je me veulx lamenter,

Pour avoir mis d'une loy rigoreuse

Dessoubs les pieds la franchise amoureuse,

Abolissant d'un edict défendeur

Ce qui estoit de Rome la grandeur.

Car si de ceux que Rome plus honore,

De courtisans; et des autres encore

On veult ainsi les plaisirs limiter,

Quelz estrangers y viendront habiter?

Tous s'en fuiront, ou pour dernier remède

Exerceront l'amour de Ganymede,

Où sans cela ne sont que trop appris

Ceux qui ont loy de n'estre point repris.

O temps! ô meurs! ô malheureuse annee!

O triste regne! ô Rome infortunee!

N'estoit-ce assez, que le discord mutin

T'eust faict du monde un publique butin,

Et d'avoir veu sur ta rive latine

Si longuement la guerre et la famine,

Si malheureuse encor tu ne perdois

La liberté: liberté, que tu dois

Plus regretter que tes palais antiques,

Dont nous voyons les poudreuses reliques.

Fille, qui m'es plus chère que mes yeux,

Helas, pourquoy t'ont faict naistre les cieux

Soubs un tel siècle? ou pourquoy si durable

Ay-je vescu, pour te veoir misérable?

Helas, fault-il que ce beau chef doré,

Ces deux beaux yeux, ce pourpre coloré,

Ce front, ce nez, ceste bouche divine,

Et ce beau corps, qui des Dieux estoit digne,

Soit le butin, non point d'un courtisan,

Mais d'un faquin ou d'un pauvre artisan?

Pour cela donc d'une main si soigneuse

T'ay-je eslevee? ô fille malheureuse,

Si tu devois par telle indignité

Perdre la fleur de ta virginité!

Estoit-ce là ceste belle jeunesse,

Dont je faisois mon baston de vieillesse?

Estoit-ce ainsi que mes travaulx passez

Devoient un jour estre recompensez?

O ciel cruel, estoiles conjurees,

N'avois-je assez de peines endurees,

Si en ma fille, en cest aage où je suis,

Je ne voyois renaistre mes ennuis?

Je n'en puis plus, et mes pleurs qui s'espandent

A grands ruisseaux, le parler me defendent.

Donques priant ceux-là qui me liront,

Et de mes pleurs (peult-estre) se riront,

De m'excuser, si par trop de langage

(Vice commun à celles de mon aage)

J'ay discouru et mon mal, et mon bien,

Je feray fin: que peusse-je aussi bien,

Pour n'estre plus à ces maulx asservie,

Comme à mes pleurs, mettre fin à ma vie!

 

XXXVII. Métamorphose d'une rose

Comme sur l'arbre sec la veuvfe tourterelle

Regrette ses amours d'une triste querelle,

Ainsi de mon mary le trespas gemissant,

En pleurs je consumois mon aage languissant:

Quand pour chasser de moy ceste tristesse enclose,

Mon destin consentit que je devinsse Rose,

Qui d'un poignant hallier se herisse à l'entour,

Pour faire resistance aux assaults de l'Amour.

Je suis, comme j'estois, d'odeur naïve et franche,

Mes bras sont transformez en épineuse branche,

Mes piedz en tige verd, et tout le demeurant

De mon corps est changé en Rosier bien fleurant.

Les plis de mon habit sont écailleuses poinctes,

Qui en rondeur égalle autour de moy sont joinctes:

Et ce qui entr'ouvert monstre un peu de rougeur,

Imite de mon ris la première doulceur.

Mes cheveulx sont changez en fueilles qui verdoyent,

Et ces petis rayons, qui vivement flamboyent

Au centre de ma rose, imitent de mes yeux,

Les feuz jadis égaulx à deux flammes des cieulx.

La beauté de mon teinct à l'Aurore pareille

N'a du sang de Vénus pris sa couleur vermeille,

Mais de cestre rougeur que la pudicité

Imprime sur le front de la virginité.

Les graces, dont le ciel m'avoit favorisée,

Or que Rose je suis, me servent de rosée:

Et l'honneur qui en moy a fleury si long temps,

S'y garde encor entier d'un éternel primtemps.

La plus longue frescheur des roses est bornee

Par le cours naturel d'une seule journee:

Mais ceste gayeté qu'on voit en moy fleurir,

Par l'injure du temps ne pourra dépérir.

A nul je ne défends ny l'odeur, ny la veuë,

Mais si quelque indiscret vouloit à l'impourveuë

S'en approcher trop près, il ne s'en iroit point

Sans esprouver comment ma chaste rigueur poingt.

Que nul n'espère donc de ravir ceste Rose,

Puis qu'au jardin d'honneur elle est si bien enclose:

Où plus soingneusement elle est gardee encor

Que du Dragon veillant n'estoient les pommes d'or.

Celuy qui la vertu a choisy pour sa guide,

Ce sera celuy seul qui en sera l'Alcide:

A luy seul j'ouvriray la porte du verger,

Où heureux il pourra me cueillir sans danger.

Qu'autrement on n'espère en mon cueur faire brèche:

Car je ne crains Amour, ny son arc, ny sa flèche:

J'esteins, comme il me plaist, son brandon furieux,

Les aeles je luy couppe, et débende les yeux.

 

XXXVIII. Hymne de la surdité

A P. de Ronsard Vand

Je ne suis pas, Ronsard, si pauvre de raison,

De vouloir faire à toy de moy comparaison,

A toy, qui ne seroit un moindre sacrilege

Qu'aux Muses comparer des Pies le college,

A Minerve Aracné, Marsye au Delien,

Ou à nostre grand Prince un prince italien.

Bien ay-je, comme toy, suivy dès mon enfance

Ce qui m'a plus acquis d'honneur que de chevance:

Ceste saincte fureur qui, pour suyvre tes pas,

M'a tousjours tenu loing du populaire bas,

Loing de l'ambition, et loing de l'avarice,

Et loing d'oysiveté, des vices la nourrice,

Aussi peu familiere aux soldats de Pallas,

Comme elle est domestique aux prestres et prelats.

Au reste, quoy que ceulx qui trop me favorisent,

Au pair de tes chansons les miennes authorisent,

Disant, comme tu sçais, pour me mettre en avant,

Que l'un est plus facile et l'autre plus sçavant,

Si ma facilité semble avoir quelque grace,

Si ne suis-je pourtant enflé de telle audace,

De la contre-peser avec ta gravité,

Qui sçait à la doulceur mesler l'utilité.

Tout ce que j'ay de bon, tout ce qu'en moy je prise,

C'est d'estre, comme toy, sans fraude, et sans feintise,

D'estre bon compaignon, d'estre à la bonne foy,

Et d'estre, mon Ronsard, demy-sourd, comme toy:

Demy-sourd, ô quel heur! pleust aux bons Dieux que j'eusse

Ce bon heur si entier, que du tout je le feusse.

Je ne suis pas de ceux qui d'un vers triomphant

Déguisent une mouche en forme d'éléphant,

Et qui de leurs cerveaux couchent à toute reste,

Pour louer la folie ou pour louer la peste:

Mais sans changer la blanche à la noire couleur,

Et soubs nom de plaisir déguiser la douleur,

Je diray qu'estre sourd (à qui la différence

Sçait du bien et du mal) n'est mal qu'en apparence.

Nature aux animaulx a cinq sens ordonnez,

Le gouster, le toucher, l'oeil, l'oreille, et le nez,

Sans lesquels nostre corps seroit un corps de marbre,

Une roche, une souche, ou le tronc d'un viel arbre.

Je laisse à discourir au jugement commun

L'usage, et différence, et vertu d'un chacun,

Lesquelz, pour présider en la part plus insigne,

Sont de plus grand service et qualité plus digne:

Comme l'oeil, le sentir, et ce nerf sinueux

Qui, par le labyrinth' d'un chemin tortueux,

Le son de l'air frappé conduit en la partie,

Qui discourt sur cela, dont elle est avertie;

Le pertuis de l'ouÿe, et les trois petit os,

Qui sont à cest effect en noz temples enclos;

De quel sage artifice, et necessaire usage

La nature a basty ce petit cartilage,

Qui de l'oreille estant le fidèle portier,

Droit sur le petit trou du caverneux sentier

Bat éternellement, si d'une humeur épesse,

Qui pour sa grand froideur résouldre ne se laisse,

Son bat continuel ne se treuve arresté,

D'où vient ce fascheux mal, qu'on nomme Surdité:

Fascheux à l'ignorant, qui ne se fortifie

Des divines raisons de la philosophie.

Je ne veulx estre icy de la secte de ceulx

Qui disent n'estre mal, tant soit-il angoisseux,

Fors celuy dont nostre ame est atteincte et saisie,

Et que tout autre mal n'est que par fantaisie.

Combien que le né sourd, et par tel vice exclus

Du sens qu'on dict acquis, ne s'en fasche non plus

(Comme lon peult juger) que d'estre né sans aeles,

Ou n'égaller au cours les bestes plus isnelles,

En force les taureaux, les poissons au nager,

Ou de ne se pouvoir, comme un daemon, changer:

D'autant que le regret vient de la cognoissance

Du bien, du quel on a perdu la jouissance,

Et qu'on ne doit aucun estimer malheureux

Pour ne jouir du bien dont il n'est desireux,

Non plus qu'est un cheval ou autre beste telle,

Pour n'avoir, comme nous, la raison naturelle:

Si est-ce toutefois que pour l'homme estre né

Un animal docile, auquel est ordonné

Contre le naturel de chacune autre beste,

D'eslever, plus divin, aux estoilles sa teste:

Si par estre né sourd, il ne peult concevoir

Rien plus hault que cela que ses yeux peuvent voir,

Sans cognoistre celuy, qui homme l'a faict naistre,

Malheureux je l'estime, or qu'il ne le pense estre:

Aussi bien que lon dict (et nous tenons ce poinct)

N'estre plus grand malheur que cil de n'estre point.

Mais cestuy-là, Ronsard, qui n'est sourd de nature,

Ains l'est par accident, s'il a par nourriture

Quelque sçavoir acquis, c'est un sourd animal,

Privé d'un peu de bien, et de beaucoup de mal.

Car tout le bien qu'on peult recevoir par l'oreille,

Procède ou d'un doulx son, qui nostre esprit réveille,

Ou d'un plaisant propos, dont nostre entendement

Reçoit en l'escoutant quelque contentement.

Or celuy qui est sourd, si tel default luy nie

Le plaisir qui provient d'une doulce armonie,

Aussi est-il privé de sentir maintefois

L'ennuy d'un faulx accord, une mauvaise voix,

Un fascheux instrument, un bruit; une tempeste,

Une cloche, une forge, un rompement de teste,

Le bruit d'une charrete, et la doulce chanson

D'un asne, qui se plaingt en effroyable son.

Et s'il ne peult gouster le plaisir delectable

Qu'on a d'un bon propos qui se tient à la table,

Aussi n'est-il subject à l'importun caquet

D'un indocte prescheur ou d'un fascheux parquet,

Au babil d'une femme, au long prosne d'un prestre,

Au gronder d'un vallet, aux injures d'un maistre,

Au causer d'un bouffon, aux broquars d'une court,

Qui font cent fois le jour désirer d'estre sourd.

Mais il est mal venu entre les damoizelles!

O bien-heureux celuy qui n'a que faire d'elles,

Ny de leur entretien! car si de leurs bons mots

Il n'est participant, par faulte de propos,

Il ne s'estonne aussi et ne se mord la langue,

Rougissant d'avoir faict quelque sotte harangue.

Mais il est soubsonneux, et tousjours dans son cueur

Se faict croire qu'il sert d'argument au moqueur!

Il ne le doit penser, s'il se pense habile homme,

Ains pour tel qu'il se croid, doit croire qu'on le nomme.

Mais il n'est appellé au conseil des Seigneurs!

O que cher bien souvent s'achètent tels honneurs

De ceulx, qui tels secrets dans leurs oreilles portent,

Quand par legereté de la bouche ilz leur sortent!

Mais il est taciturne: ô bien heureux celuy

A qui le trop parler ne porte point d'ennuy,

Et qui a liberté de se taire à son aise,

Sans que son long silence à personne déplaise!

Le parler toutefois entretient les amis,

Et nous est de nature à cest effect permis

Et ne peult-on pas bien à ses amis escrire,

Voire mieulx à propos, ce qu'on ne leur peult dire?

Si est-ce un grand plaisir, dira quelque causeur,

D'entendre les discours de quelque beau diseur.

Mais il est trop plus grand de voir quelque beau livre,

Ou lors que nostre esprit du corps franc et délivre

Voyage hors de nous, et nous faict voir sans yeux

Les causes de nature, et les secrets des cieux:

Pour aux quelz pénétrer, un Philosophe sage

Voulut perdre des yeux le nécessaire usage,

Pour ne voir rien qui peust son cerveau départir:

Et qui plus que le bruit peult l'esprit divertir?

La Surdité, Ronsard, seule t'a faict retraire

Des plaisirs de la court et du bas populaire,

Pour suyvre par un trac encore non battu

Ce penible sentier, qui meine à la vertu.

Elle seule a tissu l'immortelle couronne

Du myrte paphien, qui ton chef environne:

Tu luy dois ton laurier, et la France luy doit

Qu'elle peult désormais se vanter à bon droit

D'un Horace, et Pindare, et d'un Homere encore,

S'elle void ton Francus, ton Francus qu'elle adore

Pour ton nom seulement, et le bruit qui en court:

Dois-tu donques; Ronsard, te plaindre d'estre sourd?

O que tu es heureux, quand le long d'une rive,

Ou bien loing dans un bois à la perruque vive,

Tu vas, un livre au poing, méditant les doulx sons

Dont tu sçais animer tes divines chansons,

Sans que l'aboy d'un chien, ou le cry d'une beste

Ou le bruit d'un torrent t'élourdisse la teste.

Quand ce doulx aiguillon si doulcement te poingt,

Je croy, qu'alors, Ronsard, tu ne souhaites point

Ny le chant d'un oyseau ny l'eau d'une montagne,

Ayant avecques toy la Surdité compagne,

Qui faict faire silence, et garde que le bruit

Ne te vienne empescher de ton aise le fruict.

Mais est-il harmonie en ce monde pareille

A celle qui se faict du tintin de l'oreille,

Lors qu'il nous semble ouir, non l'horreur d'un torrent,

Ains le son argentin d'un ruisseau murmurant,

Ou celuy d'un bassin, quand celuy qui l'escoute

S'endort au bruit de l'eau, qui tumbe goutte à goutte?

On dict qu'il n'est accord, tant soit mélodieux,

Lequel puisse égaler la musique des Cieux,

Qui ne se laisse ouir en ceste terre basse,

D'autant que le fardeau de ceste lourde masse

Hebete: noz esprits, qui par la Surdité

Sont faicts participans de la divinité.

Regarde donc, Ronsard, s'il y a mélodie

Si doulce que le bruit d'une oreille essourdie,

Et si la Surdité par un double bienfaict

Ne récompense pas le mal qu'elle nous faict,

En quoy mesmes les Dieux, Déesse, elle resemble,

Qui nous versent l'amer, et le doux tout ensemble.

O que j'ay de regret en la doulce saison,

Que je soulois regner paisible en ma maison,

Si sourd, que trois marteaux tumbans sur une masse

De fer estincelant, n'eussent rompu la glace

Qui me bouchoit l'ouÿe, heureux, s'il en feut onc:

Las, feusse-je aussi sourd, comme j'estois adonc!

Le bruit de cent vallets, qui mes flancz environnent,

Et qui soir et matin à mes oreilles tonnent,

Le devoir de la court, et l'entretien commun,

Dont il fault gouverner un fascheux importun,

Ne me fascheroit point: un créditeur moleste

(Race de gens, Ronsard, à craindre plus que peste)

Ne troubleroit aussi l'aise de mon repos,

Car, sourd, je n'entendrois ne luy, ne ses propos.

Je n'orrois du Castel la fouldre et le tonnerre,

Je n'entendrois le bruit de tant de gens de guerre,

Et n'orrois dire mal de ce bon Pere Sainct

Dont ores sans raison toute Rome se plaingt,

Blasmant sa cruauté et sa grand convoitise,

Qui ne craint (disent-ilz) aux despends de l'Eglise

Enrichir ses nepveus, et troubler sans propos

De la Chrestienté le publique repos.

Je n'orrois point blasmer la mauvaise conduite

De ceux qui tout le jour trainent une grand'suite

De braves courtisans, et pleins de vanité,

Voyant les ennemis autour de la cité,

Portent Mars en la bouche, et la crainte dans l'ame:

Je n'orrois tout cela, et n'orrois donner blasme

A ceux qui nuict et jour dans leur chambre enfermez

Ayant à gouverner tant de soldats armez,

Font aux plus patiens perdre la patience,

Tant superbes ilz sont, et chiches d'audience.

Je n'entendrois le cry du peuple lamentant

Qu'on voise sans propos ses maisons abbatant,

Qu'on le laisse au danger d'un sac époventable

Et qu'on charge son doz d'un faiz insupportable.

O bien-heureux celuy qui a receu des Dieux

Le don de Surdité! voire qui n'a point d'yeux,

Pour ne voir, et n'ouir en ce siècle où nous sommes

Ce qui doit offenser et les Dieux et les hommes.

Je te salue, ô saincte et alme Surdité!

Qui pour throsne, et palais de ta grand majesté

T'es cavé bien avant soubs une roche dure

Un antre tapissé de mousse et de verdure:

Faisant d'un fort hallier son effroyable tour,

Où les cheutes du Nil tempestent à l'entour.

Là se void le Silence assis à la main dextre,

Le doigt dessus la lèvre: assise à la senestre

Est la Mélancholie au sourcil enfonsé:

L'Estude tenant l'oeil sur le livre abbaissé

Se sied un peu plus bas: l'Ame imaginative,

Les yeux levez au ciel, se tient contemplative

Debout devant ta face: et là dedans le rond

D'un grand miroir d'acier te faict voir jusqu'au fond

Tout ce qui est au ciel, sur la terre, et soubs l'onde,

Et ce qui est caché soubs la terre profonde:

Le grave Jugement dort dessus ton giron,

Et les Discours aellez volent à l'environ.

Donq, ô grand Surdité, nourrice de sagesse,

Nourrice de raison, je te supply, Déesse,

Pour le loyer d'avoir ton mérite vanté

Et d'avoir à ton loz ce Cantique chanté,

De m'estre favorable, et si quelqu'un enrage

De vouloir par envie à ton nom faire oultrage,

Qu'il puisse un jour sentir ta grande déité,

Pour sçavoir, comme moy, que c'est de Surdité.