EPREUVE DE MISE EN SITUATION PROFESSIONNELLE : 

EXPLICATION DE TEXTE

 

Rapport présenté par Trung Tran

 

 

La session 2014 ordinaire a vu la mise en place de la toute nouvelle épreuve dite de « Mise en situation professionnelle » qui, tout en maintenant les fondamentaux de l’ancienne épreuve de « Leçon », présente des modifications substantielles, tant dans son esprit que dans ses modalités. Les lignes qui suivent entendent en préciser les enjeux et en fournir le cadrage, au regard d’une part des textes officiels dont les candidats ont pu prendre connaissance et d’autre part des prestations entendues lors de cette session[1].

 

Texte officiel :

« L'épreuve s'inscrit dans le cadre des programmes des classes de collège et de lycée. Elle porte sur un texte de langue française accompagné d'un ou de plusieurs documents à visée didactique ou pédagogique (notamment extraits de manuels ou travaux d'élèves), le tout constituant le dossier d'une leçon. Elle consiste en une explication de texte assortie d'une question de grammaire scolaire. La méthode d'explication est laissée au choix du candidat. La présentation de la question de grammaire prend la forme d'un développement organisé en relation avec les programmes et s'appuyant sur un ou plusieurs documents liés à la question posée.

L'exposé est suivi d'un entretien avec le jury, au cours duquel le candidat est invité à justifier ses analyses et ses choix didactiques ou pédagogiques, à manifester sa capacité à mobiliser une culture littéraire, artistique et grammaticale pour l'adapter à un public ou à un contexte donné, et à dire comment il aborderait pour un niveau de classe donné le texte et la question de grammaire proposés. »

 

 

Les modalités de l’épreuve

 

Le temps de préparation reste de 3h, qu’on conseille aux candidats d’organiser de la façon suivante : environ 2h1/4 pour l’explication de texte, environ 45 minutes pour la grammaire. Cette partition n’est qu’indicative, l’essentiel étant que les candidats veillent à gérer rigoureusement leur temps afin de ne pas sacrifier la préparation de la question de grammaire. Rappelons que les dictionnaires Littré, Robert 1 et Robert 2 sont à disposition dans les salles de préparation et que leur usage est plus que recommandé.

Alors que, dans l’ancienne maquette du concours, les candidats se voyaient proposer un choix de deux textes, il leur est désormais demandé de ne travailler que sur un seul et même dossier constitué des éléments suivants :

  • Le texte dont ils doivent proposer une étude conforme aux modalités et aux attentes de l’ancienne épreuve.
  • Un document iconographique constituant une force d’appoint que les candidats doivent mettre en relation avec le texte étudié.
  • Une question de grammaire dont le libellé est identique à l’ancienne épreuve.
  • Un extrait de manuel de collège ou de lycée qui doit constituer une force d’appui à l’exposé de grammaire.

 

Le texte présenté à l’étude est reprographié, les références étant clairement indiquées sur le bordereau du sujet, de même que ceux du document iconographique qui l’accompagne. Les candidats disposent également de l’ouvrage papier dans son intégralité, avec indication de la page où figure l’extrait soumis à leur examen. En cas de variante entre le texte donné dans le dossier et celui de l’exemplaire de l’édition fournie, c’est le texte du dossier qui fait foi et doit être commenté. Ce cas se présente notamment lorsque l’extrait de telle œuvre est celui d’une édition différente de celle de l’exemplaire fourni : tel passage du Gargantua de Rabelais peut ainsi être donné dans son édition de 1535 tandis que l’édition de référence de l’ouvrage papier peut être celui de 1542, des variantes importantes pouvant alors se présenter entre les deux versions. Précisons du reste que ces variantes peuvent faire l’objet de commentaires intéressants que les candidats pourront éventuellement intégrer à leur étude.

Les candidats disposent, pour présenter leur travail, de 40 minutes réparties comme suit : entre 25 et 30 minutes pour l’explication de texte, entre 10 et 15 minutes pour l’exposé grammatical. Ils ont le choix de commencer par l’une ou l’autre de ces deux  épreuves. Si la prestation ne peut excéder ces 40 minutes (les candidats veilleront à avoir leur montre sous les yeux), précisons qu’ils ne sont nullement tenus de remplir totalement le temps qui leur est imparti. Une explication de 25 minutes est tout à fait concevable. Ainsi, lors de cette session, un candidat a proposé une explication concentrée, dense, efficace et brillante qui s’est vue attribuée la note maximale de 20/20. 

Une fois sa prestation achevée, le jury invite le candidat à sortir quelques instants afin de délibérer et de fixer la note plancher en dessous de laquelle il ne pourra aller. Cette note est donc définitivement acquise et l’entretien qui suit, d’une durée de 20 minutes maximum, ne pourra que la valoriser ou la laisser en état.

Que les candidats comprennent bien que la note qui leur est attribuée sert aussi bien à les évaluer qu’à les classer, et qu’il leur revient de se distinguer par leurs compétences disciplinaires et techniques mais aussi par leur capacité à partager avec le jury une lecture personnelle et sensible, fondée sur une maîtrise pertinente des outils d’analyse adéquats. Un texte peut se prêter à de multiples interprétations et être examiné à travers des axes de lecture variés. Non pas que toutes les lectures se valent – le contresens a encore de beaux jours devant lui − mais un parti-pris argumenté, étayé par des analyses précises, peut bien souvent emporter l’adhésion du jury même s’il était a priori peu en accord avec la lecture proposée. Certaines prestations suscitent parfois au sein du jury un vrai débat et l’on sait gré aux candidats capables de nous faire voir un texte sous un jour nouveau.

 

 

Une « mise en situation professionnelle »

 

Comme l’indique son nouvel intitulé, la première épreuve orale d’admission va dans le sens d’une accentuation de la dimension professionnalisante du concours. Fréquenter quotidiennement les textes, en donner le goût aux élèves, leur en donner l’accès par une lecture sensible et raisonnée est au cœur du métier de professeur de français. Inviter les candidats à s’y confronter en prenant appui sur leurs savoirs, éprouver la clarté de leur méthode consiste donc bel et bien, pour le jury, à les mettre en situation professionnelle. En outre, l’adjonction d’un document iconographique conforte l’interdisciplinarité qui marque désormais l’enseignement secondaire, les programmes officiels accordant une place non négligeable à l’histoire de l’art et à l’étude de l’image, présentes à chaque niveau de l’enseignement au collège. La présence d’un extrait de manuel à l’appui de la question de grammaire invite par ailleurs explicitement les candidats à donner à leur exposé une inflexion pédagogique. Précisons cependant d’emblée, pour éviter toute confusion, que cette épreuve n’est pas une épreuve de didactique et que les fondamentaux de l’ancienne épreuve de Leçon sont maintenus, le jury évaluant principalement les compétences disciplinaires des candidats. Il n’en reste pas moins que ces derniers doivent faire montre de leur aptitude à enseigner, et que cela passe aussi bien par une maîtrise des savoirs et une aptitude à lire les textes que par une maîtrise du discours oral. Une telle exigence valait bien évidemment pour l’ancienne épreuve, comme le soulignent avec constance les rapports précédents, mais le jury est plus que jamais attentif à l’ethos du candidat, qui passe aussi bien par sa tenue vestimentaire (dont le relâchement ne laisse pas parfois d’étonner…), son attitude, son élocution, son langage et sa façon de communiquer. Cela suppose aussi de canaliser un état émotionnel dont le jury a parfaitement conscience qu’il peut induire des propos et une attitude que le candidat n’aurait pas dans une toute autre circonstance que celle d’un concours de recrutement dont les enjeux peuvent être paralysants. Que les candidats prennent cependant bien la mesure de ce qu’ils dégagent d’eux-mêmes dans leur tenue et leur langage et de ce qu’ils révèlent alors de leur aptitude à rendre leur propos intelligible et convaincant. On passera sur certains barbarismes, incorrections linguistiques et autres expressions relâchées difficilement acceptables qui ont émaillé certaines prestations  − et que l’on voudrait enfin ne plus entendre dans la bouche de futurs professeurs de français − pour insister sur la nécessité de parler d’une voix claire et assurée, de bannir tout commentaire déplacé sur sa propre prestation (« je ne suis pas sûr de ce que je vais dire », « je suis perdu dans mes notes », « c’est sans doute tiré par les cheveux », « j’enfonce des portes ouvertes mais peu importe », « pour le premier mouvement du texte, je pense que c’est bon »). Seul un entraînement régulier au cours de l’année, dans les conditions réelles du concours, permettra aux impétrants d’acquérir aussi bien la maîtrise du temps que l’aisance orale que l’on attend d’eux et qu’ils devront manifester devant leurs classes.

La lecture orale du texte, passage obligé de l’introduction, est ainsi l’occasion pour les candidats de capter, dès les premières minutes de leur exposé, l’attention du jury. Combien d’élèves ont-ils été éveillés à la littérature par les lectures orales auxquelles se livraient leurs professeurs ! On ne saurait donc trop insister, cette année encore, sur la nécessité de soigner ce moment-clé de l’explication – qui engage bien souvent toute la suite, tant une bonne lecture manifeste parfois une juste compréhension du texte. Rappelons que ce dernier n’est pas lettre morte et qu’il revient au futur professeur de lui donner vie en l’incarnant d’abord par sa voix. Sans aller jusqu’aux excès d’une lecture « surjouée », notamment dans le cas d’une scène de théâtre (les lectures « blanches » peuvent parfois être d’une grande beauté et tout à fait expressives), on bannira donc les lectures mornes, monocordes, ternes voire erronées, remplaçant un mot par autre ou massacrant les vers d’un poème : comme nos prédécesseurs, on déplorera ici les lectures souvent catastrophiques dont font l’objet les textes versifiés. Un alexandrin est bien fait de douze syllabes (et non « pieds », la poésie française étant syllabique et non quantitative – rappelons-le une bonne fois pour toutes), et il convient de n’en oublier aucune : il n’est pas rare que, lors de l’entretien, le jury demande de relire tel ou tel vers, ce qui donne l’occasion de la part du candidat d’un décompte laborieux, ignorant des diérèses, des synérèses ou des règles de prononciation du e caduc. Précisons également que, dans le cas d’un enjambement ou d’un rejet, on ne marquera pas de pause à la fin du vers, mais on lira d’un seul tenant l’unité syntaxique quand bien même elle dépasserait l’unité métrique. Ajoutons enfin que les candidats doivent veiller à ne pas écorcher le nom des auteurs ou des personnages : ainsi a-t-on entendu un candidat parler tour à tour de Madame de Montreuil, Madame de Merteuil, Cécile de Volage, Madame de Tournel, ou un autre prononcer à l’anglaise le nom de Madame de Warrens tandis que Caïn faisait l’objet de prononciations aussi diverses que folkloriques.

L’entretien, sur lequel on reviendra plus précisément, est un moment tant crucial que délicat pour les candidats, et ce moment de l’épreuve revient également, à bien des égards, à les mettre en situation professionnelle en les invitant à revenir sur leur propos, en évaluant leur capacité au dialogue et à l’écoute, à fournir des réponses claires à des questions visant à leur demander d’expliciter ou de légitimer leurs analyses. Là où, dans la première partie de l’épreuve, leurs notes pouvaient constituer un support rassurant sur lequel ils pouvaient appuyer leur discours (sans qu’il s’agisse évidemment de les lire), il est attendu d’eux, lors de cet entretien « sans filets », qu’ils manifestent une même maîtrise de leur propos ainsi que leur aptitude à défendre leur point de vue ou au contraire le nuancer. Cela suppose une écoute attentive aux questions posées. Là encore, chacun sait combien, en situation de classe, les questions des élèves peuvent déstabiliser le professeur ou au contraire le stimuler et stimuler sa classe, requérir de sa part une acuité permettant de formuler une réponse intelligible, adaptée et ciblée. Il n’a pas été rare que le jury demande au candidat comment il aurait présenté les choses devant des élèves. Cette « mise en situation » a permis à certains de prendre conscience de l’imprécision de leur propos, les amenant dès lors à le reformuler, le reconsidérer ou le préciser. 

On met cependant en garde contre une posture que certains candidats ont eu la maladresse d’adopter, quand par exemple, au jury qui leur demandait de justifier l’emploi de tel terme (la question sous-entend souvent qu’il l’a été de façon non pertinente) ou de justifier telle analyse, se contentaient de répondre : « c’est ainsi que je le présente(rais) à mes élèves car cela me paraît plus simple ». Adapter son propos en fonction de son public est bien sûr une démarche essentielle dans le métier d’enseignant, mais elle n’implique pas nécessairement sa simplification outrancière, dont on a constaté qu’elle masquait parfois des approximations, des incertitudes ou des ignorances induisant des affirmations erronées. Précisons donc encore une fois que l’épreuve  de « mise en situation professionnelle » ne consiste pas à demander aux candidats de faire un cours : ils resteront donc assis lors de leur prestation et proscriront l’usage du tableau, comme certains ont été tentés de le faire. Le fait que, au cours de leur année de M1, les étudiants aient eu l’occasion de réaliser un stage d’observation et de pratique accompagnée, et donc d’être confrontés à des élèves, a manifestement permis à certains d’entre eux d’acquérir une assurance dont on ne peut que les féliciter. Cela s’est ressenti dans certaines prestations et le jury s’en est réjoui. Il a cependant déploré, dans certains cas, un excès d’assurance, une posture et un langage parfois inappropriés, une familiarité et une connivence déplacées. Adapter son discours en fonction de son interlocuteur implique que les candidats ne s’adressent pas au jury comme s’ils étaient soit leurs collègues soit leurs élèves. Cela a donné lieu tantôt à une étonnante arrogance − parfois due au stress mais qui reste du plus mauvais effet − soit à une pesanteur pédagogique peu appropriée aux circonstances. On encouragera donc les candidats à faire preuve à la fois d’assurance et d’humilité, et à rester à l’écoute des questions en faisant preuve de mesure et d’ouverture. Qu’ils soient convaincus que c’est, à bien des égards, par la maîtrise de son savoir et de sa parole que le professeur assoit son autorité. On a, en ce sens, été impressionné par l’aisance de certains candidats, et il n’est pas rare que l’entretien ait été l’occasion d’un dialogue vivant et plaisant, stimulant pour tous, faisant penser au jury qu’il aurait aimé avoir tel candidat comme enseignant. 

 

 

L’explication de texte

 

« De quoi parle texte ? », « que raconte-t-il ? », « quand a-t-il été écrit ? », « à quel genre littéraire appartient-il ? » : telles sont bien souvent les premières questions que le jury s’étonne de devoir poser aux candidats à l’entame de l’entretien, là où ces derniers devraient en fournir à eux-mêmes la réponse dès les premières minutes de leur préparation et avant même de couvrir le texte de quelque soulignement et annotation que ce soit. On commencera donc par fournir une série de conseils que l’on aimerait voir les candidats suivre dans leur temps de préparation, au moment d’appréhender le texte : avant que de se jeter corps et âme dans le détail de l’explication linéaire, ce qui expose au risque de la lecture myope au détriment d’une lecture globalisante saisissant les grandes caractéristiques et les enjeux du texte à étudier, on ne saurait trop insister sur la nécessité de procéder à une série de repérages simples (ce qui ne veut pas dire « simplistes ») et essentiels avant de s’atteler à l’analyse de détail : cette dernière ne peut prendre sens que si un cadrage préalable lui donne une ferme orientation.

 

De la littéralisation du sens

 

Comme le soulignaient avec constance les rapports des précédentes sessions, il n’est pas inutile de s’assurer tout d’abord que le sens littéral du passage est bien compris, que le propos est bien cerné, et ce au terme d’une paraphrase très simple que le candidat fera pour lui-même pour bien évidemment la dépasser dans un second temps. Mais faut-il rappeler que le travail d’analyse et d’interprétation ne peut faire l’économie d’une compréhension préalable de la lettre du texte. Avant d’en interpréter le sens, les candidats auront tout intérêt, dans un premier temps, à le littéraliser et à se demander tout simplement ce qu’il dit et de quoi il s’agit. Si, dans une certaine mesure, le sens premier d’un texte narratif en prose ou d’un texte théâtral paraît relativement transparent au premier abord – même si cette transparence peut représenter en elle-même une difficulté tant le texte semble alors offrir peu de prise à l’explication − on constate bien souvent que les candidats apparaissent déstabilisés par les textes poétiques, comme s’ils partaient du principe qu’un poème ne racontait ou ne signifiait rien et n’était jamais qu’un « aboli bibelot d’inanité sonore ». Or s’il est évident – comme on le redira plus loin – que la spécificité du langage poétique appelle une posture de lecture particulière et des outils d’analyse spécifiques, il n’en demeure pas moins qu’il peut s’avérer salutaire d’écarter momentanément le voile des figures, des images, des métaphores et des symboles pour ramener le texte à la simplicité d’un sens, sans peur de la référence, sans écarter la trivialité, sans ignorer ce que le poète, très concrètement, donne à lire et à voir. Une explication des « Pas » de Valéry a ainsi fait l’objet d’une lecture exclusivement métapoétique, la candidate assimilant d’emblée les pas aux « mots » pour voir le poème comme une exaltation de la forme poétique pure, sans émettre une seule fois l’hypothèse que le terme qui donnait son titre au poème pouvait tout simplement revêtir d’abord son sens propre, que la « Personne pure » pouvait être une femme s’approchant, nu-pieds, du lit de poète avant de se livrer à un « acte tendre » dont la candidate n’a pas vu ce à quoi, tout simplement, il consistait. 

Comprendre la lettre du texte, c’est aussi en comprendre la langue et la syntaxe. Si le jury met en garde les candidats contre la tendance, souvent observée, de « grammaticaliser » à outrance l’explication littéraire (peu importe que telle relative soit déterminative, ou que tel infinitif soit de progrédience si ces éléments n’apportent rien à l’étude du texte), il invite néanmoins à prêter attention à la structure grammaticale des textes, certains faux-sens ou contresens étant parfois induits par une lecture trop rapide attribuant à un verbe le sujet ou le complément qui n’est pas le sien, ou commettant des méprises dommageables sur la construction syntaxique de telle ou telle phrase dont le noyau verbal n’est pas ou mal identifié. Il est souvent arrivé qu’un candidat soit désarçonné par la syntaxe d’un texte versifié, voyant des difficultés là où il n’y en a pas nécessairement. C’est ainsi que dans la deuxième strophe de « À une passante » de Baudelaire :

 

Agile et noble, avec sa jambe de statue.

Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan, La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

 

le candidat considère que le verbe "boire" est employé absolument et en déduit que le poète est attablé à la terrasse d’un café, alors que le complément d’objet du verbe est la « douceur » figurant dans le dernier vers du quatrain.   

 Ajoutons enfin que les textes anciens, en particulier ceux du XVe, du XVIe et, dans une moindre mesure, du XVIIe siècle, peuvent présenter de réelles difficultés de langue, tant en raison de leur syntaxe que de leurs particularismes graphiques et lexicaux. Les candidats prendront garde à ne pas se laisser abuser par les graphies anciennes leur faisant parfois lire un mot pour un autre : dans telle page de Montaigne, « foyter » lu pour « fêter » au lieu de « fouetter », dans tel sonnet de Du Bellay, le terme « costaux » pris pour l’adjectif « costauds » au lieu du substantif « côteaux ». Les cours d’ancien français suivis durant l’année peuvent, on le voit, être d’une certaine utilité pour identifier un [s] implosif, amuï dès le XIIIe siècle mais encore maintenu dans la graphie au XVIe. Précisons d’ailleurs que le jury n’attend nullement des candidats, pour un texte ancien, une prononciation restituée, parfois nécessaire dans des textes en vers pour respecter les rimes, mais on pourra tout à fait se satisfaire d’une lecture « modernisée » du texte se dispensant de prononcer systématiquement [we] le digramme [oi] qui, du reste, ne se prononçait comme tel au XVIe que dans certains cas. Précisons enfin que les éditions papier sont souvent pourvues de glossaires et de notes permettant de lever certaines difficultés lexicales. À défaut, le jury peut fournir au sein du dossier, s’il le juge nécessaire, une reproduction d’une page de notes, comme cela a été le cas pour un texte de François Villon qui a du reste donné lieu à une excellente étude. Cependant, en l’absence de toute note lexicale, et en l’absence de tel mot dans les dictionnaires mis à disposition des candidats, ces derniers ne doivent pas pour autant se laisser déstabiliser : le sens d’un mot inconnu peut parfois être déduit de son contexte d’emploi, et on saura toujours gré aux candidats de s’être confrontés à la difficulté au lieu de l’éviter. Une fois encore, le CAPES n’est pas un concours de spécialistes, et le jury sait, quand il le faut, ajuster ses exigences pour autant que le candidat fasse preuve de bon sens, d’agilité et d’honnêteté intellectuelles. Ainsi, devant une page de Rabelais dépourvue de tout glossaire, un candidat n’hésite pas à émettre des hypothèses en faisant appel à l’étymologie, à gloser sur l’origine manifestement savante de certains mots dont le sens précis pourtant lui échappe, à rappeler l’abondance des néologismes dans l’œuvre du chinonais, méconnus par les lecteurs du temps, et à exploiter à bon escient l’effet d’étrangeté et de nouveauté provoqué par l’inventivité verbale d’une langue proprement « inouïe » aussi bien chez le lecteur moderne que, très probablement, chez les contemporains de l’auteur du Gargantua.

 

De la contextualisation

Une compréhension du sens littéral du texte se doit en outre de tenir compte de son contexte immédiat. Lors des sessions précédentes, le jury avait déjà constaté que certains candidats ne prenaient pas la peine de lire l’amont et l’aval du texte, lesquels éclairent bien souvent le passage à étudier Le jury n’est enclin à aucune indulgence face à un candidat qui n’a pas pris la peine de lire les lignes précédant son extrait, surtout si cette négligence a induit une totale incompréhension du texte ou un contresens majeur que ce réflexe basique aurait permis d’éviter. Ce travers s’est accentué cette année, du fait que les candidats disposaient de l’extrait reprographié et ne prenaient donc pas toujours la peine d’ouvrir et de parcourir l’ouvrage mis à leur disposition, dont on regrette d’ailleurs qu’il soit trop fréquemment resté fermé lors de la prestation orale. À la question apparemment si redoutée des candidats − « avez-vous lu l’œuvre ? » − il est préférable de répondre par la négative plutôt que d’assurer le contraire ou de lancer d’un ton peu assuré « oui, mais il y a longtemps ». Si le jury pose cette question, ce n’est certainement pas pour mettre le candidat face à son ignorance mais plutôt pour orienter l’entretien en fonction de la réponse en s’autorisant des questions plus larges donnant l’occasion au candidat d’enrichir son propos en mobilisant sa connaissance de l’œuvre. Une méconnaissance de cette dernière n’est pour autant pas nécessairement rédhibitoire, et elle peut du reste attirer plus d’indulgence de la part du jury du fait que les candidats se voient imposés un texte là où, lors des précédentes sessions, l’on pardonnait moins facilement à un candidat de ne pas avoir lu l’œuvre d’où était tiré l’extrait qu’il avait pourtant choisi de travailler. Cela étant dit, on reprochera moins au candidat sa non connaissance de l’œuvre que de n’avoir pas eu le réflexe, dans le temps de préparation, de resituer le texte à expliquer dans l’économie de la pièce, du recueil ou du roman dans son entier. Parcourir la table des matières, prêter attention au paratexte (titre de l’œuvre, titres de chapitres ou de section, titre du poème) est en outre capital, et appelle parfois un commentaire qu’il est judicieux d’intégrer à l’explication, tout particulièrement à la phase d’introduction. L’attention prêtée aux entours du texte peut bien souvent nourrir l’étude de l’extrait : même si ce dernier doit rester la cible de l’étude et qu’il ne s’agit certainement pas de s’en écarter, les enjeux qu’il soulève apparaissent parfois de façon saillante à l’aune d’une comparaison avec un autre passage de l’œuvre auquel il peut faire écho ou dont il constitue le miroir. Ainsi la fameuse scène de première rencontre entre Madame de Clèves et le duc de Nemours dans La Princesse de Clèves fait-elle l’objet par un candidat d’une mise en rapport fructueuse avec la scène de rencontre qui, en amont de celle soumise à l’étude, met en présence le prince de Clèves et celle qui n’est encore que Mlle de Chartres : la comparaison des deux pages fait ressortir, autant par un jeu de contraste que d’homologies, aussi bien la récurrence des motifs topiques de la rencontre, le retour des mêmes isotopies lexicales que les écarts évidents, les déplacements et les variations subtiles qui mettent en évidence ce qui, dans la première scène, déclinait le topos de la scène de rencontre sur un mode mineur, là où la scène du bal en constitue évidemment, par la réciprocité des regards et la naissance d’une passion partagée, le mode majeur. On pense encore à ce candidat qui, à l’entame de l’introduction à son étude de la lettre 96 des Liaisons dangereuses, lit un extrait d’une autre lettre judicieusement choisie permettant de poser en quelques mots les enjeux esthétiques du roman : la spécificité du genre épistolaire, la polyphonie qu’il induit, la connivence libertine, l’ensemble de ces éléments amenant excellemment à la lecture orale de l’extrait, lequel prend dès lors tout son relief avant même que l’étude elle-même en soit faite. On rappellera encore l’utilité que peut revêtir, dans le cas de l’étude d’un incipit romanesque, la lecture rapide de son explicit − et inversement. Enfin, on appréciera la capacité du candidat à nourrir son étude de références à d’autres œuvres du même auteur afin de mettre en évidence, dans telle scène de la Chartreuse mise en écho avec telle page du Rouge, les éléments typiques de l’imaginaire stendhalien, tant dans le tracé d’une topographie symbolique que dans la construction d’un héroïsme typiquement stendhalien ou dans la tendresse, parfois mâtinée d’ironie, que le narrateur porte envers ses personnages, de Fabrice del Dongo à Julien Sorel, de Mme de Rênal à Clélia Conti.

Travailler les entours du texte suppose en outre une lecture rapide de l’apparat critique dont est pourvu l’édition mise à la disposition des candidats. Il leur fournira des pistes pour entrer dans son texte, tandis que les notes et les éventuels glossaires leur permettront de lever le sens tel ou tel passage obscur ou d’expliciter telle référence érudite ou historique. Or, le travail de contextualisation historique fait bien souvent défaut, que ce soit par déficience culturelle ou par oubli fâcheux, si bien que les candidats manquent de surplomb sur le texte et ne peuvent le mettre en perspective, tant en diachronie qu’un synchronie. On ne saurait donc trop insister sur la nécessité, au cours de l’année de préparation, d’une remise à niveau en matière d’histoire et d’histoire littéraire et culturelle, nécessaire pour déterminer un contexte d’écriture et comprendre les conditions d’émergence de telle école ou de tel mouvement littéraire : ainsi de la situation politique où s’enracine le « mal du siècle » dont Nerval se fait explicitement l’écho dans les premières pages de Sylvie, ou encore des guerres de religion et des positions défendues par les auteurs qui s’y engagèrent par la plume et parfois par le fer, dont la méconnaissance empêche de saisir la portée detel passage des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné ou de comprendre la ferveur mystique tout comme l’angoisse existentielle exprimées dans certains poèmes de Jean de Sponde ou de Jean-Baptiste Chassignet. Les caractéristiques du mouvement et de l’esthétique « baroques » gagneront alors à être explicités par leur mise en relation avec la Contre-Réforme et donc la naissance d’un art architectural et pictural conçu comme un  véritable outil de propagande sollicitant davantage l’émotion que la raison et appelant à une conversion immédiate.  

 

De la caractérisation 

 Dans cette phase préliminaire de repérage qui doit précéder l’analyse de détail du texte mais aussi l’irriguer dans son entier une fois posées sur le papier les réponses aux questions « Quoi ? Quand ? Où ? », le jury tient donc à rappeler l’importance fondamentale de l’entrée contextuelle, à laquelle est par ailleurs intimement liée l’entrée générique, tonale, formelle, laquelle doit faire l’objet d’une première approche dès lors que le candidat découvre le texte qui lui est proposé. Outre que cette première appréhension de l’extrait nourrira la phase de caractérisation attendue dans l’introduction, elle amènera très naturellement le candidat à mobiliser d’emblée certains outils simples et efficaces mais aussi à faire preuve de sa sensibilité littéraire. Un professeur est d’abord un lecteur, et le jury a plaisir à écouter un candidat capable de transmettre la texture d’une écriture dont il a su capter la beauté et, passant d’une lecture sensitive à une analyse raisonnée, en dévoiler les mécanismes et les subtilités.

 Une fois le texte compris dans sa lettre, restitué dans son contexte historique et littéraire puis resitué dans son cotexte immédiat, il convient donc de cerner de plus près ses grandes caractéristiques esthétiques, en posant tout d’abord la question des genres et des sous-genres. Se rappeler à soi-même que tel texte appartient au genre romanesque, théâtral ou poétique n’est pas superflu, loin s’en faut : à entendre certains candidats expliquer Verlaine, Ronsard ou Jaccottet, il semblerait qu’ils aient l’habitude d’étudier un texte en vers comme s’il s’agissait d’un texte en prose. On regrette encore cette année le peu d’attention porté à la versification, aux rimes, à la musicalité, à la structure d’un sonnet, les termes de volta (ou charnière) et de pointe étant encore ignorés de certains candidats. D’autres oublient qu’un texte théâtral est fait pour être joué et qu’à cet égard, les didascalies sont à commenter, les analyses dramaturgiques et scénographiques souvent bienvenues. On signalera le cas particulier du poème en prose dont on répètera qu’il est un poème et se doit donc d’être examiné comme tel : bien qu’en prose, « Ondine » d’Aloysius Bertrand, « Le tir et le cimetière » de Baudelaire ou « L’Huître » de Ponge sont bel et bien des poèmes et il revient aux candidats d’expliquer en quoi il en sont effectivement. Quant à l’analyse d’une page de roman, elle demande aux candidats qu’ils activent des réflexes immédiats et en appellent à des catégories dont on constate souvent qu’ils les connaissent mais qu’il n’ont pas toujours l’idée de les convoquer, tant peut-être elles leur paraissent trop évidentes. Leur explication gagnera ainsi à poser la question de savoir en quoi telle page permet d’appréhender la notion de romanesque (ou sa déconstruction), de réfléchir à la notion de personnage, de décliner tel ou tel topos narratif (la scène de première vue, la scène de reconnaissance, etc.), de mobiliser si nécessaire les outils de l’analyse narratologique ou encore énonciative (le discours indirect libre ou le discours narrativisé restent encore bien mal maîtrisés), tandis que la question du point de vue ou de la focalisation n’est que trop rarement soulevée alors même qu’elle engage parfois tout le sens du texte. Le fait de rappeler que l’on a affaire à un récit, un portrait, une description, un dialogue ou un monologue, une harangue est primordial, car d’une telle caractérisation doit découler la mobilisation immédiate des outils d’analyse requis pour l’étude de tel ou tel dispositif ou forme littéraires.

On voit donc que l’identification du genre se doit d’être affiné : resituer un texte dans une catégorie, une filiation, une tradition littéraire et esthétique, c’est par exemple rattacher d’emblée tel texte à la tradition de la poésie lyrique, de la poésie épique, du roman d’apprentissage, du roman épistolaire, du roman philosophique, picaresque, autobiographique, de la tragicomédie, etc, sachant que tous ces éléments s’enrichissent de la mise en perspective historique que nous avons évoquée plus haut. Poser ces évidences doit alors aider le candidat à entrer plus avant dans le texte et à formuler des premiers éléments de problématisation que viendra préciser l’examen des spécificités du texte précis qu’il s’agit d’étudier. Ainsi, le jury a su gré à un candidat confronté à une lettre de Madame de Sévigné de rappeler certes qu’il avait affaire à un roman épistolaire mais d’exploiter les questionnements qu’un tel genre suscite immanquablement (les destinataires, le dispositif énonciatif, l’oralisation, le temps de l’écriture et celui de sa réception, etc.) tout en le mettant en perspective avec le style classique et l’esthétique de la conversation mondaine. 

 Ces considérations nous amènent naturellement à évoquer la question des tonalités et des registres, dont les candidats ont, cette année encore, fait peu de cas, ou qu’ils ont appréhendé avec peine. On les invitera à faire confiance à leurs premières impressions de lecture, et à leurs premières intuitions de lecteurs, à entendre et à sentir le texte, à se laisser aller à ce face-à-face avec la littérature pour être à l’écoute de sa poésie, sa violence, sa sensualité, son ironie, sa drôlerie. Le jury est du reste sans cesse étonné de la gêne des candidats face à l’humour d’un texte. Le rapport 2013 soulignait déjà ce défaut, et il ne nous semble pas inutile d’y revenir tant il apparaît récurrent d’une session à l’autre. Outre qu’une maîtrise technique de catégories à la fois proches et dissemblables fait souvent défaut (humour, comique, ironie, satire, burlesque, héroïcomique), il semble inconcevable à certains candidats qu’un texte puisse être… drôle, et, partant, qu’il puisse faire rire. L’épisode du torchecul dans le Gargantua, certes non exempt d’un « plus haut sens » caché derrière la trivialité du propos, n’en est pas moins drolatique, mais il fait l’objet de la part d’une candidate d’une explication des plus graves et sérieuses excluant d’emblée la possibilité que le texte puisse faire rire, pour affirmer du reste qu’il ne ferait que choquer le lecteur d’aujourd’hui. Mais même des textes plus explicitement comiques ne semblent pas être appréhendés comme tels. Par contraste, cela ne rend que plus plaisant pour le jury de partager avec un candidat l’analyse savoureuse de la scène du Mamamouchi dans le Bourgeois gentilhomme, lu avec un plaisir communicatif tandis que les ressorts du comique sont examinés avec précision. Le jury s’est ainsi réjoui de prestations sachant allier technique d'analyse et sensibilité littéraire, et sachant ainsi montrer avec brio combien la littérature est chose vivante. 

 

De l’introduction 

Le travail de repérage dont nous venons de tracer les grandes lignes permet donc de dégager un certain nombre d’éléments dont on aura compris qu’il viendront nourrir le corps de l’explication en mettant en perspective les analyses proposées, mais aussi, tout d’abord, l’introduction de l’explication, qu’il s’agisse du préambule précédant la lecture du texte, de sa rapide caractérisation ou de l’énoncé de la problématique. La capacité à concentrer, dans ce premier temps de l’exposé, tous les enjeux du texte dépend en grande part de la façon dont le candidat, au moment d’appréhender son extrait, aura su l’embrasser dans sa globalité sans se jeter trop tôt dans ses détails au risque de s’y noyer. Le jury a pu regretter l’indigence de certaines introduction mais a eu aussi plaisir à en entendre d’excellentes, où tout était déjà dit, augurant d’une explication répondant aux promesses de son propos d’ouverture. 

Rappelons les étapes à respecter qui, allant du général au particulier, s’approcheront progressivement de l’extrait à étudier et assureront une fluidité du propos palliant le caractère mécanique que le jury ressent souvent à l’écoute d’une introduction : 

1)     un préliminaire prenant son miel dans le travail de contextualisation historique présenté plus haut permettra de présenter brièvement l’auteur et d’inscrire le texte dans son époque, d’en rappeler éventuellement les circonstances d’écriture et de publication, de préciser, le cas échéant, le mouvement auquel il appartient. Ces rappels seront brefs : on évitera de délayer et de ne retenir que les éléments permettant d’éclairer l’extrait à étudier et d’en soulever déjà certains des enjeux – esthétique, éthique, idéologique. 

2)     Le candidat précisera ensuite la situation de l’extrait en rappelant les circonstances de la diégèse, de l’intrigue, ou en mettant en rapport − si cela s’avère intéressant − tel poème avec celui qui le précède et/ou qui le suit ou avec l’éventuelle section du recueil dans lequel il prend place. Ces précisions ne revêtent pas seulement une valeur informative, elles peuvent aussi éclairer le statut et la fonction de l’extrait et en faire d’emblée pressentir les enjeux : le premier vers de « À une passante » gagne ainsi à être mis en relation avec le titre de la section « Tableaux parisiens », il n’est pas anodin que le portrait de Madame Vauquer, dans Le Père Goriot, suive immédiatement la description de la pension, la première confrontation entre Alceste et Philinte à la scène 1 de l’acte I du Misanthrope ne peut se comprendre que si l’on rappelle dans quelles circonstances s’ouvre la pièce. De même, la scène de première rencontre dans La Princesse de Clèves est rendue à toute sa puissance si l’on rappelle que Mlle de Chartres est déjà devenue Mme de Clèves, si l’on précise la raison pour laquelle le Duc de Nemours apparaît à la cour alors que le bal a déjà commencé, empêchant ainsi les deux protagonistes de s’adresser la parole et d’être présentés l’un à l’autre avant de danser ensemble, et si l’on relit la phrase précédant immédiatement l’extrait : « et surtout madame la dauphine le lui avait dépeint d'une sorte, et lui en avait parlé tant de fois, qu'elle lui avait donné de la curiosité, et même de l'impatience de le voir ». Le topos de la première rencontre trouve ainsi à être réactivé par la façon dont la romancière ménage les circonstances de la rencontre en y introduisant ce qu’il faut de hasard et de nécessité et en suggérant d’une phrase la passion naissante, à la faveur d’une cristallisation dont on comprend qu’elle a déjà eu lieu si bien que l’extrait à étudier apparaît tout autant comme une scène de rencontre que comme une scène de reconnaissance : ces rappels faits, la lecture de la page, que le candidat fera redécouvrir au jury, prendra alors tous son sens.  

3)     La lecture intégrale de l’extrait est, on le rappelle, obligatoire. On ne reviendra pas sur l’importance de la lecture du texte, dont on a parlé plus haut, pour redire simplement combien le jury a pu apprécier certaines lectures qui, d’ores et déjà, montrait que le texte avait été compris (ou pas…)

4)     Il peut s’avérer intéressant de faire suivre la lecture d’une brève caractérisation formelle du texte qui, en quelques mots, précisera s’il s’agit d’un portrait, d’une scène de première vue, d’un plaidoyer argumentatif, d’un dialogue amoureux, etc., induisant dès lors une organisation interne spécifique qu’il s’agira donc de présenter.

5)     La composition du texte fait encore trop souvent l’objet d’un examen superficiel. Il ne s’agit pas de se contenter de résumer le texte en ses différentes « parties », que nombre de candidats ont tendance à pourvoir fort maladroitement d’un titre (« la première partie du texte, que j’intitulerai ‘une rencontre amoureuse’…. »). Rappelons qu’il ne s’agit pas de « découper » le texte de façon arbitraire ou platement descriptive mais d’en montrer la dynamique, la cohérence et la progression interne, le mouvement qui mène du début à sa fin, le dernier mot du texte pouvant parfois faire l’objet d’une attention toute particulière dès lors que tout le passage y mène. Respecter la cohérence d’un texte, c’est éviter par exemple d’arrêter l’un de ses mouvements au milieu d’une phrase, ou partir du principe qu’il faut nécessairement dégager des parties de longueur égale, ou encore distinguer systématiquement, dans un sonnet, quatrains et tercets là où la dissymétrie voulue  – et la structure dilatoire tout comme la cadence mineure ainsi créées −  opposant ou mettant en écho d’une part les trois premières strophes et d’autre part le dernier tercet déplace la volta du poème au milieu du sizain pour produire un effet de sens qu’il s’agit de commenter. Les candidats éviteront l’arbitraire du « découpage » en s’appuyant sur des indices thématiques et/ou formels clairs mettant en évidence les grandes articulations du texte : connecteurs logiques, organisation syntaxique, distribution des temps verbaux, des isotopies lexicales ou des plans énonciatifs, systèmes de répétition ou d’opposition, etc. 

6)     C’est dire combien la caractérisation du texte et l’étude de sa composition doivent déjà en constituer une véritable analyse et peuvent mener naturellement à l’énoncé de la problématique. Si les candidats ont coutume de proposer d’abord leur axe de lecture avant de dégager la composition du texte, on a su apprécier ceux qui, fort judicieusement, ont procédé à l’inverse dès lors que la problématique découlait naturellement de la caractérisation du texte et/ou de sa composition. Dans son étude du portrait d’Henri III tiré des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, une candidate part ainsi du portrait satirique, insiste sur l’aspect détaillé de la description, puis sur les interventions régulières du poète, avant de proposer la problématique suivante : « Comment par une description typique de l’esthétique baroque le poète construit un portrait satirique tout en mouvement ». À propos d’un poème de JeanBaptiste Chassignet, « Mortel pense quel est dessous la couverture », un candidat remarque ainsi que le sonnet – qu’il a pris soin de replacer d’une part dans la mouvance baroque et d’autre part dans le contexte des guerres civiles de la fin du XVIe siècle et du mouvement de la Contre-Réforme − donne à lire, dans les trois premières strophes, la peinture d’un corps en décomposition tandis que la dernière strophe, marquée à son entame par l’adverbe « Puis » signe le retour de la voix poétique à travers un impératif faisant écho à celui du premier vers pour délivrer une leçon d’ordre spirituel. Se succèdent ainsi la description et le discours, la monstration et la leçon, ce qui permet au candidat de proposer une problématique visant à montrer « en quoi la peinture baroque de la mort constitue un support à la méditation, l’expérience visuelle constituant un préalable à l’exercice spirituel ». On voit que la problématique a ainsi tout à gagner à se nourrir du travail de contextualisation et de caractérisation générique et formelle du texte, dont les candidats auront pris soin de poser les premières pierres. Ils éviteront ainsi l’écueil de la problématique platement thématique, descriptive ou passe-partout voire paresseuse (« on verra en quoi ce passage est représentatif de l’œuvre dans sa globalité », « on montrera en quoi ce passage du Gargantua est représentatif de l’esprit humaniste ») pour plutôt rendre compte des grands enjeux du texte en articulant par exemple l’angle thématique et l’angle esthétique ou en visant la spécificité de l’extrait tout en le liant aux enjeux de l’œuvre entière, ou en montrant en quoi il constitue un modulation particulière de la poétique propre au genre ou au sous-genre dont il relève, au mouvement littéraire auquel il appartient ou à la topique qu’il renouvelle. La scène du ruban volé dans les Confessions de Rousseau est ainsi l’occasion pour un candidat de montrer « en quoi cette scène judiciaire constitue une défense et illustration de soi » ou à tel autre de voir « comment le discours judiciaire fonctionne comme une thématisation du discours autobiographique ». On citera encore ce candidat qui, à l’aune de son étude de la lettre 96 des Liaisons dangereuses établit « l’équivalence entre le plaisir de l’écriture et le plaisir amoureux » pour examiner « la mise en scène du geste et de la parole dans le récit de Valmont, la connivence libertine permettant de présenter ce dernier sous une figure paradoxale, à la fois libertin et faux ingénu ». Enfin, une candidate, s’appuyant sur le dernier vers de « Je crain pas ça tellment » de Queneau, qualifie d’entrée le poème comme « chanson du néant » et comme prosopopée du poète ou de son crâne, puis se demande comment Queneau réaménage le memento mori, et quelle part y prennent l’autodérision et le jeu sur la tradition ».

 

De l’explication « linéaire »

La méthode de l’explication est au choix du candidat. Remarquons cependant que les commentaires composés donnent souvent lieu à des prestations médiocres et que le jury en finit par préférer de loin la méthode linéaire. Encore faut-il comprendre ce qu’on entend par là. Faire une explication linéaire d’un texte ne consiste nullement à se livrer à un laborieux commentaire mot-à-mot, nombre de candidats se croyant obligés de lire une à une chaque phrase du texte puis d’en faire aussitôt un commentaire plus ou moins pertinent, ou de gloser chaque terme dont ils donnent la définition puisé dans le dictionnaire sans qu’on voie l’intérêt d’une telle précision (si l’usage des usuels mis à disposition des candidats est encouragé, on met en garde contre les abus et les dérives auxquels il donne souvent lieu, définir un mot ou préciser une référence culturelle ne pouvant se substituer à l’analyse). Une telle démarche expose au risque de la paraphrase, de l’émiettement et provoque généralement chez le jury un sentiment d’ennui difficile à réprimer. Elle manifeste surtout une méprise des attentes de l’exercice. L’explication se doit de référer régulièrement au texte en suivant sa dynamique linéaire et l’ordre de sa progression telle qu’on l’aura dégagée en introduction, et en suivant fermement l’axe de lecture annoncé. Notons à cet égard que le jury constate souvent la difficulté qu’ont les candidats à intégrer les analyses stylistiques au sein de leur étude. Certes, on ne peut que se réjouir de l’attention portée par certains aux procédés formels tant on regrette qu’ils soient trop souvent négligés par d’autres, mais outre que les analyses se doivent d’être précises (se contenter de relever la longueur des phrases chez Proust sans autre considération ne peut suffire à examiner la particularité de son écriture, pas plus que remarquer la musicalité d’un poème de Verlaine sans étudier les procédés qui y concourent), les remarques formelles ne valent que si mises au service d’une démarche interprétative, un discours saturé de termes techniques, versant dans un structuralisme outrancier, amenant par ailleurs immanquablement à perdre le sens du texte. On mettra donc en garde les candidats contre les lectures myopes et on les encouragera à tenir la mesure entre d’une part l’étude de détail s’attachant à tel terme ou telle figure remarquable, telle construction significative, tel procédé patent, et d’autre part la posture de surplomb qui donne sens au détail, une fois restitué à l’ensemble cohérent dans lequel il prend place et dont il participe de la structure, de l’esthétique, du discours. C’est pourquoi il n’est pas inutile, comme le font opportunément certains candidats, de marquer une pause au terme de l’étude d’un des mouvements du texte pour synthétiser le propos au regard de la problématique initiale. Que les candidats gardent en tête la nécessité de toujours rattacher leurs analyses à un projet de lecture global, lequel s’enrichit du travail de repérage et de contextualisation dont nous avons rappelé plus haut les grands principes. 

La conclusion, sur laquelle s’achève l’explication, n’est pas, faut-il le rappeler, facultative. On ne saurait trop conseiller aux candidats de la rédiger immédiatement après avoir rédigé leur introduction afin d’éviter de se trouver en situation de devoir l’improviser devant le jury ou, pire, de n’en proposer aucune. Elle est le lieu où le candidat se doit d’opérer la synthèse, de recoudre les fils, d’ouvrir son propos en remettant par exemple le texte en perspective, dans une diachronie longue, ou au sein de l’œuvre globale de son auteur. C’est aussi le lieu où nombre de candidats ont intégré le commentaire du document iconographique, sur lequel nous allons à présent nous attarder.

 

Le document iconographique

 

 Le document iconographique systématiquement adjoint au texte constitue, comme on l’a déjà précisé, une force d’appoint, là où le document pédagogique accompagnant la question de grammaire en est une force d’appui. Cela signifie tout d’abord que le jury n’exige en aucun cas des candidats qu’ils en livrent une analyse exhaustive qui prendrait en outre le risque d’empiéter sur l’étude du texte, laquelle doit absolument primer. Précisons cependant que les candidats se doivent de commenter l’image, ceux qui s’en sont dispensés ayant été de facto sanctionnés par le jury, lequel n’a pas manqué de leur demander d’y porter leur regard lors de l’entretien. On commencera par donner une série d’exemples de commentaires pertinents proposés par les candidats : 

 

  • Un candidat commente le dernier tercet du sonnet XII des Amours de Ronsard et renvoie à la toile de Ruben dont la reprographie était jointe au dossier, « Prométhée enchaîné » (1611), pour souligner la référence commune au poème et au tableau, la douleur du poète, exprimée sur un mode typiquement pétrarquiste, étant mise en relation avec celle exprimée, dans la toile, par le visage de Prométhée, la posture de son corps, et la dévoration en acte que le peintre donne ici à voir.

 

  • Une caricature de Daumier (1808-1879) accompagnant le poème de Verlaine « Monsieur Prudhomme » permet au candidat, en introduction, de replacer tant l’image que le texte dans le contexte de l’émergence du genre de la caricature plastique qui se répand dans la presse en réaction à la Monarchie de juillet. Il déduit du titre de l’image  (« Henri Monnier. Rôle de Joseph Prudhomme ») que M. Prudhomme est vraisemblablement un personnage de théâtre, ce qui l’amène judicieusement à évoquer la notion de « type » en convoquant le modèle de Molière mais aussi de La Bruyère et donc l’intention critique voire satirique effectivement mise à l’œuvre dans le poème de Verlaine. Enfin, le candidat réfléchit excellemment, au cours de son explication, aux modes de transpositions textuelles des procédés plastiques de la caricature (réduction et maximalisation, mécanisation, valeurs morales des notations physiques, etc.). 

 

  • La scène 6 de l’acte II de Britannicus est assortie d’une photographie anonyme intitulée « Illusion d’optique » (2013) qui montre un œil entrouvert à l’intérieur duquel se donne à voir une dentition humaine. Cette image est l’occasion pour le candidat de la mettre brillamment en rapport avec son axe de lecture, fondé sur la tension entre le dire, le taire et le voir au fondement de la tirade de Néron rapportant la vision nocturne de Junie, mais aussi au cœur de la tragédie et symptomatique des spécificités du théâtre qui, par nature, montre des choses qui n’existent pas et, par là-même constitue d’une certaine façon une « illusion d’optique ».

 

  • Le Verrou de Fragonard (1774-1778) accompagnant la lettre 96 des Liaisons dangereuses donne lieu par une candidate à une mise en évidence des points de convergence entre l’un et l’autre et nourrit une explication par ailleurs brillante. Ainsi la toile entre en écho avec l’exhibition dans la lettre d’une intimité secrète, les sousentendus qui fondent aussi bien l’esthétique de la peinture que celle du texte, le détail du rideau qui évoque le théâtre ou suggère la théâtralisation. Enfin, l’étroitesse du rapport entre l’image et le texte est mise en évidence par une phrase de la lettre que la candidate présente comme une possible légende partielle du tableau : « Quelquefois, n’osant fixer le danger, elle ferme les yeux, et se laissant aller, s’abandonne à mes soins ». 

 

  • Le portrait de Napoléon III par Winterhalter (1853) est mis en regard avec « Fable ou histoire » (Victor Hugo, Châtiments). Le candidat le commente en conclusion de son étude pour mettre en évidence la façon dont le texte et l’image s’opposent et s’éclairent réciproquement dans un rapport dialectique : tandis que le poème de Hugo est violemment polémique et se livre à une critique du tyran, le tableau donne de ce dernier un portait officiel, portrait en pied tout en majesté célébrant les fastes et la puissance de Napoléon III revêtu d’une cape d’hermine, doté des attributs du pouvoir, la toile étant par ailleurs saturée par la couleur pourpre, signe impérial. 

 

  • L’épisode du torchecul, au chapitre XIII du Gargantua de Rabelais, est assorti d’une toilé de Rubens, « Léda et le cygne » (1601-1602). La posture de Léda, couchée et embrassant un cygne qu’elle tient entre ses jambes n’est pas sans faire écho à Gargantua affirmant « qu’il n’y a tel torchecul que d’un oison bien dumeté, pourvu qu’on lui tienne la tête entre les jambes ». La candidate souligne la tension qui s’instaure entre eux et qui ne met que mieux en évidence la dimension parodique du texte de Rabelais, détournant plaisamment, au gré d’un humour « drolatiquement » scatologique, un sujet mythologique que la toile de Rubens donne à voir certes dans toute sa sensualité mais aussi dans toute sa noblesse. Ajoutons à cela que cet épisode du Gargantua n’est peut-être pas sans faire référence, comme l’a supposé la critique, à une toile perdue de Michel-Ange représentant le même sujet que celui de la peinture de Rubens.

 

  • Un passage de En attendant Godot de Beckett est confronté à un cliché d’une mise en scène de 2014 de Jean Lambert-Wild, Lorenzo Malaguerra et Marcel Bozonnet. Le candidat en intègre le commentaire au corps de l’explication en prenant appui sur le costume des personnages pour mettre évidence la dimension clownesque du passage commenté et étudier ainsi tous les ressorts du comique.

 

De ces exemples concrets, on peut tirer quelques remarques et recommandations dont on voudrait qu’elles aident les futurs candidats à préparer cette épreuve. 

Cette première session laissait de fait une grande marge de liberté aux candidats dans les modalités d’exploitation de l’image, dont on attend qu’elle soit mise en relation avec le texte et intégrée à l’explication elle-même au moment qui semble le plus opportun, en fonction de la nature du document et de la nature du lien qu’elle noue avec l’extrait proposé. La nature du document est très varié : photographie, affiche de film, tableau, photogramme, frontispice, etc. Il peut s’agir d’une illustration du texte proprement dite (illustrations du Voyage au bout de la nuit de Jacques Tardi, des Caractères de La Bruyère par Jacques Ravel, du Pantagruel de Rabelais ou des Fables de La Fontaine par Gustave Doré) ou bien d’une œuvre sans rapport explicite avec le texte (une scène d’Iphigénie assortie d’une sculpture de Camille Claudel, une ballade de Villon accompagné du Jugement dernier de Fra Angelico, une toile de Turner en appui à un extrait de La Chartreuse de Parme, etc.). 

 S’il ne s’agit pas d’épuiser le sens de l’image, il convient néanmoins d’en proposer, même brièvement, une description précise que nombre de candidats ont eu peine à mener, faute de savoir réellement regarder  et lire une image. L’attention portée à tous les détails du document iconographique implique d’abord que l’on prête attention à l’identité de son auteur, à son éventuel titre, à la légende qui parfois l’accompagne, à sa date d’exécution, pas nécessairement contemporaine, évidemment, du texte à expliquer. Une maîtrise des outils et du vocabulaire propre à l’analyse iconographique ou picturale peut en outre être d’un grand secours pour procéder à une description de l’image elle-même. Le jury a ainsi regretté le peu de connaissance que les candidats manifestaient en la matière. Il ne leur en a pas été tenu rigueur plus que de raison, mais on encourage simplement les futurs candidats à se former sur la question afin, par exemple, de distinguer une gravure sur bois d’une eau-forte, une toile d’une fresque, une lithographie d’un dessin, etc., d’avoir en outre le réflexe de prêter attention à la distribution des plans, au langage des gestes, à l’utilisation des couleurs ou au contraire du noir et blanc, à la disposition des éléments dans l’espace du tableau. La matière même dont était faite l’image a parfois fait l’objet de commentaires fort judicieux : ainsi de cette candidate qui, face à un tableau retourné de Cornélius Gijbrecht (Dos d’une peinture, huile sur toile, 1668-1672) accompagnant le sonnet de Jean-Baptiste Chassignet évoqué précédemment (« Pense mortel… »), remarque judicieusement l’usure de l’encadrement en bois, matière pourrissable par excellence, élément à part entière de ce tableau, lequel donne à voir le rien, le néant. Aussi la candidate y voit-elle une variante remarquable du genre de la vanité picturale, en parfait accord avec la vanité littéraire que constitue le poème de Chassignet et qui met la thématique de la corruptibilité du corps au cœur de son propos. 

 

Une juste description de l’image est donc nécessaire, mais ne fait sens – dans le cadre de cette épreuve − que si elle fonde l’examen du rapport qu’elle noue avec le texte, son commentaire pouvant être fait en une fois ou à différents moments de l’explication, dans l’introduction, la conclusion et/ou dans le corps même de l’explication. L’essentiel sera pour le candidat de ne pas y référer allusivement comme pour s’en débarrasser, mais de montrer véritablement en quoi elle peut enrichir la lecture du texte. 

La valeur parfois historique, informative, documentaire de l’image peut rendre judicieux son examen en introduction, dans la phase de contextualisation du texte, soit qu’il s’agisse de présenter l’auteur si l’image permet d’évoquer les rapports étroits qu’un auteur entretenait avec les milieux artistiques de son temps (une peinture cubiste accompagnant un poème d’Apollinaire) comme le montre la caricature de Daumier précédemment citée. Cette autre lithographie de Daumier « Page d’histoire », parue en 1870 dans le Charivari, est ainsi proposée en accompagnement de « Nox », tiré des Châtiments de Victor Hugo (1853). L’artiste y représente l’aigle impérial écrasé par un volume du recueil des Châtiments. Un candidat exploite opportunément l’image dans son introduction pour rappeler le contexte historique et politique de composition du recueil, mais y revient aussi dans la phase de caractérisation pour souligner d’emblée la portée critique du poème, dirigé contre Napoléon III et le Second Empire, dont l’image évoque le destin funeste. 

De fait, l’image peut entrer en écho avec le texte pour aider à en introduire la thématique ou pour en faire ressortir – par rapprochement ou par contraste − le registre, la tonalité (lyrique, satirique, burlesque…) ou l’esthétique générale, ce qui peut amener à une intéressante réflexion sur la transposition ou la formulation visuelle de procédés proprement textuels, ou inversement. Une toile de Corrège, dont on connaît l’admiration que lui vouait Stendhal (« Son art fut de peindre comme dans le lointain même les figures du premier plan », Histoire de la peinture en Italie »), permet d’examiner l’écriture descriptive de l’auteur de la Chartreuse à l’aune d’une esthétique picturale jouant de l’esquisse et de l’estompage, à l’œuvre dans la scène de méditation de Fabrice au bord du lac majeur. 

 Si la convergence entre le texte et l’image peut se reconnaître par le rapport illustratif de cette dernière, on apprécie les candidats qui savent le dépasser pour proposer une lecture plus fine du lien qui les unit. Ainsi de l’affiche du film Madame Bovary réalisé par Claude Chabrol (1991), proposé à l’appui d’un extrait du chapitre VII de la deuxième partie : on pouvait attendre des candidats qu’ils fassent le lien avec le début du texte, qui s'ouvre sur les rumeurs des bourgeois d'Yonville (« le airs évaporés d'Emma ») puis sur un portrait d'Emma gagnée par une sorte de mélancolie romantique. Mais une attention portée à la composition de l’image permettait d’aller plus loin dans l’analyse : on y voit l’héroïne, incarnée par Isabelle Huppert, au centre de l’image, bordée de verdure − ce qui renvoie à sa situation géographique et sociale :  l'ennui de l'épouse d'un médecin de campagne. On pouvait aussi interpréter ce détail comme une référence à la nature de la rêverie romantique – Emma est vêtue d’une robe noire (image convenue du mal de vivre romantique) et luxueuse (écho aux folles dépenses d’Emma chez Lheureux dont il est question peu avant l'extrait donné). On pouvait encore remarquer que le visage est orienté vers le ciel et les yeux sont fermés, suggérant un personnage entre désespoir et rêverie d'un ailleurs sublime, refusant de voir le réel pour préférer l'imaginaire, la fiction qu'elle se joue à elle-même, etc. C’est donc une forme de condensé des traits romanesques du personnage que l'on retrouve dans l'affiche du film de Chabrol, et, partant, une reconstruction efficace de la notion de bovarysme.

 Au-delà du caractère illustratif de l’image, c’est donc sa fonction interprétative qu’il convient d’interroger. Faut-il rappeler que même une image illustrative, une mise en scène, une transposition filmique témoignent toujours d’une lecture singulière du texte par le peintre, le metteur en scène ou le réalisateur. Illustrer, c’est donc transposer, interpréter, faire ressortir − fidèlement ou au contraire, par un jeu de tensions et distorsions − une dimension de l’œuvre verbale qu’on estime en être une des clés : quel moment du récit l’artiste choisit-il de représenter, quel personnage choisit-il de mettre en avant, dans quelle posture, dans quel environnement ? Jean-Jacques Granville (1855), dans son illustration « l’Homme et son image » de La Fontaine propose non pas une image diégétique faisant référence à un épisode de l’apologue lui-même (comme le fait Gustave Doré montrant le « Narcisse » lafontainien se mirant dans l’eau pure d’un ruisseau, référence directe aux vers 14 à 20 de la fable), mais, articulant à la fois le niveau du récit et celui de la morale, représente le ruisseau en sa partie inférieure et, en son centre, un entassement de miroirs où se reflètent des visages déformés, ainsi qu’un livre ouvert portant le titre des Maximes de La Rochefoucauld, auquel la fable est dédiée et dont elle constitue un éloge. 

 

Ces exemples et commentaires donnent la mesure des modalités d’exploitation possibles du document iconographique sans évidemment les épuiser : il revient aux futurs candidats de se saisir de l’occasion que leur donne la nouveauté de cette épreuve pour profiter d’une liberté qui leur est acquise et de surprendre le jury.  

 

 

L’entretien

 

L’entretien constituant une composante à part entière de l’épreuve, les candidats doivent lui accorder toute l’importance qu’il sied. Cela suppose donc qu’ils s’y préparent pendant les quelques mois qui précèdent les oraux d’admission en multipliant autant que possible les simulations orales, ceci afin d’acquérir l’aisance et l’à-propos que demande un tel exercice. Rappelons qu’une fois sa prestation achevée, le candidat est invité à sortir et peut prendre avec lui le dossier ainsi que ses notes. La pression de la performance orale retombant naturellement après les 40 minutes d’exposé, on l’invitera à profiter de cette courte pause pour se remobiliser intellectuellement et non céder à un relâchement qui risquerait de le desservir. Qu’il comprenne bien que l’épreuve n’est pas terminée et que l’entretien peut augmenter la note plancher de façon parfois considérable : une candidate, stimulée par les questions, pleinement engagée dans le dialogue a ainsi vu sa note passer de 13 à 17 à l’issue de l’entretien. 

On ne reviendra pas sur la posture que le candidat doit alors adopter, on l’a évoquée en ouverture de ce rapport. On précisera ici les attentes de l’exercice tout en fournissant quelques conseils aux futurs postulants. Une mise en garde tout d’abord : les précisions qui suivent n’entendent nullement fournir un « mode d’emploi » de l’entretien en en cadrant les modalités. Ces dernières dépendent entièrement de la prestation entendue et sont laissées à la totale discrétion des membres du jury. Il serait donc mal venu de la part des étudiants et candidats de prévoir à l’avance la nature des questions qui pourraient leur être posées, au risque de perdre de leur souplesse intellectuelle ou d’être déstabilisés par un type de questions auquel ils ne se seraient pas attendus. Les propos suivants visent simplement à convaincre les candidats que ce temps de l’épreuve, d’une certaine façon, leur appartient, qu’il n’est fait que pour les valoriser et qu’ils doivent donc l’aborder sans crainte mais avec confiance, assurance et volonté.

 

Le jury revient successivement sur l’exposé grammatical puis sur l’explication de texte (ou inversement), sans jamais chercher à piéger le candidat mais au contraire, en prenant toujours appui sur ce qu’il a dit, pour l’inciter à préciser ou corriger ses analyses, lever les éventuelles ambiguïtés de son propos, développer sa pensée pour valoriser son explication. Il ne s’agit donc pas pour le candidat de répéter ce qu’il a déjà dit, ou de dire qu’il l’a déjà dit (car ce n’est généralement pas le cas…), ou de commenter la question qui lui est posée (« c’est une bonne question, je n’y avais pas pensé », « je ne vois du tout où vous voulez m’emmener »). Si le jury apprécie ceux qui prennent le temps de la réflexion en prenant soin de reparcourir tel passage du texte (qu’il convient d’avoir sous les yeux…) au lieu de céder à la précipitation, multipliant les réponses en espérant que l’une d’entre elles soit la bonne (l’entretien n’est pas un « quizz »), il ne s’agit pas pour autant de suspendre sa parole indéfiniment mais de faire preuve d’une certaine réactivité. 

L’entretien a ainsi pour vocation :

  • De rectifier une erreur de lecture ou de corriger un éventuel contresens. On recommande donc aux candidats de ne pas s’enferrer dans leur propos, d’être très attentifs aux questions posées et de se laisser guider par elles. Il n’est pas interdit de demander de reformuler une question que l’on n’aurait pas comprise sans pour autant regarder le jury avec circonspection en laissant entendre que la question posée est incongrue (elle ne l’est généralement pas…). Prendre conscience d’une erreur de lecture ne doit pas démobiliser mais au contraire réactiver des réflexes intellectuels : l’aptitude d’un candidat à revisiter de lui-même son propos (sans pour autant refaire l’explication) à l’aune d’une question ayant permis de le remettre sur la bonne voie peut attester aux yeux du jury ses qualités d’analyse et, dans une certaine mesure, compenser les faiblesses initiales. Combien de fois ont été valorisés des candidats qui faisaient montre d’une capacité à rectifier leur lecture, à se battre avec le texte et à ne pas baisser les bras, quand bien même ils auraient pris conscience, au terme de leur explication ou durant l’entretien, d’une erreur de lecture.
  • D’affiner et de prolonger des analyses justes mais demeurées inabouties : si le jury demande de justifier ou de préciser un point de l’explication, le candidat ne doit pas nécessairement penser que ces affirmations étaient fausses. À l’écoute d’une prestation tout à fait honorable révélant des capacités parfois bridées par le temps, la précipitation, ou émoussées par l’émotion, le jury peut chercher à bonifier la note en donnant l’occasion aux candidats de dire ce qu’ils n’auraient pas eu le temps ou pas l’idée de dire. Il n’est pas rare que ce que l’on soupçonnait comme une ignorance de la part de l’impétrant n’en était pas une, ou que des questions plus périphériques soient l’occasion pour ce dernier de donner la mesure de sa culture historique et littéraire.
  • De combler les oublis ou les lacunes patentes de l’explication : le candidat sera invité à commenter le document iconographique si celui-ci a été malencontreusement négligé, à formuler sa problématique si le jury ne s’en est vu proposer aucune, à prêter attention à un passage du texte non commenté, à enrichir son angle de vue en l’invitant à prendre en compte une dimension du texte qu’il aurait ignorée, à mobiliser des outils d’analyse majeurs qu’il n’aurait pas convoqués alors même qu’ils déterminent l’esthétique du texte. Notons à cet égard qu’il arrive très fréquemment que le jury demande au candidat de commenter le style du passage, de procéder à de rapides analyses métriques, dans le cas d’un texte versifié, ou scénographiques, dans le cas d’un texte théâtral. Autrement dit, l’on est trop souvent frappé par le peu d’attention porté aux procédés formels, négligence difficilement pardonnable pour des étudiants en lettres et futurs enseignants dont on peut attendre un minimum de sensibilité littéraire et donc de sensibilité à l’écriture.

 

 

On terminera ce rapport en rappelant combien cette épreuve exige que les candidats s’y consacrent dès le début de leur année de préparation, en lisant les œuvres, en comblant leurs lacunes en histoire littéraire (et en histoire tout court) et surtout en se consacrant à des entraînements réguliers. Le jury tient en outre à préciser que son évaluation tient compte certes de la valeur absolue d’une prestation mais aussi de ce qu’il peut pressentir de la perfectibilité des candidats, conscients de ce que leur formation se poursuivra dans les mois et les années qui suivront son recrutement. Parmi les candidats retenus à l’occasion de cette session 2014, certains ont été des plus remarquables et ont provoqué un réel enthousiasme au sein des commissions. Quant aux autres, nombreux sont ceux qui, en dépit des faiblesses et des lacunes dont a pu souffrir leur exposé, ont su néanmoins, d’une façon ou d’une autre, révéler de réelles qualités dont on leur souhaite qu’ils puissent les développer au contact de leurs élèves. 

 

ÉPREUVE DE MISE EN SITUATION PROFESSIONNELLE : 

QUESTION DE GRAMMAIRE

 

Rapport présenté par Morgan GUYVARCH

 

 

La première épreuve orale d’admission, dite de « mise en situation professionnelle », commune à tous les candidats (options lettres modernes et classiques), comporte une question de grammaire,dont les attendus sontdéfinis par l’arrêté du 19 avril 2013, paru au JO du 27 avril 2013 :

 

« L’épreuve s’inscrit dans le cadre des programmes des classes de collège et de lycée. Elle porte sur un texte de langue française accompagné d’un ou de plusieurs documents à visée didactique ou pédagogique (notamment extraits de manuels ou travaux d’élèves), le tout constituant le dossier d’une leçon. Elle consiste en une explication de texte assortie d’une question de grammaire scolaire. La méthode d’explication est laissée au choix du candidat. La présentation de la question de grammaire prend la forme d’un développement organisé en relation avec les programmes et s’appuyant sur un ou plusieurs documents liés à la question posée.

L’exposé est suivi d’un entretien avec le jury, au cours duquel le candidat est invité à justifier ses analyses et ses choix didactiques ou pédagogiques, à manifester sa capacité à mobiliser une culture littéraire, artistique et grammaticale pour l’adapter à un public ou à un contexte donné, et à dire comment il aborderait pour un niveau de classe donné le texte et la question de grammaire proposés.

Durée de la préparation : trois heures ; durée de l’épreuve : une heure (exposé :

quarante minutes ; entretien : vingt minutes) ; coefficient 2. »

 

Si l’on retrouve dans cette définition nombre d’éléments communs à la question de grammaire de l’ancienne épreuve de « Leçon » du concours, l’introduction d’un document « à visée didactique ou pédagogique » sur lequel le candidat doit « s’appuy[er] » dans son exposé et la mention explicite de la nécessité de justifier « ses analyses et ses choix didactiques ou pédagogiques » en constituent les nouveautés les plus saillantes.

La modification du coefficient affecté globalement à l’épreuve renforce sensiblement le poids de la question de grammaire à l’oral dans l’ensemble du concours. En effet, comme dans l’épreuve de « Leçon » des sessions antérieures, celle-ci compte pour un quart de la note totale obtenue à l’épreuve de « Mise en situation professionnelle ». Mais dans la maquette antérieure du concours, les quatre épreuves (écrites et orales) étaient affectées du même coefficient ; désormais, chaque épreuve orale (coefficient 2 chacune) compte à elle seule autant que les deux épreuves écrites (coefficient 1 chacune).

L’objectif du présent rapport est dès lors, au regard de la session qui l’a mise en pratique, de préciser les attentes et exigences du jury sur cette question afin de permettre aux futurs candidats de se préparer au mieux à cette nouvelle épreuve, dont la première condition de réussite demeure, précisons-le d’emblée, la maîtrise des savoirs grammaticaux universitaires

Les observations et réflexions qui suivent se fondent sur les contributions des membres des différentes commissions. Que tous ceux qui m’ont fait part de leurs remarques soient chaleureusement remerciés pour la précision et l’intérêt de leurs analyses et exemples qui ont permis d’étayer et illustrer ce rapport.

 

 

IFINALITESDEL’EPREUVEETELEMENTSCONSTITUTIFSDESSUJETS

 

Place de la question orale de grammaire à l’échelle du concours

 

Pour le candidat de l’option lettres modernes, la question de grammaire à l’oral constitue le troisième temps d’évaluation de sa maîtrise des savoirs et compétences en langue française, au sein d’un concours qui en comporte désormais quatre (deux dans la seconde épreuve d’admissibilité, un dans chaque épreuve d’admission). Situer la question de grammaire de l’épreuve orale de « Mise en situation professionnelle » par rapport aux trois autres moments où les compétences grammaticales du candidat sont évaluées permet une première appréhension de ses enjeux.

En amont, la première partie de la seconde épreuve écrite (intitulée « Étude grammaticale de textes de langue française ») évalue essentiellement les connaissances disciplinaires et académiques du candidat, à travers une « étude grammaticale des textes » d’un dossier. En aval, lors de la dernière épreuve du concours, deuxième épreuve orale dite d’« Analyse d’une situation professionnelle », s’il a choisi l’option « Littérature et langue françaises », le candidat doit cette fois construire une séquence d’enseignement (collège ou lycée) comprenant obligatoirement un « temps consacré à l’étude de la langue » (JO, 27 avril 2013). Ces deux questions peuvent se concevoir comme les bornes initiale et finale d’un parcours où l’évaluation des compétences grammaticales du candidat inclut de manière croissante celle de ses compétences didactiques. La nouvelle question qui forme désormais la deuxième partie de l’« étude grammaticale de textes de langue française » à l’écrit, ainsi que la question de grammaire de l’épreuve orale de « Mise en situation professionnelle », sont donc à considérer comme des étapes au sein de ce parcours, étapes au cours desquelles le candidat est invité à montrer que ses savoirs grammaticaux universitaires et sa connaissance des programmes du secondaire lui permettent d’initier une réflexion didactique.

Qu’il ne soit cependant pas commis de contresens sur les finalités de l’épreuve : l’objectif premier de l’exposé oral de grammaire est bien de s’assurer de la maîtrise des connaissances grammaticales du candidat en ce qu’elle est une condition sine qua non de tout acte de transposition didactique. Cette vérification des connaissances en grammaire scolaire se fait, au cours de l’exposé, de deux manières : le candidat doit témoigner de sa capacité à mettre en œuvre ses savoirs notionnels d’abord  — et prioritairement — en les appliquant à l’analyse d’un corpus d’occurrences figurant dans un texte littéraire, mais aussi en les confrontant au contenu d’un document didactique afin de mettre ce dernier en perspective, d’y porter un regard critique, pour notamment en évaluer les possibilités d’exploitation en classe. Il s’agit donc pour le candidat de mettre ses connaissances en situation, situation qui n’est certes pas (encore) une situation d’enseignement, mais est déjà une situation professionnelle, celle de tout enseignant qui, au moment de bâtir une séquence, porte un regard grammaticalement informé sur les supports (texte, document didactique) auxquels il aura ensuite recours en classe.

 

 

Le contenu du dossier

 

Cette évaluation des savoirs grammaticaux du candidat prend appui sur un « dossier ». En première page figure, d’une part, la liste les « éléments constitutifs du dossier », à savoir les références des trois documents donnés dans les pages suivantes, le « texte à expliquer », un « document 1, iconographique » et un « document 2, grammatical » ; d’autre part, l’énoncé du « sujet » de l’épreuve y est articulé en deux parties, la première invitant à l’explication littéraire du texte proposé, et la seconde précisant la question de grammaire :

 

b) Question de grammaire : dans un développement organisé et référé aux programmes du [collège/lycée], vous étudierez, dans le texte étudié, [telle notion grammaticale], [dans l’ensemble du texte/dans le passage allant de… à …]. Votre exposé s’appuiera sur le document 2.

 

Par rapport à la version antérieure de l’épreuve, la formulation de la question reste inchangée, jusqu’à la dernière phrase et l’affirmation de cette nécessité nouvelle pour le candidat de « s’appuyer » sur le document grammatical. Les « trois variables : le niveau de programmes, collège ou lycée ; la question à traiter ; enfin la délimitation du corpus[2] » du sujet de l’ancienne épreuve demeurent, le document grammatical en ajoutant désormais une quatrième. La nouveauté de l’épreuve réside donc dans la nécessaire exploitation de ce document au sein de l’exposé. Si cette prise en compte est obligatoire, les priorités apparaissent cependant clairement via l’opposition entre les verbes étudier et s’appuyer :

l’étude des occurrences du texte demeure centrale et doit impérativement primer.

 

Ces quatre variables constitutives du sujet sont largement – bien qu’à des degrés divers – corrélées entre elles : en prendre conscience devrait permettre aux candidats d’éviter certaines erreurs et de mieux cerner les attentes du jury.

La première variable est le texte ou le passage du texte à étudier. Rappelons que, dans le cadre de cette épreuve, les auteurs donnés à l’étude vont de François Villon et Charles d’Orléans à Le Clézio ou Pierre Michon ; le candidat peut donc être confronté à des états pour le moins divers de la langue française. Or ce sont les faits de langue plus ou moins saillants du texte qui orientent le choix de la notion grammaticale à étudier. La question est donc choisie en fonction du nombre, de la diversité, voire de l’aspect atypique des occurrences figurant dans le passage à expliquer ; ainsi, un candidat interrogé sur « les déterminants » aurait dû s’inquiéter de n’avoir trouvé que trois occurrences à traiter, qui plus est, trois articles définis, tous en emploi spécifique et à valeur anaphorique, quand justement le corpus avait été choisi pour la variété des sous-classes et emplois des déterminants qu’il permettait d’étudier. Inversement, le jury ne soumet que des sujets réellement traitables dans les temps impartis (préparation et exposé), ce qui explique la restriction fréquente du corpus d’étude grammaticale à une partie du texte : les candidats doivent donc être attentifs à la délimitation du passage de l’étude grammaticale dans l’intitulé du sujet.

La deuxième variable est la notion grammaticale à étudier. Les textes officiels stipulent que « l’épreuve s’inscrit dans le cadre des programmes des classes de collège et de lycée ». Le spectre des questions possibles est donc très large et couvre toutes les notions des grammaires de phrase, de texte et de discours des programmes du secondaire. La notion à étudier peut constituer une entrée explicite des programmes de « grammaire » au collège ou d’« étude de la langue » au lycée. Leur simple lecture permet déjà de se faire une idée de l’extrême diversité des questions envisageables. Le candidat ne doit toutefois pas être surpris de devoir traiter une question dont l’intitulé exact ne figure pas dans les programmes : c’est alors la Terminologie grammaticale de 1997 (Paris, CNDP) qui sert de cadre. Cependant, il doit également se préparer à des questions plus « transversales », notamment sur des morphèmes particuliers (à part que, qui est une entrée des programmes de 4ème, mentionnons si, en, de, comme…),sur les emplois de être, être et avoir… ; à des questions portant sur des notions plus larges, non directement superposables à des chapitres de grammaire scolaire, mais englobant plusieurs entrées des programmes du secondaire (les constructions verbales, les groupes en construction détachée…), ou sur des notions fournissant des entrées dans les manuels scolaires et largement recensées dans les grammaires de référence même si elles sont absentes en tant que telles des textes des programmes comme de la Terminologie (les périphrases verbales, les formes verbales auxiliées…).

La sélection de la notion à étudier dans le texte a des conséquences différentes sur les deux dernières variables du sujet. La référence aux programmes du collège ou du lycée dépend directement du contenu des programmes eux-mêmes. L’étude de la langue au lycée favorisant la grammaire de texte et surtout de l’énonciation, les questions portant sur les reprises anaphoriques, les modalisateurs, les discours rapportés ou encore les déictiques seront préférentiellement rapportées à ce niveau ; les sujets sur des classes de mots ou de constituants, sur des fonctions syntaxiques, sur les formes et constructions verbales appelleront plutôt une référence aux programmes du collège, lesquels privilégient la grammaire de phrase. Cela n’a cependant rien de systématique. D’une part, les programmes du collège, à partir de la 4ème, accordent une place non négligeable aux approches textuelles et énonciatives, tandis que les programmes de lycée spécifient explicitement la nécessité de consolider les acquis des élèves en syntaxe et morphosyntaxe. D’autre part, l’intitulé peut ainsi orienter l’analyse de certains faits de langue dans une perspective plus syntaxique (collège) ou au contraire plus pragmatique (lycée) en invitant le candidat à se référer à un niveau d’enseignement qui n’est pas celui auquel l’intitulé de la question l’aurait a priori immédiatement rattaché.

Le choix du document grammatical est directement lié à la notion à étudier dans le texte littéraire et strictement corrélé à celui du niveau (collège/lycée) auquel doit se référer le développement. De son statut particulier dans l’épreuve découlent plusieurs conséquences sur la nature et le contenu du document auquel le candidat peut être confronté. Rappelons que ce document est, comme le mentionnent les textes officiels, « à visée didactique ou pédagogique », autrement dit, met en œuvre, cherche à construire ou à évaluer, non des savoirs universitaires, mais des savoirs considérés comme « enseignables » par leurs concepteurs ; en aucun cas, il ne peut s’agir d’extraits de grammaires universitaires de référence. Les savoirs en langue exposés ou construits par le document retenu y sont donc didactisés. C’est une première raison qui devrait interdire aux candidats d’envisager qu’il puisse fournir les connaissances théoriques que l’on attend d’eux le jour de l’épreuve et son seul contenu leur permettre d’analyser les occurrences du texte. Le document grammatical ne peut en aucun cas se substituer aux connaissances – ou pallier l’absence de connaissances – des candidats.

À titre d’exemple et sans préjuger du type de ressources didactiques auxquelles auront recours les membres du jury lors des sessions ultérieures, ce sont, au cours de la session 2014, majoritairement des extraits de manuels uniques pour les élèves (collège et lycée), d’ouvrages de « méthodes » (lycée) ou encore de « cahiers d’exercices de grammaire » (collège) qui ont été retenus. Dans tous les cas, il s’agit de ressources en lien avec les nouveaux programmes des collèges et lycées. Les candidats de cette session ont ainsi été confrontés à des extraits de leçon, des fiches de cours sur une notion, des tableaux synthétiques, des pages d’exercices, ou des pages mêlant de brefs rappels théoriques à des exercices d’application. Dans tous les cas, le document est choisi pour son caractère maniable et exploitable par le candidat dans le temps imparti ; il provient d’une  source documentaire unique et n’excède pas une page. 

Si sa nature didactique doit empêcher le candidat de considérer le document autrement que comme une ressource à interroger à partir de ses savoirs universitaires, une autre raison en est que son contenu ne recouvre jamais complètement la notion mentionnée dans le sujet, ou les occurrences à traiter dans le texte. Schématiquement, le contenu du document et la question à traiter dans le texte sont susceptibles d’entretenir trois types de relations :

–          ils peuvent être dans un rapport d’inclusion :

  • soit le document porte sur un aspect de la notion à étudier. Ont ainsi été donnés cette année les sujets suivants : question sur « l’infinitif » avec un document sur « Les périphrases verbales » (manuel de 3ème) ; question sur « les constructions verbales » / document sur « Les compléments d’objet » (5ème) ; question sur « Les modes impersonnels du verbe » / document sur « Les formes en -ant » (5ème) ;
  • soit le document traite d’une notion plus large qui contient le point à l’étude : question sur « l’adverbe » avec un document sur « Les mots invariables » (6ème) ; question sur « les subordonnées relatives » / document sur « Les différents types de subordonnées » (4ème) ; question sur « les propositions subordonnées » / document sur « Phrase et proposition ; juxtaposition, coordination, subordination » (3ème) ;

–          les notions abordées dans le document et dans la question peuvent être en intersection, autrement dit se recouper, sans se superposer ni que l’une englobe totalement l’autre : question sur « le COD » / document sur « La voix passive » (3ème) ; question sur « les adverbes » / document sur « La modalisation » (2nde-1ère) ; question sur « les emplois de de » / doc. sur « Les prépositions » (5ème).

 

Dans tous les cas, le candidat ne doit jamais perdre de vue que le document grammatical ne saurait se substituer à la question posée. Dès lors, quelle que soit la relation entre le point de grammaire à étudier et celui ou ceux qu’aborde le document grammatical, c’est exclusivement sur la notion mentionnée dans la question qu’est interrogé le candidat. Il est donc essentiel que le candidat s’interroge systématiquement sur le rapport entre la question posée et le contenu du document et qu’il explicite ce rapport au cours de son exposé. Beaucoup trop de candidats ont analysé sans discrimination l’ensemble du document, ou bien se sont focalisés sur une partie non pertinente de la page, ce qui les conduit directement au hors-sujet. Inversement, le document grammatical ne doit en aucun cas être utilisé comme une consigne pour l’étude des occurrences du texte : si l’énoncé du sujet demande d’étudier « les pronoms » et que la page de manuel traite des seuls pronoms personnels, il n’est pas envisageable de restreindre les occurrences étudiées dans le texte littéraire à cette seule sous-classe ; de même, si le sujet porte sur « les pronoms personnels » et le document sur les « embrayeurs », il n’est possible ni de considérer comme corpus d’étude les seuls pronoms en emploi déictique, ni de se contenter d’étudier les occurrences relevées du seul point de vue de leur fonctionnement référentiel, sans tenir compte de leur forme ni de leur fonction, comme certains candidats l’ont fait.

La classe à laquelle est destiné le document grammatical est cohérente avec le niveau auquel doit être référée la question. Mais là encore, il ne faut pas confondre le statut des différents éléments du sujet : la question est bien référée à l’ensemble des programmes du collège ou du lycée (et la notion étudiée inscrite dans une progression). La mention de la classe apparaissant dans le document grammatical ne peut donc se substituer à l’indication de niveau figurant dans l’énoncé du sujet. Trop nombreux sont les candidats qui, se fondant sur le seul titre de l’ouvrage dont est extrait le document grammatical (Cahier de français, 6ème par exemple), se réfèrent uniquement à ce niveau et non, comme l’exige l’intitulé du sujet, à l’ensemble des programmes du collège, voire ne relèvent qu’un quart des occurrences attendues dans le texte, arguant de ce que les autres sont « d’accès trop difficile pour des élèves de 6ème ». C’est là encore témoigner d’une mauvaise saisie des attendus de l’épreuve.

 

 

ITRAITEMENT ATTENDU DE LA QUESTION ET BILAN DE LA SESSION 2014

 

Au terme de la session 2014, les membres du jury constatent globalement que les connaissances en grammaire scolaire des candidats stagnent, voire, sur certains points (l’étude de la phrase complexe par exemple) paraissent quelque peu en recul par rapport aux sessions antérieures. L’introduction du document grammatical a souvent été un facteur de trouble pour les candidats faibles et même moyens qui, sans saisir le statut qu’il convient de lui accorder dans l’épreuve, l’ont à tort utilisé comme source de connaissances ou se sont réfugiés derrière sa seule analyse pseudo-didactique pour éviter l’étude des occurrences du texte et ont alors ainsi pleinement révélé leur défaut de savoir et leur absence de préparation de l’épreuve.

Les lignes qui suivent ont donc pour objectif, au regard des difficultés et des erreurs commises, mais également des nombreuses réussites lors des prestations des candidats, de préciser les exigences du jury lors de l’exposé puis de l’entretien.

    

 

L’exposé

 

Dans la continuité du format antérieur de l’épreuve de « leçon », le temps raisonnablement imparti à l’exposé de grammaire est de dix minutes, soit un quart du temps prévu pour la totalité de l’exposé (40 minutes) – la grammaire comptant elle-même pour un quart de la note totale de l’épreuve. Dans tous les cas, l’exposé de grammaire ne peut pas excéder quinze minutes (si l’explication dure elle-même vingt cinq minutes et non trente). La plupart des prestations ont tourné autour de dix minutes ; par rapport aux années antérieures, on assiste globalement à un allongement de l’exposé de grammaire, dû notamment à l’exploitation du document grammatical. Les meilleurs exposés sont néanmoins souvent aussi les plus synthétiques. Inversement, le jury ne peut que se réjouir de la rareté des candidats qui, prétextant le manque de temps lors de la préparation, ne traitent pas du tout la question de grammaire ou s’arrêtent brutalement après une brève introduction.

La très grande majorité des candidats fait suivre l’explication de texte de l’exposé de grammaire. Quelques-uns choisissent au contraire de commencer par celui-ci, comme ils y sont autorisés : rappelons simplement qu’il est alors nécessaire de faire précéder l’exposé grammatical de quelques mots de présentation et surtout d’une lecture du texte. Au cours de cette session, les candidats qui ont commencé par l’étude grammaticale semblent avoir choisi cet ordre parce qu’ils se croyaient visiblement mieux armés pour celle-ci que pour l’explication de texte ; leurs exposés grammaticaux ont d’ailleurs généralement duré quinze minutes. Le risque est alors d’une part de se voir arrêté par le jury et d’autre part de se priver de minutes précieuses pour mener à bien l’explication littéraire.

 

Sur le fond, l’épreuve évalue la maîtrise des notions grammaticales du candidat. Celui-ci doit évidemment manifester sa connaissance théorique des concepts liés à la notion qu’il étudie, des problématiques qui lui sont associées et du métalangage attendu. La maîtrise des connaissances en langue ne se mesure toutefois pas à la capacité du candidat à réciter des éléments de cours appris par cœur au cours de l’année, mais bien à son aptitude à les mobiliser et les mettre en œuvre.

Ne jamais perdre de vue cet objectif unique pour l’ensemble de l’épreuve devrait permettre au candidat de ne pas se méprendre sur le statut des deux documents à convoquer lors de l’exposé de grammaire, le texte littéraire et le document grammatical, et sur la place à accorder à chacun. Le candidat doit avant tout faire preuve de sa capacité à utiliser ses savoirs en grammaire en analysant des faits de langue dans le texte littéraire donné à l’étude, faits de langue qui ne correspondent pas toujours aux cas prototypiques exposés dans les grammaires de référence. Cette analyse doit constituer le centre de l’exposé. Cependant, dans le cadre de la nouvelle épreuve, cette capacité de mise en œuvre des connaissances en langue est désormais également évaluée via la prise en compte du document grammatical : le candidat doit montrer qu’il sait confronter ses connaissances universitaires aux savoirs didactisés du document pour en mesurer l’intérêt et la pertinence. Cette exploitation du document 2 doit cependant demeurer secondaire par rapport à l’analyse des occurrences du texte.

Pour atteindre cet objectif, l’exposé du candidat doit satisfaire à un certain nombre d’exigences, aussi bien sur la forme que sur le fond.

 

L’ introduction

L’introduction doit d’abord permettre au candidat de définir la notion qui constitue son sujet. Ce travail de définition est trop souvent soit totalement absent ou à tout le moins embryonnaire, soit tourne à la récitation mécanique d’un cours, voire à la lecture de la leçon à destination des élèves figurant dans le document grammatical associé. L’introduction doit au contraire être le lieu d’une définition précise et problématisée de la notion à traiter. Elle peut exposer notamment les ambiguïtés de sa dénomination (le terme « pronom » doit pouvoir ainsi être mis en perspective), l’imprécision ou l’insuffisance de certains critères de définition fréquemment retenus (par exemple pour la notion de « proposition ») voire les divergences dans les définitions mêmes. Un sujet sur « la fonction apposition » nécessite par exemple une solide mise en perspective des différentes définitions qui en existent et des critères sur lesquels chacune s’appuie. Cet effort définitoire, qui est toujours nécessaire, est également ce qui permet au candidat de justifier ensuite le corpus d’occurrences retenues : un candidat ayant défini l’apposition comme un constituant détaché opérant une prédication seconde (suivant par exemple Tomassone) est ensuite fondé à inclure dans son relevé les dites « constructions absolues détachées », ce qui n’est pas le cas si, s’appuyant sur d’autres références (Combettes…), il argue de ce qu’un groupe en fonction d’apposition opère une prédication seconde exclusivement attributive.

L’introduction est également le lieu où croiser, comme l’épreuve l’exige, les savoirs universitaires et les références aux programmes du secondaire. Les candidats, depuis la session 2011, ont manifestement pris l’habitude de commencer leur introduction en mentionnant à quel moment la notion à étudier est enseignée. Cette référence est effectivement exigée par le sujet, mais elle est souvent d’une grande platitude, se bornant à une simple liste des entrées des programmes, programmes souvent connus d’un peu loin et évoqués de manière allusive.

Il semblerait donc judicieux, puisqu’une ressource didactique vient désormais s’ajouter au dossier, d’articuler la définition de la notion et la problématique afférente, les programmes du secondaire et la présentation de ce document. L’introduction est ainsi un lieu propice à la présentation succincte et synthétique du document 2 (nature, démarche, situation du niveau), mais surtout à l’explicitation du rapport entre son contenu et la notion étudiée, mise en lien avec les programmes. Certains candidats parviennent à tisser intelligemment ces trois éléments dans leur introduction : une candidate, interrogée sur les pronoms et dotée d’un document 2 (exercice d’observation + leçon) portant sur « Les mots de reprise » (extrait d’un manuel de 3ème), montre d’abord la fragilité des définitions traditionnelle et scolaire de la catégorie des pronoms et rappelle l’hétérogénéité de la classe sur les plans morphosyntaxique et sémantique. Après avoir brièvement caractérisé le document grammatical, elle explique qu’en abordant les « mots de reprise », il envisage la question des pronoms exclusivement sous l’angle de leur fonctionnement référentiel, en l’occurrence le seul mode anaphorique, et ce conformément aux programmes de 3ème incluant une initiation à la grammaire de texte, la morphosyntaxe des pronoms ayant déjà été étudiée en 6ème. La candidate revient alors astucieusement à sa problématique en affirmant que cela ne doit pas masquer la diversité des modes de référence possibles des pronoms, dont le texte offre une illustration. Elle annonce ensuite le plan d’étude des occurrences du texte.

L’introduction peut donc se penser comme la présentation corrélée (et hiérarchisée) de tous les éléments constitutifs du sujet : la notion grammaticale, solidement définie et problématisée, le document 2, dont la présence dans le dossier est alors justifiée par la mise au jour de son lien avec la notion à étudier, et les programmes scolaires.

Cette présentation effectuée, le candidat doit annoncer rapidement le plan de son exposé et passer au développement, qui consiste donc dans « l’étude » des occurrences du texte et « s’appuie » sur le document grammatical.

 

Étudier les occurrences du texte

L’étude des occurrences dans le texte littéraire constitue l’objet du développement. Elle doit se fonder sur un relevé exhaustif des occurrences, leur analyse précise et justifiée et être, comme le rappellent les textes officiels, « organisé[e] ».

 

1)                    Un relevé exhaustif. Le jury a constaté lors de cette session une hausse significative de la fréquence des relevés lacunaires. Plusieurs raisons semblent expliquer l’omission de nombreuses occurrences dans les exposés. La présence du document grammatical a troublé certains candidats qui ont inversé les priorités de l’épreuve et consacré la quasi-totalité de leur temps à analyser ou à paraphraser la ressource didactique, en ajoutant quelques occurrences relevées dans le texte aux exemples que proposait le document. Cette manière de faire, qui témoigne d’une méprise sur les finalités de la question de grammaire, est aussi parfois une tentative pour masquer, en se réfugiant derrière le document grammatical, la faiblesse voire l’absence de maîtrise notionnelle. En effet, si certains relevés ne posent a priori aucun problème, relever toutes les occurrences d’une forme grammaticale présuppose évidemment qu’on soit capable de les identifier

Or le jury constate, chez de trop nombreux candidats, de grandes difficultés dans l’analyse grammaticale la plus élémentaire. L’identification des catégories grammaticales n’est pas toujours assurée, quand il s’agit de distinguer les pronoms des déterminants, ou les prépositions des adverbes ou des conjonctions ; l’analyse fonctionnelle pose également de grandes difficultés, patentes dans le relevé hasardeux ou partiel des cas à examiner dans le cadre de questions sur des fonctions, par exemple sur l’attribut ; l’analyse logique ne paraît pas mieux maîtrisée et, dans les questions sur les subordonnées, rares sont les candidats dont le relevé est complet et rigoureux.

Certains corpus ont des frontières effectivement discutables, soit parce que la notion, débattue, s’appréhende de manière plus ou moins extensive selon les grammaires, soit parce que certaines occurrences « résistent » et s’avèrent réellement problématiques ; dans tous les cas, le jury attend du candidat qu’il explicite ces difficultés d’identification et les justifie. Dans une question sur « les expansions du nom », une candidate relève par exemple sans autre commentaire plusieurs cas de groupes en fonction d’apposition à un GN. Elle est alors clairement hors-sujet et l’entretien ne manquera pas de l’interroger sur cette partie du relevé. Traitant la même question, une autre candidate relève les mêmes cas d’apposition, et, évoquant le détachement et la prédication seconde, montre leurs propriétés spécifiques et distinctes de celles des expansions du nom. Elle justifie alors son relevé en arguant de ce que les manuels scolaires très fréquemment incluent les appositions dans les expansions du nom, ce qui, rappelle-t-elle, n’est pas justifié. Elle témoigne ainsi d’une bonne saisie des enjeux de l’épreuve.

 

2)                    Une analyse précise et justifiée des occurrences. Leur relevé et donc leur identification ne suffisent pas à constituer une réelle analyse des occurrences. Mais là encore, seule une bonne connaissance préalable de la notion à traiter et des questionnements qui lui sont associés permet de cibler les niveaux d’analyse attendus. Lors de cette session, très nombreux sont les candidats qui, malgré une identification correcte des occurrences, n’en proposent que des analyses indigentes ou partielles. Les sujets portant sur les valeurs des tiroirs verbaux ont été particulièrement mal traités, les candidats se contentant de relever les formes verbales du texte – non sans erreur d’identification parfois (attention aux formes passives) –, et d’en indiquer une vague valeur, sans la caractériser ni systématiser leurs analyses. L’opposition entre tiroirs ancrés et tiroirs coupés de la situation d’énonciation et la distinction entre valeurs temporelles, aspectuelles et modales ne sont que très rarement évoquées comme telles, montrant que la notion même de « valeurs des temps verbaux » n’est pas comprise, alors même qu’elle figure comme telle dans les programmes.

Le candidat doit comprendre que le traitement attendu de la question ne saurait se réduire à un simple étiquetage : le jury cherche à évaluer la capacité du candidat à observer et décrire des faits de langue à l’aide d’outils adaptés qui permettent d’en faire apparaître le fonctionnement. Les analyses doivent donc être justifiées et ces justifications passent le plus souvent par des tests et manipulations. Cet effort descriptif est essentiel,#d’autant#que, dans son corpus, le candidat peut être confronté à des cas atypiques, résistant justement à la pose d’une étiquette et dont l’analyse ne peut passer que par une description minutieuse de leurs propriétés, notamment syntaxiques. Or, il s’agit ici de s’assurer que le futur enseignant sera capable à son tour de doter ses élèves d’outils d’analyse efficaces des phénomènes grammaticaux qu’ils rencontrent ; c’est à cette condition que la grammaire scolaire cessera d’être envisagée comme la simple (et souvent hasardeuse) application d’une nomenclature.

On ne saurait donc trop insister sur l’intérêt du recours à des manipulations syntaxiques et notamment aux opérations de base (commutation, permutation, effacement, ajout ou transformation) pour faire apparaître les propriétés syntaxiques des faits étudiés. Les tests syntaxiques, attendus, doivent toutefois être utilisés avec discernement et en fonction d’un objectif précis. Pour reprendre les termes de Gérard Petit dans le rapport du jury 2011, « il existe un bon usage des tests ». Il ne suffit donc pas d’affirmer que tel groupe se pronominalise pour avoir justifié qu’il est en fonction de COD du verbe ; c’est alors la forme du pronom qui doit être commentée, puisque les pronoms conjoints présentent des formes fléchies et spécifiques à certaines fonctions.

Globalement, c’est donc à une plus grande curiosité face aux formes et structures de la langue que le jury appelle les candidats. Curiosité qui doit aussi les pousser à consolider leurs connaissances en histoire de la langue. Même si l’épreuve de grammaire à l’oral ne vise pas à évaluer les connaissances en diachronie, les textes donnés à l’étude peuvent présenter des structures spécifiques de la langue du XVIe ou du français classique. En tant que futurs professeurs, appelés à travailler avec leurs élèves sur ces mêmes textes, les candidats doivent montrer qu’ils sont capables de leur expliquer simplement ces faits caractéristiques d’un état de langue donné. Ils se trouvent néanmoins très désemparés et démunis devant des phénomènes qu’ils ont pourtant fréquemment rencontrés, ne serait-ce que lors de leurs lectures, comme la négation à un seul morphème (ne seul, voire forclusif seul en interrogative au XVIe siècle), la montée du clitique, les gérondifs sans préposition, les périphrases aller + -ant, les participes présents fléchis en genre et nombre, les variations dans les constructions verbales par rapport au français moderne ou encore la liberté de construction des formes impersonnelles du verbe en position détachée.

Toutes ces analyses nécessitent de la part du candidat une grande rigueur et précision dans le métalangage qu’il utilise. Le jury, comme cela est d’ailleurs régulièrement mentionné dans les rapports, est ouvert à diverses options terminologiques, à la condition que les choix du candidat soient conscients et motivés et surtout que l’exposé ne se transforme pas en un discours jargonnant mais vide, masquant la méconnaissance de la terminologie grammaticale officielle, qui, bien que parfois contestable et insuffisante, demeure une référence incontournable pour tout enseignant. Cette année, le jury a en revanche vu ressurgir en masse des « adjectifs possessifs ou démonstratifs », depuis longtemps et légitimement disparus de la terminologie officielle. Cette résurgence montre que trop de candidats paraissent encore ignorer l’existence d’une grammaire universitaire et penser qu’ils peuvent fonder leur réponse sur leurs propres souvenirs scolaires.

Enfin, comme son intitulé l’indique, la question de grammaire exige une approche exclusivement grammaticale ; là encore, le candidat ne doit pas se tromper d’épreuve : la question de grammaire n’est pas de stylistique et ne se confond pas avec l’explication littéraire. Les exposés qui, au cours de cette session, ont convoqué aposiopèses, syllepses et autres anacoluthes, ou cherché à relier, dans une question sur les propositions, le grand nombre de propositions indépendantes présentes dans le passage à l’état d’âme du narrateur, ont témoigné d’une confusion dans l’approche attendue. 

 

3) Un classement des occurrences. L’étude des occurrences doit enfin faire l’objet d’un classement. Le jury peut se réjouir du faible nombre de candidats qui paraît l’ignorer. On rappelle cependant que le plan d’étude est nécessairement dépendant du corpus (et donc susceptible de variations) et qu’il est vain de chercher à tout prix à appliquer le plan d’une fiche ou d’un cours, au risque de devoir annoncer, comme le font certains candidats, des sousparties ou même des parties totalement vides d’occurrences.  

 

–         « S’appuyer » sur le document grammatical

L’introduction dans les sujets de cette nouvelle variable qu’est le document grammatical a manifestement déstabilisé nombre de candidats. Beaucoup n’en ont pas même fait mention lors de leur exposé, ce qui a été sanctionné.

Rappelons encore que, lors de l’exploitation du document grammatical, le candidat doit d’abord faire montre de sa capacité à utiliser ses savoirs savants pour les confronter non plus directement à des faits de langue extraits d’un texte littéraire comme dans l’étude des occurrences, mais cette fois à une transposition didactique de ces savoirs. Le candidat doit prouver au jury qu’il est capable d’évaluer les choix didactiques proposés dans la ressource qu’il a sous les yeux en se posant les questions suivantes : y a-t-il homologie entre les savoirs savants et les savoirs enseignés ? Les savoirs savants ont-ils été l’objet de transformations ? Pourquoi ? Concrètement, il peut s’interroger sur la terminologie utilisée, le choix des exemples et occurrences dans la leçon ou les exercices (variété, difficulté, notamment au regard des prérequis nécessaires), les procédures d’identification proposées aux élèves, les éventuelles simplifications ou omissions opérées dans la présentation de la notion dans une leçon ou un cours, toujours en les confrontant à ses propres connaissances universitaires et aux entrées des programmes.

Dès lors, outre celui déjà mentionné de la substitution du document au sujet, les écueils fréquemment constatés cette année et à éviter sont : 

  • la prise au premier degré du document par des candidats qui, se mettant à la place de l’élève, font eux-mêmes les exercices proposés ;
  • la pure paraphrase du document avec une simple reformulation de la leçon et/ou des consignes des exercices ;
  • des éloges non argumentés du document. Ainsi, quand un manuel de collège affirme que les relatives se trouvent toujours derrière des noms et les conjonctives derrière des verbes, le jury aurait souhaité que le candidat, au lieu de se contenter d’approuver, remarque ici la simplification opérée, les relatives substantives et les conjonctives complément du nom étant totalement occultées, et qu’il s’interroge sur

les raisons de cette omission (mise en correspondance avec les entrées des programmes ? difficultés de ces notions pour le niveau de classe concerné ?) ;

  • la seule description de la démarche utilisée dans la page : beaucoup de candidats se contentent de spécifier la méthode adoptée dans une page de manuel. S’intéresser à la démarche inductive ou hypothético-déductive de la page n’a de sens que si l’on a d’abord analysé la nature des savoirs enseignés qu’elle construit ou expose ;
  • l’utilisation du document comme support théorique : dans un sujet sur les modes impersonnels du verbe, associé à un document grammatical sur les formes en -ant, extrait d’un manuel de 6ème, où ne figure pas le gérondif, le cours affirme que « le participe présent est souvent précédé de la préposition en, ou suivi d’un complément ». Or les candidats exploitent le document en se servant tous de la leçon comme support théorique à leur propre classement des occurrences du texte, qui, pour les formes en -ant, se décline alors en deux parties : participe présent et adjectif verbal. Les candidats passent donc à côté des occurrences de gérondifs du texte et n’exploitent pas autrement le document grammatical. Le jury aurait attendu au contraire que la présentation du gérondif comme un participe présent et l’alternative posée entre présence de en et rection de compléments soit discutée mais aussi expliquée. Si cette présentation est, du point de vue de la grammaire universitaire, contestable — et les candidats auraient dû rappeler pourquoi —, elle est de fait aussi justifiable au regard du public auquel elle est destinée et des enjeux de la page dans l’apprentissage : le document est extrait d’une partie du manuel consacrée à l’orthographe ; la question fondamentale pour l’élève est dès lors celle de l’accord ou non des « formes en -ant », d’où le choix des auteurs du manuel de n’en considérer que deux, l’une invariable (participe présent), l’autre variable (adjectif verbal).

 

C’est ainsi le manque de recul sur les ressources proposées qui a frappé le jury ; s’il peut se lire comme une mauvaise compréhension des enjeux d’une épreuve modifiée, c’est aussi la maîtrise notionnelle insuffisante des candidats qui l’explique. Certains sont pourtant parvenus à la fois à bien saisir l’enjeu de la présence du document et à en proposer des remarques et analyses tout à fait judicieuses. On citera l’exemple d’un candidat qui, avec un sujet sur « les attributs » et un document sur « l’attribut du COD » (leçon d’un manuel de 3ème), ne fait certes qu’une mention du document grammatical, mais tout à fait bienvenue : il souligne la pertinence, dans le manuel, de la mise en avant du test de la pronominalisation du COD afin de montrer l’extériorité de l’attribut de l’objet par rapport au COD et la spécificité de cette construction. Il prouve ainsi au jury qu’il est capable de mobiliser ses savoirs universitaires pour produire un regard informé et donc « professionnel » sur le document qu’il pourrait ensuite choisir d’utiliser en classe.

Comme le montre cet exemple d’appui pertinent de l’exposé sur le document, le jury n’attend aucunement que le document 2 soit intégralement exploité : certaines prestations avec quelques brèves analyses du document grammatical associées à une étude exhaustive et pertinente des occurrences dans le texte obtiennent d’excellentes notes, dans la mesure où elles prouvent au jury que le candidat est à la fois capable de mobiliser ses connaissances académiques pour analyser des faits de langue dans un texte littéraire et d’user avec discernement de la ressource didactique qui lui est proposée.

 

–         L’articulation entre l’exploitation du document et l’étude des occurrences

À partir du moment où il ne perd pas de vue l’analyse des occurrences du texte, le candidat, après avoir brièvement présenté le document et son lien avec le point à traiter dans l’introduction, peut choisir entre plusieurs manières d’articuler l’exploitation du document 2 et l’étude des occurrences. Deux tendances se sont dégagées lors de cette session ; beaucoup de candidats ont préféré traiter du document grammatical après l’étude des occurrences, dans une deuxième partie du développement ou une conclusion développée, ce qui est tout à fait possible.

D’autres ont pris le parti d’intégrer leurs remarques sur le document grammatical au travail d’étude des occurrences dans le texte. Cet entrelacement a pour avantage, quand il est bien mené, de mieux révéler la capacité du candidat à mettre en œuvre ses savoirs universitaires sur deux plans : l’analyse des occurrences dans un texte, la réflexion sur la transposition didactique. Le jury a ainsi particulièrement apprécié la démarche de la candidate qui, interrogée sur les constructions verbales, avec un document grammatical intitulé « Les compléments d’objet » a, dans la sous-partie de son exposé consacrée aux COD, fait suivre l’examen des occurrences concernées dans le texte littéraire d’un commentaire sur les procédures d’identification proposées dans la page du manuel, pour les comparer à celle qu’elle avait elle-même utilisée pour ses propres analyses.

 

 

L’entretien

 

L’entretien vise à revenir sur le contenu de l’explication de texte et de l’exposé de grammaire ; l’ordre dans lequel ces deux parties de la prestation sont réexaminées est laissé à la discrétion des commissions et ne doit pas être interprété par le candidat comme un signe de succès ou d’échec de l’une ou l’autre. Les candidats doivent être conscients de l’enjeu de ce deuxième temps de l’épreuve, qui ne peut que leur être favorable. Certains ont ainsi vu leurs notes revalorisées de manière très substantielle à l’issue d’un entretien particulièrement productif.

L’entretien portant sur la grammaire n’a pas d’autre objectif que de prolonger l’évaluation de la « culture grammaticale » (JO, 27 avril 2013) du candidat. Quatre types de questions sont envisageables, qui dépendent évidemment du contenu et de la pertinence de sa prestation antérieure.

Le jury peut interroger le candidat sur ses savoirs théoriques et lui demander de préciser, rectifier ou compléter une définition qu’il a donnée, ou de définir une notion qu’il a convoquée dans son exposé sans l’expliquer. Ceux qui utilisent ainsi une terminologie ressortissant à un appareil conceptuel spécifique sans l’expliciter devront, lors de l’entretien, montrer que son usage au cours de l’exposé était motivé : le futur candidat veillera donc à n’employer les termes de subduction sémantique, de sémantèse, de discordantiel/forclusif ou d’infinitif de progrédience que s’ils font sens pour lui et qu’il est capable de les définir. Plus simplement, il doit être capable de proposer une définition claire et précise de ce que sont un pronom clitique, un complément essentiel, une progression thématique, ou encore l’aspect verbal.

L’entretien est également susceptible de revenir sur le relevé des occurrences afin que certaines erreurs d’identification soient rectifiées, certaines analyses précisées, prolongées ou justifiées. Le candidat ne doit donc pas sembler surpris si le jury l’invite à procéder à des tests syntaxiques sur certains énoncés pour en faire ressortir les propriétés et le fonctionnement. Plus généralement, le jury attend une réelle disponibilité des candidats dans l’entretien : l’ouverture d’esprit et l’aptitude à l’échange sont aussi des qualités attendues d’un futur enseignant.

Le candidat peut se voir interrogé sur sa connaissance des programmes. Plus qu’une récitation de leurs différentes entrées, ce qui est attendu est une réelle compréhension de la logique et de la progression de ces programmes. Beaucoup convoquent les « grammaires du texte et de l’énonciation » sans être réellement capables ni de définir les objets qui sont les leurs et le lien qu’elles entretiennent avec la grammaire de phrase, ni d’inscrire la notion à traiter dans le champ d’étude de l’une et/ou l’autre.

Enfin, les questions du jury peuvent porter sur le document grammatical. Là encore, les candidats doivent montrer qu’ils ont compris le statut de ce document dans l’épreuve et prouver qu’ils sont capables de prendre du recul par rapport à son contenu. Cette année, trop nombreux sont ceux qui, alors que le jury attirait leur attention sur certains choix précis de transposition didactique qu’il aurait voulu voir commenter, ne parviennent pas à sortir de la simple description paraphrastique. Il est également inutile de déplorer, comme l’ont fait certains, que celui-ci n’ait qu’un lien lointain, voire pas de lien du tout avec la question : suggérer que le sujet a été mal pensé face à ses concepteurs manque sans doute un peu d’habileté et d’élégance, mais surtout offre au jury la preuve à la fois que les enjeux de l’épreuve ne sont pas cernés et que la notion à l’étude n’est pas complètement maîtrisée, le document entretenant nécessairement — faut-il le rappeler ? — un rapport avec celle-ci.

Rigueur, disponibilité et honnêteté intellectuelles sont donc des conditions essentielles de la réussite de l’entretien de grammaire, qualités dont de nombreux candidats ont heureusement su faire preuve lors de cette session.

 

 

IIICONSEILS AUX FUTURS CANDIDATS

 

Au regard des prestations de la session 2014, quelques conseils pour se préparer sereinement à cette nouvelle configuration de l’épreuve orale de grammaire peuvent, pour conclure, être donnés aux futurs candidats.

 

Les prestations entendues au cours de cette session montrent que la première condition de réussite à l’épreuve est de disposer d’un solide savoir grammatical universitaire sur les notions enseignées dans le secondaire. Ces connaissances ne sauraient s’acquérir que progressivement et la préparation à l’épreuve, comme à toutes les autres épreuves du concours évaluant les savoirs en langue française, débute en réalité dès les premières années de licence.

Les futurs candidats doivent utiliser les ouvrages de référence à leur disposition, dont le premier est la Grammaire méthodique du français de M. Riegel, J.-C. Pellat et R. Rioul (Paris, PUF, 2009). Cette ressource, indispensable, ne saurait pour autant suffire à asseoir une culture grammaticale. Celle-ci s’acquiert par la confrontation régulière et réfléchie de plusieurs grilles d’appréhension et de description de la langue, qui se confortent, se complètent ou s’opposent. On ne saurait donc trop conseiller de multiplier les lectures grammaticales et de ne pas s’en tenir à une source unique. La fréquentation des grammaires de Roberte Tomassone, Pierre Le Goffic et Nathalie Fournier[3] , entre autres, ne peut qu’être profitable à un futur enseignant de langue. Sur certains points particuliers, le recours à des ressources plus ciblées s’avèrera également très fructueux, comme, à simple titre d’exemple et au vu des lacunes récurrentes des candidats lors de cette session 2014 sur la phrase complexe, l’ouvrage d’Anne-Marie Garagnon et Frédéric Calas dédié à cette question[4].

Vérifier, avant le concours, que l’on connaît, que l’on comprend et que l’on est en mesure de mobiliser toutes les notions figurant dans la Terminologie grammaticale et toutes les entrées des programmes du secondaire est déjà une bonne manière de s’assurer que le spectre de connaissances dont on dispose est assez large et que l’intitulé du sujet sera compris.

Ces connaissances théoriques ne sont pourtant utiles au candidat que s’il est capable de les mettre en œuvre. Au cours de sa préparation, il aura donc intérêt à se confronter régulièrement à l’analyse de faits de langue dans des textes littéraires de siècles et genres variés pour exercer sa curiosité grammaticale, son agilité descriptive et sa maîtrise des outils d’analyse de la langue ; feuilleter des manuels à destination des élèves, des enseignants, des cahiers d’exercices, etc. devrait également lui permettre de se familiariser avec ces ressources didactiques, d’exercer son regard critique sur celles-ci et de se préparer ainsi à toutes les facettes de l’épreuve.

 

La durée totale de préparation de l’épreuve orale de « Mise en situation professionnelle » est de trois heures. Accorder au moins 45 minutes à la seule préparation de la question de grammaire paraît raisonnable. On signalera que le candidat est libre d’annoter le dossier support du sujet lors de sa préparation, ce qui, par rapport à la configuration antérieure de l’épreuve où il lui était interdit de porter toute inscription sur l’œuvre intégrale, lui permet de gagner du temps. 

Le temps est d’ailleurs un enjeu majeur de l’épreuve : gérer le temps limité exige une solide organisation. Là encore, tout est question de préparation et de maîtrise préalable des connaissances théoriques. Un candidat suffisamment préparé, au moment où il découvre le sujet, mobilise immédiatement ses savoirs académiques sur la notion à l’étude et les problématiques qui lui sont associées, et, avant même de commencer le repérage des occurrences dans le texte, sait ce qu’il est susceptible d’y trouver. Il est capable, dès sa première lecture, non seulement de procéder au relevé des occurrences attendues mais aussi, déjà, à une ébauche de classement et donc à un début d’analyse. 

Avant de se lancer dans ce travail sur le texte, le candidat a néanmoins tout intérêt à lire le document grammatical et à immédiatement cerner le rapport qu’il entretient avec la question posée : la ressource didactique peut initialement servir de piste de réflexion en attirant l’attention du candidat sur un niveau d’analyse attendu des occurrences à considérer et qu’il aurait pu négliger. Ainsi, dans un sujet portant sur les pronoms, la présence d’un document intitulé « Les reprises anaphoriques » doit l’inciter à s’interroger systématiquement sur le mode de référence de tous les pronoms qu’il relève et à ne pas se contenter d’une étude morphosyntaxique. L’analyse proprement dite du document grammatical, dans la préparation, gagne cependant sans doute à être menée après l’examen complet des occurrences du texte. Elle ne saurait pourtant être négligée comme trop de candidats l’ont fait cette année. Les meilleures prestations entendues au cours de cette session ont montré qu’il était parfaitement possible, dans le temps imparti, d’allier une analyse exhaustive des occurrences dans le texte à une prise en compte pertinente du document grammatical ; cette bonne gestion du temps limité se prépare toutefois très en amont et commence par une parfaite maîtrise des savoirs grammaticaux.

 

 

Lors de cette session 2014, la question de grammaire a pleinement joué son rôle discriminant au sein de l’épreuve de « Mise en situation professionnelle » : quelles que soient la qualité et la pertinence de l’explication littéraire par ailleurs, le jury n’a pas hésité à sanctionner des prestations désastreuses en grammaire, témoignant d’une absence totale de préparation et de connaissances en langue, d’un 1 ou 2 ; au contraire, il a attribué d’excellentes notes et même la note maximale de 20 à des prestations solides, claires et argumentées de candidats qui ont fait la preuve de leur compétence grammaticale et de leur capacité à transmettre à leurs futurs élèves une réelle conscience de la langue.


[1] L’auteur du présent rapport remercie chaleureusement ses collègues de commissions pour leurs remarques et suggestions. Les lignes qui suivent sont, à bien des égards, le fruit d’une réflexion collective que l’ensemble du jury a eu à cœur de mener à l’occasion de cette première session du concours rénové. Nous renvoyons par ailleurs les candidats aux rapports des sessions précédentes, riches en conseils et en indications sur les exigences et la méthode de l’explication. Nous leur sommes redevable des inévitables rappels que nous ferons ici.

[2] Rapport de la session 2012, rédigé par David Zemmour, à consulter en ligne : http://www.education.gouv.fr/cid58441/sujets-des-capes-2012.html. Les candidats consulteront également avec profit les rapports des sessions 2011, 2013 et 2014 « exceptionnelle », disponibles sur le même site.

[3] TOMASSONE, Roberte, Pour enseigner la grammaire, Paris, Delagrave pédagogie, 1996.

LE GOFFIC, Pierre, Grammaire de la phrase française, Paris, Hachette, 2005.

FOURNIER, Nathalie, Grammaire du français classique, Paris, Belin, 1998, coll. « Belin Sup-Lettres ».

[4] GARAGNON, Anne-Marie, CALAS, Frédéric, La phrase complexe : de l’analyse logique à l’analyse structurale, Paris, Hachette, 2002, coll. « Ancrages fac ».